Pullman ou Nagelmackers: deux Georges pour imaginer le train de luxe

L’Orient-Express, nous y voilà presque, parce que le concepteur de ce train, Georges Nagelmackers, a d’abord été client à bord des fameuses voitures-lits Pullman américaines avant d’avoir l’idée de créer sa Compagnie Internationale des Wagons-Lits et son fameux « Orient-Express » en Europe.

Donc tout a commencé dans les interminables trajets à bord des trains américains des années 1860 à 1870, quand ce jeune belge découvre l’inconfort, l’insomnie, l’insécurité des « voyages aux Amériques » comme on disait.

Voiture ordinaire américaine à l’époque de Pullman: de rudes possibilités de couchage existent déjà.

Né en 1845, il est un fils de famille fortuné. Derrière lui il a plusieurs générations de banquiers belges renommés et qui lui ont préparé, on s’en doute, un avenir dépourvu de toute fantaisie et de romantisme dans un monde où les seules valeurs qui comptent sont celles que … l’on compte.

Parmi eux, il y a Pierre Nagelmackers, né en 1705, et qui est l’ancêtre, le très remarqué fondateur de la Banque Nagelmackers en 1747. On trouve aussi Gérard Nagelmackers (1777-1859), le petit-fils de Pierre Nagelmackers. Il est, bien entendu, banquier et membre du Congrès national de Belgique. Enfin, de Nagelmackers en Nagelmackers, nous voici devant le petit-fils de Gérard Nagelmackers : c’est celui qui nous intéresse ici, c’est Georges Nagelmackers, un peu moins banquier que les précédents, est avant tout le très innovant fondateur de la Compagnie Internationale des Wagons-Lits.

Georges Nagelmackers (1845-1905).

Cela ne se fera pas sans quelques vigoureux frottements avec la famille même si on s’aime beaucoup, car Georges Naglemackers ne semble pas être l’enfant tant attendu au sein de cette dynastie financière.

A voir son portait, on comprend qu’il semble sorti tout droit d’un roman de Jules Verne, mélangeant le romantisme, les amours, une vision personnelle de l’avenir, beaucoup de talent créatif et de sens artistique, le tout accompagnant un sens très aigu mais peu conformiste des affaires, et un courage incontestablement sans bornes.

Et pour comble de ce qu’il ne doit pas faire ou ne pas être, surtout dans le milieu bancaire, il est tombé amoureux de sa cousine – une cousine plus âgée que lui, chose déjà répréhensible, mais une cousine quand même, ce qui fait scandale et provoque une réunion de crise familiale dont l’issue sera d’expédier le coupable le plus loin possible et le plus vite possible : les « Amériques », par exemple, et en bateau à voiles et à vapeur, le seul mode capable de conjurer les vents contraires ou l’absence de vent.

Jugé pour le moment aussi peu présentable que gérable, Georges, le soupirant éperdu, se retrouve sans tarder, en 1867, en train de traverser l’Océan Atlantique, et dûment chaperonné par un ami de la famille, le comte de Berlaymont, à qui incombe la charge de surveiller le désespoir du jeune homme qui pourrait mal tourner, et de l’en guérir par le spectacle des beautés de la nature du Nouveau Monde.

François-René de Chateaubriand, le grand poète français, avait déjà tâté du remède pour une maladie autre, mais sans en tirer une réelle guérison si l’on lit ce qu’il a publié toute sa vie ensuite.. A son tour, pendant dix mois, le jeune Georges, âgé de 22 ans, voyage en Amérique, chassant le buffle parfois, et, hélas, à nouveau les jolies femmes, usant de sa belle prestance et de son physique de beau garçon.

Le brave comte de Berlaymont ne sait plus faire la part de la maladie ou du remède. Mais, malgré des apparences assez trompeuses, Georges ne perd pas tout à fait et totalement son temps dans les trains américains et remplit des carnets entiers de notes, de dessins à main levée, étudiant par le détail des voitures-lits mis en service par un certain George Mortimer Pullman.

Il est à noter aussi que Georges Nagelmackers a la chance, lors de la traversée de l’océan, de faire la connaissance de Samuel Cunard, fondateur de la Cunard Line, et il apprend, avec ce dernier, tout ce qui fait la force des industries du transport : la qualité du service et maintenue à un haut niveau constant quels que soient les aléas du parcours, une notion qui, aujourd’hui encore, est d’avant-garde et qui est à peine soupçonnée par de nombreuses compagnies de chemin de fer, ou aériennes, pourtant d’avant-garde sur le plan technique.

