Ce grand, passionnant, et magnifique continent aurait pu être un des plus riches du monde, un véritable “leader” actuel si un grand réseau international, en voie normale à l’écartement standard ne lui avait pas été réfusé par des puissances coloniales avides de frontières et de sous-développement pour mieux en piller, chacun chez soi, les richesses.
De façon générale, deux motivations ont déterminé la construction des premiers chemins de fer en Afrique : la nécessité d’asseoir la domination militaire de la métropole conquérante, et la mise en valeur d’exploitations minières. Les lignes agricoles ne sont venues qu’ensuite. En Afrique du Nord, la création du réseau algérien est un corollaire de l’occupation française comme aussi les lignes que l’on pousse vers le désert. Il en est de même pour la première ligne tunisienne et pour tout le réseau marocain; mais les richesses du sous-sol les ont fait compléter, qu’il s’agisse des phosphates en Tunisie ou du fer au Maroc. Tous les chemins de fer de l’Afrique occidentale sont des lignes de pénétration, comme les nombreuses expéditions militaires qu’il a fallu entreprendre pour les défendre. Le développement de l’important réseau de chemins de fer de l’Afrique du Sud peut se jalonner par les découvertes minières qu’on y a faites; d’abord, la ruée vers les champs diamantifères de Kimberley, puis la compétition pour s’assurer le trafic des mines d’or du Witwatersrand. Plus tard, on découvre le charbon de Wankie en deçà du Niger, suivi des richesses minières de Broken Hill, au delà. Enfin, les chemins de fer de l’Afrique Orientale sont des lignes nettement impériales, et les colonies italiennes du nord et du nord-est africain ne sont, à vrai dire, que des chemins de fer d’occupation.
Les deux grandes guerres anglo-africaines sont des guerres de chemins de fer elles aussi. Celle des Boers suit l’encerclement ferré de leurs Républiques et la guerre Mahdiste entraîne la création du réseau Soudanais. Et depuis lors, on étend les chemins de fer pour servir aux intérêts agricoles. La France construit des « lignes d’alfa » en Algérie, des lignes d’arachides et de palmeraies en Afrique occidentale. L’Angleterre développe ses chemins de fer cotonniers en Egypte, au Soudan et dans l’Uganda; ses lignes de maïs et d’élevage en Afrique Australe, ses lignes sucrières dans l’île Maurice. Il y a donc en Afrique tout un ensemble suivi de motivations donnant, ici et là, toujours le même type de chemin de fer qui finit par caractériser le continent entier. Mais certaines régions de l’intérieur sont des lieux de conflit entre nations colonisatrices qui se disputent de vastes possibilités économiques et construisent, dans une compétition fiévreuse et âpre, des lignes d’accès concurrentes. Ces régions d’abord sont celles de Kimberley et de Johannesburg, fait qui a surtout suscité des compétitions entre les ports relativement voisins du Cap, de Port Elisabeth, d’East London (Cape Colony), de Durban (Natal) et aussi de Lourenço-Marquez (Mozambique). Aussi les complications internationales accompagnent-elles les rivalités commerciales. La région du Tchad, elle aussi, est dans l’enjeu. A la veille de la Première Guerre mondiale, elle est un véritable terrain de chasse avec l’Allemagne qui veut y accéder par le Cameroun, la France par le Gabon et le Chari, et le Royaume-Uni qui pense l’atteindre la première par ses chemins de fer du Nigéria. En troisième lieu, l’Abyssinie est également une région convoitée, desservie par la ligne d’Addis Abeba de construction française[1], mais que la ligne italienne en 950 mm de l’Erythrée vise aussi. Le Royaume-Uni grignote la frontière occidentale, où elle accède déjà autant par la ligne de Kassala que par la voie fluviale du Nil bleu, et par le Sobat et son affluent le Bara. En quatrième lieu, il reste le Katanga, point très convoité par l’importance de ses gisements miniers : le Katanga a suscité, pour le desservir, des compétitions internationales entre la Belgique, l’Angola, la Rhodésie et les Colonies de l’Afrique orientale, ceci dans l’empire de la voie de 1067 mm.

Une histoire complexe dite en peu de mots, et en deux mouvements.
Sur le plan chronologique, le premier stade ferroviaire africain est, n’hésitons pas à le dire, celui des réseaux coloniaux, c’est-à-dire des lignes construites par des puissances occupantes et servant leurs propres intérêts d’une part, et, d’autre part, représentant malgré cela un réel investissement durable et de qualité qui a été (et aurait pu l’être encore) un véritable outil de développement économique. Car la qualité était là, présente dans les infrastructures et le matériel roulant, souvent apportée par des ingénieurs généreux et enthousiastes, souvent visionnaires, avec un souci de faire mieux qu’en métropole et de ne pas renouveler les erreurs commises jusque-là au Royaume-Uni, en France, en Allemagne, au Portugal et autres pays colonisateurs.
La deuxième grande époque du chemin de fer africain est celle de l’indépendance commencée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les lignes existantes, laissées par les empires coloniaux, sont prolongées ou modifiées pour réunir des zones tribales entre elles et former l’outil économique des nouveaux pays. Certaines lignes nouvelles sont remarquables, comme le Transgabonais long de 700 km, ou le Tanzam reliant la Zambie à la Tanzanie sur 1.800 km. D’autres parties étendues de l’Afrique, comme la Lybie, ont tout perdu et n’ont plus aucun réseau ferré, après avoir connu un embryon de réseau en écartement de 950 mm construit par les Italiens: il ne reste rien des quelques réseaux militaires à voie étroite qui y furent construits au début du siècle, sauf, pour un temps encore, en Sierra-Leone ou au Nigeria avec des réseaux en voie de 762 mm, ou d’autres réseaux dans cette pauvre et rudimentaire voie de 600 ou 610 mm[2] que l’on retrouve dans des exploitations forestières ou minières mais aussi sur de longues distances comme au Congo, au Maroc.
Les Britanniques sont ceux qui ont construit le plus grand kilométrage de voies dans une partie du continent comprenant le sud, le sud-est, et l’est (voie de 1067 mm dite « métrique du Cap ») et en Egypte (voie normale de 1435 mm). Les Français ont construit des lignes en Afrique du Nord (voie normale et métrique), en Afrique occidentale et équatoriale, et en Ethiopie (voie métrique). Les Allemands ont construit des lignes à l’est et au Cameroun (voie métrique). Les Belges équipent leur colonie du Congo de lignes en voie de 1067 mm, avec l’espoir de se connecter au réseau établi par les Britanniques. Les Portugais, rêvant d’un transafricain d’ouest en est reliant leurs colonies, ont construit quelques lignes en voie de 1067 mm sans lien entre elles en Angola, au Mozambique, ne formant pas un réseau cohérent et non intégré au grand réseau britannique existant déjà en voie de 1067 mm. Les Italiens, pendant un très bref rêve colonial ont construit des lignes en Lybie, en Erythrée, en Somalie, installant une inexplicable voie de 950 mm dont, pour le moins, on était certain qu’elle ne se raccorderait à rien d’existant – ce qui, peut-être, était le but recherché: empêcher tout développement africain international et à l’échelle du continent.



Dix systèmes ferroviaires au lieu d’un pour toute l’Afrique: la ruine par le morcellement.
Ainsi, du fait de cette période d’un « chacun pour soi » colonialiste[3], il est possible de distinguer une dizaine de systèmes ferroviaires différents sur le sol africain, si l’on tient compte des écartements, des normes de roulement, d’attelage, de freinage, etc. Les Français comme les Britanniques ont su, opportunément, adopter pour les grands réseaux d’Afrique du Nord, comme ceux d’ Egypte, de Tunisie, d’Algérie et du Maroc la voie de 1435 mm, dite voie normale ou standard, qui est celui de la voie normale en Europe, et apportant ainsi, avec eux, ce qui était le meilleur dans leurs métropoles respectives, et construisant des réseaux ferrés viables et actifs. Malheureusement, après avoir débuté par cette même voie en Afrique du Sud, les ingénieurs britanniques se sont ralliés à la voie étroite de 1067 mm qui est devenue celle de tout le subcontinent,
De leur coté les ingénieurs français ont complété les réseaux en voie normale avec de la voie métrique. Ainsi il existe, dans les années 1930, quelques 28 000 kilomètres de lignes posées posées en voie de 1067 mm, tant dans l’Union Sud-Africaine, qu’au Mozambique, dans l’Angola, au Congo Belge et dans le Nyassaland. La plupart des autres colonies anglaises comme la Côte de l’Or et le Soudan Anglo-égyptien d’autre l’emploient également. Ailleurs, et en perpétuant la même erreur d’imposer un écartement différent du 1435 mm, on a généralement utilisé la vraie voie métrique de 1000 mm, ceci dans les colonies françaises, dans les anciennes colonies allemandes, et même des colonies anglaises d’Afrique orientale comme le Kenya, l’Uganda et le Tanganyika. On retrouve cette même voie en Tunisie et en Algérie où elle fait double emploi avec celle de 1050 mm ainsi que pour certaines lignes du Congo Belge, et des colonies italiennes et portugaises.



Enfin, même des écartements plus étroits se sont montrés utiles en Afrique. Le premier réseau du Sud-Ouest Allemand ainsi que celui du Maroc sont construits en voie de 60, tout comme pour les lignes agricoles en Afrique du Sud. On retrouve la voie de 60 dans la République Démocratique du Congo. La voie de 762 mm sert au premier chemin de fer du Congo, sur le réseau de Sierra Leone et pour la plupart des chemins de fer secondaires d’Egypte. Mais nombreux sont les réseaux africains qui ont dû procéder à des réfections coûteuses en voie de 1067 mm peu d’années après l’ouverture au trafic de leurs lignes.
Rançon d’une politique du moindre coût pour les colonies, il y a peu de tunnels, d’où des rampes excessives qu’il a fallu ensuite modifier en créant des itinéraires de contournement. Des rampes de 30 pour mille sont fréquentes, et certaines lignes en ont parfois de plus sévères encore, pour atteindre des altitudes élevées comme 1683 mètres au Natal ou 2865 mètres dans le Kenya. Ces lignes au profil sévère ne peuvent que tomber dans la spirale infernale du débit médiocre, de la lenteur des trains, d’un service de qualité aléatoire qui décourage les investisseurs et les clients, et qui se termine inévitablement par une situation anémique quand ce n’est pas, carrément, l’agonie et la mort des lignes et des réseaux.
Cet ensemble hétéroclite, certainement, ne permettra jamais la constitution d’un grand réseau d’intérêt africain, à l’échelle du continent. Si une majeure partie de l’Europe, si les Etats-Unis, si la Russie, et tant d’autres grands ensembles mondiaux ont bien eu un réseau unifié et cohérent (centralisé ou non) qui a servi à leur développement, la mosaïque de ces réseaux coloniaux africains, tous disparates et différents, et non reliés entre eux, ne peut pas susciter le développement économique du continent entier.

Les difficultés qui attendent des colons enthousiastes.
Il est vrai que l’Afrique de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle est qualifiée comme étant le dernier continent à « s’ouvrir à la civilisation », selon les termes d’époque. Le pays étant relativement peu peuplé, on y emploie tous les moyens de transport en combinant les voies ferrées, les voies fluviales et depuis les années 1920, les services automobiles. Les rapports des ingénieurs chargés de construire des lignes de chemin de fer[4], tout comme des administrateurs des colonies, s’accordent à dire que, à peu près partout en Afrique, on se heurte aux mêmes difficultés : une main-d’œuvre insuffisante par le nombre et par le manque de formation, mais aussi des maladies dues au climat et aux piqures d’insectes, une pénurie ou une surabondance d’eau. En y ajoutant ici l’aridité du désert, les forêts tropicales impénétrables, les versants abrupts des montagnes ou des plateaux, on comprend la difficulté de la construction des chemins de fer africains. Enfin, les puissances européennes se sont partagées l’Afrique et chaque colonie constitue une entité qu’elles cherchent jalousement à développer sans se préoccuper d’une jonction avec les territoires voisins, ce qui entraîne un morcellement de l’outil ferroviaire africain.
Et malgré tout cela, l’Afrique possède des chemins de fer, beaucoup de chemins de fer, et tous sont attachants et passionnants, comme le montre, aujourd’hui toujours, l’engouement qu’ils suscitent auprès de millions de globe-trotters et d’amateurs de chemins de fer. A la fin des années 1920, l’Afrique totalise 70,000 kilomètres de lignes, mais c’est encore dérisoire comparativement à l’étendue du continent et ses chemins de fer s’écartent peu des côtes. Ils ne s’étendent que jusqu’à 1200 ou 1500 kilomètres tout au plus à l’intérieur des terres. De vastes territoires centraux restent à l’écart.
Avec le temps, les lignes de pénétration sont poussées un peu plus en avant, amorçant difficilement un effet de retour sous la forme d’une économie devenue suffisamment développée, comme l’Afrique du Nord française et l’Afrique Australe, où les chemins de fer y constituent déjà des réseaux importants. Seules deux lignes sont plus étendues et à la fin des années 1920 déjà, prennent une dimension continentale et pénètrent au cœur de l’Afrique : la première se dirige du Cap vers le nord jusqu’à l’intérieur du Congo Belge jusqu’à Port Franqui; la seconde est la voie ferrée et fluviale qui, partant d’Alexandrie en Egypte, atteint là partie septentrionale du Congo, en remontant la vallée du Nil. L’échec de leur fusion pour constituer la mythique ligne du Cap au Caire, jamais terminée mais réalisée aux deux tiers par une mise bout à bout de réseaux aux écartements incompatibles, voilà qui reste comme un signe du destin et un avertissement concernant le sort ferroviaire de cet immense continent.
Et pourtant, avec Bernard de Fontgalland, on peut se poser la question du sens et de l’utilité d’un changement d’écartement dans l’immense ensemble en voie de 1067 mm occupant le tiers sud du continent africain, avec un total de 22.000 km : « C’est le réseau le plus important d’Afrique et il se classe, techniquement et opérationnellement, parmi les plus modernes du monde. Il présente un des témoignages les plus convaincants des possibilités de la voie métrique aussi bien pour les voyageurs (liaisons intervilles, banlieue, luxueux Train bleu, circulation récente et lors d’essais à 245 km/h lors d’essais) que pour les marchandises (trains de minerai de fer dépassant 20.000 tonnes brutes sur la ligne Sishen-Saldanha Bay électrifiée en monophasé 60kV) »[5] Cette remarque est totalement exacte, mais c’est, à notre avis, justement l’immensité des réseaux qui crée l’ampleur des problèmes posés par l’incohérence des écartements, et des pertes de temps et d’argent. Comme pour le réseau russe, il importe, à l’échelle mondiale, que le réseau sud-africain entre dans un processus de normalisation en voie de 1435 mm, ligne par ligne, voie par voie, même s’il faut plusieurs décennies pour y parvenir. Le continent africain, tout comme le continent asiatique, mérite un tel travail : les conséquences de la situation actuelle sont trop importantes, trop nocives, surtout pour des continents dont la population se compte en milliards d’habitants et est en croissance très forte.
Un examen de la situation africaine actuelle : trois écartements, trois mondes.
Si l’on observe successivement, pour diverses époques, des cartes ferroviaires de l’Afrique, on voit que cela a mené à trois grands systèmes africains transversaux est-ouest actuels : un système majoritairement en voie de 1435 mm au nord du continent comprenant le Maghreb et l’Egypte et dont les écartements de 1000 ou 1050 mm ont disparu aujourd’hui, un système majoritairement en voie de 1000 mm au centre du continent comprenant l’Afrique Occidentale et l’Afrique Equatoriale françaises, mais aussi le Kenya et l’Uganda et les anciennes possessions allemandes et Madagascar, tous ces écartements étant actifs actuellement, et, enfin, occupant une partie du centre et l’ensemble du sud du continent, un vaste système majoritairement en voie de 1067 mm toujours très actif, comprenant le Congo, les anciennes possessions portugaises, l’immense réseau de la a République d’Afrique du Sud et aussi une résurgence isolée dans le Soudan.
Ce sont trois Afriques différentes, fortement déterminées par leur écartement qui est, lui, une résultante d’un choix géopolitique colonial. Dans ces trois ensembles se sont glissées, d’une manière aléatoire et sans durée jusqu’à l’époque actuelle, des écartements en voie de 762 mm, 610 mm ou 600 mm qui ont été des réseaux à vocation militaire ou minière, mais dont certains pays comme le Nigéria ou le Sierra-Leone ont du se contenter, ou bien, aussi, dans le système en voie de 1000 mm, on trouvera des pénétrations en 1067 mm (Soudan) ou en voie coloniale italienne de 950 mm (Lybie, Erythrée, Somalie, etc).
Nous allons faire notre tour de l’Afrique en examinant ces trois grands systèmes, en commençant par celui du nord, et en terminant par celui du Sud.


