Le réseau du Midi en France: ambition, originalité, et savoir-faire

Avec la mise en service de relations à grande vitesse reliant Marseille à Montpellier d’une part, et, d’autre part, des projets de liaisons TGV entre Bordeaux, Toulouse, et Montpellier, voilà que se réalise, pour les années 2020, un ancien rêve oublié et datant du milieu du XIXème siècle : un grand réseau sud unifié dont Bordeaux, Toulouse et Marseille auraient été les centres actifs. Ce réseau que nous pourrions appeler celui du « Grand sud » aurait pu exister, et il aurait complètement modifié la physionomie du réseau national et contribué à l’unité économique et industrielle de la France méridionale. Tout arrive à point pour qui sait attendre…. quelques siècles, cependant. Remontons les temps pour comprendre le temps actuel.

Mais il nous reste une petite précision préliminaire à apporter: soyons bien clairs sur cette appellation de Midi. Il s’agit bien de cette région qui s’étend entre la Garonne et les Pyrénées, délimitée par le triangle formé par les villes de Bordeaux, Hendaye et Perpignan. La Provence et la Côte d’Azur ne font pas partie du Midi, en dépit de la confusion souvent faite par les journalistes et… les Parisiens.

La gare de Béziers: ses ateliers sont au cœur du réseau du Midi. Sa gare aurait du être le point de départ de la ligne directe reliant le réseau du Midi à Paris, projet abandonné à Neussargues pourtant atteinte en traction électrique en 1932.

1852 : les ambitions du réseau du Midi.

Lorsque les banquiers Émile et Isaac Pereire, initiateurs du réseau du Midi, relancent, en 1852, le projet de la ligne de Bordeaux à Sète, ils ont en arrière-plan un grand projet : la constitution d’un grand réseau englobant, dans son territoire, ce que l’on appellerait aujourd’hui « le grand Sud-ouest » pour ne pas dire l’« Occitanie ».  Ils ne réaliseront jamais que le seul réseau ferré du Midi avec les tronçons Bordeaux-Toulouse et Toulouse-Sète ouverts en 1857, constituant ainsi la compagnie du Midi à partir de sa dorsale Bordeaux-Sète voulue par les banquiers Pereire, complétée par des embranchements de Bordeaux à Bayonne et de Narbonne à Perpignan (1858). Sète restera un bastion PLM et une frontière infranchissable et délimitera, jusqu’à la création de la SNCF, les réseaux du PLM et du Midi.

Les banquiers visionnaires Emile et Isaac Pereire, hardis fondateurs de la Cie des chemins de fer du Midi. Ils rachètent même le Canal du Midi pour mieux éliminer toute concurrence possible… Ils auront à lutter contre le PLM quand ils voudront étendre leur empire au-delà de Sète.
Une locomotive type 120 pour trains rapides, sur le réseau du Midi, sous le Second Empire.

1853-1861 : le PLM se constitue son territoire.

Mais les frères Pereire ont une arrière-pensée, un projet très novateur car, tout en constituant leur compagnie du Midi, ils ont déjà demandé, en 1849, la concession d’une ligne de Paris à Avignon.  Il est évident qu’ils souhaitent constituer une grande compagnie desservant, d’un seul tenant, la vallée du Rhône, la Provence et le Midi pour former un immense réseau du Sud de la France. Les Pereire n’iront pas plus loin dans ce grand projet car ils se heurtent aux intérêts qui constitueront le réseau du PLM, incarnés par les financiers Talabot et Bartholony.

Le groupe financier Talabot marque des points dans la lutte qui l’oppose à celle des Pereire et dès 1852 la ligne de Paris à Lyon est concédée, et vient s’ajouter à celle de Avignon à Marseille ouverte dès 1848. La compagnie d’Avignon à Lyon assurera de fait la jonction entre les deux lignes précédentes et permet la constitution du Lyon-Méditerranée en 1853 : le PLM est en train de se constituer pour donner, quelques années plus tard, la plus étendue et la plus puissante des compagnies françaises avec l’ouverture des lignes vers Genève, Besançon, le Jura, les Alpes.