De George à Georges, Pullman et Nagelmackers.

Né en 1831 à Chatauqua dans l’état de New-York, le grand constructeur de wagons de chemin de fer qu’est George Mortimer Pullman doit effectuer de nombreux voyages en train, et souffre à bord d’ étroites, grinçantes et cahotantes voitures à voyageurs dans lesquelles il faut rester assis jour et nuit sur un rude banc non rembourré. Il rêve d’un vrai lit dans une voiture confortable et silencieuse, et pense que des milliers d’Américains ont la même envie que lui. Il y a un marché à prendre : soit.

George Mortimer Pullman
George Mortimer Pullman (1831-1897)

Il invente la voiture Pullman et, comme dans toutes les belles « success story » américaines, Pullman, menuisier de formation et sachant travailler le bois dont on fait les wagons de chemin de fer à l’époque, meurt milliardaire et respecté. Toutefois Pullman ne vise que la construction des wagons à marchandises, et ne s’intéresse pas au transport des voyageurs avant d’en découvrir le manque de confort par lui-même.

Dès la création de leur réseau ferré, les immenses Etats-Unis imposent des trajets qui se comptent en milliers de kilomètres quand, en Europe, quelques centaines de kilomètres sont déjà un défi insurmontable. Aux Etats-Unis il faut voyager loin, très loin, et la médiocrité des voies américaines posées en hâte, les traverses jetées à même le sol sans ballast, ne permet que des vitesses modérées et prudentes, parfois augmentées pour échapper aux bandits et aux Indiens.

Il faut partir pour des journées et des nuits entières, et le voyage de la côte Est à la côte Ouest demande, quand la première ligne transcontinentale le permet en 1869, plus d’une semaine, au prix de 6 ou 7 nuits de suite sur un banc en bois. C’est ce que doit endurer Georges Nagelmackers, et ce constat a déjà permis la fortune de George Pullman.

Pullman, difficilement prophète en son pays, du moins pour démarrer.

En 1863, George Pullman dirige la « Pullman Car Company », grande constructrice de wagons et de voitures de chemin de fer. Pour comprendre cette terminologie, il faut expliquer que le terme « car », aux Etats-Unis et non au Royaume-Uni, désigne aussi bien un véhicule de chemin de fer à voyageurs ou à marchandises, qu’un véhicule routier comme une automobile ou même un tramway (« streetcar »).

C’est sur une simple iniative personnelle qu’il réalise, à titre de prototype dans son atelier, une voiture à voyageurs nommée « Pioneer ». Garnie de sièges se transformant en lits la nuit, à peu près isolable en petits compartiments par des rideaux entourant les lits, la voiture revient à quatre fois le prix d’une voiture ordinaire à sièges fixes.

La rentabilité d’un tel investissement semble trop incertaine pour les compagnies de chemin de fer, même en faisant payer de lourds suppléments aux voyageurs désirant un lit pour la nuit. Pullman est éconduit : personne ne veut croire en son idée. IL faut ajouter que Pullman n’invente en rien la voiture-lits : depuis les origines du chemin de fer américain, il y a eu des voitures sans sièges, sans fenêtres, mais garnies de bat-flancs en bois brut sur lesquels on pouvait étaler son couchage et dormir. Le seul « luxe » de ces affreuses voitures était un réservoir à eau potable et un éclairage parcimonieux grâce à des lampes à huile accrochées contre les parois. Horrible, donc, mais le principe existe.

Mais un assez grand progrès est fait dans les années 1870 quand la mise en service de voitures à voyageurs classiques, sur bogies, et comportant un grand nombre de sièges situés dans une même salle unique, de part et d’autre d’un couloir central. On les appelle les « immigrant cars » car elles accueillent, dans d’assez bonnes conditions de roulement et d’espace intérieur, ces innombrables familles qui vont vers l’Ouest et qui soupirent d’aise pour être dispensés du long voyage en « waggon » à bœufs qui laisse derrière lui une succession de tombes, les familles étant décimées par la souffrance, la maladie, et aussi la vieillesse.

« Go west, man ! ».

