Le chemin de fer des confins de l’Europe: la Bulgarie.

Le réseau bulgare : pour un roi qui veut jouer au train ? S’il y a bien eu un passionné de chemins de fer, c’est bien le roi de Bulgarie, à une époque où ce pays n’est pas encore convoité par le « grand frère » soviétique, parce qu’il ne fait pas bon prendre un jouet appartenant à un roi, surtout quand ce dernier y a installé son train électrique… Passionné de chemins de fer, grand conducteur de locomotives à vapeur, le bon roi Boris III songe bien à doter son royaume d’un réseau ferré performant, puisque, d’abord, la question l’intéresse…

Locomotive bulgare d’un rare type 050 à tender séparé, vue sur le réseau dans les années 1930.

Libérée de la domination turque en 1878, la Bulgarie entre tardivement dans l’ère industrielle que les autres pays de l’Europe occidentale connaissent déjà depuis un demi-siècle, mais le réseau terré de ce pays a un atout unique au monde: un roi passionné de chemins de fer ! …

En effet, le roi Boris fait tout pour développer les chemins de ter du royaume et, joignant le geste à la parole, il est le premier, dès que l’occasion s’en présente, pour monter à bord d’une locomotive et pour conduire le train en bleu de chauffe, y compris pour l’Orient-Express — en dépit des craintes respectueusement non formulées, mais profondément éprouvées par les dirigeants de la compagnie. Le roi estimait avoir ce droit puisqu’il disait « l’Orient-Express me traverse »… le « me » désignant son royaume comme sa personne, comme il est d’usage chez les rois.

Le roi Boris III aux commandes d’une locomotive de « son » réseau pour ne pas dire « de lui-même ». Obéissait-il aux signaux et aux ordres des services de la traction et de l’exploitation ? Faisait-il grève ?

A la merci de ses puissants voisins, pour commencer.

Les premières lignes bulgares sont surtout des lignes parallèles au Danube pour en contourner les parties non navigables, comme celle de Tscherna-Voda à Constanza ouverte par les Turcs en 1860, ou celle de Roustchouck à Varna, ouverte en 1867, construite par les soins d’une compagnie anglaise, la Société Ottomane du Chemin de fer Roustchouck-Varna, et exploité, à partir de 1873, par la Compagnie des Chemins de fer Orientaux.

Toutefois l’ouverture du canal de Suez confère à cette nouvelle artère une grande importance dans le Proche-Orient, car le transport des voyageurs et du courrier de l’Europe centrale et Orientale à destination des Indes s’effectue alors par Constantinople.

Le traité de Berlin, en 1878, place le réseau ferré bulgare sous la dépendance des intérêts de ses puissants voisins que sont la Russie, d’une part, et, d’autre part, l’Autriche-Hongrie. L’empire austro-hongrois réussit, dès 1888, à faire triompher son désir de voir la ville de Sofia reliée par fer à l’Occident, et, puisque l’occident, c’est surtout cet empire, à augmenter son influence économique et politique. En 1900, la ligne de Sofia à Roussé, sur le Danube, est enfin construite.

Nationalisé progressivement à partir 1885 par le gouvernement bulgare après le rachat de lignes en difficulté comme celle de Roustchouck à Varna, le réseau finit par être entièrement sous le contrôle de l’État en 1908. Ce dernier considère que le chemin de fer est d’abord au service de l’agriculture, de l’industrie et du commerce. Le transport des voyageurs n’est donc pas prioritaire, ni la réalisation de bénéfices. Il s’agit d’abord d’un service public destiné à l’économie nationale.

Locomotive type 130 en Bulgarie en 1910.

C’est ainsi qu’en 1911, seulement 3,5 millions de voyageurs sont transportés, et 2 millions de tonnes de marchandises. La priorité est plus que jamais donnée aux transports des marchandises, notamment les produits agricoles qui sont prioritaires. La nature plutôt montagneuse du pays ne permet pas une industrialisation et un développement économique intenses, et, on s’en doute, rend aussi difficile et chère la création d’un réseau ferré performant.

La Bulgarie naît dans la tourmente.