La compagnie du Midi telle qu’elle restera jusqu’en 1934. La ligne de Béziers à Neussargues est une tentative de « monter » jusqu’à Paris en se glissant entre les réseaux voisins du PO et du PLM: la fusion avec le PO, en 1934, la rendra caduque.
Le profil de la ligne de Béziers à Neussargues, ex-Béziers-Paris. Un profil aussi sévère, et qui se serait prolongé sur toute la traversée du Massif-Central, faisait de cette ligne un rêve illusoire.

1862 : Marseille, gare du Midi, donc ?

Le Midi, malgré les apparences, n’a jamais posé les armes de son désir de conquête de la côte méditerranéenne. Sa lutte contre le PLM reste permanente, en une véritable partie d’échecs où chacun, sournoisement, avance ses pièces. Un épisode peu connu de ces luttes héroïques est la tentative, faite par le Midi, de toucher Marseille malgré la présence du PLM déjà dans cette ville, et après un partage du territoire national qui semble définitif.

Le grand port de Marseille est, on s’en doute, un des plus importants de la Méditerranée et le plus important port français à l’époque. Il est un puissant générateur de trafic et de profits. Le Midi dispose certes de Bordeaux, sur la façade atlantique, mais, pour ce qui est de la Méditerranée, il doit se contenter de Sète ou de Narbonne qui sont loin d’avoir la même envergure que Marseille. Né autour de la ligne Bordeaux-Sète qui longe le canal des Deux Mers, le réseau du Midi se veut le réseau des deux mers et voudrait, pleinement, réunir l’Atlantique et la Méditerranée. A une époque où les trains vont infiniment plus vite que les bateaux les plus performants, beaucoup de compagnies ont des lignes prospères parce que raccourcissant des trajets maritimes.

L’idéal, pour le Midi, serait de détourner définitivement tout le trafic faisant le tour de l’Espagne, mais il lui faut un port sur la Méditerranée qui puisse traiter ce trafic. Le réseau du Midi propose aux pouvoirs publics la création d’une ligne Sète-Marseille, ceci dès 1862, après avoir publié un tarif qui accordait des réductions considérables venant d’un port étranger ou d’un port français et allant vers un autre port français…

Soutenue par les élus de l’Hérault, cette ligne prend l’aspect d’un Béziers-Marseille aurait évité Nîmes et Arles (gagnant ainsi une centaine de kilomètres), et aurait subrepticement longé la côte méditerranéenne et serait entrée dans Marseille par le bord de la mer.

Entrant dans Marseille à la manière de la prise de Troie avec un gigantesque faux cheval roulant contenant des troupes, laissant au PLM sa gare St-Charles, le haut de la ville, et ses ambitions de poursuivre en direction de Nice, les Pereire n’ont pas froid aux yeux et achètent les terrains nécessaires permettant de pénétrer dans le port de Marseille par l’Estaque, Mourepiane et Arenc et de déboucher directement sur le port de la Joliette. L’embranchement desservant le port s’est certes bien construit, mais pas sous la forme d’une tête de ligne Midi : le PLM s’en chargera de lui-même.

Le chemin de fer dans Marseille, vu en 1904. Le tout est du PLM, mais, dans les années 1860, le réseau du Midi a essayé de pénétrer dans Marseille en projettant la construcion de la ligne de l’Estaque et Arenc, donnant un accès direct au port, et laissant au PLM la partie haute de la ville. La gare contrale de Marseille-St-Charles, dès la fin du XIXe siècle, commande l’ensemble du système ferroviaire marseillais.

Talabot, soutenu par les Rothschild, parvient à faire échouer le projet des Pereire en 1863. Ce réseau unique du grand Sud est mort-né, et le Sud de la France sera désormais desservi par trois grands réseaux distincts :

  • Le Paris-Lyon-Méditerranée (PLM) pour la Provence et la Côte d’Azur, par la vallée du Rhône.
  • Le Paris-Orléans (PO) pour la partie sud-ouest du Massif-central, par le Poitou et les Charentes
  • Le Midi jouant le rôle de prolongement du PO au-delà de Bordeaux ou de Toulouse, en attendant sa fusion avec le PO en 1934.