Dans ces voitures, hautes et larges, il y a la place pour installer en longueur, près du plafond, de grands plateaux en bois repliables que l’on peut descendre et positionner, grâce à des sangles, à l’horizontale pour y mettre des bagages, des armes, ou, mieux, pour s’y coucher. De très nombreuses gravures de l’époque montrent ces voitures, avec leurs voyageurs assis, pour les uns, couchés pour les autres un peu plus haut, participant à la même conversation. Mais il y a moins de places couchées que de sièges offerts au niveau du plancher, et parfois on règle la question des réservations au Colt…

Les très dures conditions de voyage dans les premières voitures-lits américaines. On ne peut imaginer pire! Même l’absence de fenêtre, pour les parties diurnes des trajets, semble inconcevable.

Donc, pour Pullman, il y a la preuve de l’existence d’un marché, et ne voulant laisser sa voiture prototype « Pioneer » pourrir et inutilisée, George Mortimer Pullman la loue, pour une somme modique, à la compagnie du Michigan Central qui veut bien faire l’essai. Celle-ci demande un supplément correspondant à celui d’une nuit d’hôtel pour les voyageurs voulant y accéder et dormir dans un lit. La compagnie sait faire et le succès est immédiat : la « Pioneer » ne désemplit pas. Pullman a gagné sa mise.

La « Pullman Sleeping Car Company » : le décollage.

Encouragé, Pullman construit sa deuxième voiture et crée, au sein de sa « Pullman Car Company », un nouveau département, la « Pullman Sleeping Car Company » résolument tournée vers la construction de voitures-lits pour voyageurs. Cette nouvelle voiture-lits est encore plus confortable, plus silencieuse, plus vaste.

Reprenant le principe des plateaux relevables il en fait des lits permanents que l’on peut donc abaisser, et il remplace, au niveau du plancher, l’ensemble des sièges par des lits disposés en longueur, le tout donnant donc deux niveaux de places couchées. Les premières voitures Pullman conservent le très approximatif système des rideaux assurant une intimité à géométrique variable, car il y a toujours des courants d’air dans un train. Léger, incertain, ce système n’assure qu’une protection relative de l’intimité des dames – ceci à la grande joie des voyageurs de commerce ou des marchands de bétail un peu rustres comme on l’est à l’ouest du Mississipi….

Les premières voitures-lits Pullman comportent non des lits mais des sièges transformables, et un simple isolement par rideaux.

Pour ne pas perdre sa clientèle féminine et les maris à principes, Pullman étudiera un système de cloisons délimitant la voiture en compartiments (ou « roomettes » selon le terme américain).

Mais ces parois fixes font perdre des places et le principe du rendement l’emportant toujours sur ceux de la morale aux Etats-Unis, les « roomettes » permanentes devront attendre leur temps, celui des grands trains américains carénés des années 1930 comme le « Twentieth Century Limited » Dans cette complexe histoire Pullman, la « Pullman Sleeping Car Company » seule nous intéresse, car c’est une compagnie exploitant les wagons-lits qui peuvent être de la marque Pullman ou pas.

Dans cette « Pullman Sleeping Car Company » il y a deux activités séparées avec une subdivision en deux filiales, la « Pullman Standard Car Company » qui construit les voitures, et la « Pullman Palace Car Company » qui les exploite avec celles d’autres constructeurs.

IL est à noter que la deuxième, seule, pourra s’implanter au Royaume-Uni sous le nom de « Pullman Car Company » (le très petite gabarit britannique fait abandonner la notion de « Palace » !). Le Royaume-Uni est-l devenu, en quelque sorte, une chasse gardée interdite à la Compagnie Internationale des Wagons-Lits que créera Georges Nagelmackers en 1876 ? Peut-être pendant les dernières décennies du XIXe siècle, car, au début du XXe siècle, un certain lord Dalziel dont nous allons parler saura créer des liens nouveaux.

En attendant, chacun reste chez soi, Pullman aux Etats-Unis et un peu au Royaume-Uni, d’un côté, et de l’autre, Nagelmackers qui se sent libre d’agir en Europe et dans le reste du monde que lui abandonne volontairement ou non Pullman, c’est-à-dire l’ Europe continentale, la Russie, l’Asie et là où il le pourra, notamment au Moyen-Orient et en Egypte.

C’est bien avec cette impression et cette intention que Georges Nagelmackers rentre des Etats-Unis et se frotte les mains en disant qu’une fortune l’attend ainsi qu’un empire à créer. Pullman, pour sa part, n’aura pas à se soucier de Nagelmackers que d’ailleurs il n’a jamais du le rencontrer.

