Suite à la constitution de l’unité italienne et l’annexion des États de l’Église en 1870, le souverain pontife se considérait comme un prisonnier du Vatican. Il fallut attendre le 11 février 1929 et le Traité du Latran pour que soit reconnue sa souveraineté temporelle sur le minuscule territoire qui devient un État.
Par ce même traité l’Italie offrait au Vatican un embranchement ferroviaire et même prit en charge la construction de la splendide gare qui, aujourd’hui, ne sert, hélas, que très rarement.
Peu après le traité du Latran, c’est le 27 février 1929 que le pape Pie XI charge la « Commission pour les Travaux Publics » de transformer en Cité les 42 hectares que les accords du Latran avaient reconnus comme territoire de l’État du Vatican. Il est tout de suite entendu que les frais de construction de la gare seront assumés par l’État italien.
Toutefois l’ampleur des travaux est surprenante pour un endroit aussi restreint, et avec des espérances de trafic des plus aléatoires ! Il fallait transformer la vieille colline vaticane, l’aplanir pour permettre aux trains de passer. En plus de la partie réservée aux voyageurs, c’est-à-dire le Saint Père ou les Souverains étrangers en visite, la gare devait avoir un quai réservé aux marchandises.
C’est d’ailleurs bien ce dernier trafic, même sous sa forme la plus maigre, qui formera l’essentiel des activités de la gare.

De durs travaux.
Dès cette même année 1929, les ingénieurs renouvellent des tentatives plusieurs fois répétées pour vaincre enfin la difficulté d’ouvrir un tunnel dans le terrain schisteux et argileux de la colline. Le chantier du bâtiment voyageurs, par contre, se déroule normalement.
En 1930, Pie XI visite le chantier et s’arrête longuement au milieu de la grande salle de la gare d’où l’on peut contempler, par une très haute verrière, la Coupole Vaticane toute proche. Et le Pape ne se lasse pas de regarder la splendeur des marbres. Enfin, se tournant vers ceux qui sont présents, il dit : « C’est sans aucun doute la plus belle gare du monde ». Pie XI connaissait les plus grandes capitales d’Europe, et cette affirmation péremptoire fit donc sensation, pour ne pas dire qu’elle crée la surprise, car, malgré tout, le bâtiment est de dimensions très modestes… Cependant, l’un de ceux qui sont avec lui essaie de sauver la situation et se lance immédiatement dans des considérations compliquées, pour arriver à cette conclusion que le Saint Père a parfaitement raison, certes, et que dans le monde entier, il n’y avait pas de gare plus belle que celle qu’on était en train d’inaugurer, puisque… heu… Mais le Pape lui sauve la mise en disant : « C’est la plus belle du monde, parce qu’il n’y a que de cette salle que l’on puisse jouir d’une vue aussi merveilleuse sur la Coupole ». Et il se mit à rire de tout son cœur. Tout le monde en fait autant.
C’est le 22 mars 1932 que le premier bloc de pierre arriva par voie ferrée à la Cité du Vatican, car la jonction avec la gare de Rome – Saint-Pierre fonctionne, en particulier pour le transport du matériel de construction. Le 3 octobre 1934, c’est la cérémonie officielle d’ouverture de la gare et de ses annexes.

