La première locomotive électrique, celle de Robert Davidson, roule en 1837 en Écosse, tirant à titre d’essai une voiture à voyageurs sur une ligne établie en voie normale. Le premier train électrique en véritable service courant est celui de l’entreprise Siemens & Halske, en Allemagne, qui roule sur une voie étroite (500 mm) en 1879 et c’est lui qui marque les vrais débuts de ce mode de traction dans les chemins de fer. Face à la traction vapeur, robuste, simple, sûre et puissante, la traction électrique mettra du temps à s’imposer, car elle est techniquement plus complexe à mettre en œuvre.

Aieul du TGV ou de l’ICE, un train simple et modeste.
La modeste petite locomotive Siemens & Halske est à deux essieux, et circule sur une minuscule voie en écartement de 500 mm. Son moteur est du type dynamo-série, et sa puissance est de seulement 2 kW, et permet une vitesse de 7 km/h. “Impressionnés par l’absence de force visible” : c’est bien l’impression ressentie et dite par les 86 000 voyageurs transportés durant 4 mois par ce train dans le cadre de l’Exposition de Berlin en 1879. Habitués à la traction vapeur avec sa locomotive qui fume, siffle, fait entendre des bruits d’échappement, les visiteurs de l’exposition se demandent comment fonctionne ce train silencieux et propre qui semble mu par une force mystérieuse.


Nous sommes encore dans une époque où tout ce qui est mécanique est bruyant et témoigne, avec force rugissements et grincements, de l’effort fourni… et, d’un seul coup, voici le silence, l’efficacité, la propreté. Les visiteurs sont incrédules, et ce train ne semble être, à leurs yeux, qu’un jouet diabolique, ou encore une des curiosités de laboratoire sans lendemain sérieux.
Et les événements, en un premier temps, sembleront leur donner raison: la traction électrique, en effet, a encore de longues années devant elle avant de s’imposer dans le monde des chemins de fer et de détrôner l’incontestable locomotive à vapeur. Les ingénieurs des chemins de fer pensent, à l’époque, que l’électricité n’est tout juste bonne que pour faire tinter les sonneries des gares et des passages à niveau… La vapeur, seule, est sérieuse.
Ce n’est guère que vers 1920 que la cause de la traction électrique est entendue en Europe, et il lui faudra encore 50 années pour éliminer définitivement la traction vapeur.
Le succès de ce train permet celui du tramway électrique.
Le succès est tel que le train reste exposé, soit à titre statique, soit en marche, après sa prestation remarquée à Berlin, ceci dans de nombreuses villes européennes: Düsseldorf et Bruxelles dès l’année suivante, puis Paris, Londres et Copenhague, en 1881, et Saint-Pétersbourg en 1882. Il joue un très grand rôle promotionnel de la traction électrique, et, grâce à lui, de nombreux ingénieurs s’intéressent désormais à ce nouveau mode de traction qu’ils prennent désormais au sérieux, comme Egger à Vienne ou Desprez à Paris, Field aux USA.
Siemens proposera même un projet de métro aérien électrique à la ville de Berlin, mais l’idée de voir des trains circuler en pleine ville sur des viaducs situés à la hauteur des premiers étages des maisons n’enchante guère les édiles qui refusent le projet.
Par contre, de nombreux constructeurs proposeront des locotracteurs électriques à accumulateurs pour des mines, des réseaux industriels.
La transmission par bielles des locomotives électriques : chausser les bottes de la traction vapeur.
Au début de la grande aventure, les locomotives électriques font, le croirait-on, tout pour ressembler à des locomotives à vapeur, portant rivets, formes complexes, et bielles, et même une cabine de conduite à l’arrière comme s’il y avait un foyer à faire chauffer. Peut-être est-ce pour rassurer les voyageurs qui sont habitués aux locomotives qui fument ? Peut-être, mais si les bielles rassurent bien quelqu’un, c’est l’ingénieur !
Car, au début du XIXᵉ siècle, c’est, à son point de vue, la seule manière de transmettre la puissance des moteurs aux roues motrices des locomotives électriques sans faire de casse, parce que, pour le moins, c’est une solution éprouvée.
La présence de bielles n’est nullement constatée sur les locomotives électriques de faible puissance, les motrices de tramway ou de métro. Elle va s’imposer pour les locomotives de très forte puissance, car les ingénieurs craignent que les engrenages ne puissent tenir le coup. Cette solution est surtout utilisée dans les locomotives à la fois de forte puissance et dans lesquelles la place est insuffisante pour monter le moteur ou les moteurs, entre les essieux.
À l’époque, les moteurs électriques puissants sont énormes, et on ne peut les loger qu’avec difficulté sur les locomotives : c’est principalement le cas pour les moteurs en courant alternatif monophasé, plus lents, plus longs et plus gros que ceux à courant continu. Cette nécessité apparaît surtout pendant la période où les ingénieurs rejettent les réducteurs à engrenages, craignant leur mauvaise tenue pour des couples ou des vitesses élevées.

Avec l’espoir que cela se passera mieux que sur les locomotives à vapeur.
L’utilisation des bielles sur les locomotives électriques diffère de celle des locomotives à vapeur, car ici, les ingénieurs espèrent que les flexions des bielles et les jeux dans les articulations seront suffisants pour remplacer la souplesse et l’élasticité de la vapeur et de sa force exercée en douceur, et compenser les modifications de distances entre les essieux et les arbres liés au travail du châssis.
Sur les locomotives électriques à bielles, chaque moteur entraîne un ou plusieurs essieux par un jeu de bielles et de manivelles. Cet entraînement se fait soit directement une manivelle étant alors calée directement sur l’arbre du moteur, soit par l’intermédiaire d’un ou de plusieurs faux-essieux qui prennent le relais par une transmission primaire par engrenages, étant, comme le moteur, solidaires du châssis. La présence d’engrenages permet ainsi d’interposer une démultiplication qui, à son tour, autorise une réduction de l’encombrement du moteur qui, tournant plus vite, peut être plus petit.
Notons qu’il existe des locomotives à bielles de liaison, uniquement, donc sans bielles d’attaque depuis le moteur : ici, les essieux sont entraînés par un autre système de transmission mécanique entre moteur et essieu, ces derniers étant seulement reliés entre eux par bielles d’accouplement. On retrouvera ce système jusque sur des tramways ou des motrices électriques dont le bogie moteur est doté de bielles.
Les bielles des électriques : la première sortie en ligne.
En 1899, la locomotive à courant triphasé du réseau du Burgdorf-Thun en Suisse est équipée de deux moteurs, alignés dans la caisse, et entraînant les essieux par des engrenages intérieurs aux roues, entraînement repris ensuite par des bielles placées à l’extérieur. Le tout est aidé par un changement de vitesse de type mécanique, placé sur les réducteurs, qui permet d’obtenir deux vitesses de marche. Il est à noter que ce changement de vitesse de type mécanique réapparaîtra cinquante ans plus tard sur un certain nombre de locomotives françaises, sous la forme de la fameuse biréduction de certaines locomotives électriques SNCF offrant deux régimes de marche, manœuvrable à l’arrêt.
Les locomotives du type 1C1 à courant triphasé, livrées en 1903 par la firme hongroise Ganz, pour la ligne italienne de la Valteline, ne comportent pas de réducteurs, et sont équipées des premières bielles d’entraînement triangulaires mises au point par l’ingénieur de Kando. Mais pour la traction électrique sous le grand tunnel du Simplon qui est interdit à la vapeur, on engage en 1906 deux locomotives du même type 1C1 dotées de bielles triangulaires, proches de celles utilisées par les locomotives de la Valteline.