Nagelmackers sait que, pour se simples et incontournables raisons techniques, aucune voiture Pullman américaine ne pourra rouler en Europe, en Russie, et dans le vieux monde parce que les normes (et notamment le gabarit) sont totalement différentes, tout comme les normes techniques de roulement, de freinage, d’attelage. Le poids par essieu admis aux Etats-Unis est de plus de 30 tonnes (variable selon les réseaux) et les dernières voitures Pullman, sur 6 essieux, dépasseront 120 tonnes : aucune voiture de ce poids ne pourrait rouler en Europe, et les voitures-lits les plus lourdes, celles de la CIWL et de l’ « Orient-Express », ne dépasseront guère 52 à 53 tonnes.

La seule tentative notable est la vente de quelques voitures Pullman à la compagnie anglaise du Midland Railway, en 1874, ceci sous la forme de voitures américaines aux dimensions réduites et adaptées au gabarit britannique qui est même encore plus petit que le gabarit européen continental. Tout à son affaire de businessman américain, il parvient à dominer le réseau des Etats-Unis et à faire que l’on ne peut voyager qu’en Pullman, quand on est quelqu’un d’important, et quand le Président Lincoln meurt, il obtient de Mme Lincoln que la voiture funéraire soit une Pullman: même mort, Lincoln « roule » pour Pullman à tous les sens du terme !.

Quand Pullman meurt en 1897, la « Pullman Sleeping Car Company » possède 2.500 voitures transportant annuellement 6 millions de voyageurs, employant 15.000 ouvriers, et produisant non seulement plus de 300 voitures-lits, mais aussi plus de 600 voitures à voyageurs ordinaires, et même plus de 900 voitures pour tramways par année ! Ne parlons pas des plus de 12.500 wagons à marchandises produits aussi, et démontrant le fait peu connu que les marchandises, eux aussi, ont voyagé en Pullman. George Pullman n’avait donc aucun besoin du marché Européen qui devait lui sembler restreint à tous les sens du terme, y compris le gabarit.

Sir Dalziel, l’homme qui s’intéressait à Pullman.

Et pourtant, un homme s’y intéressera pour Pullman à titre posthume. Davison Alexander Dalziel (1852-1928), plus tard Lord De Wooler après la Première Guerre mondiale, est un homme d’affaires britannique et un parlementaire très en vue, journaliste réputé et propriétaire de l’Evening Standard entre autres journaux, d’une compagnie de taxis et de la « Pullman Car Company » britannique dont il achète, en 1908, la majorité des actions pour un prix modique, la compagnie étant inactive.

Lord Dalziel (1852-1928)

Il crée en 1915, à Londres, une nouvelle « Pullman Car Company » qui durera jusqu’en 1962, avec des trains portant un label Pullman garantie de luxe. Il en vient à s’intéresser à la création d’un service Pullman entre Londres et Paris, avec transbordement des voyageurs par bateau sur la Manche et non le transbordement par ferry-boat de voitures-lits et de voyageurs restant à leur place, solution qui n’existera qu’en 1936. IL rêve de recréer la relation Londres-Douvres avec le « Club-Train » qui circula entre 1889 à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris et 1893 en perdant beaucoup d’argent, à ceci près que Dalziel a l’intention ferme d’en gagner…

Si Pullman n’y laisse que son nom, le réseau britannique conçoit d’excellentes voitures Pullman bien anglaises et confortables dès les années 1920: inspirées de celles de la CIWL, ou la CIWL s’en est-elle inspirée ?
Voiture Pullman anglaise classique du South-Eastern & Chatham Rly de 1921. On se croirait à la CIWL…

Pratiquant un « entrisme » efficace, fin diplomate, en 1919 il parvient à être président du conseil d’administration de la CIWL elle-même ! En outre, mais rien n’est prouvé que ce soit un coup monté de la même eau car le vrai amour peut exister ailleurs que dans les contes de fée, sa fille épouse René Nagelmackers, directeur de la CIWL et fils de Georges Nagelmackers.

Entre 1924 et 1925, le Southern Railway anglais reçoit, de la part du constructeur Midland Railway Carriage & Wagon Co, un parc de vingt-quatre voitures destinées au train reliant Londres à Douvres qui deviendra le «Golden-Arrow». et dix voitures sont envoyées sur le continent, portant chacune un nom suivant l’usage britannique, et recevant des numéros CIWL qui a signé un contrat en ce sens, mais qui ne pourra les utiliser en France puisque les voitures à caisse en bois sont désormais interdites.