Cette partition ne manquera pas de poser de nombreux problèmes et de gêner la circulation des voyageurs et, surtout, des marchandises du Sud-ouest dans le sens transversal. En outre elle créera une guerre sans merci entre les trois réseaux pour le très rémunérateur transport des vins entre les lieux de production, Algérie comprise, et la partie nord de la France.

1862-1888 : le Midi ne s’avoue pas battu.

Toujours prisonnier dans son Sud-ouest, le réseau du Midi étouffe et aimerait bien se glisser, entre le PO et le PLM, en direction de Paris. Il est intéressant de savoir que, de 1853 à 1857, a existé un réseau du « Grand central », monté par Morny, le demi-frère de Napoléon III, et axé sur une ligne Bordeaux-Lyon et voulant réunir le Massif central à l’Atlantique. Sans aucun avenir économique, doté de lignes à faible trafic et à profil difficile, le « Grand central » est rapidement dépecé et partagé entre le PO et le PLM. Le réseau du Midi, lui, hérite d’une ligne concédée prévue pour relier Béziers à Paris et dont il va se servir pour nourrir son ambition parisienne. Il a déjà amorcé une conquête du Massif central en ouvrant les lignes de Carmaux à Albi (1867), Castres à Albi (1869), Millau à Séverac et Rodez (1884). Et c’est à partir de Rodez que le Midi pousse sa tentative en direction du Nord la plus marquante, atteignant Neussargues en 1888.Si la Pointe de Grave au nord de Bordeaux est peut-être le point le plus septentrional du réseau, Neussargues, presque à la même latitude, est le point extrême jamais atteint par le réseau en direction de Paris. Jouer la carte du Massif central n’est pas judicieux , mais le Midi n’a plus le choix, puisque ses concurrents ont déjà en mains les tracés faciles et rémunérateurs contournant le Massif central par l’ouest ou par l’est. Le Midi doit donc aller droit en direction du nord et passer par des régions peu prospères, non industrialisées, incapables de fournir un trafic contribuant à la rentabilité d’une grande radiale, et faisant, par leur relief et leur climat, obstacle à la construction et à l’exploitation d’une ligne. Les travaux sont impressionnants, comme en témoignent encore les viaducs de Garabit ou du Viaur, les plus grands de France.1932 : le réseau du Midi pose les armes à Neussargues.

Joyau du réseau du Midi – on l’oublie souvent – le viaduc de Garabit reste le témoignage le plus marquant de l’immensité et l’audace de la construction de la ligne de Béziers à Paris, par Gustave Eiffel et Léon Boyer en 1878.

Grand pionnier de la traction électrique en France, initiateur du courant monophasé français bien avant la Première Guerre mondiale, constructeur de locomotives type BB ou 2D2 qui feront école (pensons à l’entreprise « Constructions électriques de France » ou CEF de Tarbes, futur site Alstom), le réseau du Midi songe à la traction électrique pour modifier radicalement les données du problème et faire que sa ligne de Béziers à Neussargues soit rentable là où, en traction vapeur, elle ne le serait pas, s’inspirant ouvertement de l’exemple suisse qui est, pour Jean-Raoul Paul, directeur du Midi, une référence. La caténaire 1500 v Midi atteint Neussargues en 1932. Les vaillantes BB du Midi se jouent facilement du profil sévère en dents de scie de la ligne (rampes et pentes de 27, 30 ou 33 pour mille d’une façon continue. Toutefois le miracle de la traction électrique arrive trop tard : le Midi se prépare déjà à sa fusion avec le réseau du PO qui sera effective en 1934 et qui lui ouvrira une voie royale vers Paris par Bordeaux, Angoulême, Poitiers, Tours. Aujourd’hui toujours la caténaire s’arrête à Neussargues, et ceux qui ne connaissent pas les raisons historiques de cette situation se perdent en conjectures sur cette bizarrerie qu’est une ligne électrifiée s’arrêtant dans une gare de (très) moyenne importance.