À la même époque, les deux premières locomotives électriques des essais de la ligne du Seebach- Wettingen, en Suisse, sont du type BB, et comportent des transmissions à bielles d’accouplement sur faux essieux et réducteurs montés sur bogies. On notera que, grâce aux bielles, on dispose des tout premiers bogies de type monomoteur utilisés avec succès sur des locomotives de ligne, et qui ne réapparaîtront que dans les années 1960…

En Italie, pendant ces premières années du XXᵉ siècle, les locomotives à courant triphasé 3600 volts sont à bielles, sans réducteur. De même les locomotives en courant monotriphasé de construction hongroise et autrichienne sont à bielles, tout comme aux États-Unis.
Lié au grand moteur à fréquence spéciale.
Lorsque commencent les grandes électrifications en courant monophasé à fréquence spéciale, beaucoup de locomotives à bielles sont construites, notamment en Allemagne, en Suisse, en Europe Centrale, là où le grand moteur à fréquence 15 à 25 Hz est au point et développe, avec son grand diamètre de près de deux mètres, un couple impressionnant tout en acceptant de démarrer à vitesse très lente.
En Allemagne, on construit un grand nombre de locomotives prototypes, uniques ou en très petite série, pour un certain nombre de lignes dont les caractéristiques souvent très différentes les unes des autres demandent des engins de traction très spécifiques. Les constructeurs utilisent ni plus ni moins que des bielles de locomotive à vapeur, ce qui ne manque pas de poser des problèmes du fait du manque de jeu : ces constructeurs n’ont nullement la culture vaporiste de l’huile et du jeu, et montent le tout bien serré, à la manière des électriciens ! Les vibrations s’accumulent jusqu’à ce que l’on découvre que les jeux et le manque de précision sur les bielles motrices des locomotives à vapeur est compensé par le fonctionnement très amorti et élastique des pistons dans les cylindres à vapeur. Après un adoucissement de la sévérité des cotes limites d’usinage et de montage, les vibrations cessent, mais se reproduisent aux vitesses élevées… qu’il suffit alors d’éviter de pratiquer.
L’utilisation de locomotives à un seul moteur, sans réducteur, conduit très vite les ingénieurs allemands à faire construire des moteurs de dimensions colossales. Ainsi, en 1917, un prototype du type 2D1, réalisé en série sous la forme de dix-sept exemplaires, comporte un unique moteur donnant 2200 kW , qui pèse 25,5 t et a un diamètre de 3,50 m !

Les modèles suisses: l’école de la réussite.
En Suisse, en 1910, lors de l’électrification de la ligne du Loetschberg, on voit apparaître deux types de locomotives à bielles, sans engrenages, de type CC et 1BB1. Ces deux locomotives sont suivies, de 1914 à 1918, des treize locomotives Be 5/7 du type 1E1. Ces locomotives se montrent très dures pour la voie, et leur marche entraîne des vibrations et de nombreuses ruptures de bielles.
Pour limiter le phénomène, les roues dentées des pignons de transmission reçoivent des ressorts disposés entre leur centre et leur jante, ce qui permet d’amortir, en partie et lors de la rotation, les oscillations perturbatrices. En 1919, lors de l’électrification de la ligne du Saint-Gothard, plusieurs prototypes équipés de transmissions à bielles sont engagés. Ces locomotives combinent des bielles avec des réducteurs, mais l’enseignement du Lötschberg a conduit à équiper ces locomotives de pignons élastiques. Les bielles sont du type triangulaire à coulisse droite ou inclinée dues à la société Winterthur, et les locomotives de série utilisent ce type de bielle.

Quelques bielles en France…
Les locomotives électriques à bielles sont peu courantes en France. Sur le réseau du Midi, c’est en 1912 que cinq des six locomotives à courant monophasé engagées comme prototypes sur la ligne de Perpignan à Villefranche sont à bielles.

Sur le réseau du PO, c’est aussi le cas, en 1920, avec des cinq locomotives 1D1 et, aussi en 1925, avec deux magnifiques prototypes hongrois type 2BB2. Ces locomotives 2BB2 ne manqueront pas de poser de très nombreux problèmes et ne laisseront pas un bon souvenir, condamnant, peut-être injustement, la locomotive électrique de vitesse à bielles.
Par contre, les CC 1100 à bielles de la SNCF, conçues en 1938 pour le service sur les buttes de triage, se révéleront excellentes.

Et quelques autres aux Etats-Unis et en Suède.
Les États-Unis utilisent aussi des locomotives à bielles. A la suite d’un concours de prototypes essayés de 1905 à 1908 où la meilleure locomotive se révèle être une 2B sans bielles, le Pennsylvania estime néanmoins que pour la bonne tenue des locomotives, il est nécessaire d’avoir un centre de gravité élevé, par suite de placer les moteurs au-dessus du châssis, ce qui entraîne l’utilisation de bielles. Le réseau du Pennsylvania construit, en 1909, une première locomotive du type 2B + B2, suivie d’une série de 33 exemplaires.

Ce réseau reste ensuite longtemps fidèle aux locomotives à bielles. La plus imposante est le prototype 1CC1 de 1917, dit « Big Liz », mais les vibrations des bielles à grande vitesse condamnent cette locomotive exceptionnelle qui restera sans descendance. Les belles et très lourdes locomotives à courant monotriphasé du Norfolk and Western en 1915 et celles du Virginian en 1926 sont aussi à bielles.

Notons que les dernières locomotives à bielles seront produites dans les pays scandinaves, malgré des tentatives de transmissions individuelles, à partir de 1935, et de très nombreuses locomotives de ligne, à faux-essieu et bielles, continueront à être construites au-delà de 1940 en Suède.

