Le chemin de fer de toutes les Russies: immensité, efficacité, beauté.

(Note de l’auteur : cet article a été écrit en 2019, donc bien avant l’agression russe contre l’Ukraine).

La Russie du 19ème siècle veut sa part de la fête libérale et industrielle que vivent les pays d’Europe et des Etats-Unis, et, toujours, elle aura un regard imitateur et admiratif pour ces pays. Les Tsars veulent surtout construire un réseau ferré pour développer leur empire : ils ont, en leur faveur, un pays au faible relief permettant de faire des lignes très droites et plates, mais ils sont contre eux le froid, la neige, et, surtout, des distances immenses à couvrir.

Locomotive type 152 série J.Stalin: non seulement les belles locomotives mais aussi les grands esprits, tout est à la gloire de l’URSS dans les années  1950.

Le Tsar rêve de modernité.

Pour faire comme l’Europe, le Tsar Nicolas 1er veut un train. Mais où aller en train dans ce pays de neige, de chevaux et de traîneaux ? Le Tsar règne à Moscou mais se plaît à St Pétersbourg : voilà donc une ligne à construire. Et sur la carte déployée devant lui par un ingénieur serviable et tremblant, le Tsar de toutes les Russies pose une règle et trace, d’un seul coup de plume rageur, un long trait droit reliant les deux villes.

La légende (réelle ou fausse, mais russe) dit que le pouce impérial dépassait de la règle et fit faire un détour à la plume: l’ingénieur respecta le dessin, et fit, sur le terrain, un détour dont aujourd’hui la raison d’être est toujours sans explication, le terrain étant rigoureusement plat….

La ligne Nicolas devenue Octobre.

En 1851 les premiers trains peuvent rouler sur la grande ligne Moscou – St Pétersbourg qui prend le nom de ligne Nicolas, en attendant de devenir la ligne Octobre avec les bolcheviks. Mais la qualité de la voie et du service fait qu’il faut quand même une trentaine d’heures pour couvrir les 800 Km séparant les deux villes, ce qui n’est pas, à proprement parler, de la « vitesse »…avec une moyenne de l’ordre de 30 Km/h. Seul le train impérial roule à plus de 50 Km/h, mais paie ce luxe par de nombreux déraillements….

Voiture russe des années 1880.
.Train omnibus russe en 1905. La légende précise que le mécanicien se repose, dormant bien au chuad sur le dessus du foyer… Les voitures, avec leurs grandes “cheminées” d’aération sont typiques

En 1894 le premier train russe nommé est inauguré: le Courrier. Il couvre a distance Kiev-Odessa, soit 650 Km, en un peu plus de 12h, ce qui donne une moyenne de plus de 50 Km/h, remarquable pour l’époque et le pays. Mais aussi circule, à partir de 1905, un autre Courrier, le Courrier N°1, entre Moscou et St Pétersbourg, mettant un peu moins de 12 h pour faire la relation, et circulant de nuit. Et ce train-là, c’est un mystère très russe, car il n’est accessible qu’à des voyageurs bien en cour et ayant des autorisations spéciales.

Lors de la construction du Transsibérien; une équipe d’ingénieurs inspecte la voie. Document Library of Congress, et “Autochrome” Lumière.

Avantages et inconvénients de la situation russe pour les chemins de fer.

L’immense territoire russe Occupe une superficie de 22,5 millions de km2. Son étendue est égale à 42 fois celle de la France. C’est surtout une plaine, coupée par la chaîne de l’Oural et, en Sibérie Orientale, par les monts Jablonoi et Stanavoi. La platitude du pays est avantageuse pour l’établissement des voies ferrées qui ne traversent que les vallées à pente faible des rivières. En moyenne nationale, les voies ferrées sont, sur 70% de leur parcours, en ligne droite.

Fierté, dignité, sens du devoir et du service – déjà – pour les cheminots russes sous la grande époque des Tsars. Document Libray of Congress et “Autochrome” Lumière.
Train rapide “Le Courrier” N°1 en 1905. Le matériel roulant et les voies sont de qualité.