Le 1435 mm en Afrique du Nord: des lignes de conquête aux lignes de mise en valeur.
La France de la fin du XIXe siècle rêve, pour ses possessions africaines, d’un réseau de chemins de fer qui soit de grande ampleur et très avancé techniquement. Cette soif de marchés nouveaux, de matières premières nouvelles, d’activités nouvelles atteint alors son paroxysme et cette civilisation livrée à cette surchauffe économique ne pourra trouver son équilibre que dans les crises et les guerres qui sont imminentes.
Le réseau algérien, un chef d’œuvre.
Construit à partir de 1858 avec l’ouverture de la ligne d’Alger à Blida, le réseau algérien forme un ensemble cohérent et très performant, et il est raccordé à ses voisins, du Maroc et de la Tunisie. Il donne à l’Afrique du Nord un réseau tout aussi dense et efficace que celui de l’Afrique du Sud, et assure, de la même manière, un développement économique exemplaire. Le décret du 8 avril 1857 fixe les bases du futur réseau algérien qui est, à l’époque et sous le Second Empire, un réseau d’abord militaire et de conquête. Celui-ci devait comprendre une ligne principale de Constantine à Alger et Oran, et six embranchements dont cinq devaient unir des points appropriés de la ligne principale aux ports de Bône, de Philippeville, de Bougie, de Ténès et d’Arzew, et dont le sixième constituait plutôt un prolongement occidental de la ligne principale jusqu’à Tlemcen. L’écartement en voie normale de 1435 mm est fort bien choisi, sans suivre l’exemple du Royaume-Uni ou de l’Allemagne qui doteront l’Afrique centrale ou du sud de voies étroites, et le total prévu comprend 1512 kilomètres.
Afin de gagner du temps, les autorités militaires entament les travaux entre Alger et Blida, mais ceux-ci sont bientôt arrêtés, car le statut de l’Algérie est en train de changer : il ne s’agit plus d’un territoire conquis mais d’un pays dont les possibilités de développement sont telles qu’il faut revoir, pense-t-on, sa planification. Sur le plan purement ferroviaire cette interruption est extrêmement regrettable, car elle donne aux intérêts privés le temps de se manifester. On abandonne le plan d’ensemble cohérent et l’on entame la réalisation d’une série de chemins de fer séparés et sans cohésion y compris dans leur écartements, chacun liés à des intérêts divergents.
Une majeure partie des lignes sont concédées à la Compagnie des Chemins de fer Algériens. Mais cette dernière ne peut les réaliser convenablement et les cède, en mai 1863, à la Compagnie française du Paris, Lyon et Méditerranée. Le P.L.M. obtient en outre la concession d’un prolongement de Blida à St-Denis-du-Sig long de 319 km., afin de combler un aberrant hiatus existant sur la ligne d’Alger à Oran. La ligne de Philippeville a été inaugurée en 1870 et constitue l’amorce du réseau moderne dont le pays a besoin.
Ainsi le réseau algérien du P.L.M. est composé de deux sections séparées, l’une centrée sur Alger et l’autre sur Constantine, et le gouvernement ne fait rien pour faire établir une liaison entre elles. Le décret du 20 avril 1874 provoque la constitution de compagnie Franco-Algérienne et prépare … la confusion. Dans le but louable de desservir le l’arrière-pays oranais, elle construit un chemin de fer à voie dans l’incroyable écartement de 1050 mm, dont la justification reste un mystère complet : on n’écarte même pas l’hypothèse d’une erreur de mesure[6] ! Cette ligne part du port d’Arzew, un peu à l’est d’Oran, un port qui dans le plan primitif devait être desservi par un simple embranchement. Elle se dirige vers l’intérieur jusqu’à Saïda sur 171 km., et un prolongement éventuel est prévu jusque Géryville. Une concession exclusive de culture d’alfa sur une vaste région protégée est mise en place dans le même mouvement.
Cette ligne, ouverte au trafic en 1879, consacre une double faute, selon les rapports de l’époque : on emploie inutilement un écartement nouveau et l’on introduit une nouvelle compagnie dans la zone du P.L.M., alors qu’il restait tant à faire ailleurs. Ainsi cette ligne devait constituer le tronc du futur réseau oranais de l’Etat, et elle sera prolongée jusqu’au célèbre terminus de Colomb-Béchar. En même temps, trois autres compagnies entreprennent des constructions de chemins de fer en Algérie. La Société des Batignolles, dont on retrouve le nom à l’origine de nombreux chemins de fer coloniaux et qui contribue, dans une large mesure, au développement des colonies françaises, obtient une concession départementale, plus tard validée par l’Etat le 7 mai 1874, et qui est, sur le terrain, un tronçon du projet primitif de ligne de Bône à Guelma, longue de 88 km.
Une Compagnie spéciale, le Bône-Guelma est formée pour la mettre en valeur, et ce chemin de fer à voie normale est inauguré en 1877. La Compagnie obtient la concession de divers prolongements le 26 mars 1877, ceci vers l’ouest de façon à atteindre Constantine, et vers l’est jusqu’à la frontière tunisienne.
La Compagnie de l’Ouest-Algérien reprend, en 1874, la concession accordée à MM. Saignette et Cie et ouvre, en 1877, une ligne de 51 kilomètres entre Sainte-Barbe-du-Télat et Sidi-Bel-Abbès. A l’époque ceci ne constitue qu’un petit embranchement à voie normale quittant la ligne du P.L.M. près d’Oran.
La Compagnie de l’Est-Algérien obtient le 15 décembre 1875 la concession de la ligne de Constantine à Sétif, longue de 151 km, et l’ouvre au trafic en 1879. C’est encore une portion de la ligne primitive de Constantine-Alger. De plus, à l’extrémité du côté d’Alger, la Compagnie reprend une concession départementale datant du 20 décembre 1877 et ouvre une ligne de Maison-Carrée à Alma en 1879. Elle obtient la concession d’un prolongement jusqu’à Ménerviille, avec 15 km., ouvert en 1881.
Ainsi la ligne principale du début est malheureusement morcelée entre une succession de compagnies différentes. L’ensemble du groupe oriental comprend 393 kilomètres ouverts au trafic et répartis entre trois compagnies exploitantes, et le groupe occidental comprend 671 kilomètres et répartis entre quatre compagnies. La loi du 18 juillet 1879 tente de mettre fin à ce désordre et de classer les lignes de façon plus rationnelle. Elle décrète la construction de 1747 kilomètres de nouveaux chemins de fer dont 1162 kilomètres sont effectivement construits jusqu’en 1892. De plus, 339 autres kilomètres sont ajoutés, et 146 kilomètres substitués à 171 kilomètres du plan de 1879.
On notera que la Compagnie de l’Est-Algérien ouvre un embranchement depuis les environs de Constantine jusqu’à Aïn Beida, sur 93 km., en 1889; et le prolonge jusqu’à Kenchela sur 54 km., en 1905. Mais elle a la malencontreuse l’idée de le construire en voie métrique, au lieu de reprendre la voie de 1050 mm des autres lignes environnantes déjà construites, ce qui introduit un troisième écartement dans le pays.
Le tout se fait sans méthode. Certaines de ces concessions sont adjugées à des compagnies existantes comme le Bône-Guelma, l’Est-Algérien et l’Ouest Algérien. Des prolongements sont concédés en 1903 et 1905 et le tout est ouvert à l’exploitation en 1910. Il s’agit essentiellement de lignes secondaires très analogues aux chemins de fer vicinaux de nombreuses départements de France, mais qui sont toutes posées en voie de 1050 mm d’écartement. L’Algérie, à l’époque, est toujours considérée comme un prolongement de la métropole sur l’autre rive de la Méditerranée, et apparaît, pour le P.L.M., comme étant le prolongement évident de son propre réseau. Le PLM construit les lignes de Philippeville à Constantine (noms d’époque) et d’Alger à Oran. Mais, durant les années 1880, la concurrence est très active entre les compagnies du P.L.M., de la Franco-Algérienne, du Bône-Guelma, de l’Ouest-Algérien et de l’Est Algérien. Les charges engendrées par cette concurrence absorbent les bénéfices et pèsent sur le budget de l’Etat qui, de 1900 à 1921, rachète toutes les concessions.

De 1904 à 1938 : l’âge d’or du réseau algérien.
La loi de 1904 libère le pays de la tutelle française en matière de chemins de fer, et l’Algérie réorganise son réseau en 1909 et en 1914. La loi de 1921 liquide la situation laissée par la Première Guerre mondiale avec une redistribution des cartes entre le P.L.M., avec 1287 km, et l’Etat Algérien, avec le regroupement de 3631 autres km. Le réseau algérien est alors modernisé avec des gares entièrement reconstruites comme c’est le cas à Tlemcen ou à Sidi-Bel-Abbès, et il est doté de grands ateliers neufs à Alger ou Sidi-Mabrouk, de grands dépôts comme à Oran, Sidi-Mabrouk, Souk-Ahras, etc…
Sur le réseau circulent notamment de gigantesques locomotives à vapeur du type Garratt 241+142 en voie étroite, ou 231+132 en voie normale, ces dernières demandant l’installation de gigantesques ponts tournants de 35 mètres, une dimension inconnue en France métropolitaine ! Le réseau voit ses premières électrifications en 1932 à partir des lignes minières aboutissant au port d’Annaba. Des très modernes voitures métalliques à bogies composent les nombreux trains du réseau et, pour 1936, par exemple, le réseau transporte 11 millions de voyageurs annuellement (contre 3,5 millions environ aujourd’hui).
A l’époque, en Algérie comme dans la métropole, les chemins de fer sont les victimes d’une très vive concurrence automobile qui écrème le trafic. Les autobus et les camions, en l’absence de toute réglementation, transportent les voyageurs et les marchandises sur les itinéraires les plus actifs, souvent dans de mauvaises conditions, mais à des tarifs plus réduits. Comme dans la France continentale, un décret de coordination est signé en 1938. Il a pour objet de fermer au trafic voyageurs des lignes secondaires, mais de fermer complètement des embranchements de faible importance, et de réglementer le métier de transporteur et de stabiliser la concurrence entre le rail et la route. Enfin, sur les grandes lignes restées en exploitation, d’importants travaux sont réalisés pour le dédoublement des sections les plus chargées de l’artère « impériale » Maroc – Algérie – Tunisie, avec l’achat d’un matériel nouveau rapide comme des locomotives diesel pour les voies normales et étroites, des voitures métalliques, des autorails; mais aussi avec une électrification de la ligne de l’Ouenza. Le 1er janvier 1939, les deux réseaux sont fusionnés, entièrement nationalisés, et leur exploitation confiée aux Chemins de fer Algériens (C.F.A.), dont l’Administration est placée sous l’autorité du Gouverneur général et est dotée de la personnalité civile et de l’autonomie financière.


De la Seconde Guerre mondiale à aujourd’hui.
Pendant la guerre, les chemins de fer algériens rendent de nombreux services au cours des opérations en Afrique du Nord et subit de sérieux dégâts. Depuis 1962 la Société Nationale des Transports Ferroviaires (SNTF) a repris la gestion du réseau et dépend de l’Etat algérien. Il est à noter qu’en 1957 l’embranchement de Touggourt est mis en voie normale pour l’exploitation du pétrole et la ligne du Djebel Orik, proche de la frontière tunisienne, a été électrifiée pour l’exploitation des phosphates. La décision de construire le Méditerranée-Niger (ou le Transsaharien) prise par le gouvernement Pétain en 1942, avec amorce à Oujda, a entraîné la construction d’une antenne à voie normale de 55 km., le long de la frontière du Maroc, reliant Oujda au port de Nemours, le plus occidental d’Algérie. Le Transsaharien est abandonné rapidement et n’atteindra jamais le Niger.
Actuellement le réseau comporte un important parc de 140 locomotives Diesel (construites, pour la plupart, dans les pays d’Europe de l’Est à l’époque du bloc communiste), 40 locomotives électriques, environ 300 voitures (dont un lot en acier inoxydable construites en France en 1951) et environ 10 000 wagons à marchandises. Le réseau est actif, et équilibre son budget, mais son trafic est, par rapport celui d’avant la Seconde Guerre mondiale et d’avant les années 1960, devenu très faible et ne répond pas aux besoins de l’ensemble du pays qui a misé sur la route et le pétrole, avec 36,22 millions de Voyageurs/Kilomètres, 1,011 millions de Tonnes/Kilomètres et une extension de 3800 km.