L’abandon des bielles pour les transmissions par le nez ou autres solutions…
Cela n’a jamais été facile, techniquement, de faire qu’un moteur de locomotive électrique puisse être solidaire du châssis de la locomotive, mais aussi puisse entraîner des essieux pouvant suivre les inégalités de la voie, donc offrant des possibilités de débattement vertical.
Un arbre à cardans de type automobile ne tiendrait pas, vu l’importance des charges déplacées, donc des sollicitations mécaniques. Il a fallu trouver des solutions diverses, allant même jusqu’à supprimer toute suspension sur les locomotives primitives ou de petites dimensions. Moins on suspend, mieux c’est, et la suspension par le nez, qui n’est qu’une suspension partielle, a été longtemps pratiquée.
La suspension par le nez.
C’est la suspension la plus ancienne, et elle remonte à l’époque où, comme pour certaines motrices du métro de Londres, on préférait ne pas suspendre du tout… Le moteur repose directement sur l’essieu par deux paliers fixés sur sa carcasse, et il entraîne donc l’essieu par une vis sans fin et une roue dentée hélicoïdale ou des roues de champ. Il n’y a donc pas de débattement de ce côté-là, et le moteur suit les mouvements de l’essieu. De l’autre côté, appelé le « nez » du moteur, le moteur repose sur le châssis de caisse ou de bogie par un ou plusieurs appuis, élastiques ou glissants. La distance entre les axes du moteur et de l’essieu reste constante. Un pignon fixé sur l’arbre du moteur engrène avec une roue dentée montée sur l’essieu, ce qui assure la transmission du couple.
Le train d’engrenages, s’il y en a un, est enfermé dans un carter étanche, fixé au moteur. Il peut être double, un de chaque côté du moteur dans la majorité des cas la denture est droite, mais la denture oblique est parfois utilisée, et on a même employé des chevrons. On peut aussi utiliser deux moteurs, un de part et d’autre de la roue dentée d’essieu, ou deux trains d’engrenages en série.
Ce système rudimentaire a été utilisé surtout sur les motrices de tramways, mais il a aussi équipé les locomotives primitives, d’où son nom de « suspension tramway ».
Les techniques « gearless ».
Gearless veut dire : sans engrenages en langue anglaise. Cette technique consiste à ne pas établir de transmission par engrenages, ou même de transmission autre, entre le moteur et les essieux de la locomotive, parce que l’arbre du moteur est, en somme, le corps d’essieu sur lequel, à chaque sortie de part et d’autre du moteur, on emmanche les roues motrices. L’inducteur du moteur est solidaire du châssis qui est suspendu. L’induit du moteur tourne avec les roues et n’est pas suspendu. L’induit du moteur est donc concentrique à l’essieu qu’il entraîne et il n’y a pas de train d’engrenages entre le moteur et l’essieu. En fait, il y a des variantes possibles : l’entraînement peut se faire soit directement, l’induit du moteur étant calé directement sur l’essieu, soit indirectement, l’induit étant monté sur un arbre creux au travers duquel l’essieu passe et se débat librement, mais la liaison entre l’induit et le corps d’essieu nécessite une transmission élastique.
D’une manière comme d’une autre, et surtout pour la manière directe, le débattement entre l’induit et l’inducteur doit être absolument minime, car s’il y a un grand espace entre l’induit et l’inducteur, la force du moteur est diminuée d’autant.
En outre, la position très basse du moteur, qui frôle les rails, le conduit à attraper, vu qu’il est un électroaimant, tout ce qui est métallique et qui traîne sur la voie, notamment des tirefonds, des écrous, des pièces diverses… Les Américains ont essayé ce système. Une locomotive américaine « gearless » du type 2CC2 a circulé sur le PO en France, mais sans grand succès.



La transmission « Cup-Drive » Westinghouse.
Ce système comprend un arbre creux, élargi en forme de tasse (ou « cup » en anglais) sur lequel est fixée la grande roue dentée du réducteur. Cet arbre porte des bras qui se placent entre les rayons des roues et sur lesquels sont fixés des coupelles télescopiques contenant des ressorts à hélice. Les coupelles transmettent élastiquement aux ressorts les efforts des bras aux rayons des roues et leurs extrémités se déplacent sur les rayons en glissant, absorbant les déplacements se produisant entre l’axe de l’arbre creux et celui de l’essieu. Les ressorts travaillent toujours en compression. Les modifications apportées par les firmes Sècheron et AEG ont permis d’améliorer le fonctionnement mécanique des ressorts et leur durée, et de réduire leurs ruptures. Cette transmission a été très utilisée pendant les années 1920 et 1930.
La transmission à ressorts.
Cette transmission est une variante de la transmission «Cup Drive» de Westinghouse. Les bras d’entraînement sont montés sur un disque calé sur l’essieu, et les points de poussée, au lieu de se trouver entre les rayons des roues, sont placés à l’intérieur de la grande roue dentée. L’avantage est que les surfaces d’appui se trouvent ainsi graissées par le dispositif de graissage de la roue dentée, et que le système est entièrement clos et n’est pas exposé. La transmission à joint de Oldham ou à cardans Cette transmission comporte soit un dispositif en croix, libre de glisser dans les deux sens, vertical et latéral, entre arbre creux et essieu (joint de Oldham), ou des articulations équivalentes en cardan (de cardan, simple ou double) assurant les mêmes fonctions avec ou sans élasticité aux articulations. Ce système ne peut admettre des charges lourdes, mais il est appliqué dans le cas de moteurs tournant très vite et développant un couple assez modéré.

La transmission à biellettes et anneau dansant: la meilleure possible.
Très utilisée, notamment en France, cette transmission comporte un système formé d’un anneau, dit dansant parce que non solidaire des roues, et de quatre biellettes, placées à l’extérieur des roues. L’entraînement pour chaque roue s’effectue en deux points diamétralement opposés sur l’anneau où sont articulées deux des biellettes, l’une reliée à un manchon de l’arbre creux portant la grande roue dentée, l’autre à un manchon du flasque de roue. Les deux manchons de l’arbre creux passent au travers de la roue. L’anneau dansant est en équilibre sous l’action des forces que lui transmettent les quatre biellettes. Les articulations des bielles sont réalisées par des « silentblocs » caoutchouc, compensant les efforts lorsque l’essieu s’incline par rapport à l’arbre creux.

La reine des transmissions des années 1920 : la Buchli.
C’est la préférée, la plus vénérée des amateurs de locomotives électriques, car elle a été utilisée pendant l’âge d’or de l’entre deux guerres. Dans l’histoire de l’évolution des composants mécaniques des locomotives électriques, la transmission Buchli joue un rôle très important puisqu’elle équipe avec succès les premières locomotives européennes aptes à la traction des trains lourds rapides. Aujourd’hui, elle a disparu de la scène ferroviaire, mais elle a marqué son époque, notamment en Suisse. L’ingénieur suisse Jakob Buchli (1876-1945) conçoit cette transmission vers 1920. Elle est très ingénieuse. Elle comprend une grande roue dentée (en rose sur le schéma ci-dessous) placée en vis-à-vis de la roue motrice à entraîner (en vert), coté extérieur, mais elle n’est pas solidaire de cette dernière, car elle est solidaire du châssis. Cette grande roue dentée (en rose) est entraînée directement par le moteur de traction doté d’une petite roue dentée (en vert). La grande roue dentée fait donc face à la roue motrice et elle comporte des ouvertures par lesquelles pénètrent deux doigts d’entraînement solidaires de la roue motrice (donc en vert, eux aussi). Ces doigts d’entraînement sont reliés à la grande roue dentée par deux biellettes articulées et solidarisées entre elles par deux secteurs dentés garantissant leur maintien tout en permettant un débattement vertical. Robuste, simple, parfaitement homocinétique, la transmission Buchli est un succès et équipe plus de 400 locomotives de vitesse des années 1920 et 1930 dans le monde, principalement des locomotives de vitesse suisses et françaises.