La ligne de Moscou à Leningrad, par exemple, longue de 651 kilomètres, est en alignement sur 90 % de son parcours, la distance à vol d’oiseau entre les deux villes étant de 639 kilomètres. Les rampes de plus de 5 pour mille sont rares, et le rayon des courbes est rarement en dessous de 640 mètres.

Et pourtant, en dépit de ces conditions avantageuses, le réseau russe ne comprend, en 1917, que 23.770 verstes (soit 25.362 Km) de lignes. En quatre années, les Soviétiques feront plus que doubler cette longueur, puisque dès 1922, le total atteint 68.100 Km.

La Russie en 1900. Les chemins de fer sont encore rares, mais le Transsibérien est déjà à l’ordre du jour.

Le froid et la distance, ennemis du peuple russe.

La construction des chemins de fer russes a demandé que l’on renonce aux tranchées pour éviter les amoncellements de neige. Aussi, même dans les steppes, la construction des chemins de fer se fait en remblai. On dispose de plus des écrans en lattis en une ou plusieurs rangées le long des lignes. On les déplace plusieurs fois dans le courant de l’hiver en les éloignant de plus en plus de la voie. Là où cela est possible on remplace les lattis par des plantations d’arbres. Avec une vingtaine de rangées d’arbres de chaque côté de la voie, une protection efficace est obtenue. Les inconvénients causés par le gel sont extrêmement sérieux. En Sibérie orientale les températures s’abaissent en hiver à 45’ et même parfois à 65° et le sol reste constamment gelé, même en plein été. Il a fallu étudier des procédés spéciaux permettant d’établir des constructions durables dans ces conditions.

Dans les parties chaudes de la Russie, comme les steppes de l’Asie centrale, au moins on ne lutte pas contre la neige, mais contre le sable qui envahit les voies : une maigre consolation… Les boursouflures. Une particularité russe, affectant jusqu’à 20% des lignes, est la présence de boursouflures dans les régions où le froid est moins vif, et sur les terrains argileux. Par suite d’un assainis¬sement insuffisant de la plate-forme, la congélation du sol en hiver provoque des soulèvements qui déforment la voie. En certains endroits les rails se trouvent soulevés de plus de 30 centimètres. Toutefois la plupart des boursouflures n’ont qu’une hauteur de quelques centimètres. Elles sont une source constante de dangers pour les trains et constituent une des principales causes qui empêchent de donner à ceux-ci la même vitesse que dans d’autres pays.

On est donc très secoué dans les trains et c’est pourquoi le tablier des locomotives est doté de balustrades extérieures pour éviter la chute du mécanicien ou du chauffeur quand ils inspectent la locomotive pendant la marche. Pour combattre les boursouflures on a fait des tra¬vaux de drainage, mais en vain. La meilleure solution a été de substituer au sol argileux une couche de sable de 1,5 m d’épaisseur : bref non seulement il faut construire la voie ferrée, mais aussi son sol !

Locomotive russe de type industriel, années 1890.
Train de marchandises russe en 1910.

Le Transsibérien, l’oeuvre gigantesque.

Beaucoup plus qu’en Europe occidentale, où les trains sont considérés comme un moyen de transport ordinaire, ils ont toujours été, pour les Russes,l’objet d’un mythe et d’une grande vénération : le train est le seul moyen de lutter contre leur deux plus anciens ennemis que sont la neige et la distance.

La jolie petite gare de Kamichet sur le Transsibérien. Plus de 900 gares équipent la ligne.

Certes, ces deux ennemis ont parfois été des alliés en temps de guerre, mais il est tout aussi vrai qu’ils ont toujours gêné le développement économique du pays, avec des interminables routes boueuses en été et enneigées pendant les immenses hivers. Mais les tsars épris de progrès à l’européenne veulent construire un réseau ferré, car le chemin de fer ne craint ni l’une ni l’autre. Dorsale de ce réseau, la ligne qui sera parcourue par le « Transsibérie » prend, avant même sa construction, la dimension d’une légende. Avec le train des grandes scènes d’Anna Karénine ou du Docteur Jivago, la gare d’Astapovo où Tolstoï meurt, celle de Léningrad où Lénine arrive à bord de son célèbre train, le chemin de fer est une partie prenante de la culture russe.