Si, en 1911, le réseau bulgare transporte 3 489 281 voyageurs très exactement, il transporte aussi 2 029 913 tonnes de marchandises, réalisant, pour ce dernier point, un trafic modeste de 270 millions de tonnes/kilomètres. Il compte seulement 1948 km de lignes. La guerre balkanique de 1912, suivie de la Première Guerre mondiale, arrête toute expansion du réseau bulgare: jusque-là, il avait été possible de relier les grandes villes du pays aux ports de la Mer Noire, et de doter le pays d’un ensemble cohérent de lignes.

Exceptionnelle locomotive-tender lourde à 6 essieux moteurs, type 162 – sans doute la plus puissante d’Europe dans sa catégorie – sur le réseau bulgare dans les années 1930.

Le traité de Neuilly, signé en 1915, enlève à la Bulgarie le débouché sur la mer Egée et suspend la construction de lignes dans cette direction. Mais ce traité laisse à ce pays des régions situées au Sud et dépourvues de tout moyen de communication, ce qui incite le gouvernement bulgare à entreprendre de nouvelles constructions de lignes. Toutefois, en 1918 le réseau compte 1948 km, et en 1920, plus de 2600 km, en incluant quelque 400 km de lignes militaires à voie de 60.

Belle locomotive du type 230 pour trains express de fabrication manifestement allemande.
Le réseau ferré bulgare en 1923.

Les Soviets plus l’électrification.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la Bulgarie, qui a changé de camp et s’est rapprochée de l’URSS, se trouve dans le bloc communiste. Le réseau ferré alors connaît une réelle modernisation, avec une électrification de 2000 km en 25 000 V 50 Hz et des locomotives électriques de construction tchèque pour les lignes principales, tandis que la traction diesel élimine la vapeur sur les autres lignes. Plus de 80 millions de tonnes de fret sont transportées annuellement. Le réseau totalise 4055 km de lignes aujourd’hui.

La belle gare de Varna dans les années 1920.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, on est également sur le point de reprendre l’achèvement des chemins de fer de Pleven à Somovit et de Tcherven Breg à Béla et Slatina et à Rahovo. Le tracé de la première ligne, notamment dans sa partie exposée à l’inondation du Danube est déplacé vers l’est tout comme le port de Somovit.

Le réseau bulgare sous sa grande expansion des années 1950.

La seconde ligne, à voie étroite de 760 mm, est longue d’environ 100 km, et relie la ligne centrale Sofia-Varna à Rahovoau, un port du Danube. À l’époque, elle n’est qu’à demi-achevée et n’est ouverte à l’exploitation que jusqu’à la station de Héla Slatina. D’une manière générale, au lendemain de la Première Guerre mondiale, la construction des lignes en voie de 60 ou 76 cm sera abandonnée, et les réseaux déjà existant dans ces écartements seront peu à peu fermés au profit de la route.

Le rêve du « Transbalkanique ».

Comme le « Transsibérien » qui s’est effectivement réalisé, ou le « Transsaharien », ou le « Transafrican » qui sont restés des projets, les rêves se réalisent parfois, mais souvent jamais… et si bien des continents entiers, ou au moins des pays, ont rêvé de ces grands « Trans… », pour bâtir leur puissance et leur unité, la « poudrière des Balkans » a, lui aussi, sous l’égide de la Bulgarie, rêvé du sien, et l’a partiellement réalisé, mais sous forme assez hétéroclite dite « Danube – Mer Egée » ce qui a quelque peu masqué l’idée que le « Transbalkanique » a réellement existé.

Deux grandes lignes se dirigent de Sofia vers la mer Noire, aboutissant respectivement aux ports de Bourgas et de Varna, toutes deux longent les pieds de la grande chaîne balkanique, l’une au sud, l’antre au nord. La nécessité de ne pas laisser d’aussi longs tronçons sans liaison entre eux se fait bientôt sentir, tant aux points de vue stratégique que commercial, et la Bulgarie entreprend la construction d’un « Transbalkanique » malgré les difficultés très considérables qu’il faut surmonter.

Cette ligne fut projetée et exécutée complètement par des ingénieurs bulgares, et compte parmi les plus intéressantes de l’Europe. Son armement trop faible et une construction à l’économie ont toujours empêché cette ligne de fonctionner correctement et ont toujours limité le poids des trains et interdit la mise en service de locomotives lourdes et puissantes.