L’apogée de la locomotive électrique classique sur châssis à longerons type vapeur.
La locomotive électrique construite sur un châssis à longerons type vapeur, équipée de bogies porteurs aux deux extrémités pour faciliter l’inscription en courbe, connait enfin son âge d’or, notamment en France, avec l’électrification de la ligne de Paris à Vierzon en 1500 v continu sur le réseau du PO.
La compagnie du Paris-Orléans, qui dessert surtout les grandes villes du Sud-Ouest comme Bordeaux, Tours, Limoges, etc. électrifie progressivement ses lignes à partir de 1926 et utilise le type suisse 2D2 qu’elle saura faire évoluer techniquement durant les années 30. Des trains de plus de 400 tonnes, et souvent de 500 ou 600 tonnes, sont remorqués à 120 ou même 140 km/h sur des parcours difficiles, ceci avec facilité, souplesse d’exploitation, disponibilité permanente des locomotives, aisance de conduite. Des pointes de vitesse à 150 km/h étaient possibles.
La 2D2: symbole de puissance et de vitesse.
Cette disposition d’essieux type 2D2, c’est-à-dire un bogie porteur avant, quatre essieux moteurs, un bogie porteur arrière, est inspirée de la locomotive à vapeur: les ingénieurs préfèrent rester fidèles au bogie porteur qui guide la locomotive et l’inscrit en courbe, même si, contrairement aux locomotives à vapeur, il n’y a pas de mouvements parasites de lacet et de roulis engendré par des pistons et des bielles. Le bogie porteur ne sera abandonné qu’après-guerre avec les nouvelles locomotives de vitesse type CC puis BB.
La famille des 2D2 du PO est nombreuse, car l’évolution des types de machines n’a pas cessé de se produire au fur et à mesure des perfectionnements techniques: systèmes de transmission par engrenages, par arbre creux, par biellettes, augmentation de la puissance des quatre moteurs de traction, réglages complexes de la suspension et du rappel des bogies porteurs qui posait des problèmes de tenue de voie en courbe sur certaines séries, entre autres.
Mais les 49 locomotives 2D2 du PO et les 23 locomotives 2D2 du réseau de l’État forment un parc homogène et très remarqué apporté à la SNCF lors de sa création en 1938. Et pour l’électrification de la ligne Paris-Lyon, entreprise durant les années 50, la SNCF développera encore le type 2D2 avec 35 nouvelles locomotives, série 2D2 9101 à 9135 qui marqueront l’apogée et la fin de ce type de machine qui, pendant un tiers de siècle, a marqué l’histoire de la traction électrique.



Hautes performances et faibles coûts de la traction électrique : pas forcément une évidence…
La traction électrique a triomphé sur les réseaux européens, et pourtant, aux États-Unis elle a coûté si cher que l’on a même « désélectrifié » des lignes, en déposant une caténaire pour laisser la place libre à la traction diesel ! La traction électrique est-elle vraiment une aussi excellente affaire, techniquement et économiquement?
En 1949 se produit une grande remise à plat de la politique des transports en France. Le débat sur le coût comparé entre les modes de traction ferroviaires s’est élargi à celui du coût comparé entre les moyens de transports, et la route, se parant des vertus économiques du pétrole, oblige le chemin de fer à adopter la traction diesel ou à jouer son va tout qu’est la traction électrique.
Le lendemain de la guerre, une fois la situation économique et des transports redevenue normale, laisse les mêmes problèmes se reposer dans les mêmes termes qu’avant – du moins pour le chemin de fer qui retrouve, après une période de prospérité durant la guerre en tant que seul moyen de transport viable, retrouve ses vieux concurrents ragaillardis.
Notre test comparatif des performances.
Avec l’ingénieur André Cossié, (lors de notre stage d’école doctorale chez Alstom à Tarbes en 1991) nous faisons rouler (par le calcul) le même train d’époque soit avec une locomotive à vapeur, la 141P, soit une locomotive diesel, la BB 67000, et, soit une locomotive électrique, la BB 9200, c’est-à-dire trois locomotives contemporaines de ce grand débat qui se poursuit jusque durant les années 1960. On sait que, avec la vapeur comme référence de départ (=100), on obtient une dépense de seulement 40 pour la traction électrique et de 51 pour la traction diesel. Notre train des années 1960 est un train de voyageurs constitué de matériel d’époque, pesant un peu plus de 400 tonnes, et devant affronter des rampes courantes comme quatre pour mille. Nous le ferons rouler à la vitesse d’équilibre maximale pour chaque locomotive.
La consommation de charbon sera de 4,4 kg par kWh, la locomotive atteignant une vitesse d’équilibre à 100 km/h. La consommation de gas-oil, dans ces conditions, est de 700 l/h, soit 0,7 l/kWh sur la base de 980 kW à la jante, la BB 67000 atteignant une vitesse d’équilibre de 85 km/h. La consommation de la BB 9200 est de 3 850 kWh, les moteurs tournant à leur maximum. On obtient une vitesse d’équilibre de 147 km/h.
La locomotive diesel n’est pas performante car elle a pour elle ce qui n’apparaît pas dans notre cas d’espèce: une mise en œuvre facile et rapide, une conduite simple à un seul homme, l’absence d’installations fixes coûteuses. Mais elle demanderait, pour être performante, une marche en unités multiples à l’américaine dans le cadre d’une politique de traction du type grande traction en tête de trains de marchandises immenses ou de trains de voyageurs rares et lourds, ce qui ne correspond, en fait nullement à la disposition géographique du réseau ferré français, ni à ses équipements, ni au savoir-faire professionnel des cheminots.

La locomotive à vapeur est performante, ou, du moins, plus que la locomotive diesel. Mais il y a des aspects négatifs qui n’apparaissent pas ici non plus: une conduite difficile, pénible même, à deux hommes, de longues périodes d’immobilisation et de préparation dans les dépôts donnant, en fin de compte, une disponibilité très restreinte concrètement.

Techniquement, et aussi en matière d’exigences d’exploitation ferroviaires, la locomotive électrique distance complètement ses deux concurrentes. Infiniment plus performante, capable d’efforts (et même de surcharges) laissant loin, derrière elle les deux autres modes, légère (puisque la seule à ne pas avoir le «sac à dos» de ses réserves de combustible), totalement disponible, facile à conduire et avec un seul homme aux commandes, facile à entretenir, elle offre un plateau d’avantages incontestable même pour l’ingénieur le plus réfractaire à l’électrification du réseau.
La locomotive électrique est disponible, en heures, 23 pratiquement sur 24. Mais existe-t-il des trafics correspondants permettant d’utiliser aussi pleinement le parc de locomotives électriques d’un réseau national ? Il est certain qu’une électrification n’est rentable que si le trafic permettant d’utiliser à plein les possibilités est offert et est maintenu. Donc calculer des prix de revient comparatifs entre les différents modes de traction, ceci en termes de performances en tête d’un train, n’a aucun sens économique si le temps d’utilisation d’une locomotive électrique reste faible.