Une de ces voitures Pullman anglaises à caisse en bois et qui n’auront, de ce fait, qu’une discrète et courte carrière en France avant de finir en Egypte.

Après avoir été employées en ltalie entre Milan et Venise ou Milan et Vintimille entre 1925 et 1929 et en France entre Paris et Deauville pendant l’été de 1927, huit des voitures britanniques sont rendues à la « Pullman Car Company » et affectées au «Golden Arrow». Les deux autres restent sous la dépendance de la CIWL mais sont transférées en Egypte pour des services isolés; elles seront vendues aux chemins de fer égyptiens en 1937. Donc, pour cause de caisse en bois, les dix voitures Pullman circulant en France le font… sur la pointe des pieds et, illégalement, elles sont les seules voitures Pullman anglaises ayant jamais roulé sur le continent.

C’est sans doute lui qui fait faire à la CIWL et auprès de la compagnie française du Nord une demande d’autorisation de création d’un train de luxe entre Paris et Calais et qui se heurtera à un refus, cette compagnie ayant déjà elle-même ses propres idées sur le sujet, mais Dalziel, ayant lancé en 1924 entre Londres et Douvres un nouveau matériel Pullman formant le train « Continental Pullman », parviendra à ses fins en obtenant que cette relation soit prolongée entre Calais et Paris, en 1926, par le fameux train « Flèche d’or » composé du plus beau matériel dernier cri de la CIWL.

Peu à peu le puzzle Londres-Paris se met en place et peu à peu, aussi, le nom « Pullman » circule en France, apposé sur les voitures-salon des trains de jour de la CIWL (mais pas sur les voitures-lits et restaurant classiques des trains comportant au moins une nuit de voyage dans leur parcours)

La Flèche d’Or en 1926 à la gare du Nord. Noter le « Pullman car » sur les voitures-salon.

George Mortimer Pullman n’a donc ni véritablement ni tenté ni réussi aucune réelle implantation technique et financière en Europe continentale, mais, pour le moins, voilà que son nom y circule, très visible sur beaucoup de trains anglais de 1908 à 1962, et aussi de 1926 à 2009 d’une manière tout aussi visible en Europe continentale sur les trains de la CIWL, perdu parmi d’autres marquages et , placé en extrémité de caisse et à mi-hauteur, à côté du marquage « Voiture-salon » dont il n’est, en somme, qu’un complément constituant un label de qualité.

George Mortimer Pullman, décédé en 1897, ne verra pas cette consécration, et sa compagnie ou ses héritiers ne retireront pas un sou de cette exploitation de son nom car, d’après l’auteur italien très expert qu’est Renzo Ferret (« Les voitures Pullman », éditions du Cabri, 1982) la CIWL était purement et simplement… propriétaire, par possession d’actions (apportés par Dalziel ?) de la « Pullman Car Company » britannique, et a toujours gardé ce fait sous la forme d’un secret le plus absolu.

Pour nous, l’histoire de Pullman s’arrête là, et jamais l’ « Orient-Express » ne sera impliqué dans une aventure Pullman, le train n’ayant jamais comporté de voitures-salon Pullman.

Le Royaume-Uni n’a pas attendu Pullman pour créer de magnifiques voitures-lits dès les années 1840.
Le confort britannique à bord des trains des années 1880-1890
La fin de l’empire Pullman britannique en 1948. Les grands trains disparaissent. Le Golden-Arrow (Flèche d’or) aura tenu jusqu’au bout.

Georges, qui apprend beaucoup, grâce à George.

Mais revenons à Georges Nagelmackers qui voyage en voiture-lits Pullman durant les années 1870. Comme tout grand romantique, tourmenté certes par des sentiments profonds, il sait penser, malgré tout, à court terme, à son bien-être matériel, et, à long terme, à sa fortune. Il savoure le confort des sleepings et des voitures-restaurant et songe à les introduire en Europe où l’on voyage dans des voitures de chemin de fer étroites, inconfortables, raides et austères.

Il prend des notes, fait des croquis, et publie un livre à compte d’auteur intitulé: « Projet d’installation de wagons-lits sur les chemins de fer du continent ». On comprend qu’aucun éditeur n’ait voulu du manuscrit, pas même Hachette, déjà connu et célèbre à l’époque : cela n’annonçait guère un prix Goncourt ! Et pourtant ce livre contenait un véritable trésor : la description d’une invention qui fera la fortune de son auteur. Nagelmackers saura le prouver.