Gare russe en 1912: avec la neige et les grandes distances, le chemin de fer est déjà un mythe pour la culture russe.

La décision est prise de construire le Transsibérien dès 1890. Cette année-là le Tsar Alexandre III prend enfin la décision de construire le Transsibérien, non seulement pour accélérer le développement de la Sibérie, mais aussi pour amener plus rapidement ses troupes sur un front de l’est que la crainte d’une guerre avec le Japon laisse entrevoir. Les travaux sont estimés à 130.495.580 roubles, mais la note finale dépassera 600 millions de roubles!

Le tracé adopté est présenté par les géographes comme celui qui suit le 55e parallèle en traversant la zone à la fois la plus peuplée et la plus riche de la Sibérie. La construction de la ligne est entreprise simultanément à ses deux extrémités, Vladivostok et Tcheliabinsk.

En 1900, soit neuf années après le démarrage des travaux, 5 400 km sont posés, soit une moyenne de 600 km par an. Mais la progression a été très lente car le Tsar, pour des raisons d’économie à court terme, a vidé les prisons et les bagnes pour trouver des ouvriers à bon compte. On le devine : ceux-ci, peu motivés, font lentement un très mauvais travail.

Il faudra bien mettre le prix pour embaucher des ouvriers spécialisés et des ingénieurs européens, et mettre à contribution le savoir-faire des grands pays industrialisés pour fournir les locomotives et le matériel roulant. Moscou n’est pas à l’origine de la ligne, et l’on confond souvent la ligne, et son train le plus célèbre. En effet la ville est le point de départ du train le « Transsibérien » qui utilise, pour commencer son trajet, environ 2000 km de lignes déjà existantes.

La ligne proprement dite a été construite à partir de 1891, et seulement à partir de Zlatooust (2.145 km de Moscou), ville située près de Sverdlovsk, sur le versant oriental des montagnes de l’Oural. La ligne se compose de deux grandes parties de part et d’autre du lac Baïkal : d’une part, le « Cisbaïkal » (longueur : 3.313 km) reliant Moscou à Irkoutsk, et, d’autre part, Le « Transbaïkal » (longueur : 1.190 km) reliant Irkoutsk à la frontière de Mandchourie. Cette dernière ligne est prolongée par la ligne dite de l’ « Est chinois » ou encore le « Transmandchourien » qui atteint directement Vladivostok mais en traversant un territoire non russe.

Sur le Transmandchourien, qui permet un accès plus court et direct à Vladivostok. Toutefois le Transsibérien, entièrement sur le territoire russe, devra être achevé intégralement pour d’évidentes raisons politiques.
La gare de Borodino en 1911. “Autochrome” Lumière, document Library of Congress.

En 1900, alors que la ligne est loin d’être achevée, les émigrants se pressent pour aller jusqu’à Vladivostok. Une trentaine de gares spéciales sont aménagées pour les recevoir et les placer à bord du train, avec nourriture et soins médicaux gratuits. Entre 1893 et 1899, le nombre d’émigrants transportés par le Transsibérien s’élève à 971 000 personnes – soit l’équivalent, sur ces six années, du nombre de voyageurs prenant une ligne de RER actuelle chaque jour…. Mais ces 971.000 voyageurs s’aventurent sus une ligne dont il manque encore un bon tiers !… La traversée du lac Baïkal (64 km) se fait en hiver sur une voie provisoire posée sur la glace en attendant la fourniture d’un ferry-brise-glace spécial pouvant accepter à son bord un train entier… De même, on doit parcourir 2 240 km en bateau à vapeur sur la Chilka et l’Amour, entre Srétensk et Khabarovsk, cette dernière ville n’étant plus qu’à 966 km de Vadivostok. Le voyage demande 2 semaines et demie environ.