Dans les périodes d’incertitude quant au trafic escompté, donc de faibles investissements en faveur du chemin de fer, la locomotive diesel, qui ne demande que des installations fixes sommaires, qui ne coûte pratiquement rien quand elle ne travaille pas, et est immédiatement disponible, et offre, sur le plan financier, des arguments incomparables. Son succès sur les réseaux du continent américain, ou des autres continents, notamment en Afrique et en Asie s’explique ainsi: on diésélise là où il y a incertitude.
Notre test comparatif des coûts.
La comparaison mérite d’être faite, même si leur évocation ne reflète pas la qualité du service rendu. La locomotive à vapeur consomme, dans notre cas, 4,4 kg de charbon au kWh. La tonne de charbon est vendue, au début des années 1950, pour un prix de 5 100 F rendu au tender. Le prix de l’énergie entre pour 42 % de la traction à vapeur. La locomotive diesel consomme 0,7 litre de carburant par kilowatt·heure, et la tonne revient environ à 1300 F rendue au réservoir de la locomotive. Le prix du carburant entre pour 23 % en traction diesel. La locomotive électrique consomme 3 850 kWh, et le prix du kWh haute tension livré à la sous-station est de l’ordre de 4,5 F au début des années 1950. Ce prix entre pour 42 % en traction électrique. Nous aurons, dans notre cas, un prix au kWh de:
• Traction vapeur: 4 ,4 x 5 l00 / l000 x 100/47 = 47,74 F
• Traction électrique: 4,5 x 100 / 42 = 10,71 F
• Traction diesel: 0,7 x 1 300 / 100 x 100 / 23 = 3,95 F.
Notre prix ne tient pas compte, pour la traction électrique, des installations fixes (sous-stations, caténaires, etc.) et des travaux de modification des ouvrages d’art ou de la signalisation nécessaires à toute électrification. Ces coûts sont fixes et indépendants du trafic, et se réduisent considérablement au fur et à mesure que ce trafic augmente. Par contre, les coûts d’entretien des installations fixes, proportionnels au trafic, sont bien inclus pour 8% du prix de revient dans le bilan d’une ligne. Le prix du pétrole brut est stable, au lendemain de la guerre, et reste à un bas prix, soit $ l,80 le baril jusque vers janvier 1970, sauf pour l’affolement de la guerre de Corée où le prix est voisin de celui de 1974, soit $ 11 le baril. Le prix en traction vapeur est dissuasif dans les conditions difficiles de notre cas.
Les militaires d’avant la Seconde Guerre mondiale sont tellement conscients de la vulnérabilité de la locomotive électrique, qu’ils interdisent les électrifications dans le nord et l’est de la France, par crainte que l’ennemi coupe le courant et paralyse totalement le réseau ferré. La locomotive électrique ne produisant aucune énergie, il fait bien la lui apporter, soit par un troisième rail conducteur, soit par un fil aérien. Le courant pourra revenir par les rails de roulement qui, donc, ferment le circuit. Les organes de captage du courant électrique sur les rails ou sur les fils aériens sont des appareils absolument indissociables des engins moteurs, d’une part, mais, d’autre part, ces organes ont aussi besoin, dans l’espace parcouru par la locomotive, des installations fixes amenant l’énergie électrique.
La locomotive proprement dite n’est donc qu’un élément d’un vaste ensemble technique l’entourant : l’électrification.
Pantographes et caténaires.
L’apparition de la traction électrique pose le problème du contact entre l’organe de captage équipant l’engin moteur et le conducteur relié à source de production d’énergie. Au début du XXe siècle, quand la traction par rail conducteur ou par fil aérien se généralise, ce problème du contact se révèle quelque comme jouant le rôle de l’invité que l’on n’attend pas et qui s’impose, quitte à gâcher la fête…
Mais pendant le XIXᵉ siècle, ce problème ne s’est pas posé, car les premiers essais en traction électrique se font sous la forme d’engins moteurs autonomes par les vertus de la batterie d’accumulateurs. Ce n’est que beaucoup plus tard, au début du XXᵉ siècle, quand la batterie aura amplement démontré qu’elle est lourde et qu’elle manque de souffle, que les ingénieurs sont bien obligés de se rendre à l’évidence : la traction électrique vivra sous le double paradoxe, d’abord celui d’utiliser une énergie qu’elle est incapable de produire, ensuite de constituer, pour pallier ce manque, un contact par frottement au sein d’un circuit électrique de longueur incertaine et variable qui totalement « antiscientifique » pour un professeur de physique.
La traction par batteries d’accumulateurs : le voyageur propose, la batterie dispose.
Tout commence avec des batteries, donc. La traction électrique est considérée comme une curiosité de laboratoire depuis les essais de l’Américain Thomas Davenport qui réussit à faire rouler, dès 1834, un petit chariot actionné par des électro-aimants calés directement sur les essieux et alimentés par des piles : le principe du moteur à courant continu est trouvé. L’anglais Robert Davidson parvient à construire et à faire rouler en 1837 une très intéressante locomotive à piles sur la ligne à voie normale ouverte entre Glasgow et Edinbourg, sur une distance de deux kilomètres, en remorquant une voiture à voyageurs de démonstration. Si le moteur est donc assez rapidement mis au point, le problème de l’alimentation en courant continu reste crucial.
Avec l’apparition des batteries d’accumulateurs, inventés par le physicien Gaston Planté en 1860, le véhicule électrique trouve une relative autonomie. Des grands noms de l’histoire des techniques, comme Edison, s’intéressent désormais à la locomotive électrique, mais toujours avec des batteries d’accumulateurs ou des piles.
En France, les grands réseaux ne restent pas étrangers à ce mouvement d’intérêt, tellement la traction vapeur pose de problèmes de coûts et d’exploitation, et le P.L.M. construit, en 1896-1897, une locomotive expérimentale « en vue d’élucider le problème de la traction électrique à grande vitesse » … Encombrée de batteries dont le nombre demande même leur transport dans un fourgon d’accompagnement, pesant 44,5 tonnes et 45,8 tonnes pour le fourgon, la locomotive parvient à remorquer un train de 147 tonnes à la vitesse de 45 km/h. Le réseau du Nord, lui aussi, essaie une locomotive électrique à batteries, construite sur la demande de Sartiaux, et sur un châssis de locomotive à vapeur type 030 « Mammouth », mais l’engin est rapidement abandonné. La vapeur a encore de beaux jours devant elle.