Les électrifications (en rouge) du Midi font de ce réseau un pionnier de la traction électrique en France dès les années 1920. Les petites lignes de pénétration par les vallées dans les Pyrénées sont le premier exemple d’une électrification de proximité. En trait rouge fin: la ligne en voie métrique de Cerdagne.
Jean-Raoul Paul (1869-1960) dirige le réseau du Midi de 1913 à 1932 et, en grand visionnaire, rêve de faire de la région « une Suisse pyrénéenne » avec des lignes de chemin de fer électrifiées contribuant au développement industriel du pays. Il y parviendra.
Les fameux autorails dits « Pauline » imaginées par Jean-Raoul Paul. Ici nous sommes en 1931.
Intérieur, rustique à souhait, et assourdissant pour le conducteur posté contre le moteur, d’une « Pauline »: à gauche le spartiate poste de conduite, à droite… les WC qui bouchent un peu la vue du conducteur et exposent le postérieur de son occupant en cas de tamponnement !
Les automotrices E-ABD du Midi forment un train complet sur un châssis, avec leurs compartiments séparés 1re, 2e classes et bagages. Voir l’article qui leur est consacré, déjà paru sur ce site « tranconsultant ». Rappelons qu’une automotrice de ce type est classée Monument Historique, mais n’a fait l’objet d’aucune restauration ni présentation publique jusqu’à ce jour: la région Occitanie, héritière du Midi, et la SNCF, propriétaire de ce trésor, réagiront-elles ?
Le Midi c’est aussi une politique d’automotrices électriques performantes, à la manière suisse.
Le Midi, pionnier de la traction électrique, ne néglige pas la traction vapeur avec de puissantes locomotives-tender à vapeur pour ses lignes de montagne. Ici la puissante série 5001 à 5047, type 050, construites entre 1908 et 1914 pour la ligne de Béziers à Neussargues.
Le Midi, c’est aussi une intelligente électrification en voie métrique de la ligne de Cerdagne qui est non seulement regionale, mais aussi joue un rôle comme Transpyrénéen Oriental complémentaire par l’Est.
Originalité et audace sur la ligne de Cerdagne.
La grande affaire du réseau du Midi fut les 10 projets de Transpyrénéens qui se succédèrent de la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 1920. Si l’on excepte les contournements côtiers Ouest et Est, deux sont réalisés en 1928, l’Occidental et l’Oriental.

La France des anciennes compagnies est bel et bien délimitée en réseaux indépendants les uns des autres. Initialement, tout les différencie : matériel roulant (surtout moteur), signalisation (en attendant des unifications en 1885 et en 1935), techniques d’exploitation, écoles de pensée des ingénieurs, habitudes professionnelles des cheminots de tous grades. Certes le matériel marchandises passe d’un réseau à l’autre, et, dans une moindre mesure, le matériel voyageurs aussi pour quelques rares trains transversaux ou pour des voitures directes dans des trains à tranches. Le matériel moteur, lui, ne franchit pas les limites des réseaux et « on ne se mélange pas » : dans les gares de jonction de deux réseaux, chacun a son propre dépôt, ses propres installations, ses propres locomotives. Si la partie nord de la France ne souffre pas trop de cet état de fait dans la mesure où le point de jonction des réseaux fusionne à  Paris qui est, de toutes manières, un point de passage obligé (avec transbordement pénible pour les voyageurs), la partie sud du pays est véritablement morcelée par de longues frontières inter-réseaux : un voyage de Marseille à Toulouse, ou de Clermont-Ferrand à Bordeaux est une longue succession de trajets lents sur des lignes de moindre importance, ponctués par des attentes et des changements nombreux.

Le Midi est le réseau pionnier de la traction électrique en France, et de la locomotive du type BB. Dès le lendemain de la Première Guerre mondiale, ce réseau adopte le courant continu 1.500 v normalisé que la France vient d’adopter comme norme nationale, et, abandonnant ses très prometteurs essais en courant monophasé entrepris avant la  guerre, ce réseau fait bon cœur contre mauvaise fortune et construit de remarquables BB qui marqueront profondément le chemin de fer français jusqu’à aujourd’hui.

Premiers essais et prototypes Midi dès 1912. Transmission par bielles et courant monphasé.
Autre prototype Midi de la période des essais d’avant la Première Guerre mondiale: la 1C1 E-3401.
La fameuse caténaire Midi, originale à plus d’un titre, avec ses « ogives », un chef d’œuvre de calcul et de précision des ingénieurs Midi.
La caténaire Midi en courbe avec sa pose « en gauche », et non « polygonale », technique assurant une parfaite courbure du fil de contact et une excellente prise de courant avec un « balayage » réduit et contrôlé.