Le réseau tunisien.
On voit souvent, et à tort, dans le réseau tunisien un prolongement de celui de l’Algérie, mais il pourrait être beaucoup plus que cela s’il se créait un grand réseau bordant la Méditerranée et s’ouvrant sur la Lybie et l’Egypte. De nombreuses raisons politiques et sociales ont empêché ce développement. Les premières lignes tunisiennes, ouvertes en 1874, sont celles à voie normale reliant Tunis au Bardo et Tunis à La Marsa, longues de seulement 4 km et 18 km, concédées en 1876, après de multiples discussions, à la Compagnie italienne Rubattino. Après ce début modeste, les inaugurations vont croissant, et en 1877, par exemple, c’est la construction de la grande transversale en direction de l’Algérie. En 1882 c’est l’ouverture de la ligne de Hammam-Lif, vite fermée en 1897 pour cause de non rentabilité, et reconstruite en voie métrique peu après ! En 1896 c’est la grande ligne à voie métrique en direction de Sousse, et, en 1912, cette ligne se ramifie pour former un véritable réseau desservant le sud tunisien et transportant notamment les célèbres phosphates.
C’est aussi l’époque du grand projet de ligne à voie normale Sfax-Tripoli (en Lybie) qui aurait fait partie d’une grande ligne longeant le sud de la Méditerranée, reliant le Maroc à l’Egypte. Cette ligne n’existera jamais, et seul le tronçon Casablanca-Tunis peut se présenter comme étant sa réalisation partielle.
La Tunisie, pays de deux réseaux.
Il y a bien, dans les faits, deux réseaux en Tunisie. La section tunisienne de l’artère « impériale » reliant le Maroc à l’Algérie et à la Tunisie relie Constantine et Bône à Tunis. Sur cette ligne on trouve des embranchements en direction du nord et de Bizerte, et aussi en direction du sud et des mines de Nebeur. Cet ensemble forme le réseau en voie normale de la Tunisie. Le reste du réseau tunisien est en voie métrique, et la ligne en voie métrique la plus importante relie Tunis à Gabès par les ports de Sousse et de Sfax. De ces ports partent des antennes en direction de l’intérieur du pays, longues de 200 à 300 km, et desservant les régions agricoles du centre et les bassins miniers des hauts plateaux.
Le développement des chemins de fer tunisiens a été tardif, mais rapide : commencé peu avant 1880, le réseau atteint son extension définitive peu avant la Seconde Guerre mondiale. Avant 1880, il n’existe en Tunisie que trois antennes à voie normale partant de Tunis. La troisième est l’amorce de la grande ligne d’Algérie, concédée en 1876, entre Tunis et Souk-el-Arba sur une longueur de 56km, à la Société de Constructions des Batignolles.
Le premier groupe de lignes est rétrocédé en 1898 au Bône-Guelma. Ultérieurement, la ligne du Bardo est abandonnée, car elle fait double emploi avec la ligne d’Algérie, et, en 1905, les lignes de La Goulette et La Marsa sont électrifiées et transférées à la Compagnie des Tramways de Tunis.
En 1877, le Gouvernement tunisien concède au Bône-Guelma, qui succède à la Société des Batignolles et qui est déjà attributaire de lignes dans l’Est de l’Algérie, un lot de 200 km. de voies sur le territoire de la Régence. Cette concession prévoit le prolongement de la ligne de Souk-el-Arba jusqu’à la frontière algéro-tunisienne. En 1880, ce prolongement est terminé, mais la section algérienne n’est ouverte que quelques années plus tard.
En 1885, la Compagnie du Bône-Guelma présente un grand projet d’ensemble de desserte de la Tunisie et de l’Est de l’Algérie. Cet ensemble comprend la grande ligne, déjà terminée, de Constantine à Tunis par Duvivier, Souk-Ahras, et Ghardimaou, mais aussi la ligne de pénétration de Bône à Tebessa, plus deux antennes au nord de la rocade, aboutissant, l’une à Tabarka, l’autre à Bizerte. En outre, on prévoit une liaison de Tunis à Sfax tracée loin de la côte, par Zaghouan et Kairouan, plus une ligne centrale tunisienne de pénétration de Sousse à Kasserine, coupant la précédente à Kairouan. Enfin on prévoit le prolongement vers Kasserine, Feriana, Gafsa et Gabès de la ligne de pénétration de Bône à Tebessa.
Se conformant au programme présenté, le Bône-Guelma ouvre dès 1885 une courte ligne de banlieue entre Tunis et Hammam-Lif sur 17 km, qui constitue la première amorce de la ligne côtière du Sud, puis l’embranchement du Pont-de-Trajan, sur la ligne d’Algérie, jusqu’à Béja sur 13 km.
Après une interruption de quelques années, due à des discussions au sujet des contrats à passer entre le concessionnaire et le Gouvernement pour les nouvelles lignes à construire, on entre dans la période des réalisations actives en 1894, avec l’ouverture de l’embranchement de Djedeïda à Bizerte. De 1895 à 1899, le Bône-Guelma ouvre successivement la ligne du Sud entre Tunis et Sousse sur 149 km, avec des embranchements vers Menzel-Bou-Zelfa, Nabeul, Kairouan et Moknine, et puis la première amorce du grand axe minier entre Tunis et Pont-du-Fahs sur 63 km, avec embranchement sur Zaghouan; et enfin le tramway du Momag entre Tunis et Creteville sur 21 km. Ce groupe de lignes, à voie métrique, a une longueur totale de 243 km.
En 1896 la Compagnie des Phosphates de Gafsa exploite les gisements de la région de Metlaoui, avec obligation de construire la ligne de Sfax. Cette ligne est construite à l’aide d’engins poseurs importés des Etats-Unis et l’avancement atteint 1.500 m. par jour. Les 243 km. de la ligne sont terminés en dix-huit mois : toute la ligne, traverses comprises, est en acier.
Le réseau tunisien au début du XXe siècle.
En 1900, le réseau de la Tunisie totalise 927 km., mais si Tunis est reliée à Sousse, il existe une lacune entre Sousse et Sfax jusqu’en 1912. Pendant la décade 1900-1910, poursuivant régulièrement l’exécution du programme primitif et de ses compléments ultérieurs, le Bône-Guelma entreprend la construction des antennes de Tabarha et de Nabeul, prolonge le Tramway du Momag jusqu’à La Laverie à 28 km de Tunis, et l’embranchement du cap Afrique jusqu’à Mahdia à 73 km de Sousse. Dans le sud-ouest deux artères de pénétration sont achevées : d’une part en reportant à Kalaa-Djerda, avec antennes sur Le Kef, Siata et Kalaat-es-Senam, le terminus du central minier; d’autre part, en raccordant à Henchir-Souatir à 296 km de Sousse, au réseau de la Compagnie de Gafsa, le court embranchement ouvert antérieurement entre Sousse et Kairouan.
Dans la même période, la Compagnie de Gafsa a prolongé sa ligne de Metlaoui jusqu’à Henchir-Souatir, d’une part, et à Redeyef , d’autre part, pour desservir de nouveaux gisements. En 1912, enfin, la section terminale Sousse à Sfax de la grande artère côtière était ouverte à l’exploitation par le Bône-Guelma.
La guerre de 1914 ralentit les travaux sur les lignes en construction; cependant, la ligne de Graïba à Gabès, longue de 82 km, est activement construite dans un but stratégique et inaugurée en 1916. Le réseau est ainsi à peu près terminé et la période de 1918 à 1939 est marquée par la seule ouverture, en 1922, de la section finale de NeJza à Tabarka de la ligne des Nefzas, et aussi de la deuxième jonction entre l’Algérie et la Tunisie, par la mise en service en 1929 du raccordement à voie métrique de Kalaa-Djerda à Rhilane complétant la ligne de Tunis à Tebessa.
Pendant la dernière guerre on réalise enfin, pour unir l’Algérie au sud de la Tunisie sans passer par la côte, une liaison entre les lignes de Tunis à Tébessa et de Sousse à Henchir-Souatir par la construction du raccordement de Haïdra à Kasserine sur une longueur de 65 km.
D’autres projets de voies ferrées ont été étudiés en Tunisie; les plus importants avaient pour but de relier Zaghouan à Sousse (par Bou-Ficha), de doubler, par une nouvelle ligne, via Medjez-el-Bab, la relation Tunis-Le Kef, vers les bassins miniers de la frontière d’Algérie, de terminer jusqu’à Kélibia l’antenne du cap Bon, et enfin d’amener au port de Sfax les produits minéraux et agricoles de la région de Bou- Thadi. La construction de ces lignes, dont certaines sections avaient reçu un commencement d’exécution, est abandonnée.
Le réseau, à cette époque, s’étend sur plus de 2000 km, et il est réparti entre trois grandes compagnies privées: la Cie Fermière des Chemins de fer Tunisiens qui appartient à l’Etat avec 1610 km dont 508 à voie normale et 1102 km à voie métrique, la Cie des Phosphates et du chemin de fer de Gafsa avec 455 km en voie métrique, et la Cie des Tramways de Tunis avec 37 km desservant la banlieue de la capitale.

La situation tunisienne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
En 1942 et 1943, le réseau tunisien fait face à des transports massifs d’évacuation et stratégiques, mais surtout, il subit des dégâts graves, soit sous l’effet de bombardements aériens, soit par suite de destructions systématiques. A la libération de la Tunisie, en mai 1943, 175 km. de voies sont inutilisables, 88 ouvrages d’art, 250 bâtiments et la presque totalité des installations téléphoniques sont détruits; quant au matériel roulant, le tiers seulement du parc est utilisable.

Toutes les lignes sont rapidement remises en service en un mois par la construction d’ouvrages provisoires puis remplacés par des ouvrages définitifs. Un certain nombre de lignes, toutefois, sont définitivement abandonnées comme la section La Merdja-Nebeur, longue de 37 km. Les grandes gares de Tunis, Bizerte et Sousse sont reconstruites dans le cadre de plans d’urbanisme.
Sur le plan du matériel roulant, le réseau a toujours été équipé d’une façon assez moderne, avec des voitures à bogies et des locomotives à vapeur, Diesel, ou électriques évoluées. La fin des années 1930 a déjà vu l’arrivée des autorails rapides sur les lignes à voie normale du nord du pays, et en 1939 des autorails De Dietrich doubles articulés de 400 ch, en voie métrique mais avec une caisse à gabarit normal, assurent les relations Tunis-Sfax-Gabès et offrent même un service de restauration à la place. Un phare projetant du toit un faisceau lumineux vertical signale l’arrivée de l’autorail la nuit, car les lignes et passages à niveau ne sont pas gardés. Tunis-Gabès est parcouru en six heures, soit à une vitesse commerciale de 70 km/h, chose exceptionnelle en voie métrique. D’après les statistiques de l’UIC, le réseau tunisien assure aujourd’hui 1,235 millions de Voyageurs/Kilomètres, 667 millions de Tonnes/Kilomètres, et le kilométrage est de 2.244 km

Le curieux réseau marocain : de la voie de 60 à la grande vitesse.
Le réseau marocain est le troisième réseau construit sous influence technique française en Afrique du Nord et il est un réseau très perfectionné car les ingénieurs des réseaux de la métropole ont pu essayer au Maroc les innivations les plus intéressantes qui leur étaient refusées en France, comme une électrification en 3000 v continu, la traction diesel de grande puissance. Il existe peu de pays où les contingences politiques internationales ont eu plus d’influence sur les chemins de fer qu’au Maroc.
Le Traité d’Algésiras (7 avril 1906) et le Traité franco-allemand du 4 novembre 1911 stipulent que les travaux publics ne pourront être concédés que par adjudication publique entre entrepreneurs de toutes nationalités et que le premier chemin de fer à construire au Maroc devrait être celui de Tanger à Fez. La France et l’Espagne parviennent à un arrangement qui est ratifié le 27 novembre 1912, et
la France décide de prendre en charge le développement du Maroc, d’établir un réseau de chemins de fer militaires en voie de 60, en tenant compte de leur conversion éventuelle en lignes à voie normale. Outre les préoccupations stratégiques, deux idées directrices président à l’établissement du réseau marocain. Il faut le relier à l’est au réseau algérien, et, à l’ouest, desservir et utiliser le port de Casablanca.
Le réseau algérien, alors prolongement naturel du réseau marocain, vient à la rencontre de son voisin marocain à Oujda, une ville marocaine située à 15 kilomètres de la frontière. La ligne est posée en utilisant l’écartement très curieux de 1055 mm (présenté aussi, selon les sources, comme étant 1050 mm), déjà utilisé en Algérie et qui devait devenir aussi, pensait-on do côté algérien, l’écartement du futur réseau du Maroc. Commencé le 27 février 1911, ce tronçon est ouvert à l’exploitation le 14 octobre de la même année et constitue l’amorce de la future ligne de Fez. Mais l’achèvement de la ligne de Tanger à Fez est une condition préalable à des choix futurs et c’est pourquoi les Français décident le construire la ligne Oujda-Fez sou la forme provisoire d’une ligne militaire de 201 km en voie de 60 qui atteint Masoum (voir la carte ci-jointe) en 1914, retardée par la mobilisation. Pendant la Première Guerre mondiale et après, elle n’avance que très graduellement. C’est le 21 juillet 1921 que l’on effectue sa jonction avec la ligne venue de l’ouest, au village de Dar Caïd, à 334 km. du point de départ, et qui se trouve en deçà de Fez. Pendant ce temps, on a converti en voie de 1 m. 435, le tronçon primitif d’Oujda, afin de ne pas intercaler un troisième écartement entre la ligne algérienne à voie normale et. la ligne marocaine en voie de 60. On construit également un embranchement militaire de 132 kilomètres depuis Guercif (jonction) vers le Sud, jusqu’à Outat-el-Hadj qui est atteinte le 19 janvier 1924, ainsi que Ksabi.
En ce qui concerne le Maroc occidental, les lignes en voie de 60 sont commencées en 1911 par le 5e régiment du Génie, déjà très spécialisé dans le chemin de fer. Ces lignes comprennent la ligne de Casablanca à Rabat, longue de 88 kilomètres et ouverte à l’exploitation en novembre 1912. Il y aussi la ligne de Casablanca à Ber-Rechid, en direction de Marrakech, longue de 42 kilomètres et ouverte en octobre 1912, et qui atteint Caïd-Tournzi à 109.6 km. en 1915 pour être successivement prolongée jusqu’au moment de son achèvement, le 1er juillet 1920. La ligne du port de Kenitra-Dar-Bel-Hamri à Meknès est achevée en mai 1913 et Fez est atteinte en 1915. Voilà pourquoi, à partir du lendemain de la Première Guerre mondiale, il existe au Maroc deux réseaux juxtaposés, dont l’un, le provisoire, est en voie de 60, dite «Decauville»[7] et l’autre, le définitif, en voie normale. Tous deux sont, chacun dans son genre, bien tracés et cohérents, mais une profonde incompatibilité d’écartements les empêche de jouer ensemble un véritable rôle de réseau national.
Mais il restait deux hiatus. Le premier, entre Rabat et Salé, est provoqué par la présence du large estuaire de l’Oued Bou-Regred. On finit par le franchir au moyen d’un pont (octobre 1917 au 16 août 1919). Le second s ‘étendait entre le réseau occidental et le réseau oriental de Fez à Taza. On construit le tronçon manquant de mai 1917 à juillet 1921. Ceci établissait l’intercommunication à travers tout le Maroc entre Casablanca à l’ouest et l’Algérie à l’est, au moyen d’un chemin de fer à voie de 60. Des embranchements sont faits de Guercif (jonction) à Outat-el-Hadj, dans la vallée de la Moulouya, ceci dans un but exclusivement militaire, et aussi de Ber Rechid à l’oued Zem, un embranchement qui est établi rapidement pour permettre le transport des phosphates.
Le Maroc : le plus grand réseau en voie de 60 au monde.
Comme il s’agit d’un des plus importants réseaux du monde à voie de 60, il est intéressant de donner quelques renseignements sur la façon dont on l’établit et sur le matériel dont on l’équipe. Malgré l’exiguïté de la voie, il présente une capacité de trafic très respectable ce qui fait adopter la même largeur de voie pour certaines lignes d’autres colonies. Les rampes maximum sont de 20 pour mille sur le réseau de l’est, et davantage encore à l’ouest. Le rayon minimum des courbes est de 100 mètres et peut descendre à 50 mètres .exceptionnellement. La voie employée au début est surtout de la voie militaire Péchot, avec des rails rivés de. 9,5 kg/m, et des traverses métalliques. On utilise pourtant concurremment des rails ordinaires de 10 kg/m. Ultérieurement, on a renforcé les tronçons à gros trafic avec des rails de 15 kg/m.

Le ballast est du gravier de rivière à l’est, et de la pierre concassée à l’ouest. Celui-ci, d’ailleurs, ne convient pas pour les traverses métalliques de la voie de 60 et impose des traverses en bois. Les ponts sont en maçonnerie, en bois, en acier ou en béton armé, et sont calculés pour des locomotives de 18 tonnes et de la voie de 60. Une exception est faite pour le pont du Bou-Regreg, que l’on construit dès l’origine en vue de la conversion future de la voie à l’écartement de 1435 mm. Les premiers ponts sont de simples ponts militaires à béquilles. Les ponts les plus importants sont le pont du Bou-Regreg qui est en béton armé système Hennebicque, et qui mesure 174 m. 50.
La matériel roulant est qualité de très hétéroclite par les observateurs, parce qu’une partie du matériel est livré avant la guerre, et le surplus pendant et depuis la guerre, suivant ce qui est disponible sur le marché. Les premières locomotives sont des Decauville de 10 tonnes, des Mallet de 16 tonnes et des Weidknecht de 12 tonnes qui, sur rampes de 20 pour mille, remorquent respectivement 58, 88 et 55 tonnes. On y ajoute des Baldwin de 12 tonnes et, depuis l’armistice, des locomotives à 5 essieux couplés ayant presque le même effort de traction que les Mallet et qu’on emploie pour le trafic des phosphates. L’eau est généralement mauvaise et l’on a établi des stations d’approvisionnement d’eau tous les dix kilomètres environ.
Le service des voyageurs est assuré par des automotrices anglaises de 20 ch., offrant une une contenance de 12 voyageurs plus 9 dans leur remorque. Leur vitesse de marche est de 35 kilomètres à l’heure, qui se réduit à 25 kilomètres en rampe. Le matériel à voyageurs est du type Decauville à bogies. Les voitures pèsent 5,1 tonnes vides et offrent les trois classes, emportant jusqu’à une quarantaine de voyageurs en troisième classe. Tous les wagons ont une capacité de 7 t. 7. La tare des wagons plats est de 3 t. 4, celle des tombereaux de 3 t. 7 et des. wagons couverts .de 4 t. 6.
Le réseau est exclusivement militaire au début, puis on ouvre les lignes à l’exploitation publique en janvier 1915 quoiqu’elles restèrent entre les mains des autorités militaires jusqu’au 27 mars 1916. A ce moment, on organisa le réseau comme tout autre chemin de fer .d’Etat, sous la dénomination de « Régie des Chemins de fer à voie de 0 m. 60 ». Le Département de la Guerre paye les frais d’exploitation jusqu’au janvier 1920 mais, depu.is ce moment, le réseau est. exploité par le Gouvernement chérifien. Le réseau jouit de l’autonomie administrative. Il y a un directeur général à Rabat, et des chefs de service du trafic, de la traction, de la voie, de la construction, des approvisionnements, de la comptabilité et des finances. En 1922, le personnel comprend 1,700 Européens, 4,500 indigènes et 450 militaires.
Quoique la construction de lignes en voie de 60 soit économique, leur exploitation est coûteuse et on les remplace graduellement par des lignes à voie normale, construites parfois, mais pas toujours, suivant le même tracé. Les voies de 60 qui ont été déposées servent .de nouveau ailleurs ce qui permet d’ouvrir de nouvelles régions au trafic à relativement peu de frais. La dernière ligne en service est celle de la Moulouya qui a été fermée et déposée en 1935. L’extension maximale de ce réseau a pu être estimée à environ 2500 km, mais ce n’est qu’une difficile estimation, car les lignes étaient continuellement déplacées ou prolongées.