La traction électrique fait une entrée en force dans le domaine des transports parisiens en 1881 avec les essais de la firme allemande Siemens à l’occasion de l’Exposition d’électricité de Paris. Une courte ligne est établie entre les chevaux de Marly (Place de la Concorde) et le Palais de l’industrie qui occupe l’emplacement actuel du Grand palais. C’est une « vitrine technologique » pour Siemens qui se prépare à être un des plus grands constructeurs d’équipements électriques industriels au monde. Il est à noter que ce premier essai se fait avec une prise de courant par deux navettes glissant à l’intérieur de tubes fendus placés en hauteur, le long de la voie, un tube servant à l’aller du courant et l’autre à son retour. Siemens a refusé, avec sagesse, la batterie et sa lourdeur.
Mais lorsque Paris se couvre de tramways, la solution du captage du courant par fil aérien est rejetée, surtout pour des raisons d’esthétique. Les constructeurs proposent alors la solution de la batterie d’accumulateurs qui est essayée sur plusieurs lignes parisiennes en 1892, comme celle de Saint-Denis à l’Opéra, ou encore de Saint-Denis à Saint-Ouen.
Ce système s’avère vite aussi lourd pour les véhicules qu’encombrant et complexe pour les installations fixes, car il demande, en bout de ligne, la présence d’une usine de charge lente nécessité par le type de batteries utilisées. Lentes à charger, ces batteries ont, par contre, une certaine capacité de … décharge rapide qui, parfois, surprend le wattman en cours de route.
Les rampes de la ligne TF du boulevard Voltaire, ou TC du faubourg Saint-Antoine ou de l’avenue de St-Mandé de la Compagnie Générale des Omnibus réduisent à néant les batteries qui ont pour seul défaut d’être d’un âge mûr, et le wattman n’a de recours que de se faire pousser par un confrère moins mal loti, ou, alors, de décider avec audace, si la voiture peut encore rouler, de ne plus respecter les arrêts (qui se font encore à la demande à l’époque) car on est certain, en cas d’arrêt, de ne pouvoir redémarrer. La solution ? Rentrer au dépôt sans s’arrêter, à toute vitesse, et en priant que la batterie tienne le coup. Les voyageurs, eux, se retrouvent aussi au dépôt, ayant bénéficié d’un long voyage touristique en dépit de leurs protestations !

Heilmann : la traction électrique, mais en produisant l’énergie à bord de la locomotive.
L’ingénieur français Jean-Jacques Heilmann se passionne pour la traction électrique, mais veut en éviter les deux problèmes corrélatifs : la batterie, et l’alimentation depuis le sol. Il imagine et construit un type de locomotive qui représente une étape importante dans l’histoire de la traction électrique. Jean-Jacques Heilmann est un de ces pionniers aux visions d’avenir justes: il sait que la traction électrique permettra la circulation de trains rapides et lourds sur les grandes lignes à une époque où tous les ingénieurs ne songent pour elle qu’au tramway et au métro.
La locomotive Heilmann est d’abord une locomotive électrique, mais …. sans caténaire ni infrastructure électrique au sol pour l’alimenter, pour la bonne raison que, en 1894, tout cela n’existe pas encore: nous sommes encore en plein siècle de la vapeur.
Alors Heilmann se résout à fabriquer l’électricité à bord de la locomotive elle-même, ceci au moyen d’une génératrice entraînée par un moteur à vapeur à six cylindres opposés et du type compound, entraînant deux génératrices du type Brown-Boveri hexapolaire 1000 A et 450 v, elles mêmes fournissant l’énergie nécessaire à huit moteurs de traction de 125 ch. calés sur les essieux de deux bogies à quatre essieux chacun. La question est se savoir si Heilmann a bien inventé ce qu’il cherchait, à savoir la traction électrique, ou s’il n’a pas plutôt trouvé ce qu’il ne cherchait pas, c’est-à-dire la transmission électrique à qui l’ensemble de la traction diesel lui doit tout…
C’est pourquoi beaucoup d’historiens du chemin de fer considèrent, à juste titre d’ailleurs, que la locomotive Heilmann est la pionnière de la transmission électrique qui sera utilisée par la quasi totalité des locomotives diesel du monde entier. Heilmann a donc bien inventé la transmission électrique par génératrice et moteurs électriques de traction, mais à ceci près qu’il utilise non un moteur diesel mais un moteur à vapeur. L’avantage de la transmission électrique, d’ailleurs, laisse bien le libre choix du moteur, et Heilmann peut utiliser un moteur polycylindrique très performant et parfaitement équilibré, de loin supérieur au système classique des locomotives à vapeur.