Les premières BB françaises sur le réseau du Midi.

C’est bien le réseau du Midi qui développe ce type de locomotive pour son réseau 1 500 v continu en 1922. Véritable « bonne à tout faire », locomotive légère, simple, offrant une modeste puissance avec 4 moteurs fonctionnant à pleine tension et de conception rustique, cette locomotive peut remorquer des trains de marchandises de 200 t à 50 km/h entre Pau et Tarbes. Le réseau du Midi fait de la BB la locomotive type des réseaux français, et l’ensemble du parc SNCF d’aujourd’hui, y compris les machines de vitesse, a conservé cette disposition d’essieux.

Magnifique pièce de collection: la BB Midi de la Cité du Train et du Patrimoine SNCF à Mulhouse.

Le bogie moteur à ses débuts.

Simple élément directeur et porteur pour les locomotives électriques type 2D2 et inspiré, à ce titre, des bogies avant de locomotives à vapeur, le bogie ne devient un véritable organe de locomotive électrique qu’avec les BB de conception Midi et PO, c’est-à-dire des machines lentes et vouées à un service mixte ou marchandises ne posant guère des conditions draconiennes de stabilité ou de qualité de suspension. Les puissances et des poids sont modestes : les BB Midi de l’époque disposent de 1 300 kW à 52 km/h et pèsent un peu plus de 80 tonnes seulement, et sont limitées à 90 ou 100 km/h en service. Les locomotives de l’époque se contentent de bogies dont la conception n’est pas loin de s’apparenter au bogie de tramway, avec le moteur non suspendu, ou, plutôt, «suspendu par le nez» et faisant, à ce titre, partie intégrante de l’essieu et comptant partiellement dans les masses non suspendues puisque se débattant avec lui.

Les 2C2 et 2D2 du Midi : pionnières de la locomotive électrique de vitesse en France ?

Ces locomotives sont à l’apogée de la conception Midi en matière de locomotives électriques de vitesse, et ce réseau, très novateur, véritable pionnier de la traction électrique en France, les met en service dans les années qui précèdent sa fusion avec le Chemin de fer de Paris à Orléans. Elles vivront, désormais, à l’ombre des 2D2 du PO, sans nul doute plus performantes et plus réussies.

Le réseau du Midi est un véritable et authentique pionnier de la traction électrique en France, et l’ensemble des locomotives type BB de la SNCF, même aujourd’hui toujours, est une descendance de la BB Midi des années 1920.  Lorsque la SNCF est créée, elle hérite d’un réseau de lignes électrifiées atteignant 3 340 km en 1938, mais assurant environ 20% du trafic national. Ce pourcentage reste assuré jusqu’en 1943, puis il est augmenté inéluctablement après la guerre, marquant le triomphe définitif de la traction électrique sur la traction vapeur.

La référence Midi est très forte dans les milieux des ingénieurs électriciens de la SNCF: ce réseau,  pionnier de la traction électrique dès 1911 et apportant 3 028 km électrifiés à la SNCF en 1938, marque de la doctrine Midi  les politiques de traction SNCF en matière de marchandises ou de trains mixtes et lègue à la SNCF un fort parc de BB de 800 à 1 470 kW selon les types et les époques de construction. De la remorque modeste de trains de marchandises de 200 tonnes à 50 km/h entre Tarbes et Pau lors des débuts, à celle de trains de voyageurs de 400 ou 500 tonnes à 105 km/h , les progrès ont été évidents, mais ne sortent pas vraiment la traction électrique de son second rôle derrière la vapeur sur ce terrain.Par contre les exploits des 2D2, après une période d’essais et de comparaisons de divers types de transmission et de moteurs, donnent aux machines de type Suisse avec transmission Büchli le statut de locomotive électrique de vitesse officielle et par excellence, roulant désormais à 120/140 km/h en tête de trains lourds de plus de 700 tonnes sur les réseaux du Paris-Orléans ou de l’Etat. Les 2D2 du Midi termineront leur carrière à l’ombre de celles du  Paris-Orléans… Cette nouvelle traction électrique  est  l’oeuvre d’Hippolyte Parodi qui réalise les grandes électrifications du Paris-Orléans  et l’interconnexion électrique entre les centrales du Sud-Ouest et la région Parisienne, et la conception Parodi domine nettement les politiques de traction de la SNCF de l’époque.