Le réseau des chemins de fer à voie normale du Maroc.
Ce très cohérent réseau est partagé, à sa construction, entre la Compagnie des Chemins de fer du Maroc et le Tanger-Fez. Dès 1914, le Protectorat fait préparer les projets d’une série de lignes dont les études techniques sont confiées aux ingénieurs du P. L. M., mais la Première Guerre mondiale paralyse ces efforts. Toutefois, d’idée est reprise dès l’armistice et poussée activement. On décide de construire six lignes à voie normale qui sont celles de Petit-Jean à Sidi-Yahia et Kenitra, longue de 85 km, de Kenitra à Casablanca via Salé et Rabat sur 128 km, de Port-Lyautey à Souk-el-Arba ou tout autre point du Tanger-Fez, soit environ 30 km, de Casablanca à Marrakech, soit 250 km, l’embranchement de 120 km des phosphates Sidi-el-Aïdi à OuedZem, et, enfin, la ligne de Fez à Oujda longue de 355 km. Une septième ligne, de Benguerir à Safi, est ajoutée en 1929. Le total est de 1175 km.
Le Protectorat entame les deux premières lignes. D’autre part, autorisation est donnée à la Compagnie des Ports de Rabat et de Méhédya, de construire un chemin de fer qui les unirait afin de pouvoir utiliser des carrières de pierre situées entre les deux villes. Le 29 juin 1920, la concession des lignes est accordée à un syndicat comprenant la Compagnie Générale du Maroc, la Compagnie marocaine; le P.L.M. et le Paris-Orléans français. Il est à noter que ces deux compagnies de la métropole desservent les ports de Marseille et de Bordeaux qui se trouvaient en communication maritime avec le Maroc. Cette concession est en quelque sorte la charte des chemins de fer marocains, et elle est accordée jusqu’au 31 décembre 1999. Les lignes sont toutes ouvertes pendant les années 1923 et 1936, sauf la ligne de Port-Lyautey à Souk-el-Arba qui ne fut jamais entreprise. La dernière ligne entreprise est celle d’Oujda à Fez et elle est ouverte le 15 avril 1934, complétant ainsi la grande ligne « impériale » reliant le Maroc à la Tunisie par l’Algérie. La section de Taza à Fez est la plus difficile à construire de toute l’histoire du rail marocain.
Le Chemin de fer de Tanger à Fez est l’autre grande composante du réseau marocain à voie normale. D’après les traités internationaux d’avant-guerre, le chemin de fer de Tanger-Fez était le premier chemin de fer commercial qu’il fallait mettre en exploitation au Maroc. Mais l’influence espagnole y était fictive, aussi fut-il impossible d’entamer la construction de la ligne. Malgré cela, et afin de déblayer le terrain, un traité franco-espagnol, signé le 27 novembre 1912, stipulait que le capital de la future compagnie serait constitué de deux parts, dont l’une de 60% devait être placée en France et l’autre, de 40% en Espagne. La Société Franco-Espagnole du Chemin de fer de Tanger à Fez à créer devait avoir un monopole d’exploitation de 85 ans. La longueur de la ligne devait être de 310 km; elle devait être équipée de rails de 35 kilos par mètre, comporter des rampes de 25 pour mille au maximum des rayons supérieurs à 300 mètres.
Le chemin de fer de linger à Fez comprend trois sections. La première, dans la zone internationale de Tanger a une longueur de 15 kilomètres. La suivante, dans la zone espagnole, mesure 92 kilomètres jusqu’El Ksar, d’où part le petit chemin de fer espagnol d’El Ksar à Larache. Enfin, la section française a 203 kilomètres. Peu avant la Première Guerre mondiale, la compagnie est enfin constituée. Malgré la guerre, les travaux sont entrepris le 1er mars 1917. Le 25 juillet 1927, on ouvre au trafic la totalité de la ligne de 311 km, dont 204 km sont en zone chérifienne.
L’électrification du réseau du Maroc.
Pauvre en charbon, le Maroc est riche en ressources hydrauliques; aussi, comme les voies ferrées marocaines sont toutes de grands axes de circulation, reliant des grandes villes, des ports et des centres miniers, leur électrification pouvait se justifier. La traction électrique, inaugurée le 24 février 1927 sur 146 km. de la ligne des phosphates, entre Casablanca et Khouribga, atteint 713 km., dont 602 sur les réseaux des Chemins de fer du Maroc et 111 sur le réseau du Tanger-Fès. Elle concerne les lignes de Casablanca à Marrakech (km. 247), de Casablanca à Sidi-el-Aïdi et à Oued Zem (km. 142) de Casablanca à Rabat et à Petitjean et à Fès (km. 324).
L’énergie électrique est produite par les centrales thermiques de Casablanca-Roches-Noires, Rabat, Petitjean, Marrakech et Safi, et par les centrales hydrauliques de Sidi-Saïd-Maachou, Im-Fout et Kasba Zidania, etc. Le courant produit par les usines est distribué aux sous-stations de pleine ligne à la tension de 60 000 volts par le réseau général du Maroc. Le courant est distribué aux locomotives par une ligne aérienne, à suspension caténaire simple. Les locomotives sont des BB dérivées du type français PO-Midi et elles peuvent rouler à 90 km./h. Des automotrices, d’une puissance continue de 500 ch., capables de rouler à 90 km./h. et de remorquer des voitures, assurent le service omnibus et direct sur les relations interurbaines de Casablanca à Rabat ou à Port-Lyautey, de Casablanca à Marrakech et de Casablanca à Oued-Zem.

Le réseau marocain des années 1980 à aujourd’hui.
L’ Office National des Chemins de fer du Maroc (ONCF) exploite un réseau de 1907 km, dont 1000 sont électrifiés en 3000 volts, courant continu. Construit pour l’essentiel de 1923 à 1934 en étroite collaboration avec les ingénieurs du PO-Midi, ce réseau à voie normale utilise dans les années 1980 un matériel roulant: comprenant 6 locomotives diesel de ligne, 104 locomotives diesel de manœuvres, 101 locomotives électriques, 14 rames automotrices électriques, 586 voitures voyageurs, et 9335 wagons à marchandises et il est une référence pour sa cohérence et ses qualités techniques, utilisant notamment une tension de 3000 v en courant continu dont le PLM projetait l’utilisation pour sa future grande électrification de l’artère « impériale » Paris-Lyon-Marseille en métropole[8].
Le réseau marocain prépare à l’époque deux grands projets: une ligne de 955 km de Marrakech à Laayoun, incluant la difficile traversée de l’Atlas et nécessitant, entre Marrakech et Agadir la réalisation d’un total de 27,1 km de tunnels et de 15,8 km de viaducs, et ensuite une extension de
850 km à travers le Sahara occidental et qui a même été envisagée pour rejoindre le port de Nouadhibou, terminus du chemin de fer mauritanien en provenance des mines de Zouerate. En 1996, un accord est signé avec l’Espagne en vue de la construction d’un tunnel foré à l’ouest du détroit de Gibraltar. De conception similaire au tunnel sous la Manche avec deux galeries à voie unique et une galerie de service, il serait raccordé à un prolongement sud de la ligne à grande vitesse espagnole Madrid-Séville, déjà à l’écartement standard. Ainsi, les chemins de fer marocains pourraient être reliés au réseau des TGV européens, une fois la première ligne à grande vitesse marocaine réalisée. entre Tanger et Kénitra. Cette ligne de 200 km a été mise en service à la fin de 2018. Aujourd’hui le réseau marocain ONCF assure 5507 millions de Voyageurs/Kilomètres, 4749 millions de Tonnes/Kilomètres, et a une longueur totale de 2109 km[9].
Le train de Mauritanie : le train des superlatifs.
Sur cette ligne qui fait partie de l’Afrique du 1435 mm circulent les trains les plus longs, les plus lourds, les plus… Tous les superlatifs sont pour eux. Véritable oubliée de l’Afrique Occidentale Française, la Mauritanie attend longtemps son chemin de fer, contrairement à ses voisins de ce que l’on appelait l’A.O.F.
L’ensemble de ce réseau est en voie métrique, mais laisse la Mauritanie complètement isolée, car elle est très éloignée du Niger, donc du réseau ferré qui complète le fleuve. Les projets, pourtant, n’ont pas manqué, non point par intérêt pour la Mauritanie par elle-même mais pour la traverser et aller au Sénégal par le trajet le plus direct si l’on veut éviter la mer. Au début des années 1920, on parle déjà du Transmauritanien. Il s’agit d’une ligne concurrente du fameux Transsaharien, qui, à l’époque, est aussi à l’état de projet, mais c’est une ligne qui coûtera trois fois moins cher avec une estimation de 500 millions contre 1.600, et qui reliera directement le réseau marocain au réseau sénégalais en longeant la côte ouest de l’Afrique.
En reliant le Maroc à Dakar, on réaliserait une relation ferroviaire pratiquement continue entre le nord de l’Afrique et son centre-ouest. Et puis en attendant, comme aujourd’hui toujours d’ailleurs, le tunnel sous le détroit de Gibraltar, on aurait, si ce tunnel était fait, une relation directe entre la France et son empire colonial africain, puisque Dakar est déjà reliée par voie ferrée au bassin du Niger. Soutenu par le général Calmel, ce projet est présenté comme traversant des pays permettant d’offrir un meilleur rendement économique que le Sahara, et comme étant le trajet le plus court et le plus économique à construire pour relier la métropole et l’Algérie, d’une part, et, d’autre part, le reste de l’A.O.F.
Le projet du Transmauritanien n’a pas de suite, ceci pour de nombreuses raisons dont la principale était une politique coloniale hésitante et timide qui n’investissait que très peu dans le développement des colonies, et aussi l’absence de perspectives économiques justifiant la construction de cette liaison ferroviaire. Si, à l’époque, on avait découvert le minerai mauritanien, sans nul doute le Transmauritanien aurait existé. Mais, pour le moment, la Mauritanie n’est qu’un pays de sables, sans prospérité, donc sans intérêt. Inutile de dire que ce point de vue est lourdement erroné et que, dès que l’on découvre le fameux minerai de fer, les choses vont se précipiter !
Changement d’avis à propos de la Mauritanie.
C’est en 1935 que l’on découvre les premiers de gisements de minerai de fer dans la Kédia d’Idjill, dans le Nord de la Mauritanie. La Seconde Guerre mondiale paralyse pour plus de dix années toute action possible, et ce n’est qu’en 1948 qu’est menée la première étude du site en vue d’une exploitation éventuelle. La Société des Mines de Fer de Mauritanie (MIFERMA) est créée en 1952 et elle commence les recherches et les travaux. Le démarrage de l’exploitation se fait en 1963 et le premier navire chargé de minerai mauritanien quitte Nouadhibou. L’indépendance met en place un Gouvernement Mauritanien qui rachète en 1974 les actions de la MIFERMA et procède au transfert des actifs à la Société Nationale Industrielle et Minière (SNIM). Enfin en 1978 le Gouvernement Mauritanien procède au changement du statut juridique de la SNIM et en fait une société d’économie mixte avec ouverture du capital au secteur privé.
Mais, avec sagesse, les exploitants ne veulent pas en rester là et dormir sur leurs lauriers. Ils mettent en place une production de concentrés, obtenus par enrichissement de minerais magnétiques en provenance du Guelb El Rhein, et cette production vient s’ajouter en 1984 à la production des minerais riches de la Kedia. En 1987, c’est la découverte du gisement de M’Haoudat, à 60 km de Zouérate, puis en 1991, c’est le gisement de TO 14, au Sud Est de la Kédia d’Idjill, qui est mis en exploitation, suivi en 1994 de celui de M’Haoudat. En 1997 les ventes de la SNIM dépassent 300 millions de tonnes, soit le record absolu depuis 1963. La capacité de l’ensemble des sites s’élève actuellement à 12 millions de tonnes par an.
La ligne de chemin de fer qui existe actuellement en Mauritanie, entre le port de Nouadhibou, situé sur l’Atlantique, et le site minier de Zouérate, n’a aucun rapport avec le projet de 1920. Construite au début des années 1960, ouverte en 1963, cette ligne est à voie normale alors que si elle avait été construite dans le cadre de la colonisation elle aurait été à voie métrique, il va sans dire.
Longue de 700 Km, elle est tracée à travers le désert en voie unique et comporte neuf évitements en pleine voie permettant la circulation quotidienne de trois trains vides et trois trains pleins. Ces trains sont initialement remorqués par des locomotives diesel CC françaises construites par Alstom (à l’époque encore Alsthom), puis la relève est assurée par des locomotives américaines produites par la General Motors : il s’agit de très classiques et robustes SD40, mais spécialement aménagées pour cette tâche très rude avec de nombreux appareils de toiture filtrant l’air entrant de refroidissement des moteurs.

Le matériel remorqué, si l’on exclut quelques wagons citernes de service, est uniquement composé de wagons minéraliers acceptant chacun 84 t de minerai. Le point le plus remarquable est que les trains sont composés d’un nombre de wagons dépassant 200 et atteignant jusqu’à 210, et donnant un poids total de plus de 22.000 tonnes ! La longueur des trains peut atteindre 2.500 mètres, ce qui demande une inspection en 4×4, avant le départ, car 2.500 m à pied c’est une bonne demie heure de perdue pour le chef de train et son train tout entier.
La ligne a toujours été titulaire de ce record, car, lors de l’ouverture de la ligne, au début des années 1960, les trains avaient déjà un poids record de 14.000 tonnes. Avec 210 wagons et un poids total de 22.000 tonnes, les trains de la Mauritanie dépassent du double les trains les plus longs circulant aux Etats-Unis ou en Russie, déjà fiers, pourtant, de leurs trains de 100 wagons atteignant 8.000 à 10.000 tonnes.
Il est à noter que, depuis quelques années, un tourisme s’est développé autour de cette ligne : la Société Nationale Industrielle et Minière, ou SNIM, actuelle propriétaire et exploitante de la ligne a mis en place un service voyageurs, composé de voitures ajoutées au trains miniers. Ces voitures circulent en général une fois par jour en saison touristique et dans chaque sens. Depuis quelque temps, il existe un véritable train de voyageurs composé d’une motrice, d’une voiture couchettes et d’une voiture panoramique effectuant, en saison, le parcours entre Choum et Zouérate.

L’Egypte : l’autre grand système en voie normale pour l’Afrique.
Malheureusement séparé par un très important hiatus à l’est de la Tunisie et en Lybie des réseaux du Maghreb, le réseau égyptien aurait pu terminer et consolider un grand et solide système ferroviaire nord-africain en voie normale orienté est-ouest si les aléas de l’histoire l’avaient permis. Avec l’Egypte, nous passons dans l’Afrique sous influence britannique, mais seulement une influence car l’Egypte est un pays avec un esprit fort, un réel pouvoir politique et avec un projet national structuré.
La première ligne, projetée dès 1834, est ouverte en écartement normal en 1856, ceci entre Alexandrie, Le Caire et Suez, et sous la direction de Robert Stephenson lui-même. Il est le fils de George Stephenson, devenu un grand industriel et constructeur de locomotives, mais qui n’oublie pas, avec sagesse, d’appliquer les normes établies par son père, notamment en matière d’écartement. Un autre personnage important apparait à l’époque et joue un rôle décisif en Egypte : le khédive Mohammed Ali, créateur du réseau égypto-soudanais. La question est l’utilisation, faite depuis des millénaires, mais cette fois sous une forme ferroviaire, de la vallée du Nil pour exporter les produits de la haute vallée et du Soudan en Egypte, donc construire un chemin de fer menant directement à un port de la mer Rouge. Mohammed Ali, le premier, veut unir le bas et le haut Nil. Si les chemins de fer n’ont été exécutés que partiellement d’après ses plans, il n’en est pas moins vrai, que ce sont ses projets qui servent de base aux lignes qui sont devenues les artères principales du Soudan. De plus, il convient de faire ressortir les liens étroits qui unissaient alors les deux pays et la part importante que prend l’Egypte à la construction des chemins de fer soudanais, soit dans l’élaboration des plans d’ensemble, soit dans leur construction.