Laissant la littérature pour l’action, Nagelmackers construit sa voiture-lits et réussit à l’imposer sur la ligne Paris-Vienne en 1872. En 1876, c’est le début de la grande aventure de la Compagnie Internationale des Wagons-Lits qu’il vient de créer. Et vers la fin du siècle suivant, le XXe donc, cette compagnie fête son 125ème anniversaire, avec un chiffre d’affaires prévisionnel de 272 millions d’Euros pour 2001 et un effectif de 5.000 personnes.

Bref, le voilà auteur d’un livre qui aujourd’hui vaut 272.000.000 Euros. Lorsque Georges Nagelmackers rentre de son voyage aux Etats-Unis, il est fasciné par la facilité avec laquelle on peut voyager sur de grandes distances dans ce pays, passant sans problème des voies d’une compagnie à celles d’une autre.

Mais aussi il n’y a pas de frontières sociales aux Etats-Unis : les voyageurs acceptent de se mêler dans de grandes voitures communes, où l’on dort sur un lit derrière un simple rideau. En Europe, tout est différent : les frontières sont étanches entre des pays hostiles, les réseaux s’ignorent les uns les autres et n’ont pas de normes techniques communes. Enfin, et surtout, les frontières sont dans les esprits : nationalités différentes, classes sociales différentes, personne n’accepte l’autre, et tout le monde exige des voitures avec des classes et des compartiments séparés. Nagelmackers a rapidement compris qu’il allait déplacer des montagnes pour réussir dans son entreprise, mais il ne s’est jamais découragé.

L’Europe de son époque n’en est pas encore à l’Euro, lui de là. Elle est cloisonnée (si tant est qu’elle ne le soit plus…), frileusement blottie, chaque pays vivant enfermé derrière ses frontières, ses prérogatives, ses nationalismes, ses missions civilisatrices, et à faire la guerre mondiale s’il le faut pour récupérer quelques kilomètres carrés de terrain supplémentaires.

L’Europe en 1850 et son morcellement par pays.
Ce que la CIWL fera du réseau européen en un demi-siècle, sans construire de lignes mais en imaginant des trains.

Trois grands empires centraux, à l’époque, bloquent la situation et préparent les guerres : l’empire allemand, l’empire austro-hongrois, et l’empire russe. Les autres pays ne comptent que par leur volonté industrielle ou commerciale, en attendant de peser sur la balance avec leurs propres empires coloniaux. Tout est défiance, paperasseries aux frontières, postes de garde, congrès diplomatiques, menaces, télégrammes de mobilisation, convocations d’ambassadeurs, alliances simples ou doubles ou triples. Faire circuler des trains directs d’un pays à l’autre dans un tel contexte ?

IL faut la foi visionnaire d’un jeune banquier belge qui ose lancer en 1883 son fabuleux train qui prendra plus tard le nom d’Orient-Express. la compagnie commence la construction d’un immense réseau de bureaux qui sont autant d’agences de voyages au service des hommes d’affaires, des diplomates, des touristes. Ce réseau est mondial dès 1928 par le rachat de la fameuse agence Cook. Mais les guerres lui sont néfastes, surtout la Première Guerre mondiale qui lui vaut de perdre une grande partie de son matériel roulant bloqué en Allemagne, en Russie. L’Allemagne, d’ailleurs, crée sa propre compagnie concurrente, la « Mitropa » et se réserve ainsi les services de voitures-lits et de voitures-restaurant sur son propre territoire qui est un carrefour de l’Europe. Georges Nagelmackers n’est plus là pour voir ces années difficiles, car il est décédé en 1905.

Ce que la Mitropa, créée en 1916, a réalisé en 1939: s’il s’agit bien d’un service national pour une Allemagne qui, après 1919, reste fermée à une CIWL jugée comme étant du côté des vainqueurs, il y a quelques prolongements internationaux. Toutefois la Mitropa a « emprunté » des voitures CIWL pendant la guerre pour son propre compte.

Mais il aurait aimé voir ses trains, devenus les plus célèbres du monde, créer une légende inoubliable comme celle du Train bleu, du Nord-Express, du Sud-Express, du Simplon-Orient-Express, de la Flèche d’or, et de tant d’autres noms devenus entre les deux guerres des références ferroviaires aujourd’hui toujours présentes dans les mémoires.

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