Vouloir faire les choses en grand.
La volonté de Pie XI est de faire les choses en grand à la Cité du Vatican, non seulement pour continuer une tradition millénaire, mais pour donner toujours plus de besogne à ceux qui vivent de leur travail. Et dans tout ce qu’a voulu et réalisé Pie XI, il faut, bien sûr, que la gare et ses annexes s’intègrent parfaitement à la splendeur architecturale du Vatican et soient dignes d’être à l’ombre de la Coupole de Saint-Pierre.
En 1934, les Ferrovie dello Stato éditent une plaquette représentant les travaux accomplis, et prouvant quelles difficultés avaient été brillamment surmontées pour construire une voie ferrée, et surtout pour creuser un tunnel dans un terrain argileux riche en veines d’eau. Le problème, en effet, consistait à relier la gare de Rome – Saint-Pierre avec la nouvelle gare vaticane, dont l’emplacement n’était pas encore fixé au moment des Accords de Latran.
Mais, surtout, ne pas passer par le Val… d’Enfer !!!
La difficulté était de franchir la vallée située entre le Vatican et le Janicule, où se trouve justement la gare Saint-Pierre. Certains ingénieurs voulaient faire passer le chemin de fer par le tunnel de la ligne de Rome à Viterbe, faisant faire à la voie ferrée un grand détour à l’ouest de la Cité du Vatican, par le Val d’Enfer. On comprend qu’un tel tracé n’ait pas eu l’heure de plaire à Sa Sainteté… qui préfère, on le comprend, l’apostolique à l’apocalyptique !
D’autres hasardèrent l’idée d’ouvrir dans la colline vaticane un tunnel unissant les deux niveaux. Mais la solution la plus simple, la plus pratique et la plus économique, ce fut justement Pie XI qui, la trouve – on ‘n’est jamais si bien servi que par soi-même, y compris dans le monde divin et surtout dans le monde qui ne l’est pas – et qui trace lui-même aux ingénieurs le parcours de la voie ferrée : il s’agit seulement d’unir par une passerelle la gare de Rome-Saint-Pierre à l’extrême limite sud de la Cité du Vatican.
Ainsi l’architecte Jacazio construit, par-dessus la Via Aurelia, un viaduc plus que largement suffisant pour le trafic ferroviaire escompté, et dans les murs d’enceinte du Vatican, l’architecte Castelli ouvre un très grand passage, pouvant être fermé à volonté au moyen d’une double herse horizontale, semblable à celles des bassins de carénage des grands ports maritimes. On ne craint certes pas une montée des eaux, mais plutôt une irruption toujours possible d’une marée satanique. Dans la cité même, à l’intérieur des murs d’enceinte, le travail confié à l’architecte Castelli n’est pas moins grandiose. On doit abattre quelques maisonnettes abritant les gardes des jardins et des vignes le long du chemin Scaccia. On abaisse le niveau du terrain, on creuse une tranchée en pente, on comble avec la terre de déblaiement une excavation, on perce enfin un tunnel de 90 m. de long.
La zone ainsi transformée, on se met à construire le bâtiment voyageurs. Celui-ci comprend un vaste salon d’honneur, avec deux ailes d’égale importance et valeur architecturale, et un certain nombre de dépendances. Le bâtiment se singularise par une très riche profusion de marbres, et huit colonnes monolithes de cipolin vert de la Versilia qui se détachent dans un ensemble dont les murs et le pavement ne sont qu’une marqueterie de marbres marbre vert de Prato, de Châtillon, du Val d’Aoste, ou dit fleur de pêcher, du Carrare blanc, du marbre jaune de Sienne, de Portoro, du marbre rouge… L’extérieur est tout entier fait de travertin romain, et dans la pierre même sont taillés les deux bas-reliefs « La Pêche miraculeuse » et « Le prophète Elie sur son char de feu », qui embellissent la façade et sont l’œuvre de Rubino. Le dessin architectural est de Giuseppe Momo qui décore aussi somptueusement l’énorme mur soutenant le talus. Bref: rien à voir avec le style des gares fonctionnelles et nues de la banlieue SNCF actuelle…
Une très courte ligne et une gare oubliée.
Ouverte le 2 octobre 1929, cette courte ligne du Vatican part de la gare FS de Rome – San Pietro sur la ligne de Viterbe, puis franchit le viaduc de Gelsomino, long de plus de 120 mètres et composé de huit arches de 15,3 m d’ouverture. En raison de l’instabilité du terrain, sa construction a nécessité des fondations de plus de 25 m. Peu après, la voie se dédouble, avant de franchir le mur d’enceinte, où une brèche a été spécialement ouverte, protégée par un portail métallique de 16,7 m, à deux énormes battants coulissants normalement fermés. Les installations terminales comportent un vaste bâtiment voyageurs, une unique voie à quai, une voie d’évitement et un faisceau de deux voies pour les marchandises. Depuis la gare de Rome – San Pietro, la longueur de la ligne du Vatican est de 626 m, dont une triple centaine environ se déploie seulement sur le territoire pontifical.
D’après le Traité du Latran, le Gouvernement italien s’engage à fournir la totalité du matériel moteur et remorqué. En contrepartie, le Saint-siège doit régler les frais de mise à disposition du matériel et du personnel. En fait, l’imposante gare du Vatican n’a vu que la circulation de rares convois lors de voyages pontificaux. On doit tout de même admettre que la « Statione Vaticana » rend beaucoup moins de services que n’en avait escomptés le St-Père Ratti.

Quelques esprits critiques et cartésiens s’expriment lors de l’inauguration…
En janvier 1935 dans la Revue « Le Document », un certain Joseph A Georges tient la chronique des Fêtes : « Personne ne nous pardonnerait d’avoir oublié celle que provoqua l’achèvement de la Gare. Gare de rêve, avec ses 350 mètres de rails, sa gentille petite aiguille, et son sémaphore de luxe ».
Un certain Jules Véran, visant la gare du Vatican, s’en moque dans un billet amusant : « L’unique train n’en part jamais et n’a qu’un wagon derrière la locomotive sans quoi, de la locomotive au fourgon de queue, le train eut dépassé la frontière… », et Veran postule l’emploi de Chef de Gare, non pour lui certes, mais pour un de ses compatriotes qui vend, en attendant, des vins de Châteauneuf … du Pape.


Actuellement un ou deux wagons par semaine y pénètrent, apportant papier, denrées à l’usage des quelques familles employées par l’État du Vatican. etc. très peu de choses en tout cas. La Salle d’honneur splendide et délaissée ne sert jamais. Il est vrai qu’il a fallu attendre les années 1970 pour assister à des voyages du pape hors des frontières de l’Italie, à une époque où l’avion avait déjà détrôné le train pour les longs par cours. L’embranchement du Vatican a donc servi surtout à l’acheminement de wagons de marchandises, jusqu’à une centaine par mois, destinés au ravitaillement du minuscule État.
Toutefois, l’écologie prend de l’importance même en terrain ecclésiastique et, aujourd’hui, on voit de plus en plus de touristes arriver par la gare du Vatican dans des confortables et modernes rames automotrices des Ferrovie dello Stato, le réseau national italien. Les Papamobiles restent un peu plus souvent au garage. Tout progresse, mais qui va piano va sano, dit-on localement.
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