L’idée du Khédive, qui vient de mener à bien la construction du chemin de fer d’Alexandrie au Caire et à Suez, est de raccourcir davantage encore le voyage d’Europe aux Indes (le Canal de Suez n’étant même pas imaginé) en conduisant le chemin de fer par la vallée du Nil jusqu’à Shindi et de là, à Massaoua, sur la mer Rouge. On économiserait ainsi trois jours de voyage. Après des études qui s’étendent sur plusieurs années, on réduit le projet à la construction d’une ligne ferrée de Wadi-Halfa, au pied de la cataracte, à Metemmeh en face de Shindi. La longueur de la ligne est de 885 kilomètres et il ne reste que quelques 800 autres kilomètres à faire pour atteindre Massaoua, ce qui ne sera jamais fait.

L’ouverture du canal en 1869 met fin à l’exploitation de la ligne jusqu’à Suez, mais n’entrave nullement le développement du chemin de fer égyptien puisque de nombreuses autres lignes sont construites pour la desserte de la partie fertile du pays, notamment le delta du Nil. Le réseau en voie normale s’étend aussi en direction du sud, atteignant Louxor en 1878, puis El Shellal à 800 km du Caire en 1926. Le réseau égyptien est d’un très bon niveau technique, et, dès sa création, il est parcouru par des trains de haute qualité destinés à une élite de touristes, comprenant même des luxueuses voitures de la CIWL formant le train « Star of Egypt » et inaugurant ce que l’on n’appelle pas encore une climatisation mais de l’air rafraîchi. La Seconde Guerre mondiale apporte, dans cette partie de l’Afrique, son lot de destructions et d’incertitudes, mais, paradoxalement, le réseau égyptien enfin touche, pour des raisons purement militaires et sans lendemain économique, la Lybie et la Palestine pendant cette période difficile.

Aujourd’hui toujours, le réseau se structure autour de la ligne qui longe le Nil, mais la partie nord du pays possède un important réseau dense et élargi de lignes transversales et très maillées. Le Caire n’est pas le centre du réseau, et n’est desservie que par une importante gare de passage. Les locomotives et le matériel remorqué du réseau égyptien sont initialement de construction anglaise, mais notons qu’une série de Pacific françaises est construite en 1955, une des dernières séries jamais construites dans l’histoire de la traction vapeur. Le réseau est entièrement diéselisé à partir de 1964. La banlieue du Caire est électrifiée sur une quarantaine de kilomètres en courant 1500 volts continu pendant les années 1980. Le réseau, aujourd’hui, comprend un peu plus de 4100 km de lignes, mais ne fournit pas de données statistiques.

L’empire africain de la voie métrique.
Pour les ingénieurs européens la voie métrique est, par définition, l’écartement des réseaux secondaires, des régions de montagne ou de faible développement industriel[10], et donc, par extension, des réseaux coloniaux et de tous les cas où un faible espoir de rentabilité demande des investissements prudents et limités. Un simple calcul montre que les volumes des installations fixes croissent en fonction du cube de l’écartement, pour ce qui est des frais d’établissement d’une ligne, et que la seule différence de 435 mm séparant l’écartement métrique de l’écartement normal, soit environ un bon tiers en moins, se traduit par une différence de volume de l’ordre de 24 fois moins. Mais ce n’est, comme le montreront les résultats de décennies d’exploitation des lignes, qu’une différence assez théorique, car le gabarit du matériel roulant en voie métrique peut être poussé jusqu’à trois fois la voie, c’est-à-dire équivaloir celui de la voie normale[11]. Les vitesses, donc les capacités de transport et le débit des lignes, restent moindres, la stabilité du matériel étant moindre tout comme l’armement des lignes. Les frais d’entretien et d’exploitation des lignes peuvent, avec cette fragilité, être assez élevés. Le choix du métrique, comme du « métrique du Cap » ou le 950 mm italien, n’a donc pas toujours été très heureux, et ces écartements, comme ceux de la voie étroite, se sont chargés de leur propre disparition aussi bien en Europe que dans d’autres continents du monde.
Les transports, dans cet immense ensemble ouest africain, sont dépendants des fleuves et plus particulièrement du Niger. Prenant sa source non loin de la côte de la Sierra Leone, le Niger fait une grande boucle par l’intérieur de l’Afrique, remontant vers le nord-est et redescendant ensuite vers le sud-est avant de se jeter dans l’Océan, en traversant le Nigeria et il est évident que les premiers explorateurs et colons utilisent les grands fleuves dont certains sont navigables; mais cette navigabilité est imparfaite, et seuls le Sénégal, et surtout le Niger, peuvent être utilisés. Encore ce dernier est-il barré de rapides en amont de Bamako. Les chemins de fer sont donc indispensables, mais ils doivent évidemment tenir compte de cette préexistence des fleuves, et sont, au départ, des compléments qui laissent en place l’utilisation prioritaire des biefs navigables : comme en Europe, les lignes de chemin de fer viennent compléter les fleuves africains soit sous forme d’affluents, soit en les unissant entre eux ou avec la côte, soit, plus particulièrement en Afrique, aussi sous forme de contournement des rapides.
Mais, pour passer des réalités géographiques aux frontières politiques, l’embouchure du Niger est britannique, et dans cette redoutable partie de poker colonial qui se joue entre les grandes puissances européennes à l’époque, on respecte les règles du jeu, et l’on ne s’empare pas des cartes du voisin une fois qu’elles sont distribuées… La seule solution pour la France, qui s’est taillée la part du lion avec son Afrique Occidentale Française, est de raccorder par chemin de fer le bassin du Niger aux ports du Sénégal qui, eux, sont français. En 1924 Bamako, l’actuelle capitale du Mali, est raccordée par rail à Dakar. D’autres lignes, construites avant la Première Guerre mondiale pour certaines, reliaient des villes établies sur les rives du Niger à des grands ports maritimes, comme ce fut le cas pour la ligne reliant Abidjan à Ouagadougou.
Un mythique grand réseau pour l’Afrique occidentale et équatoriale.
Commencée au début de notre siècle, la construction d’un grand réseau en voie métrique en Afrique Occidentale est un grand projet devant rompre l’isolement de l’Afrique Centrale et l’ouvrir sur les mers. Le premier acte est l’ouverture de la ligne de Dakar à St-Louis qui, inaugurée en 1885, avait été projetée dès 1856 par le capitaine du génie Pinet-Laprade, Gouverneur du Sénégal, pour rendre la capitale du Sénégal plus accessible par le port de Dakar. Mais l’idée de pousser en direction du centre de l’Afrique, notamment la région située entre les vallées du Sénégal et du Niger, est bien mue par le désir de tailler un immense empire colonial mis en valeur par un réseau ferré consistant reliant l’Algérie et le Soudan, le Sénégal et le Niger. A l’époque, les lignes existent, ou sont en projet ou en construction, toujours en partant de la côte et se dirigeant vers l’intérieur du continent: au départ de Conakry, en Guinée, d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, d’Ouidah et de Cotonou dans le Dahomey. Toutes ces lignes se caractérisent par un écartement métrique, une traction vapeur avec des locomotives-tender légères du type 030, 130 ou 230, du matériel roulant remorqué inspiré de celui des secondaires et des départementaux de la métropole, des gares et des ouvrages d’art construits avec les matériaux et les moyens locaux. Le kilométrage total de ces lignes d’Afrique Occidentale dépasse 3 000 km entre les deux guerres.
Après deux guerres mondiales, la situation a relativement peu évolué. Les lignes sont sous l’autorité d’une « Régie Fédérale des Chemins de fer de l’Afrique Occidentale Française » dont l’une des principales actions a été l’introduction des autorails sur les différentes lignes. Quatre lignes forment le réseau: Dakar-Niger (1 657 km dont 40 à voie double), Conakry-Niger (662 km), Abidjan-Niger (834 km) et Benin-Niger (579 km), soit un total de 3 732 km.
Si l’on prend dans son ensemble ce qui a été construit effectivement, on constate qu’un parc de 329 locomotives à vapeur, 22 locomotives diesel, 307 voitures et 3 452 wagons, plus 26 autorails est en service. Environ 560 000 tonnes/kilomètres, 68 000 voyageurs/kilomètres sont assurées annuellement, mais déjà le déficit s’installe, mais ne dépasse pas 3%. Toutefois l’âge d’or est bien révolu, et la situation n’ira guère en s’améliorant.

La géopolitique ferroviaire en AOF et AEF à la fin du XIXe siècle.
Les premières lignes de pénétration facilitent l’occupation militaire des régions qu’il faut pacifier. Il faut ensuite permettre à l’administration coloniale de s’implanter à son tour et, après un certain temps, donner aux centres colonisés des débouchés vers l’océan. On sait que l’Afrique Occidentale française comprend à l’époque toute une série de colonies en bordure de l’Océan, séparées par des territoires étrangers. Ce sont le Sénégal, la Guyane française, la Côte d’Ivoire, le Togo (territoire mandaté) et le Dahomey, auxquelles il faut ajouter dans l’intérieur, le Soudan Français et les trois autres territoires encore dépourvus de voies ferrées que sont la Haute-Volta, la Mauritanie et le Niger, le Gabon.

Le programme de 1902, défini par le Gouverneur Roume, consiste à établir, pour chaque colonie, une ligne de pénétration depuis l’Océan jusqu’au bassin du Niger. Ces lignes doivent, plus tard, être unies par une transversale. La Première Guerre mondiale arrête la réalisation de ce plan d’ensemble qui est repris après 1918, conformément au programme d’Albert Sarrault, ceci en 1921. Ces colonies sont souvent éloignées l’une de l’autre et les conditions diffèrent : chaque ligne est l’artère d’une colonie distincte. On pense, à l’époque, que lorsqu’elles seront achevées, il faudra les prolonger encore et songer ensuite à relier certaines d’entre elles aux artères principales des colonies voisines.
Toutefois le réseau colonial se développe lentement. Il arrive souvent que de nombreuses années s’écoulent entre le moment où le tracé de la ligne est adopté et celui où le parlement français vote les crédits nécessaires à sa construction. De plus, les travaux se font généralement en régie, et ils avancent peu quand on ne les suspend pas complètement. La main-d’œuvre est rare dans la majorité des territoires desservis. La guerre a eu une répercussion désastreuse sur ces chemins de fer dont l’entretien est négligé et il y a fort à faire pour les remettre en ordre lors de l’armistice de 1918. Mais tout ceci est accompli en quelques années. Des tronçons inachevés ont été complétés et de nouvelles lignes ont été entamées. Aussi est-il possible, dans les années 1930, de voyager d’une manière continue par le rail de Dakar via Thiès, jusqu’à Kayes et Koulikoro, dans des trains directs pourvus de voitures-lits et de voitures-restaurant.
Le financement des lignes de l’AOF et de l’AEF.
En général, la métropole paie les frais des premiers chemins de fer, mais à mesure que les colonies se développent, celles-ci peuvent participer aux dépenses de construction. Le chemin de fer de Dakar à Saint-Louis, par exemple, est concédé à une compagnie en 1882, avec garantie d’intérêt. Depuis, la moitié des paiements à faire par la métropole a été mise à charge de la colonie par la loi des finances du 31 décembre 1921. Le chemin de fer de Kayes au Niger a un régime d’exception. Construit par l’autorité militaire, la colonie payait une annuité croissante et partage les bénéfices éventuels avec elle, avantages auxquels elle a renoncé moyennant paiement par la colonie d’une somme unique de sept millions de francs.
Toutes les autres lignes sont des chemins de fer d’Etat. Elles sont construites en régie sur le produit des emprunts et après autorisation du Ministre des Colonies. Depuis le 2 mars 1919, la construction de nouveaux chemins de fer est autorisée lors de l’approbation du budget et ne nécessite d’autre formalité que dans deux cas. Si la colonie prend des engagements importants (et prévus), l’approbation se donne par décret. Si la métropole intervient financièrement, il faut une loi spéciale. Depuis quelques années, on a pu notablement augmenter les sommes consacrées aux grands travaux, grâce, d’une part, aux prestations, d’autre part, aux ressources que l’AOF et l’AEF peuvent distraire de son propre budget en faveur des chemins de fer.
L’idée de la construction d’une ligne de Dakar à St-Louis est déjà présente dans les esprits en 1856. Mais la première mission de reconnaissance de ce qui sera le chemin de fer du Dakar-Niger est effectuée par une mission envoyée par le général Faidherbe, gouverneur du Sénégal, en 1863. Il faut, toutefois, encore attendre que le plan Freycinet propose, en 1879, la construction de trois lignes dites de pénétration en Afrique Occidentale Française, sous la forme d’une ligne de Dakar à St-Louis, d’un embranchement jusqu’à Médine près de Kayes, et d’une ligne de Médine au Niger. Ces lignes ont certes été initiées par Faidherbe, mais elle sont bel et bien réalisées par Gallieni, « commandant supérieur » du Soudan français, qui commande les régiments assurant les travaux, et aussi par Joffre qui dirige les travaux du Kayes-Niger à partir de 1892. Ce sont des lignes construites par des militaires, et elles viennent tout à fait s’inscrire dans les choix politiques et techniques de ce que l’on appelle la colonisation.
C’est bien le problème endémique des réalisations coloniales, notamment des chemins de fer, que celui du manque de main d’œuvre qui conduira à de regrettables déplacements de populations sinon d’embauches plus ou moins consenties…Le plus grand problème est bien le manque de bras, en dépit de l’embauche de personnes en provenance de nombreux pays d’Afrique et de Chinois : il faut, à partir de 1888, confier le chantier à l’armée devant l’impossibilité d’aller plus en avant, et ce sera d’abord à l’artillerie de marine, puis au très connu 5ème Génie, à partir de 1892.
Par exemple, le chantier du tronçon de Thiès à Kayes est interrompu plusieurs fois tant pour des raisons humaines que financières, ce qui explique son inauguration tardive en 1923. Cette ligne en voie métrique se montre économiquement très rentable dès son inauguration, pourtant, et donne raison à ceux qui voulaient à tout prix la construire. Ceci fera qu’au début du XXe siècle le Dakar-Niger est prolongé jusqu’à Koulikoro, à 60 km de Bamako.

