La plupart des réseaux ferrés mondiaux, surtout ceux des pays neufs ou très étendus, sont établis en voie unique, avec des gares ou des garages d’évitement et une signalisation performante permettant le croisement des trains : le réseau des USA est, à environ 90% de son kilomètrage, en voie unique. Les réseaux d’Europe, ou des zones urbaines des grands pays récents, sont en double voie dans la plupart des cas, sinon en presque totalité comme en Suisse, en Belgique, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, certaines lignes très importantes étant même en quadruple voie. Pour eux, la question de pose, au moins à titre de curiosité.
Conduite et marche : à droite ou à gauche ? Pourquoi les trains roulent-ils à droite dans certains pays et à gauche dans d’autres, et pourquoi certaines locomotives à vapeur, jadis, ont eu un poste de conduite situé à droite sur la plate-forme, tandis que d’autres l’avaient à gauche ? Qu’en était-il dans les autres pays ? Qu’en est-il aujourd’hui et quel est le poids de l’histoire dans cette disposition technique ?
La question reste difficile à résoudre, mais en s’y attelant avec courage, c’est possible…

Magnifique gouache de Bonandre, faite en 1948 pour illustrer un livre pour enfants “Histoire des chemins de fer racontée à la jeunesse”. La conduite se fait à gauche, sur cette locomotive française (une Pacific PLM) comme le montre la présence des volants de marche et la commande d’admission de la vapeur. Le chauffeur est à droite, aidé par le “stoker” assurant la charge automatique du charbon.
Marche à gauche ou à droite ?
La marche des trains, au Royaume-Uni, se fait à gauche comme il est déjà d’usage sur le réseau routier. Les ingénieurs et cheminots britanniques imposeront cette norme en construisant la plupart des réseaux d’Europe sur la demande de pays soucieux de se moderniser rapidement, notamment la France.
Une explication assez ancienne et peu acceptée chez les historiens voudrait que, dans les pays où dominaient les cavaliers, on se croisait en route par la gauche, chaque cavalier prenant le coté gauche de la route devant lui de manière à pouvoir, de sa main droite , tirer facilement son épée et parer à toute attaque venant d’une mauvaise rencontre. Le Royaume-Uni aurait ainsi été un pays de chemins étroits et d’un grand nombre de cavaliers, ce qui aurait instauré le croisement par la gauche, et, à force, la circulation à gauche.
Par contre dans les pays à larges chemins, souvent plats, favorisant la circulation de voitures attelées, le postillon se plaçait à droite sur la voiture pour pouvoir mieux manier le fouet et le faire tournoyer au-dessus des champs, en dehors de la route. On se croisait par la droite, car on tenait sa droite – et il le valait mieux pour ne pas prendre un coup de fouet en plein visage…. La France aurait été dans ce cas, avec ses routes royales bien larges et bien entretenues, et surtout ses routes de plaine permettant la circulation de voitures larges et lourdes.
On pourra consulter, en fin de texte, le tableau des sens de marche des principaux pays mondiaux.
Mais, pour continuer l’étude de cette question, passons à la question de la position de conduite sur la locomotive: le mécanicien était-il à gauche ou à droite ?
Indubitablement : au début était la conduite à droite.
Examinons le plus grand nombre possible de photographies anciennes de locomotives ou de trains : dès les débuts du chemin de fer et jusque vers les années 1890, le poste de conduite du mécanicien est placé sur la droite dans le sens de la marche du train, ceci dès les essais de la « Fusée” de Stephenson à Rainhill en 1829. Cette locomotive est la première machine dont la disposition générale est définitive : plate-forme de conduite à l’arrière et réunissant à la fois un mécanicien et un chauffeur, regroupement des organes de conduite de la locomotive et de conduite du feu sur la « devanture » du foyer et faisant face à l’équipe de conduite, foyer placé à l’arrière et échappement à l’avant, tender séparé accroché à l’arrière de la locomotive.
Avant la « Fusée » il y a eu une foule de dispositions diverses, depuis les coursives latérales à mi hauteur du corps cylindrique de la « Locomotion », en passant par diverses positions, y compris… la marche à pied pour le mécanicien qui, ainsi, pouvait intervenir à la demande sur tel ou tel organe de la machine qui, on s’en doute, circulait à vitesse très basse, comme ce fut le cas pour Trevithick marchant derrière sa locomotive.