Les locomotives du type 2C2 ou E-3101 à 3110.

Pendant les années 1920, le réseau du Midi électrifie ses lignes de Toulouse à Montréjeau, de Peu à Dax et de Bordeaux à Hendaye. Mais pour la remorque des trains rapides circulant sur ces itinéraires importants, il faut des locomotives électriques pouvant dépasser notablement la vitesse de 90km/h, limite des machines du type BB utilisées jusque là par le réseau du Midi pour l’ensemble de ses trains en traction électrique.

Il ne suffit pas de poser des moteurs puissants sur châssis : il reste surtout le problème de la transmission dans les machines à grande vitesse qui préoccupe de nombreux ingénieurs de l’époque, car en fait, il n’existait guère que la transmission à bielles qui donnent lieu à des vibrations et à des phénomènes oscillatoires dans certaines zones de vitesses, ces phénomènes pouvant avoir des conséquences néfastes pour la tenue et l’entretien de divers organes. Par ailleurs, les machines à transmission directe dite « gearless » ont également des inconvénients, surtout au point de vue électrique en raison du grand entrefer à donner aux moteurs de traction.

Le Midi reste partisan de la transmission par engrenages, en dépit des problèmes de fragilité de ces derniers, et pense à une solution originale en ce qui concerne les nouvelles machines E. 3101.

Des moteurs à la verticale.

L’idée des ingénieurs de la firme Les Constructions Electriques de France (CEF) de Tarbes, aujourd’hui intégrée à GEC-Alsthom, est de disposer les moteurs verticalement, au-dessus du châssis. Tournant comme des toupies,  ces moteurs agissent comme des gyroscopes favorisant une bonne stabilité. Mais aussi cette disposition limite moins la place pour les moteurs, et facilite la visite et l’entretien. Les deux premières machines E. 3101 et 3102 sont mises en service en 1923, et réutilisent divers éléments comme le châssis, la caisse, et les bogies construits pour des locomotives monophasées commandées en 1913. Les locomotives suivantes, les 3103 à 3110, sont construites en 1927-28.

La caisse est divisée en cinq compartiments, les compartiments extrêmes comprenant l’un la cabine de conduite, l’appareillage électrique et le compartiment central abritant les moteurs de traction verticaux. La position des moteurs à la verticale oblige à prévoir des engrenages à denture conique recevant les pignons d’extrémité des arbres des moteurs. La couronne dentée de chaque essieu moteur, entièrement libre, permet à l’essieu de se déplacer en tous sens par rapport à l’arbre creux et les moteurs ne subissent pas les chocs se produisant entre les roues et le rail. Les bogies porteurs à châssis intérieurs ont des freins, et sont identiques à ceux des locomotives à vapeur mais avec un empattement réduit de 2,30 m à 2 m et des corps de roues renforcés.

Les trois moteurs à la verticale sur une 2C2 Midi : le problème était que le poids des moteurs venait à bout des engrenages coniques à 45° assurant tant bien que mal la transmission.

La partie électrique des 2C2.

Les moteurs de traction, à deux induits tournant en sens inverse dans la même carcasse, fonctionnent sous 500V par induit et ils sont connectés par trois en série, leur puissance unihoraire étant de 350 ch et leur puissance continue de 250 ch. Le graissage des paliers des moteurs et des engrenages est assuré au moyen d’une circulation d’huile sous pression, grâce à une pompe à palette actionnée par un moteur électrique à 120 V. La ventilation forcée des moteurs de traction s’effectuait par deux ventilateurs actionnés par des moteurs électriques à 1 500 V.

Ces machines comportent trois pantographes du type normal de la Compagnie du Midi, élevés par des ressorts et abaissés par l’air comprimé. Le pantographe central sera démonté ultérieurement, les deux extrêmes étant suffisants. Les deux groupes de trois moteurs en série peuvent être couplés soit en série, soit en parallèle avec, pour les deux couplages, trois crans de shuntage.

Les performances et la carrière des 2C2.