Les voitures des premiers trains du Transsibérien en 1910.
Voiture-chapelle sur le Transsibérien, avant 1917: la révolution bolchévique se chargera de tempérer, pour un temps, l’ardeur religieuse russe.
“Le train des Soviets”: les Camarades ont la foi dans le progrès et le chemin de fer. Une nouvelle Russie est en train de naître.
La foi c’est aussi celle des “Jeunesses Communistes” des années 1950 qui se passionnent pour les chemins de fer et pour l’avenir qui est offert. Une nation se construit.
Même la belle Otero assure la propagande pour la Russie bolchévique en gare de Gathcina dans les années 1920

En 1905 le Transsibérien circule régulièrement sur toute la longueur de la ligne Moscou – Vladivostok enfin terminée et la Compagnie Internationale des Wagons – Lits peut assurer une circulation hebdomadaire de ses voitures qui forment, alors, le plus confortable des hôtels roulants du monde, mais concurrencé par les trains russes partant de St-Pétersbourg et rejoignant eux aussi Vladivostok pour un prix moindre.

En 1910, il y a trois trains par semaine entre Moscou et Vladivostok si l’on compte à la fois deux Transsibériens russes et un « Transsibérien – Express » de la Compagnie Internationale des Wagons – Lits. Celui de la CIWL est le plus confortable et il comporte 4 voitures offrant des places en 1ère et 2ème classes pour 82 voyageurs. Il offre un meilleur service, de la salle de bains du fourgon jusqu’au bar où l’on peut lire les dépêches des agences de presse (recueillies au passage dans les gares). Une voiture avec salle de bains, douche, salle de gymnastique fait partie de la composition du train. La moyenne est de 25 km/h, ce qui n’empêche nullement que ll’on paie un supplément… pour la vitesse élevée du train !

Emigrants russes partant pour la Sibérie par le Transsibérien vers 1920.
Gare d’Omsk sur le Transsibérien vers 1920.

Le Transsibérien moderne

L’Union soviétique croît dans l’avenir des chemins de fer et voit en eux plus un serviteur de l’industrie lourde qu’un transporteur de personnes, mais, néanmoins, développe un service de trains de voyageurs assez étendu et efficace dès les années 1930. La CIWL est évincée d’une URSS où elle a perdu la quasi totalité de son matériel roulant du fait de la Première Guerre mondiale et de la Révolution. L’URSS met en place son propre système de trains et la ligne du Transsibérien n’est nullement négligée, non seulement pour son rôle prioritaire de transporteur industriel et militaire, mais aussi pour le transport des voyageurs et surtout des fonctionnaires administrant l’immense Sibérie, des nombreux ingénieurs et techniciens mettant en valeur les richesses naturelles du pays.

L’agence Intourist, créée en 1935, propose de nouveau des voyages sur la ligne. A partir de 1939 la ligne est enfin à double voie sur l’ensemble du trajet. Le trafic marchandises est tellement intense, avec des trains de 10.000 tonnes tirées par d’immenses locomotives à 6 ou 7 essieux moteurs, qu’il faut songer à doubler la ligne qui est saturée : ce sera l’interminable construction du Baïkal-Amour (ou BAM) doublera la ligne sur une partie du parcours, ouverte seulement en 1984. Pour les voyageurs, le trajet est réduit à 9 jours jusqu’à Vladivostok, et 11 jours jusqu’à Tokyo, ce qui reste toujours plus rapide que par le bateau pour un Européen se rendant au Japon.

Premiers essais russes en traction Diesel avec cet imposant prototype allemand Krupp type 2D1+1D2 dès 1920.
En 1922, la Russie choisit des fournisseurs de qualité comme le suédois NOHAB pour des locopmotives type 050 à tender séparé pour la traction de trains de charbon lourds.
Le réseau russe dans les années 1960.

L’électrification de la ligne commence au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et se termine durant les années 1970. Les voitures russes du Transsibérien, bien qu’anciennes, sont confortables : leur caisse en acier riveté et aux fenêtres basses est aménagée avec des tapis et des velours rouges, des boiseries, des bronzes. Les compartiments aux lourds rideaux contiennent deux ou quatre lits. Les samovars, dans le couloir, permettent de se servir en thé chaud, et la voiture-restaurant sert des repas qui, pour le moins, nourrissent et réchauffent bien, mais ne plaisent guère aux clients occidentaux des trains de luxe qui n’aiment guère le poisson peu cuit et le chou. Aujourd’hui, en dépit de services aériens nombreux et bon marché, le Transsibérien n’a pas perdu ni son charme ni sa clientèle internationale ou locale et il circule toujours. Parmi des voitures plus récentes construites en RDA du temps du communisme, les anciennes voitures russes des années 1930 sont toujours en service. La promotion commerciale d’un train qui n’existe pas encore…

Les caractéristiques techniques de la voie russe.