Mais Heilmann, dans les faits, n’est pas à la recherche d’une transmission électrique: il veut faire rouler une locomotive électrique, mais il ne dispose par d’un système de caténaire capable de fournir la puissance nécessaire et permettant de hautes vitesses. C’est pourquoi il fabrique lui-même l’électricité à bord de la locomotive, faute de mieux, mais ne disposera pas, en fait, de la puissance électrique nécessaire. La locomotive ne donnera guère que 600 ch effectifs à la jante, contre 1200 ch escomptés. Heilmann découvrait, malgré lui, le problème du faible rendement des transmissions électriques auquel se heurteront les ingénieurs de la traction diesel ultérieurement. La locomotive électrique est bien condamnée à aller prendre son énergie ailleurs qu’en elle-même, et à aller le capter, par frottement, sur un fil ou un rail conducteur.
La longue histoire du contact commence.
Condamnée au contact par frottement pour disposer de l’énergie en grande quantité que ses performances réclament, la locomotive électrique va donc s’accommoder de systèmes divers de captage qui resteront toujours le point faible de la traction électrique.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que, aujourd’hui, l’automobile, faute de pétrole et bientôt d’air pur, est, à son tour, condamnée au même destin, mais refusant par principe une toile d’araignée de fils tendus au-dessus de toutes les routes, autoroutes et chemins de campagne du monde civilisé, elle revit, pas à pas, l’ancienne aventure que le chemin de fer a vécue il y a plus d’un siècle et s’intéresse passionnément aux batteries.
Les ingénieurs du chemin de fer, eux, ont compris, dès 1890, que de transporter des dizaines de tonnes de batteries n’offre aucun avenir, aucun intérêt, aucune ressource pratique en matière d’énergie de traction, et l’on ne peut qu’espérer que les progrès des batteries, un siècle plus tard, viendront donner aux ingénieurs de l’automobile les espoirs que ceux du chemin de fer se sont vus refuser.
La RGCF au coeur du débat de la traction électrique.
La Revue Générale des Chemins de Fer, pour sa part, se place au cœur du débat dès 1902 et décrit, dans son numéro de Février, les belles réalisations italiennes – un pays qui est, à l’époque, bien placé parmi les pionniers de la traction électrique avec l’électrification des lignes de Milan à Gallarate, Varèse, Porto Ceresio, Arona et Laveno entreprises par la Compagnie Italienne de la Méditerranée.
La RGCF déplore que la France ne s’intéresse pas à la traction électrique, si ce n’est que sous la forme modeste du métro de Paris , de la ligne du Fayet à Chamonix, des lignes de la banlieue ouest au départ de la gare des Invalides, et celle du prolongement dans Paris, jusqu’à la gare d’Orsay du « chemin de fer d’Orléans ». Or ces lignes françaises ont recours au troisième rail, même si ce rail est aérien entre les gares d’Austerlitz et d’Orsay, valant aux fameuses « Boîtes à sel » d’être munies d’un frotteur de toiture posé sur le toit de la cabine de conduite.
Mais, pour ce qui est de l’Italie et de son réseau électrifié, le troisième rail est le seul recours qui soit, à l’époque, techniquement sûr et sérieux pour conduire l’énergie de traction jusqu’aux frotteurs des locomotives. Les « voitures motrices », selon le terme de la RGCF, des lignes électrifiée sont, en fait, de gros tramways à bogies, longs de 17,80 m, offrant chacune 75 places assises, et très proches des « interburbans » américains.
Dotées de quatre moteurs, ces automotrices acceptent des remorques de construction identique. Le rail conducteur est un rail ordinaire de 45,5 kg au mètre, à double champignon, posé sur des isolateurs en grès protégés par un chapeau en fonte, placés tous les quatre mètres. Les rails ont une longueur de 12 mètres, et peuvent coulisser librement sur les isolateurs qui enserrent le champignon inférieur, ceci pour respecter les contraintes de la dilatation. Les rails sont éclissés pour former des tronçons de dix, ces tronçons étant fixés en leur centre pour éviter tout cheminement. Les extrémités peuvent donc coulisser sur une assez grande longueur, et sont reliées entre elles par des câbles soudés. Sur les appareils de voie et les passages à niveau, le troisième rail est interrompu, et la continuité électrique est assurée par des câbles souterrains, isolés pour 650 volts. Les sous-stations alimentent directement le rail conducteur. Les automotrices sont équipées de deux patins chacune, placées aux extrémités des automotrices pour assurer une prise de courant constante en dépit des interruptions. Ces principes des premières années du XXe siècle se retrouveront sur l’ensemble des réseaux électrifiés par troisième rail conducteur dans le monde entier, et jusqu’à aujourd’hui, où le « patin » ou « frotteur » n’a pas terminé son règne.
Les réseaux de banlieue américains, britanniques comme le fameux et immense « Southern » entre Londres et la côte sud, ou encore le grand réseau de l’Etat de la banlieue ouest de Paris seront, ainsi, des illustrations pertinentes du triomphe du troisième rail.

Même le premier Eurostar a du en passer par là, lors de son arrivée sur le sol anglais, pour rallier Londres par les voies de la banlieue du Southern en sortant du tunnel…

On savait vivre dangereusement, au nom du progrès.
Rien ne viendra troubler ce long fleuve tranquille qu’est l’existence du troisième rail conducteur latéral, si ce ne sont les électrifications du P.L.M. dans la vallée de la Maurienne, où l’on découvre que ce troisième rail, par nature urbain et grand amateur de tunnels et de lieux secs et couverts, n’aime pas du tout la neige, la glace, le givre. Frottons, certes, mais raclons aussi. Donc, pendant une trentaine d’années la traction électrique va frotter sur son troisième rail, et les enfants de l’époque reconnaîtront que leur train électrique, avec son troisième rail central, est bien un train électrique « pour de vrai » puisque ressemblant à tous points aux trains électriques réels, avec, même, en prime le spectacle des étincelles jaillissant lors des faux-contacts .
Si la ligne de montagne du Fayet à Chamonix semble avoir vaincu le problème du contact par temps enneigé, il semble que le P.L.M. ait eu beaucoup de difficultés pour sa ligne de la Maurienne, sans doute parce que les intensités et les puissances mises en œuvre sont d’une toute autre nature.

Marcel Japiot, ingénieur en chef du Matériel et de la Traction du P.L.M. bien connu pour ses travaux d’électrification sur le grand réseau, écrit un important article pour la RGCF de novembre 1923. Justifiant la traction électrique pour le profil difficile de la ligne avec ses rampes atteignant 30 mm et son tonnage impressionnant de grande ligne internationale, la question de la « prise de courant » prend une dimension cruciale, puisque sur les 29 pages de l’article, par moins de 6 pages y sont consacrées.
Le choix d’une tension de 1500 volts en courant continu est « un maximum dans les conditions présentes de la technique » pour le troisième rail, note Japiot, qui semble apparemment soulagé que cette possibilité du rail conducteur puisse être maintenue. « La simplicité des opérations de pose, de surveillance, et d’entretien » sont les arguments avancés en faveur du troisième rail contre le fil aérien, sans compter la circulation plus aisée des locomotives à vapeur sur la section électrifiée, l’absence de corrosions par les fumées de ces locomotives, et l’absence de toute nécessité de déplacer les lignes téléphoniques et télégraphiques.
Enfin Japiot notre que si l’on veut établir des lignes aériennes à chutes de tension aussi réduites que celles du troisième rail, avec d’aussi fortes intensités aux grandes vitesses, les dépenses pour le fil aérien seront au moins équivalentes à celles du troisième rail. Et la ligne de la Maurienne n’est qu’une phase expérimentale préparatoire pour l’électrification de la ligne de la Côte d’Azur que le P.L.M. envisage clairement de réaliser, ici aussi, avec un rail conducteur : c’est dire l’importance de l’enjeu. Toutefois le rail conducteur de la Maurienne est à contact supérieur, comme celui du métro.