Ces locomotives ont une stabilité excellente à grande vitesse, et elles sont performantes. Ces machines sont affectées aux dépôts de Tarbes et de Bordeaux-Saint-Jean et sont placées en tête des trains rapides, express et messageries sur les lignes de Bordeaux à lrun, à Pointe-de-Grave, de Puyôo à Dax et de Puyôo à Tarbes et Toulouse. Lors de l’inauguration officielle de la section électrifiée de Bordeaux à Irun, la machine E-3103 effectue en 1 h 45 mn les 198 km de Bayonne à Bordeaux, soit à la vitesse moyenne de 113 km/h. La vitesse de 120-125 km/h a été soutenue en particulier sur la presque totalité du parcours de Labouheyre à Bordeaux et la vitesse maximum a été de 128 km/h.

Mais elles souffrent d’une puissance et une adhérence insuffisantes, mais leur plus grand défaut est bien posé par le problème de la lubrification des moteurs verticaux. Malgré le soin apporté à la lubrification des paliers supérieurs des arbres d’induits, une étanchéité totale s’avère impossible à obtenir et des suintements d’huile se produisent par gravité dans l’entrefer des moteurs. Cette huile en excès provoque des incidents, ceci indépendamment des difficultés du réglage correct des engrenages et du décalage relatif des induits.

La E-3101 Midi, première de la série.

L’apparition des 2D2 Midi.

Etudiées elles aussi par le réseau du Midi et la célèbre firme des Constructions Electriques de France de Tarbes, les 2D2 Midi doivent remplacer les 2C2 qui ont une puissance et une adhérence devenues insuffisantes en face de l’accroissement du poids des trains. Avec quatre essieux, des roues motrices de 1 750 mm, et des moteurs entièrement suspendus, la nouvelle locomotive promet.

Sa puissance totale est de 3 200 ch. en régime unihoraire, et peut atteindre 3 900 ch. à 107 km/h. Les quatre moteurs de traction ont deux induits par carcasse, peuvent être couplés en série, série parallèle et parallèle. La manette principale comporte 35 crans: 14 en série, 9 en série parallèle, et 10 en parallèle. Ces crans de marche sont obtenus par élimination de résistances.

La transmission se fait par accouplements élastiques CEF (locomotives 4801 à 4806) puis AEG Kleinow pour les suivantes. La couronne dentée comprend 111 dents et le pignon du moteur 32, le tout sous carter fixe et étanche.

Ces locomotives donnent satisfaction…. sauf aux ingénieurs de la voie ! Elles sont puissantes, remorquant facilement des trains de 800 t à une moyenne de 100 km/h, atteignant 146 km/h lors d’essais, roulant à 120 ou 130 km/h en service courant. Mais elles fatiguent les voies, du fait de mouvements parasites, et, en dépit du montage d’amortisseurs, elles sont limitées à 100 km/h, laissant alors le premier rôle aux 2D2 du PO. Elles terminent leur carrière durant les années 1960.

Locomotive 2D2 Midi.

Un réseau du « Grand Sud » ?

A sa création, en 1938, la SNCF a d’autres tâches à affronter, celui du redressement des chemins de fer français alors en pleine crise, et, de plein pied elle entre dans la Seconde Guerre mondiale… Toute l’action bénéfique de la SNCF se trouve donc retardée d’une décennie, et, en dépit d’un sigle unique, la culture des anciens réseaux et le morcellement du territoire continue a faire valoir leurs différences. Dans la mesure où le TGV a renouvelé le chemin de fer en France, redistribué les cartes, on peut penser qu’avec la création de relations de province à province, déjà réussie dans la partie nord ou ouest de la France avec Lille-Lyon ou Lyon-Rennes, pourra donner des résultats dans le sud avec des relations  centrées sur un axe Nice-Marseille-Montpellier-Toulouse-Bordeaux. Le réseau du « Grand sud » naîtra-t-il un jour ?

Un monument Midi qui renoue, grâce au TGV, avec le succès: la gare de Bordeaux-St-Jean, vue vers 1910.
Un autre monument Midi, la gare de Toulouse-Matabiau (vue vers 1920) qui retrouvera, avec une LGV, son rôle central au cœur du futur et possible réseau Grand Sud.

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