La construction difficile des lignes de l’AOF et de l’AEF.
La ligne de Dakar à St-Louis, lors de sa construction, suit la côte sur 30 km jusqu’à Rufisque, puis pénètre dans les terres jusqu’à Thiès, à 71 km du point de départ. L’armement est effectué avec des rails de 20 kilogrammes par mètre, ce qui est un minimum et se montrera souvent très faible. Ces rails sont posés sur des traverses en bois qui font le bonheur des thermites mais non des ingénieurs qui doivent alors envisager une reconstruction intégrale avec des traverses métalliques. Le profil de la ligne est facile, puisqu’aucune rampe ne dépasse 13 pour mille, mais le tracé est assez sinueux, avec des courbes nombreuses au rayon minimum de 300 mètres. Voilà qui ne favorise guère la vitesse, mais ce n’est pas le but poursuivi. Vers 1930, un parc de 47 locomotives, 96 voitures et de 631 wagons forment le matériel roulant. Les recettes sont excellentes, puisque, pour 1928, on a presque 35 millions de francs de recettes pour 22,4 millions de francs de dépenses. Il est à noter que divers petits embranchements ont été construits et exploités, comme celui, le plus important, de Louga à Linguere, long de 130 km.
Dès l’achèvement du chemin de fer du Sénégal au Niger, la région desservie se développe et le trafic grandit rapidement. Cette situation incite l’administration coloniale à prolonger le chemin de fer depuis Kayes jusqu’à la côte, afin d’éviter la perte de temps et d’argent qu’entraînait la descente fluviale du Sénégal, avec un double transbordement de rapides à Medine et à Saint-Louis, avant d’atteindre enfin le port de Dakar. Cette ligne allait desservir une nouvelle région présentée comme étant riche, dont les produits éviteraient les ports plus proches de la Gambie pour quitter le continent africain. La loi du 5 juillet 1903 met en place les financements nécessaires. La construction est entamée par les deux extrémités en vue de gagner du temps.
Commencée en 1907, la. ligne est ouverte au trafic de Thiès à Diourbel en 1908, et elle est ouverte jusqu’à Koussanar en 1914, avec une longueur de 348 km. A l’autre extrémité du chantier, les 44 kilomètres de Rayes à Ambiédi sont inaugurés en 1909. La Première Guerre mondiale arrête les travaux et la ligne est seulement achevée en 1923.
La ligne est en voie métrique, et elle a une longueur totale de 682 kilomètres depuis la bifurcation de Thiès jusqu’à Kayes. Les rampes maximum sont de seulement 10 pour mille, avec des rayons de 300 mètres au minimum. Les rails sont de 25 kilos par mètre, et posés sur traverses d’acier doux. Il y a peu de ponts importants, le plus long, sur la Falémé, mesurant 225 mètres.
Ce chemin de fer passe à 22 kilomètres au Nord de la ville de Kaolak qui se trouve sur la rivière Saloum. Celle-ci est navigable pour des bateaux tirant 3 m. 50, ce qui rend rentable une relation ferroviaire avec le port de Kaolak. La construction de cet embranchement est décidée par décret du 15 mai 1911. Les travaux sont commencés le 5 juin et l’inauguration est faite le 1er janvier 1912. Depuis lors, on a construit un port avec une jetée à Kaolak. Cette ligne est naturellement la plus directe de Kayes à la mer. Elle raccourcit le trajet de 150 kilomètres par rapport à ce qu’offre le port de Rufisque, et pour Dakar le gain est encore plus important.
Il est à noter que, vers 1920, il existe un projet pour la construction d’une ligne de 480 kilomètres de Tamba Counda à Mamou, en Guinée française, qui passe un peu à l’Est de la frontière de la Gambie anglaise. A l’époque, deux lignes secondaires sont en construction afin de desservir des zones productrices d’arachides : celle dite du Djoloff de Louga à Linguières et l’embranchement de Djourbel à la région du Baol. Il existe aussi un projet d’une ligne de la Casamance qui doit desservir le couloir situé entre la Gambie anglaise et la Guinée portugaise.

Le Dakar-Niger, ou les dures réalités sur le terrain africain.
La construction du chemin de fer de Kayes au Niger se heurte à de grosses difficultés par manque de repérage dans un pays presque inexploré : aucune étude sérieuse du tracé n’est faite dans une région accidentée, et bien des déboires ont lieu une fois la construction commencée.
Cette ligne est construite pour permettre l’occupation militaire et coloniale du pays. Mais sur le terrain des réalités, et heureusement, son utilité a de beaucoup dépassé ce but primitif, puisqu’elle a permis au caoutchouc, aux céréales et aux arachides d’être transportés jusqu’au fleuve Sénégal navigable et aussi de transporter vers l’intérieur les produits originaires de la côte, tels que les tissus, les produits d’alimentation et les machines.
Etudiée en 1879, la construction est entamée à partir de Médine, sur le Sénégal, conformément à la loi du 24 février 1881. Les fonds sont fournis par le Gouvernement, puisque la ligne a un statut militaire, mais comme le coût de l’opération étant estimé trop élevé, les travaux sont ralentis, puis arrêtés de 1883 jusqu’en 1897. Afin de les reprendre, une nouvelle convention est établie le 10 février 1898, aux termes de laquelle la moitié de la charge financière de la construction du chemin de fer est imposée à la Colonie du Sénégal et dès lors les travaux reprennent normalement, si bien que la ligne se trouve achevée en 1906.
La ligne commence à Kayes, à la tête de la partie navigable du fleuve Sénégal. Puis elle traverse la ligne de partage des eaux entre le bassin des deux grands fleuves, au kilomètre 465, pour toucher Bamako, sur le Niger, au kilomètre 496, et Koulikoro, au kilomètre 555. La navigation sur le Niger est difficile, mais peut être assurée plusieurs mois par an de Bamako à Kouroussa ainsi que de Koulikoro à Tombouctou.
La ligne est, elle aussi, en voie métrique, et il y a des ponts d’une certaine importance, notamment celui du Bafing, de 400 mètres de longueur au km. 116, à Mahina, et celui de 350 mètres sur le Bakhoy, situé à Toukoto. Les rails sont de 20 kilogrammes par mètre. Les rampes sont de 25 pour mille, ce qui donne un profil difficile, et le rayon de courbure minimal est de 300 mètres.
Les résultats d’exploitation de la ligne entière de Thiès à Kayes, en 1926, sont excellents avec, sur une longueur exploitée de 1220 km, un total de 995.643 voyageurs transportés et de 297.715 tonnes de marchandises, représentant 98 millions de voyageurs-kilomètres et 87 millions de tonnes-kilomètres.
Dans l’enthousiasme de ces résultats, il est question de prolonger la ligne de Bamako vers l’Est, à travers la boucle du Niger et pour desservir une région qui passe pour riche en produits agricoles. A Ouagadougou, la ligne se serait partagée en deux branches, celle du sud-est rejoignant alors Djougou dans le Dahomey septentrional, et celle du nord-est atteignant le fleuve Niger à Ansongo. Cette ligne aurait été parallèle à la frontière septentrionale de la plupart des colonies côtières. Ce projet reçoit un commencement d’exécution et à la fin des années 1920, le tronçon de 116 kilomètres de Bamako à Bougouni est en construction. Il restait alors 1200 kilomètres à construire pour atteindre Ansongo par Bobo Dioulasso et Ouagadougou.
Située au Sénégal, Thiès est bien la ville ferroviaire par excellence de l’Afrique Occidentale.
Les bureaux de la compagnie, les ateliers, le plus grand dépôt, tout est concentré à Thiès dès la construction de la ligne. Certes, il y a déjà des dépôts et des ateliers à Rufisque et à St-Louis, mais ceux-ci sont déjà trop éloignés pour être utilisables sur la ligne de Bamako. La grève des cheminots de 1947 est, sans aucun doute, le fait marquant de l’histoire de la Thiès : elle dure cinq mois et marque la prise de conscience ouvrière en Afrique de l’Ouest.
Par ailleurs, la ligne de Thiès à Saint-Louis, connaissant déjà un faible trafic à l’époque, n’était pas viable dans le temps : elle est aujourd’hui fermée. Si l’on considère que la ligne de Dakar à St-Louis est la ligne d’origine, la ligne du Dakar – Niger, reliant alors Thiès à Bamako, n’en est qu’un embranchement et crée, de fait, la ligne de Dakar à Bamako. Bien qu’étant le port naturel situé au débouché du fleuve, Saint-Louis, souffrant d’ensablements, est devenu moins actif, laissant la priorité à Dakar qui a un bien meilleur port. Une route a été construite jusqu’à St-Louis, rendant illusoire la renaissance de la ligne de chemin de fer. Cependant un événement a réveillé cette ligne en 2004 avec un train, le Laye Lô, mis en service pour que les supporters de l’équipe nationale de football puissent se assister à la Coupe d’Afrique des nations qui se tient au Mali : depuis, on espère que la ligne Dakar – Saint-Louis ouvrira un jour…
Le Dakar-Niger : le dernier grand train de l’aventure, en Afrique ?
Ce magnifique grand ensemble ferroviaire ouest africain est assez éloigné de l’Europe pour ne pas subir de destruction par le fait de la Seconde Guerre mondiale. Mais son ennemi est tout autre : la récession économique et des bouleversements de l’indépendance africaine. Les années 1960 à 1990, montrent, malheureusement, un réseau devenu peu performant, mal entretenu, et dans lequel on ne croit plus guère, faute d’une vision et d’une réalité économiques et politiques de l’Afrique porteuses d’espoir.Sans doute la perle de ce grand réseau ouest-africain que l’on a toujours espéré réaliser, la ligne de chemin de fer de Dakar au Niger est une grande et très ancienne aventure française en Afrique puisqu’elle commence dès 1863 avec une mission de reconnaissance menée par Faidherbe. IL ne faudra que soixante années de rêves, d’espoirs, de travail ardu pour que la ligne soit enfin ouverte et que des trains circulent entre le Sénégal et le Niger, traversant la partie la plus passionnante de ce qui est, alors, l’Afrique Occidentale Française. Mais aujourd’hui, toujours, des trains circulent sur la ligne et tous, habitants de la région ou passionnés de chemins de fer du monde entier, souhaitent longue vie à ce train si pittoresque et si utile.Les lignes parcourues par le train de Dakar à Bamako sont scindés en deux réseaux nationaux depuis l’indépendance : le réseau est celui de la RCFM au Mali, et de la RCFS, maintenant devenue la SNCS, au Sénégal.Le train est dénommé Express sur les horaires, et jadis on l’appelait le « Dakar-Bamako Express » ou aussi le « Mali Express », quand ce n’était pas le « Mistral International », cette dernière appellation provenant du fait que la rame sénégalaise faisant actuellement le trajet est composée d’anciennes voitures DEV en acier inoxydable provenant du Mistral qui, du temps de sa splendeur passée, reliait Paris à la Côte d’Azur. Victimes du TGV, ce train a été supprimé et ses voitures ont été revendues par la SNCF au réseau sénégalais. Le réseau sénégalais les a converties pour la circulation en voie métrique par reconstruction des châssis des bogies et repose sur des essieux à voie métrique. Le train comporte des voitures en première et deuxième classe, et des voitures couchettes en première avec quatre couchettes par compartiment, plus une voiture-bar où des repas et des boissons sont vendus en cours de route. Aujourd’hui d’importants travaux sont en cours sur la ligne.

D’Abidjan à Ouagadougou, ou l’Abidjan-Niger.
L’occupation effective de ce magnifique pays commence en 1882, alors que des « droits » ont été pris dès 1842 sur cette terre qui produit du cacao, des noix de coco, du caoutchouc, de l’acajou, de l’or – toutes ces richesses étant, alors, au summum du luxe tant alimentaire que matériel et faisant de ce pays un Eldorado mythique. Abidjan n’est pas la capitale et si, aujourd’hui la capitale est bien Yamoussoukro, par contre, à l’époque, c’est Grand-Bassam, située à environ 45 km à l’est, mais accessible en naviguant sur des lagunes, et c’est pourquoi il n’est pas question d’ouvrir une ligne de chemin de fer desservant la capitale, mais bien d’ouvrir une ligne de pénétration coloniale en direction immédiate des richesses du pays. La création du pays attendra.
Les études pour la construction d’une ligne se dirigeant vers le centre du pays sont entreprises en 1896, mais la construction n’est commencée qu’en 1904. Bouaké est atteinte le 20 août 1912, à 312 km d’Abidjan, et Niangho, à 453 km, est atteinte le 1er mai 1926. On a engagé, sur la ligne, les premières locomotives du système Golwé fournies par les ateliers belges de Haine St-Pierre, et le nombre de voyageurs est de 640 000 par an, tandis que le tonnage des marchandises dépasse 70 000. Les recettes dépassent la vingtaine de millions de francs, et les dépenses se situent aux environs de quinze millions. C’est une belle période d’optimisme et c’est l’âge d’or du chemin de fer colonial africain.
On songe, bien entendu, à prolonger la ligne vers le nord. Bobo-Dioulasso n’est plus qu’à 375 km de là, et Ouagadougou, « chef-lieu de la Haute-Volta » à 340 km, soit à 1170 km d’Abidjan. On envisage un embranchement jusqu’à la rivière Bani par Sikasso, et aussi un autre embranchement dit « occidental » depuis Dimboko jusqu’à Doloa, sur 57 km, embranchement qui sera ultérieurement prolongé en direction du nord-ouest jusqu’à Beyla ou il rejoindrait un prolongement du chemin de fer de la Guinée venu de Kankan. Mais il y aura loin de la coupe aux lèvres… et on renoncera à tous ces embranchements pour poursuivre en direction du nord jusqu’en Haute-Volta, atteinte en 1932, malgré deux épidémies, l’une de fièvre jaune et l’autre de pneumonie qui déciment les équipes d’ouvriers. Bobo-Dioulasso, au KM 800, est atteinte en 1934. Le chantier s’arrête alors, car il faut refaire toute la voie entre Abidjan et Agboville.
Entre 1927 et 1931, on ajoute la liaison entre Abidjan et Port-Bouet, ce qui demande l’utilisation d’un pont flottant pour traverser la lagune en attendant la construction du pont Houphouët-Boigny en 1957. Abidjan est ainsi reliée d’abord au « wharf » de Port-Bouet, puis après la construction du canal de Vridi en 1950, an port en eau profonde de Treichville.