Mais, avec la « Fusée », tout semble se mettre en place, et seuls les cylindres, encore fragiles et problématiques, sont placés près de la plateforme de conduite pour être surveillés par le mécanicien, et émigreront rapidement vers l’avant de la locomotive dès le type « Patentee », fixés directement sur les longerons du châssis.
Les raisons de ce choix de la conduite à droite.
Les premières locomotives, aussi bien au Royaume-Uni que dans l’ensemble des pays pionniers en Europe ou aux Etats-Unis, sont donc des locomotives avec conduite à droite, simplement. Quelles sont les raisons de ce choix ? Elles sont très obscures, et ne sont nullement imposées par l’établissement de la locomotive par les ingénieurs.
En effet, la locomotive est établie d’une manière symétrique par rapport à son axe longitudinal : cylindres, bielles, roues, ces organes fondamentaux sont doubles et symétriques par rapport à l’axe longitudinal. Seuls quelques accessoires uniques comme une pompe ou, ultérieurement, un surchauffeur ou une turbo-dynamo, seront placés d’un coté ou de l’autre du corps cylindrique, ou plus rarement sur son dessus.
Rien n’oblige, non plus, à placer d’un côté ou de l’autre de la locomotive les organes de réglage de la distribution et du sens de marche. Ces longues barres de commande trouvent leur place aussi bien d’un coté du corps cylindrique que de l’autre, laissant toute liberté de placer le volant à droite ou à gauche dans l’abri de conduite. Le volant commande le coulissement de la barre (ou des deux barres superposées pour certaines compound) et ce coulissement actionne un arbre de relevage transversal qui lève, simultanément, les coulisseaux de droite et de gauche de la locomotive, permettant alors le choix du sens de marche et le réglage de la distribution.
Il n’y a donc pas de raisons techniques formelles pour placer le mécanicien à droite ou à gauche. Or les premiers mécaniciens sont bien postés à droite.

Le choix en faveur de la droite semble hérité d’une tradition maritime qui ne surprendra guère quand on sait que les ingénieurs de la marine et du chemin de fer sont très souvent les mêmes, issus des mêmes écoles, imbus des mêmes idées, travaillant aussi bien durant leur carrière pour l’un puis l’autre des deux grands domaines . Les fabricants sont, eux aussi, très souvent les mêmes .
Une ancienne et longue tradition maritime, sans doute.
Pour la tradition maritime, les deux bords d’un navire n’ont nullement le même statut. On accorde au coté droit des navires (ou « tribord ») une dimension plus noble, plus importante. On fait monter les passagers par le côté droit du navire qui lui-même est amarré au quai par ce côté : il suffit de se rendre dans un port pour le constater. Le coté gauche (ou « babord ») est le côté le plus vulgaire, celui par lequel s’effectue le chargement des marchandises et des approvisionnements, tandis que le coté droit (ou « tribord ») est celui des honneurs.
On peut voir ici une explication du choix de la droite pour poster le mécanicien sur la locomotive – bien que, dans la marine, le commandant du navire n’ait nullement un poste fixe déterminé, notamment sur la passerelle où il se déplace d’un bord à l’autre selon les besoins de la manœuvre. Mais, dans la mesure où le mécanicien de locomotive doit être posté à demeure car il assure la conduite, il pouvait sembler plus convenable, pour son rang, de le poster à droite. Nous ne voyons pas d’autre explication plausible…
Des raisons de visibilité ? Les premières locomotives, comme le montrent les illustrations d’époque, ont un corps cylindrique très bas, enfoncé entre les longerons du châssis ou posé directement sur ce dernier, mais à faible hauteur. Seul le foyer type Crampton peut créer, par la hauteur de sa voûte, une gêne très limitée pour une vision vers l’avant qui reste très dégagée. Le corps cylindrique étant très bas, le mécanicien et le chauffeur, de la droite ou de la gauche, peuvent avoir une vue très complète et très dégagée vers l’avant, sur la voie et les signaux.
L’étroitesse de la locomotive et de la plateforme de conduite rapproche les deux hommes qui sont au coude à coude (notamment avec le très étroit gabarit anglais des débuts) et ils ont, à droite comme à gauche, une vue pratiquement identique sur les signaux et la voie.
Mais, à partir des années 1870-1880, l’accroissement de volume du corps cylindrique, et surtout son établissement en hauteur avec élévation de son axe par rapport à la voie, voilà ce qui ne manque pas de changer fondamentalement les conditions de visibilité pour l’équipe de conduite . En fait, ces corps cylindriques créent des conditions de mauvaise visibilité, pour ne pas dire : de non visibilité. C’est ainsi qu’il faut repenser l’établissement des locomotives.


La “Mother Hubbard” ou la “Camelback” américaine.
Certains ingénieurs américains vont jusqu’à disposer la cabine de conduite à cheval sur le corps cylindrique, pour l’avancer au maximum et dégager le champ de vision : c’est la locomotive dite « Camelback » ou « Mother Hubbard » du fait de sa bosse centrale l’assimilant à un chameau ou à une sorcière. Cette solution, excelllente pour la vision depuis la cabine directement sur la voie, donne cependant une cabine de conduite mal placée sur la chaudière, invivable, et sépare l’équipe de conduite, le chauffeur restant seul à l’arrière devant le foyer – chose peu appréciée des équipes, on s’en doute . Pour les locomotives à disposition classique, avec cabine de conduite à l’arrière, l’encombrant corps cylindrique bouche désormais la vue désormais. Il faut se résoudre, pour l’équipe de conduite, à regarder latéralement vers l’avant en regardant par les côtés de ce corps cylindrique : la vue panoramique des premières locomotives est perdue à jamais.