La voie russe a une largeur de 1.524 mm, soit 89 millimètres de plus que la voie dite « normale » des autres pays d’Europe et des Etats-Unis (1.435 mm). Techniquement cette différence d’écartement n’apporte rien… sinon d’insurmontables problèmes aux frontières du système russe, notamment en Europe et en Chine.

Le gabarit russe, lui,  est bien le meilleur des gabarits, car il est le plus généreux au monde, car il permet une hauteur de 5.249 mm et une largeur de 3.414 mm. Si, en Europe, nous avions adopté le gabarit russe, aujourd’hui le train transporterait immadiatement, directement et sans wagons spéciaux, tous les camions, même les plus hauts ! Notre “petit” gabarit européen de 4,28 m refuse le chargement direct des camions hauts de 4,20 m qui sont pourtant les plus nombreux sur les routes, puisqu’il faut aussi compter avec la hauteur du wagon proprement dit. Le gabarit russe permettrait le chargement de ces camions sur un wagon haut d’environ 1 mètre.

La voie russe est généralement constituée sur les grandes lignes avec des rails pesant 38,6 kilogrammes par mètre. La charge de 20 tonnes par essieu est admise lorsque la pose comporte 1.800 traverses par kilomètre. Un nouveau rail pesant 45,3 kilogrammes par mètre équipe certaines sections de ligne où la charge par essieu admise s’élève à 23 tonnes. Notons que, depuis plusieurs décennies, l’écartement russe a été ramené de 1524 à 1520 mm par affinement des normes de roulement et amélioration du guidage des essieux.

Le réseau de l’URSS (1917-1989)

Dès sa création à la suite de la révolution d’Octobre 1917, l’Union soviétique sait qu’elle va miser tout son avenir sur le développement de l’industrie lourde, donc faire la part belle à son chemin de fer. L’URSS utilise toutes ses forces vives pour moderniser et reconstruire son chemin de fer, faisant rapidement de son réseau un des plus importants du monde, et le meilleur du monde pour sa rentabilité financière exemplaire.

George Lomonossov : il est l’homme de la situation, le professeur, le visionnaire, le grand homme. Au début des années 1920, la priorité, en matière de transports ferroviaires, est accordée à celle des matières premières et des produits sidérurgiques: il faut un parc très important de locomotives puissantes pour trains lents et lourds. Faisant appel aux meilleurs de ses cerveaux, le gouvernement demande au bien connu professeur Lomonossov de définir la locomotive soviétique en répondant à un cahier des charges très dur: fiabilité totale, faible coût de revient notamment dans la maintenance, grande puissance de traction.

Se souvenant de l’expérience de l’industrie de l’armement faite pendant la révolution et la guerre, Lomonossov conçoit cette locomotive exactement comme une arme lourde: elle est composée de pièces usinées avec précision et de très haute qualité, mais surtout ces pièces sont rigoureusement interchangeables. Exactement comme Ford avec la « T », Lomonossov introduit ce que l’on appellera plus tard la standardisation. Les pièces de rechange sont faites avec une telle précision qu’elles peuvent immédiatement se monter sur toute locomotive de la série, sans travail d’ajustage ni essais. Le gain en matière de maintenance, donc de coût d’exploitation, est considérable. Les locomotives de Lomonossov marqueront l’esprit de la conception technique soviétique.

Les ingénieurs soviétiques doivent se résoudre, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à repenser entièrement la traction sur un réseau qui a souffert de graves destructions dues aux hostilités. Il faut assurer la relève de la locomotive à vapeur, et songer à la traction diesel, même si le commissaire aux transports Kaganovitch aime les locomotives à vapeur et veut en maintenir la construction…. En 1957 le parc de locomotives à vapeur soviétiques est de 35.000 unités, soit le plus grand du monde.