La situation de l’Abidjan-Niger des années 1950 à aujourd’hui.
La construction reprend en 1939, mais est très ralentie par la guerre. L’arrivée du chemin de fer dit «du Mossi » à Ouagadougou, au km 1145, se fait en octobre 1954 seulement. L’inauguration est présidée par Robert Buron, ministre de la France d’Outremer, et Félix Houphouët-Boigny, député de Côte d’Ivoire au parlement français, le 4 décembre 1954.
Avec ses 834 km de voies et 47 gares ou stations, la ligne est toujours très active durant les années 1950. Les 80 locomotives et les 5 autorails circulent en permanence, et le coefficient de remplissage des trains de voyageurs dépasse souvent le nombre de places. Le trafic marchandises atteint 144 798 tonnes/kilomètres: cacao, café, bananes, arachides, matériaux de construction, combustibles liquides, boissons, voilà ce que donnent les statistiques d’époque pour l’exportation, l’importation consistant en du pétrole, du sel, de la farine, des boissons. Mais le déficit est de plus de 10%, les recettes atteignant 1 096 000 frs pour 1 124 000 frs de dépenses.
Entre 1973 et 1982, un réalignement, c’est à dire en fait une reconstruction sur un tracé différent, a amélioré les caractéristiques de profil en long et de tracé entre Agboville et Petionara, des points kilométriques 79 à 405. Certaines sections sont mises à double voie. Ce réalignement rallonge de 10 km la distance d’Abidjan à Bouaké. Malheureusement les fonds manquent pour achever ce réalignement, et le tronçon Petionara-Tafiré, de 82 km, est le seul de la ligne à être resté aux caractéristiques anciennes.
La construction de ce chemin de fer a repris en 1985 à destination du gisement de manganèse de Tambao, à 375 km de Ouagadougou, an voisinage des frontières du Bnrkina Faso avec le Mali et le Niger. La nouvelle ligne ne dépassera pas Kaya, à 105 km de Ouagadougou, ville atteinte en 1991, car, si elle est construite sur les fonds propres du Burkina avec l’aide de l’OPEP, de l’Agence Canadienne de Développement International, et du Fonds Européen de Développement, par contre la Banque Mondiale s’y oppose.
Aujourd’hui, la ligne compte 65 locomotives diesel et 20 autorails, et reste encore active avec 2,8 millions de voyageurs et 0,9 millions de tonnes transportées annuellement. Il aura fallu un demi siècle pour construire cette ligne qui, somme toute, finit un peu nulle part, dans une Haute-volta devenue le Burkina en 1984, mais sans que la ligne de chemin de fer ne se soit raccordée à aucune autre pour former un grand réseau ouest-africain. Le projet de prolongement jusqu’à Tambao sera-t-il réalisé?
Le Conakry-Niger n’a pas renforcé l’Abidjan-Niger.
Le projet du Conakry-Niger était destiné à donner, après le Dakar-Niger, une seconde voie de pénétration vers le Soudan et la boucle du Niger que l’on connaissait assez mal. Limité par la guerre de 1914 à Kankan, au km 662, il ne fut jamais prolongé et donc n’a jamais rejoint l’Abidjan-Niger comme on l’espérait. Le capitaine du Génie Salesses est l’homme du Conakry-Niger : il dirige la construction de bout en bout. En 1895, le chemin de fer est jugé utopique dans cette région très accidentée, et on pense à une route. Mais un an après le début de sa construction, la route est emportée par les intempéries et le projet de chemin de fer revient en force. La construction commencée le let juillet 1900 s’achève le 26 juillet 1914. Employant jusqu’à 6 000 ouvriers, le chantier est très difficile avec des ouvriers locaux qui disent ne pas être payés (le contrat prévoit un paiement à la fin du travail !), ne pas recevoir régulièrement la « ration », être souvent brutalisés par les chefs d’équipe et enfin d’être « épouvantés par le travail à faire dans une région maudite ». Ils fuient le chantier et se cachent, et, en 1905, il faut embaucher 2000 nouveaux travailleurs pour compenser les défections. La ligne est toujours en service et a été complétée par des embranchements industriels, dont un de 152 km construit par des Russes pour le transport de la bauxite de Kindia, et un autre de 132 km, en écartement normal, pour la bauxite de Sangarédi.
Le Congo-Océan.
Cette ligne, dit-on, a coûté la vie d’un ingénieur (français ?) par kilomètre, et d’un ouvrier (africain ?) par traverse ! A raison de 1200 traverses au kilomètre en voie de 1.067 mm à traverses métalliques assez espacées, et pour une ligne longue de 512 km, cela ferait donc environ 614.000 morts chez les Noirs, et environ 500 chez les Blancs…. Soit quelques promotions entières annuelles des Grandes écoles pour ces derniers que l’on peut supposer être des ingénieurs ! Or il nous semble que ces chiffres, comme tous ceux destinés à faire une forte impression et accompagnés d’une image très percutante, doivent être pris avec prudence.
Les vrais chiffres, mais un vrai cauchemar, aussi, sont consternants.On sait, d’après le rapport fait à la fin de la construction de la ligne, que Congo-Océan a demandé 127.000 « tâcherons » recrutés de force, plus 28.000 autres qui se sont présentés comme volontaires. Ces hommes sont très dispersés, habitant loin du chantier, et font jusqu’à 1.500 km à pied, dans la jungle, pour se présenter sur le lieu de travail. Ils ne travaillent pas immédiatement, mais vont rejoindre des « camps d’entraînement » où ils séjournent jusqu’à trois ou quatre mois avant de se mettre au travail, sans doute pour recevoir une préparation psychologique leur permettant de s’adapter et même de survivre à l’épreuve qui les attend. On sait aussi d’une manière certaine que plus de 20.000 hommes ne purent supporter les très rudes conditions de travail et d’existence, et, soit sont morts sur place, soit se sont enfuis pour rentrer chez eux. C’est le seul chiffre connu en ce qui concerne donc la diminution du nombre de travailleurs, mais qui ne distingue pas les morts des évadés. Mais 20.000 disparus, même si on espère que la plus grande partie soit formée d’évadés, cela fait quand même plusieurs milliers de morts.
Il faut amener sur place et loger des Africains qui ne purent s’adapter, notamment pour des questions de nourriture ou d’éloignement de leur pays natal. L’absence de moyens de transport ou de subsistance conduit à des journées entières sans repas. En outre, à la misère s’ajoute l’absence de qualification car l’ensemble de ces travailleurs, représentant un prélèvement de l’ordre de 11% de la population des hommes des colonies concernées, « n’a jamais touché un outil », et il faut utiliser, pour se faire comprendre de tous, vingt langues différentes : « il restait à les apprivoiser, à les instruire, à leur faire comprendre ce que l’on attendait d’eux ». Pour épargner les Noirs, devant le scandale dans l’opinion publique, on en vint à recruter 700 Chinois, mais ceux-ci ne se laissent pas faire, et des grèves, des sabotages, et un nombre de malades encore plus élevé, conduisent à la fin de l’expérience.
Tout s’est apaisé aujourd’hui et l’hécatombe est oubliée : la jungle a accepté le sacrifice offert et, aujourd’hui, elle accepte le chemin de fer, indifférente. De cette ligne le Gouverneur général de l’AEF Antonetti, qui lance les travaux, disait qu’on a toujours, dans la vie, le choix entre une bonne et une mauvaise solution, mais que, avec ce chemin de fer, il n’y eut que le choix entre des mauvaises solutions.
Pour relier le Congo à l’Océan : un tiers de siècle de valse-hésitation et de discussions.
Contrairement à celle de l’Afrique Occidentale Française (AOF), la position géographique des 2.500.000 km² de l’Afrique Equatoriale Française (AEF), comme on l’appelle à l’époque, est celle d’un immense pays enclavé au cœur du continent, sans débouché autre sur la mer qu’une côte peu commode, longue de 800 km, entre Massabé et la frontière sud du Cameroun. Le seul accès à la mer est offert par de grands fleuves comme le Congo, l’Oubangui, le M’Bomou, mais un obstacle se présente : de nombreuses chutes, des seuils rocheux, des récifs qui forment une succession de barrages entre Brazzaville et la mer. Deux solutions s’offrent : emprunter, le long de cette partie non navigable du fleuve, le chemin de fer du Congo Belge qui relie Léopoldville (en face de Brazzaville) à Matadi, située sur l’estuaire du fleuve, ou bien construire nous-mêmes un chemin de fer direct entre Brazzaville et la mer par nos territoires : bref, ne pas passer par chez les voisins, voilà ce que l’indépendance et l’honneur national exigent !
L’explorateur De Brazza a l’idée de faire la ligne du Congo-Océan dès 1882 en explorant la vallée du Niari, et il confie à l’ingénieur Albert Dolisie de relever un premier tracé. Une autre étude est faite à partir de 1886 sous la menée de l’ingénieur Jacob, du réseau de l’Etat. De nombreuses autres missions se succèdent jusqu’en 1907, année décisive avec la mise en exploitation des gisements miniers de Mindouli : l’exploitation est difficile car tout doit être expédié par bateau. Enfin le chemin de fer s’impose !
Le projet du Congo-Océan suscite une levée de boucliers en métropole. Le député de la Réunion, Georges Boussenot, écrit dans « La dépêche coloniale et maritime » que ce chemin de fer est « une lourde faute d’entreprendre dans un pays misérable la construction d’une voie ferrée qui achèvera de faire disparaître une main d’œuvre déjà trop rare, et d’engager à la légère des dépenses improductives et que la métropole sera obligée de supporter ». Boussenot propose une entente avec les Belges qui ont, eux, déjà leur chemin de fer et qui, en fait, ont déjà fait des démarches en ce sens car ils occupent aussi le cœur de l’Afrique avec leur Congo belge, et ont déjà construit et rapidement, de 1890 à 1898, leur ligne qui réunit l’océan Atlantique à ce que l’on appelle à l’époque le « Stanley Pool », le bassin très actif qui entoure Brazzaville et Léopoldville. La France est donc nettement en retard…
L’ingénieur Marc Bell, de la Société Minière du Congo Français, propose le tracé qui sera effectivement réalisé une quinzaine d’années plus tard. Pour le moment, un emprunt est lancé en 1909, permettant un premier équipement de l’AEF avec des routes, des hôpitaux, des télégraphes, mais pas encore de chemin de fer. Avec l’appui de la Société des Batignolles (qui construira une partie de la ligne) un avant-projet plus consistant est présenté en 1912, et diverses expéditions militaires font des relevés sur le terrain. Les travaux commenceront en 1921, du km 0 au km 40 à partir de Pointe-Noire, mais sont presque arrêtés en 1924, par suite de la dévaluation du franc. Ils continueront désormais au ralenti, faute de moyens, faute de volonté politique, et l’on songe même à ne construire en tout et pour tout qu’une ligne en voie de 60 sur les 55 premiers kilomètres jusqu’à Boukou.
C’est bien la Première Guerre mondiale qui a secoué l’apathie et l’indifférence, et permis la construction de la ligne. Le gouverneur général Victor Augagneur peut enfin donner le premier coup de pioche pendant la cérémonie officielle du 6 janvier 1921.
En tête du chantier, une brigade étudie le terrain, fait un relevé topographique, et ouvre une piste. Ensuite viennent les équipes chargées de construire une plateforme sur laquelle on pose une voie de 60, dite « sentier de fer ». En troisième lieu, des équipes plus importantes se servent du Decauville pour effectuer les travaux définitifs. Le chemin de fer Decauville, ici aussi, prouve son utilité dans la colonisation, comme il l’a prouvée pendant la Première Guerre mondiale.
La construction est confiée à la Société de Construction des Batignolles qui choisit l’écartement de 1, 067 m, un écartement anglais qui n’a jamais été pratiqué par les compagnies françaises en Afrique, mais qui qu’un projet de réunion de tous les réseaux d’Afrique centrale en voie de 1, 067 mm est envisagé à lointaine échéance, pour réaliser le vieux rêve de la ligne du Cap au Caire par les réseaux anglais et belges.
La ligne traverse deux régions de savane situées à ses extrémités, et une partie centrale redoutable, le massif montagneux du Mayombe, longue d’une centaine de kilomètres et atteignant une altitude de 630 mètres. Il faut, pour franchir ces montagnes, percer 12 tunnels (longueur totale : 3.000 mètres) dont le fameux tunnel de faîte du Bamba long de 1.690 mètres. Le nombre d’ouvrages d’art atteint 92 ponts et viaducs de plus de 10 mètres de haut, totalisant une longueur de 2.400 mètres. La voie est formée de rails de 30 kg/m, ce qui est remarquable pour une ligne coloniale à écartement de 1.067 mm. La ligne est en voie unique, mais des évitements sont aménagés a une distance moyenne de 16 km sur l’ensemble du parcours. Le rayon minimum des courbes descend jusqu’à 100 mètres. Le poids par essieu est calculé pour 20 tonnes, notamment pour ce qui est des ouvrages d’art.
Deux grandes gares sont construites aux extrémités de la ligne, une à Pointe-Noire et une à Brazzaville, et sur la ligne on trouve 4 stations intermédiaires et 23 haltes avec voie d’évitement, le tout espacé en moyenne de 20 kilomètres.
La traction vapeur règne sur la ligne, sous la forme de locomotives du type 141 pesant 85 tonnes et à petites roues motrices de 900 mm seulement, du fait des fortes rampes. Formant un parc de 26 machines en 1934, elles remorquent tous les types de trains. En 1948, trois locomotives diesel-électriques sont engagées sur le réseau, mais sont rapidement mises hors service par les dures conditions de travail.
Le matériel voyageurs est très confortable pour l’époque. En 1934 il existe un projet de création de « trains paquebot » de luxe, effectuant le trajet total en 12 heures, remorqués par des locomotives diesel-électriques, et composés de voitures-restaurants, de voitures lits-salon, et toutes avec intercommunication. Il n’est pas sûr que ce matériel voyageurs ait été réellement mis en service, sans doute du fait de la Seconde Guerre mondiale. Avec les trains de voyageurs ordinaires, le trajet total dure de 15 à 18 heures, ce qui est, malgré les ventilateurs, très long pour 500 km !
En 1958, peu avant l’indépendance du Congo en 1960, une série de 26 locomotives diesel-électriques du type BB, pesant 60 tonnes et très puissantes avec leurs 1.400 ch, est commandée chez Alsthom, et ces machines marquent le renouveau de la ligne, capables de remorquer des trains de 500 tonnes en rampe de 18 pour mille et courbe de 150 mètres de rayon. Elles peuvent assurer des trains de voyageurs en gagnant une demie heure sur les autorails pourtant assurant le service le plus rapide. En 1962, la ligne de Mont-Belo à Mbinda, longue de 285 km se raccorde au PK 200 du Congo-Océan pour le transport du manganèse de Moanda apporté par un téléphérique de 70 km de long. Entre 1976 et 1985, le Congo-Océan a bénéficié de travaux de réalignement à travers les montagnes du Mayombe grâce au percement d’un tunnel de 4.633 mètres, constituant le dernier grand chantier ferroviaire français en Afrique. La ligne est toujours en activité. Qui se souvent du drame humain payé lors de sa construction ?

Le chemin de fer de Djibouti à Addis-Abeba.
La construction de ce chemin de fer de a été toute une aventure diplomatique et technique, et elle a pour principal centre d’intérêt d’avoir été, à l’époque, l’objet d’un grand enjeu national en France. Cette ligne relie Djibouti à Addis-Abeba, la capitale de l’Ethiopie, et les Français de l’époque pensaient ainsi, avec cette ligne de pénétration africaine, donner des activités à « notre » port de Djibouti et à « notre » côte des Somalis, tout en s’assurant, pour longtemps, une forte influence économique et diplomatique sur l’Ethiopie et son empereur Ménélick. Encore une belle aventure coloniale dont on espère qu’elle n’aura pas laissé qu’un bilan négatif, pour reprendre les termes d’un débat actuel…
Cette « Côte française des Somalis », que les ouvrages de géographie d’époque présentent comme « enclavée entre la Somalie italienne au nord et la Somalie anglaise au sud », « aride et malsaine », offre une belle superficie de 30.000 km2, la même que celle de la Belgique, peuplée alors de 60.000 habitants et « ce pays contient des richesses de toute espèce ».
A l’époque, des caravanes desservent l’Ethiopie et conduisent les produits vers le Nil, ou vers Addis-Abéba d’où ils repartent, en caravane toujours, vers les ports de la Mer Rouge comme Massouah et Assba en Erythrée, Djibouit tardivement créée en 1888 dans la Somalie française, ou encore Zeila ou Berbera en Somalie britannique. L’empereur d’Ethiopie, Ménélik, choisit de faire confiance à la France pour le développement de son pays et concède à une compagnie française de pouvoir relier l’Ethiopie non seulement à la Mer Rouge par plusieurs lignes, mais aussi au Nil Blanc.
La compagnie impériale d’Ethiopie : un beau nom, mais peu de rendement…
La « Compagnie impériale d’Ethiopie » est constituée en 1894 au profit d’un Suisse dénommé Elg, ingénieur de son état, et d’un Français dénommé Chefneux, dont on a retenu qu’il avait la profession de « voyageur ». La compagnie est libre de fixer ses tarifs, mais les textes officiels de la convention précisent que « le prix pour l’Empereur devait être moindre que pour toute autre personne »… Des taxes de 10% prélevées sur les marchandises voyageant par caravane aideront au financement de la ligne et à décourager, ensuite, la concurrence. Dès que la somme de 3.000.000 francs serait accumulée, la taxe disparaîtrait, et les bénéfices seraient partagés directement entre la compagnie et le gouvernement éthiopien.
Il fallut établir, à Djibouti, une jetée pour permettre le débarquement des matériaux de construction et du matériel roulant. Deux entrepreneurs français, Duparchy et Vigouroux, construisent la ligne qui atteint, en 1899, le kilomètre 100, moyennant la construction de viaducs d’une ouverture allant jusqu’à 138 mètres pour franchir de profondes gorges. Vers 1900, les attaques de la part d’indigènes gênent les travaux et la mise en service de la ligne est difficile.
La situation financière de la compagnie se complique car les travaux avancent lentement et les actionnaires étrangers perdent patience. Des procès ont lieu. La compagnie est liquidée en 1907. Le gouvernement français reprend à son compte la ligne, la subventionne, et garantit les intérêts. C’est la création de la « Compagnie du chemin de fer franco-éthiopien de Djibouti à Addis-Abeba ».
Diré-Daoua est atteinte le 30 décembre 1902 : ce n’est que le kilomètre 308 et il en reste plus de 400 à construire, tandis que les caisses sont vides. L’internationalisation du chemin de fer est nécessaire pour trouver des fonds, et l’Angleterre et l’Italie apportent leur contribution. Mais l’accès jusqu’à l’importante ville de Harrar, dans une région désertique située à plus de 1.900 m d’altitude, située près de Diré, est jugée impossible à réaliser. Ce tracé est abandonné et la ligne continue en direction d’Addis-Abeba qui est enfin atteinte en 1917, totalisant alors 784 km, et atteignant l’altitude de 2.400 mètres. (Voir la carte ci-contre)

Les caractéristiques de la ligne sont un écartement métrique au lieu de l’écartement normal de 1.435 mm, des traverses en métal, des rails de 25 kg par mètre seulement (remplacés par des rails de 30 kg durant les années 1930), des courbes à rayon de 100 mètres seulement, et des rampes atteignant 22,5 mm par mètre. Ces caractéristiques sont peu favorables à un trafic intense et lourd, et correspondent bien à la plupart des lignes africaines qui, tout compte fait, ne sont que la transposition, sur le sol africain, des petits réseaux départementaux de la métropole.