Voir les signaux, les dangers.
Les tâches étant partagées sur la plateforme de conduite depuis les débuts des chemins de fer, elles le resteront. L’observation des signaux ou des dangers en courbe revient alors à l’homme qui se trouve le mieux posté pour les voir, c’est-à-dire du côté de l’intérieur de la courbe. Le chauffeur, s’il est placé à l’intérieur de la courbe, est donc le « conducteur » et indique au mécanicien la position des signaux, ou signale un danger.
La conduite à gauche, avec une nécessaire implantation des signaux à gauche, va donc favoriser le mécanicien dans une majorité des cas : la marche en alignement et la marche en courbe à gauche. Seules les courbes à droite poseront problème. L’ensemble des pays avec marche à gauche adoptera, à partir des années 1890-1900, la conduite à gauche (Royaume-Uni, France, etc). Les pays avec marche à droite (Europe centrale, Etats-Unis, etc) ne changeront donc rien à leurs habitudes, le mécanicien restant posé à droite.





é de garder la tête tournée selon le sens de marche; un beau torticolis en perspective !
L’automobile : volant à droite ou à gauche, pour rouler à droite ou à gauche ?
L’exemple de l’automobile est intéressant. Les premiers constructeurs français à la fin du 19ème siècle ont une production abondante, et ils vont rapidement imposer, dans l’automobile des pays industrialisés, l’usage français hérité de la voiture à cheval consistant à placer le cocher sur le coté droit du véhicule, position lui permettant de manier plus facilement de la main droite le fouet et les rênes. Pour le fouet, en effet, s’il était placé à gauche, il risquerait de toucher de son fouet le véhicule (ou les voyageurs !), alors que, placé à droite, il dispose, à sa droite, d’un espace libre, son fouet pouvant se déployer par-dessus le fossé.
C’est pourquoi, en France, tout se passe à droite, tant pour le sens de circulation que pour le poste de conduite. Au Royaume-Uni on circule à gauche, tradition héritée de la préférence du voyage à cheval qui, contrairement à la France qui préfère les voitures, est bien plus répandue. Or, pour croiser un cavalier que l’on ne connaît pas et dont les intentions peuvent être mauvaises, il est plus aisé de croiser par la gauche, de manière à pouvoir aisément saisir et manier son épée avec la main droite. On tient même en respect, de la pointe de l’épée posée sur l’abdomen, le cavalier douteux pendant toute l’opération du croisement ! Comme quoi la courtoisie britannique n’a jamais été ce que l’on suppose qu’elle était… et les terrains de rugby sont l’expression d’une vérité plus profonde.
Les constructeurs d’automobiles français sont très innovateurs et productifs et ils envahissent le marché européen : même Rolls-Royce, à ses débuts, n’est qu’une concession vendant des Panhard & Levassor ! Quand les automobiles françaises arrivent au Royaume-Uni, elles ont gardé leur volant à droite. Les Britanniques découvrent rapidement l’avantage de cette position qui place, quand on roule à gauche, le conducteur vers le centre de la route et permet de doubler avec un maximum de visibilité. Ils s’y attachent et l’ensemble des constructeurs britanniques placera toujours le volant à droite sur leurs modèles futurs, sans jamais déroger à cette pratique.


Les automobilistes français, par contre, sont coincés avec leur volant à droite contre le fossé ou le trottoir, et ne peuvent doubler commodément. A partir des années 1920, les grands constructeurs populaires comme Citroën vont placer le volant à gauche. Renault et Peugeot suivront le mouvement. Seuls les constructeurs haut de gamme conserveront la tradition jusqu’à leur disparition durant les années 1950 : ce fut le cas de Delahaye, Delage, Hotchkiss, Salmson, par exemple.
Le tableau des marches et des conduites dans le monde.

En résumé on peut dire que :
A) Les automobiles circulent en général à droite. Sauf:
• au Royaume Uni et dans son ancien Commonwealth y compris Hong-Kong par exemple (à l’exception du Canada)
• en Inde et au Pakistan comme anciens pays du Commonwealth.
• en Irlande
• au Japon
• en Suède jusqu’en 1957 (année durant laquelle la Suède adopte la circulation routière à droite).
B) Les trains roulent en général à gauche. Les trains roulent à droite cependant :
• en Europe Centrale, c’est-à-dire : Allemagne, Autriche (en partie), Hongrie, Tchécoslovaquie, Pologne, Bul¬garie, Turquie, Albanie, Roumanie, Yougoslavie
• au Danemark
• aux Pays-Bas
• en Russie, et toute l’ex-URSS, y compris les États baltes (toutefois le Métro de Moscou roule à gauche), en Finlande et en Norvège
• en Espagne sur le réseau Madrid – Zaragoza – Alicante
• en Chine (en partie : Hong-Kong, Macao roulent à gauche)
• sur tout le continent américain (sauf sur le réseau Chicago and North Western des Etats-Unis, et en Argentine)
• en France sur l’ancien réseau d’Alsace-Lorraine (qui a reçu les pratiques allemandes entre 1871 et 1917)
• En France sur les réseaux des tramways et métros (qui sont techniquement conçus comme des tramways souterrains). Notons une exception en France : le métro de Lyon circule à gauche, ce qui crée parfois des confusions pour les utilisateurs.

Mécanicien sur le PLM en France en 1925. Peinture de EA.Schefer.
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