L’expérience acquise sur la ligne du Fayet à Chamonix, avec le même genre d’équipement, a permis de mettre au point des frotteurs comportant de véritables racleurs à verglas portant des lames en acier dur, disposées presque verticalement avec une inclinaison de l’ordre de 30°, et faisant office de lame de couteau venant agir efficacement sur la face supérieure du rail, avec l’aide d’un piston réglable appuyant le frotteur sur le rail avec une force pouvant atteindre jusqu’à 200 kg par frotteur . Le problème du contact vient donc de faire son entrée dans le monde du rail conducteur.
Hippolyte Parodi: troisième rail ou caténaire?
Cette année 1927 est celle de la parution, dans la RGCF, d’un article signé d’Hippolyte Parodi, le grand ingénieur électricien du Paris-Orléans et dont l’autorité sur les électrifications françaises en 1500 volts continu est établie et reconnue pour des décennies. Il ne rejette pas le troisième rail d’une manière absolue, puisque le réseau en fait usage pour sa banlieue en 600 volts et sans problème depuis plus d’une vingtaine d’années (donc, depuis avant 1907).
Il reconnait, en préambule dans son article de la RGCF, que l’on peut employer un troisième rail pour une tension de 1500 volts. Voici ce qu’il écrit : « Pour la tension de 1500v, il est possible d’employer comme conducteur d’alimentation soit le troisième rail, soit la ligne aérienne. Il résulte toutefois d’essais systématiques que nous avons fait faire sur une voie d’essai de la General-Electric C° à Erié, que, pour (le faibles vitesses comme pour de fortes intensités, l’arc produit au moment de la rupture du courant sur une interruption de troisième rail, peut en amorcer un autre entre le troisième rail et la masse de la voiture (boîte à graisse du châssis des bogies) en produisant un court-circuit franc et un déclenchement général.
On peut supprimer l’arc de coupure du courant par les frotteurs au passage d’une coupure de troisième rail en employant des tracteurs assez longs pour que l’écartement des frotteurs d’une même machine ou de deux machines jumelées soit supérieur à la longueur de la coupure. On pourrait arriver au même résultat en faisant couper automatiquement le circuit de puissance du train à l’intérieur de la locomotive un peu avant chaque coupure en utilisant des frotteurs auxiliaires.
Sur les lignes électrifiées de la Compagnie d’Orléans, l’alimentation normale est faite par la ligne aérienne et le troisième rail n’a été prévu sur certaines parties de l’installation (voies centrales) que pour faciliter la transformation de la tension d’alimentation sur les lignes de banlieue déjà exploitées électriquement depuis plus de 20 ans avec du matériel à 600 volts. L’emploi simultané du troisième rail à 600 volts et des lignes aériennes à 1.500 volts sur la section à quatre voies de Paris à Brétigny devait permettre de juxtaposer, sans aucun mélange possible, les deux installations de traction électrique ancienne et nouvelle et de les utiliser: la première avec le vieux matériel roulant à 600 volts et quelques automotrices spécialement aménagées à cet effet; la seconde avec le matériel roulant nouveau à 1500 volts.
Dans la partie en souterrain de Paris-Quai d’Orsay à Paris-Austerlitz, ou coexistent depuis 1900 un troisième rail et une ligne aérienne, l’alimentation à la tension unique de 600 volts devait être conservée provisoirement pour l’ancien comme pour le nouveau matériel, la durée de trajet dans cette section étant, pour le matériel à 1.500 volts, sensiblement la même à la tension d’alimentation de 600 volts qu’à celle de 1.500 volts, en raison de la fréquence des démarrages et des limitations de vitesse. »

Toutefois Parodi apporte une modification à la forme du troisième rail, voulant en quelque sorte assurer un contact non « entre surface et surface » selon ses termes, mais bien un contact « entre ligne et surface », à la manière d’une caténaire et d’un pantographe. Ainsi le rail conducteur du Paris-Orléans prend la forme d’une lame verticale assez fine et arrondie contre laquelle le frotteur plat prend appui. Le contact est donc bien établi selon une ligne, et non un plan. L’avantage de ce système est que la « région du contact » varie constamment, du fait des mouvements du matériel roulant moteur, ce qui tend à diminuer la production d’arcs. En hiver, ce rail de contact fin ne demande aucun grattage, aucun raclage, puisque les surfaces de contact sont pratiquement réduites à des lignes : la surface arrondie et fine du dessus du rail rend difficile tout dépôt de givre ou de verglas.
La rail conducteur est, en somme, un fil aérien posé plus ou moins près du sol.
Donc, en conclusion, et pour reprendre l’enseignement de Parodi… C’est donc bien en rapprochant la forme, ou la section, du rail conducteur de celle d’un fil aérien, que Parodi parvient à résoudre le problème du contact, et l’on comprend que les électrifications du Paris-Orléans, qui seront une référence pour les réseaux français, se feront par fil aérien. Cette solution se montre satisfaisante pour les trains de l’époque qui roulent à une vitesse maximale de 140 km/h en traction électrique et cette période de tranquillité, même relative, dure jusqu’à ce que, subitement, lors des essais de 1955 à 331 km/h, elle montre ses limites et fasse peser, alors, un lourd soupçon sur les possibilités de captage du courant traction par caténaire aux très grandes vitesses que l’on commence à envisager.
Mais les ingénieurs ont pu surmonter les difficultés posées par le contact entre le pantographe et la caténaire jusqu’à aujourd’hui, et pour des vitesses quotidiennes en service qui sont équivalentes à celles des essais de 1955. Il reste à savoir ce qui se passer pour la suite, et pendant les prochaines décennies où les vitesses en service dépasseront 400 km/h. Le système actuel par caténaire et pantographe pourra-t-il assumer ces vitesses, et surtout ces fortes intensités ?


Les courants de traction et le problème des “frontières” électriques.
S’affranchir des lourdes et fastidieuses contraintes de la traction vapeur a toujours été un profond désir pour les ingénieurs des chemins de fer.
La première est celle du courant continu, basse tension inférieur ou égale à 600 v, utilisée jusque vers 1905, et réservée aux transports urbains, tramways, métros, banlieue, ou aux lignes de montage en forte pente, ou à certaines lignes en tunnel. L’alimentation se fait souvent par rail conducteur latéral. C’est l’âge des « usages spéciaux », selon le terme de l’historien François Caron.
La deuxième, qui apparaît surtout après les années 1920, et qui dure toujours, est celle du courant alternatif, mais transformé en continu à tension, entre 1200 et 3000 v, principalement 1500 v en France par exemple, et utilisée pour la traction sur les grandes lignes. L’alimentation est par caténaire. Mais cette deuxième solution permet aussi l’emploi de moteurs directs à courant monophasé, mais qu’il faut donc produire et transporter par un système spécial: c’est le cas des électrifications en 15.000 volts 16 2/3 Hz suisses, allemandes, scandinaves, ou aussi américaines mais avec des tensions moins élevées.
La troisième, débutant à la fin des années 30, et développée surtout après la guerre en France, en Europe puis dans le monde (Inde, URSS, etc), est celle de l’apparition des convertisseurs statiques permettant l’utilisation directe du courant industriel monophasé 50 Hz, transformé sur la locomotive grâce aux progrès de l’électronique: on peut donc utiliser le moteur à courant continu, ou, aussi, mieux utiliser les moteurs directs à courant alternatif.

Les principaux systèmes. Nature du courant. Quelques exemples.
Continu 1500 V France (anciennes électrifications avant les années 1960), Pays-Bas, Maghreb, Afrique du Sud.

Continu 3000 V (anciennes électrifications) Italie, Belgique, URSS.

Continu 600/750/1500 V 3ème rail ancien PLM en France, Métros, Réseau sud du Royaume-Uni, USA (banlieues).

Alternatif triphasé 3600 v 16 2/3 Hz Italie (anciennes électrifications, système abandonné)

Autre système inclassable: le 1200 v du “tube” londonien avec ses quatre files de rails…


Alternatif monophasé 11000 V 25 Hz USA (côte est)

Alternatif monophasé 15000 V 16 2/3 Hz. Suisse, Allemagne, Autriche, Pays Scandinaves.

Alternatif monophasé 25000 V 50 Hz (Fréquence industrielle). France, Royaume-Uni, Portugal, République Tchèque, Slovaquie, Indes, Japon,et nouvelles électrifications dans le monde actuel.



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