À proprement parler, le « Transbalkanique » ne comprend que le tronçon de Gorna à Orechovitza (sur la ligne de Varna) à Stara Agora, sur celle de Bourgas, et encore le tronçon nord de Gorna-Orechovitza à Tirnovo, l’ancienne capitale de la Bulgarie, fait partie d’une ligne plus ancienne. Mais le tronçon « Transbalkanique » fait partie d’un ensemble beaucoup plus considérable qui s’étendra du Danube, en partant de Roustchouck, jusqu’à la mer Egée en arrivant à Porto Lagos.

La ligne Danube-Mer Egée comporte trois parties bien distinctes : d’abord une partie septentrionale, an nord des Balkans, s’étendant depuis le Danube jusqu’à Tirnovo, un peu au sud de la ligne de Varna, qu’elle croise à Gorna-Orechovitza. Elle date de 1901. Ensuite, on trouve une partie centrale, à proprement parler« Transbalkanique », de Tirnovo à Stara Agora, où elle croise la ligne de Bourgas et qui est achevée en 1913 au prix de grandes difficultés et d’un tracé digne du Saint-Gothard avec des boucles et des tunnels hélicoïdaux. Enfin, on a une partie méridionale jusqu’à la mer Egée, qui, après avoir emprunté la ligne de Bourgas sur une courte section de Stara Zagora à Mihailovo, traverse la chaîne des Rhodopes et dont un contrat d’adjudication fut ratifié en I 914, mais auquel il ne fut pas donné suite, la Bulgarie ayant perdu son débouché sur la mer Egée, et s’étant alors contentée d’une ligne en voie de 760 mm jusqu’à sa nouvelle frontière. Ce fut la fin du grand rêve du « Transbalkanique ».

Le réseau bulgare dans le monde communiste, en 1967. Seules les lignes principales et ouvertes aux voyageurs sont mentionnées sur ce document Chaix.

La Bulgarie dans l’Europe ferroviaire d’aujourd’hui.

Ce réseau a conservé l’importance qu’il avait dans le passé, même si l' »Orient-Express » ne le traverse plus: entièrement établi en voie normale, ne donnant pas sur le réseau russe et ne souffrant donc d’aucun problème d’écartement à ses frontières, il est un carrefour entre l’Europe occidentale et la Turquie ou la Grèce grâce à son positionnement entre l’important réseau ex-Yougoslave redevenu serbe. Disposant de 4029 km de lignes, il assure chaque année un trafic fret de 1573 millions de tonnes-kilomètres et un trafic voyageurs de 1458 millions de voyageurs-kilomètres. Le réseau a pris le nom de Български държавни железници, (« Balgarski daržavni železnitsi ») БДЖ, (BDŽ).

En janvier 2002, le réseau ferré bulgare se conforme aux objectifs des directives européennes, comme d’autres membres du CEE qui en font l’expérience, et deux compagnies distinctes sont créées : BDZ EAD, un « opérateur » de trains de voyageurs et de marchandises, et un gérant d’infrastructure est le NRIC (« National Railway Infrastructure Company »). La « découpe » se poursuit et en 2010, les activités voyageurs et fret de la BDZ EAD sont dissociées une « holding ». En 2012, la privatisation du fret est faite, puis suspendue en 2013… Alors suit un éclatement en plusieurs « opérateurs » : « BDŽ Putnicheski Prevozi Ltd. » (voyageurs), « BDŽ Tovarni Prevozi Ltd. » (fret), « BDZ SPED Ltd » (messageries), « BDŽ Traktzionen Podvizhen Sustav Ltd. » (location et maintenance de matériel moteur), « BDŽ-Koncar Inc. » (révisions, rénovations et transformations de matériels moteurs en association avec une entreprise… croate). Toutes ces belles appellations capitalistiques et américaines ne semblent pas avoir tenu leurs promesses, et, comme beaucoup de pays de l’Europe de l’Est, la Bulgarie multiplie les camions sur ses routes et celles de l’Europe, son réseau ferré n’ayant plus qu’une activité marginale, comparée à celle de l’époque du monde communiste.

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