Locomotive russe type 242 série P-36 en tête d’un train rapide dans les années 1940. L’inspiration américaine est évidente…

Une fois Kaganovitch limogé, les ingénieurs des chemins de fer soviétiques (les SZD) étudient des locomotives diesel capables de rouler vite tout en acceptant des voies parfois mises à mal par un climat très rude et des trains de marchandises très lourds. Mais les essais d’avant la guerre n’ont pas donné satisfaction, surtout en ce qui concerne la tenue des moteurs en service. Pannes et détresses se succèdent, et la traction vapeur des années 1920 et 1930 a encore de très beaux jours devant elle durant la grande époque de la prise de pouvoir par les soviets.

Locomotive géante à 7 essieux moteurs type 272 essayée en URSS pendant les années 1940: puissante, certes, elle était trop lourde pour les voies et ne pouvait s’isncrire en courbe à faible rayon.
La locomotive type 272, nommée A.Andreev, seule au monde à oser 7 essieux sur un châssis rigide, vue lors de ses essais en grand secret en 1941.

Ces ingénieurs s’inspirent d’abord de la production américaine durant les dernières années 1940, avant de trouver, guerre froide oblige sans doute, une offre de transfert de technologie française assez séduisante.

La locomotive diesel TEP 60 naît de cette lune de miel franco-soviétique, avec des moteurs Sulzer et des bogies Alsthom. Les TEP 60 assurent ainsi, depuis les années 1960, pratiquement l’ensemble de la traction des trains rapides de voyageurs sur les lignes non électrifiées du réseau. Un effort considérable amène aussi l’électrification de 43% des 50.000 Km de grandes lignes du réseau pour le début des années 1960.

Impressionnante locomotive électrique russe type 1CDC1 des années 1940.
Trains immenses sur le réseau russe des années 1980.

Le réseau soviétique des années 1960 à 1989.

Epoque de bilans triomphants et de chiffres vertigineux, cet après-guerre soviétique laisse sceptique quant à la réalité des statistiques officielles… Mais celles concernant le chemin de fer sont assez justes dans la mesure où le chemin de fer n’est pas un élément de propagande internationale pour le régime, et les SZD dominent réellement l’économie planifiée de l’URSS, assurant 75% du transport des marchandises et 50% des voyageurs du pays.

Sur le Transsibérien des années 1980; locomotive électrique série VL-80.

Ces deux données suffisent à faire du réseau le premier transporteur mondial pour les marchandises, et le second pour les voyageurs. Les SZD des années 1960 transportent à eux seuls 50% du tonnage marchandises mondial avec 3.600 millions de tonnes transportées chaque année : un chiffre vertigineux ! Le réseau totalise alors 115.000 Km, longueur équivalente à 10% du réseau mondial. Le réseau est largement bénéficiaire et remplit les caisses de l’Etat. Cela laisse rêveur… quand on connaît la situation des réseaux des pays d’Europe et, surtout, des Etats-Unis.

Quelques données techniques spectaculaires peuvent convaincre de l’avance technique du réseau. Le réseau soviétique accepte des charges allant jusqu’à 30 tonnes par essieu, ce qui est considérable : en Europe on se contente d’une vingtaine de tonnes. Mais la grande force du réseau est son gabarit exceptionnel atteignant 5218 mm en hauteur, et 3400 mm en largeur : en Europe on souffre d’avoir un mètre de moins en hauteur, et 200 mm de moins en largeur.

Le réseau russe actuel.

Si le réseau russe actuel ne pratique pas encore la grande vitesse, il se positionne parmi les quelques rares très grands réseaux mondiaux, avec ceux des Etats-Unis, de la Chine, de l’Inde, avec ses 112.000 km de lignes environ, ses 124.461 millions de voyageurs-kilomètres par année (près de 125 milliards !), ou ses 2 342 590 tonnes-kilomètres (près de 2400 milliards !) selon les statistiques de l’UIC.

Les services voyageurs du réseau de l’URSS en 1967. Doc.Chaix.
La partie est du réseau de l’URSS en 1967: seuls les services voyageurs sont représentés. Doc.Chaix
Publicité Intourist pour le Transsibérien, années 1990.
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