Prévu pour un trafic de 1.000 tonnes par jour sans le sens de la montée, le trafic ne dépassera jamais 450 tonnes. La charge utile remorquée est de 350 t par train au maximum. Un parc de 91 locomotives, 4 autorails Fiat, 52 voitures et 601 wagons, muni de l’attelage automatique et du frein à vide continu, forme un bel ensemble homogène à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Beaucoup de wagons sont sur bogies. Un train direct hebdomadaire relie Djibouti à Addis-Abéba en 24 heures – ce qui ferait sourire aujourd’hui avec une moyenne de 32 km/h, mais reste remarquable pour l’Afrique à l’époque. En 1938, c’est l’âge d’or de la ligne avec 400.000 voyageurs transportés, 80.000 tonnes à la montée (produits alimentaires et de construction), mais seulement 453 tonnes à la descente (essentiellement du café et des peaux).

La surprise vient de Chine, une fois encore.
Grands amateurs de construction de voies ferrées dans des lieux où personne ne voudrait le faire, les Chinois s’intéressent à la ligne d’Ethiopie vers 2010. Des projets non pas de remise à niveau mais de construction d’une nouvelle ligne électrifiée sont avancés par des entreprises chinoises (China Communications Construction et China Railway Engineering Corporation), associés à des sociétés indiennes et russes, mais personne n’y croit vraiment, tellement la situation est économique locale est mauvaise, la ligne étant tombée dans un état d’abandon et d’inaction décourageants. En octobre 2012, par volonté gouvernementale, des trains ont recommencé à circuler entre Dire Dawa et la frontière djiboutienne, et avec du matériel roulant restauré bénévolement par d’anciens cheminots !. En 2013, le trafic est rétabli jusqu’à Djibouti avec des moyens très précaires. La ligne ne veut pas mourir….
C’est alors que les gouvernements éthiopien et djiboutien décident de la reconstruction entière de la ligne avec un financement de près de 600 millions de dollars contracté auprès de la Exim Bank chinoise. Les travaux commencent immédiatement et ambitionnent la construction d’une ligne totalement nouvelle, en écartement standard de 1435 mm et en principe électrifiée. Elle fera 756 km de long à avec une vingtaine de gares, et 670,7 km seront construits en territoire éthiopien tandis que 82 km seront sur le territoire de la république de Djibouti. Le tronçon djiboutien a été achevé en août 2015, et n’est pas encore exploitée en traction électrique. Mais l’Ethiopie, productrice et exportatrice de courant électrique, milite fermement pour cette électrification d’une ligne qui, maintenant, atteint Merebe Meserma, à 112 km seulement d’Addis Abeba. La volonté politique de vouloir s’en sortir et de retrousser les manches pour construire une ligne de chemin de fer de qualité, quand elle est là, assure que tout puisse redémarrer. Le chemin de fer est bien créateur de richesse, et pas seulement de rêves…
Le chemin de fer de l’Erythrée.
La construction de ce chemin de fer est l’exemple type de la belle aventure coloniale, effectuée avec tout le panache et le talent italien pour pouvoir s’implanter durablement, espérait-on, en Afrique alors désirée par l’ensemble des grandes puissances coloniales de l’Europe. Pour l’Italie, ce sera l’Erythrée qui est complètement conquise à la fin des années 1880. Les Italiens commencent la construction de leur pemière ligne en 1887 d’abord sous la forme d’une courte ligne militaire de 27 km à partir du port de Massawa en direction de l’intérieur des terres et jusqu’à Saati pour les besoins de l’expédition du général Asinari di San Marzano. En 1895 les ingénieurs Edoardo Garneri et David Serani présentent un projet de ligne en voie de 750 mm de Massawa à Cassala, au Soudan, avec deux variantes de tracé, l’un par la vallée de la rivière Lebca, l’autre par le sud et aboutissant au Soudan par la vallée de la rivière Tamarat.
En attendant, la ligne déjà construite jusqu’à Saati est reconvertie de l’écartement de 750 mm à celui de 950 mm vers 1900, et son prolongement est entrepris en direction de la capitale Asmara qui est atteinte en 1911 avec un tracé définitif passant par Mai Atal et Ghinda et Nefasit. La ligne est prolongée jusqu’à Keren en 1922, Agordat en 1928, et Bascia en 1932. Elle totalise alors 280 km, son extension maximale étant présentée comme ayant atteint 312 kilomètres en 1929, selon les documents de la « Societa Nazionale per le Ferrovie Coloniali Italiane » de l’époque, avec tous les embranchements et raccordements.
Les constructeurs de la ligne comptaient bien pousser jusqu’à Tessenai, dans le Soudan, mais l’invasion de l’Ethiopie par Mussolini mobilisa toutes les ressources, y compris les moyens nécessaires pour améliorer la ligne déjà construite et augmenter son débit entre Massawa et Asmara, histoire d’acheminer de l’armement jusque sur le haut plateau. Construite aux normes italiennes, y compris pour le choix de cet écartement de 950 mm que l’on retrouve en Sardaigne et sur bien des réseaux locaux italiens, la ligne est très difficile à réaliser, la montée depuis la mer Rouge jusqu’aux hauts plateaux étant très abrupte, ce qui donne une ligne dure à exploiter et aux performances médiocres.
Elle ne demande pas moins de 30 tunnels, 65 ponts dont un viaduc de 14 arches au-dessus de la rivière Obel, 667 courbes à rayon très serré pour escalader le rebord escarpé du plateau central sur lequel se trouve Asmara avec un point de passage à 2394 mètres d’altitude avant de plonger en direction de l’ouest pour redescendre dans le bas pays de Barka situé à 650 mètres sous le niveau de la mer, et atteindre ensuite Agordat. Un vrai parcours de montagnes russes !… La ligne comprend 30 gares et l’armement des voies est en rails de 24,9 kilogrammes par mètre, posés sur des traverses métalliques espacées de 50 cm, ce qui est assez faible et d’un type bien colonial.La ligne permet de faire vivre non seulement la capitale Asmara, mais aussi tout le pays. Et pourtant, les trains y sont très lents, avec un trajet de plus de six heures pour aller du port à la capitale, soit une vitesse inférieure à une moyenne de 20 km/h. Elle a fait la prospérité de villes comme Nefasit, Keren, ou Agordat, y apportant des produits agricoles. En 1935 les trains font jusqu’à 38 allers et retours quotidiens entre la capitale et le port. En 1941 la ligne est toujours sous contrôle italien, et puis les Britanniques en reprennent l’exploitation.La ligne survit à la Seconde Guerre mondiale. En 1952 la ligne passe sous le contrôle complet de l’Ethiopie et l’ensemble du personnel italien est rapatrié. Le projet d’un raccordement avec le réseau du Soudan est toujours à l’ordre du jour, mais il est ajourné sine die car les bureaucrates de toutes les administrations du monde, de l’Italie à l’Ethiopie, ont toujours négligé les réalités techniques du terrain, en particulier l’écartement de 950 mm érythréen et 1067 mm soudanais issus respectivement d’une histoire technique italienne et anglaise, ce qui rend totalement incompatible tout projet de raccordement des deux réseaux… Il était temps de s’en apercevoir.
L’agonie, la mort, et la résurrection.
En tous cas, la ligne de l’Erythrée continue à survivre et, en 1965 par exemple, elle transporte encore 500.000 voyageurs par an et 200.000 tonnes de marchandises. Mais elle est exposée à la lutte armée pour l’indépendance qui a duré, en fait, de 1960 à 1991, et en 1975 il n’en reste pratiquement plus rien, tout ayant été récupéré pour la guerre, jusqu’au moindre rail ou morceau de métal, ou ayant été pillé. En outre la construction d’un réseau routier, l’introduction de camions et d’autobus retire à la ligne tout avenir. De 1941 à 1952, le pays est administré par les Britanniques, puis, en 1952, l’Erythrée est réunie à l’Ethiopie avec un statut d’état fédéré. Mais cette fédération se transforme en une domination éthiopienne, et l’Erythrée devient purement et simplement une province de l’Ethiopie en 1962. C’est alors que naît dans le petit pays un fort mouvement de révolte et le Front de Libération de l’Erythrée (FPLE) est crée en 1970. En 1991, le nouveau régime éthiopien succédant à celui instauré par Mengistu accepte le principe d’un référendum d’autodétermination et en 1993, l’Erythrée est de nouveau indépendante. C’est en 1993, quand l’Erythrée redevient indépendante et paisible, que de riches donateurs s’intéressent à la ligne et désirent la faire revivre. Mais les fonds réunis sont insuffisants, bien qu’atteignant 400 millions de dollars. Le gouvernement de l’Erythrée fait de la reconstruction de la ligne un grand objectif national, refuse alors par fierté toute aide étrangère et mise alors sur un grand élan patriotique qui se produit, et invite les cheminots retraités à revenir faire revivre la ligne et à remettre en service le peu de matériel roulant qui est disponible. On voit des retraités âgés de plus de 80 ans apprendre leur métier de cheminot à des jeunes étudiants et des militants du Service national de reconstruction de l’Erythrée, et tout le monde se met à reconstruire la ligne, à récupérer ou à rassembler du matériel roulant, à le réparer avec des moyens de fortune.
Le tronçon de 117 km reliant Massawa à Asmara est rouvert en 2003. Le parc de traction comporte une demie douzaine de locomotives-tender à vapeur de type 020 construites entre 1927 et 1937 par Breda en Italie et maintenant pour la plupart réparées et en état de marche : elles sont très caractéristiques de la construction italienne avec leur unique dôme allongé surmontant le corps cylindrique et contenant le dôme de prise de vapeur entouré de la sablière pour maintenir le sable chaud et sec, leur distributions Walschaerts, leurs roues et embiellage peintes en rouge tranchant sur le reste noir uni. A ce parc vapeur s’ajoutent deux locomotives diesel Krupp de 1957 qui représentent le matériel le plus récent acheté par le réseau, et aussi trois des fameux anciens autorails A69 et A70 dites « Littorine » (au singulier : « Littorina ») de construction italienne et datant de 1936, sans doute les engins les plus emblématiques de la ligne de l’Erythrée, avec leur gros radiateur Fiat à l’avant, leurs couleurs crème et grise et un bandeau rouge séparant les teintes, et leurs tampons rouges.
D’autres locomotives ont été récupérées, comme des Mallet 020+020T construites par Ansaldo en 1915 et en 1938, et garées dans les ateliers d’Asmara en attente de réparation ou remises en service. Il y a aussi trois curieux locotracteurs Drewry de construction anglaise apportés en 1941 sous l’administration britannique depuis le Soudan et convertis de la voie de deux pieds à la voie de 950 mm par passage des roues de l’intérieur à l’extérieur des longerons : deux sont à trois essieux, et l’autre est à deux essieux. De voitures à voyageurs à bogies, des wagons à marchandises ont été récupérés et remis en service en fonction des moyens. Le matériel le plus pittoresque consiste en d’anciens camions russes convertis pour rouler sur des rails et que l’on peut voir en service. Il a été question de reconstruire la ligne en voie normale et de la doter de matériel neuf, autorails et matériel marchandises tant moteur que remorqué.
Depuis, la ligne est confirmée dans son rôle de symbole de la reconstruction nationale par les citoyens, et sa grande beauté attire des touristes du monde entier. Il n’y a pas d’horaires, mais de nombreuses circulations à la demande, en fonction des besoins locaux comme les saisons agricoles, les foires, des vacances, des saisons touristiques. A la manière africaine, on se met au bord de la voie, et on attend patiemment…

L’Afrique ferroviaire britannique : l’autre grande œuvre coloniale.
Si l’on fait le tour de cet immense et magnifique continent, de l’ouest vers le sud et vers l’est ensuite, on trouvera toujours d’anciennes possessions britanniques. Seule l’Afrique du Nord a échappé à la volonté du « Rule Britannia » pour cause de vis-à-vis direct et méditerranéen avec les côtes françaises.
L’Afrique, dite anglaise à l’époque, comprend dans l’ouest plusieurs territoires séparés les uns des autres qui sont la Gambie, le Sierra Leone, la Côte d’Or, et ce que l’on appelle en France la Nigérie, plus tard Nigeria. L’Afrique du sud est, sans doute, le bastion fort de la pénétration britannique et constitue un bloc énorme dont la plus grande partie est consolidée et réunie en 1910 pour constituer l’Union Sud-Africaine, mais où certaines possessions jouissent de plus ou moins d’autonomie, comme c’est le cas du Basutoland, du Swaziland, du Protectorat du Bechuanalarid, et du territoire mandaté du Sud- Ouest. L’Afrique du Sud possède un réseau ferroviaire multipolaire, avec des nœuds importants répartis sur l’ensemble du pays, contrairement à la situation de la métropole britannique dont il est loin d’être une copie conforme.
Si l’on remonte en direction du nord-est, le Nyassaland et la Rhodésie y font suite, formant le trait d’union avec le bloc oriental constitué du Territoire du Tanganyika, du Kenya et de l’Uganda[12]. Et plus au nord encore, le Soudan Anglo-Egyptien constitue un anneau de plus de ce gigantesque empire qui embrasse une portion énorme du « Continent Noir » comme le nomment les ouvrages de géographie des années 1930.
La colonisation britannique se traduit, sur le terrain, par une très grande variété de conditions. Dans les années 1930, au moment de l’âge d’or de cet empire ferroviaire britannique, le degré d’avancement de l’emprise anglaise varie. On trouve des pays décrits à l’époque comme « complètement civilisés », ce qui est le cas de l’union Sud-Africaine, ou bien des « colonies prospères », comme la Rhodésie; ou encore des « colonies naissantes » comme le Kenya, ou enfin de simples protectorats comme la Nigérie septentrionale.
Les chemins de fer répondent à leur manière à cette diversité mais toutefois avec un souci, en prévision du développement futur, de leur appliquer des normes communes de haut niveau technique. Partout les Britanniques ont refusé l’écartement normal de la voie européenne pour leurs réseaux d’Afrique et ils ont généralement adopté la voie de trois pieds et six pouces, ou 1067 mm, qui suffit, estiment-ils, à tous leurs besoins. Les anciennes colonies allemandes devenues britanniques après la Première Guerre mondiale font cependant exception avec leur voie de 1000 mm qui a été posée par les Allemands, et l’île Maurice fait exception pour sa voie normale en 1435 mm.
En Afrique occidentale, le Nigéria a démarré une expansion économique remarquable au début du XXe siècle, car elle jouit de plus de ressources naturelles et que la population y est beaucoup plus dense que dans la plupart des autres régions proches : c’est ainsi qu’à la fin des années 1930, il possède 2530 km de voie en 1067 mm, ainsi que 214 km en voie de 26 pouces. (660 mm). La Gambie est encore dépourvue de tout chemin de fer en 1930. Le Sierra Leone possède 544 km de chemins de fer avec un écartement de deux pieds et six pouces, ou 762 mm, posée à l’économie pour des raisons du faible trafic escompté. La Côte de l’Or possède 797 kilomètres en voie de 1067 mm.






Ces colonies sont séparées par d’autres pays dont les chemins de fer sont en voie métrique. Mais à l’époque on pense, et à tort, qu’il n’y aura, avant longtemps, pas grand inconvénient à cela, puisque chacune d’elles possède un réseau qui lui est propre, formé de « lignes de conquête » (terme d’époque qui a l’avantage de la clarté) dont le but est de faciliter les communications à l’intérieur de la colonie et avec le port le plus proche situé sur l’Océan. Les échanges entre colonies voisines sont presque nuls et, pour des raisons politiques et économiques, on les décourage même. A chaque puissance coloniale son chez soi, ses frontières, son écartement. Vous avez dit “Afrique” ?
L’Afrique du Sud et la Rhodésie présentent, l’une et l’autre, un développement notablement en avance sur celui du Congo belge ou français. L’Afrique orientale anglaise « pousse des tentacules ferrées », selon les termes d’un rapport d’époque, jusqu’aux frontières des possessions belges… La ligne du mandat du Tanganyika arrive, dans les années 1930, au grand lac frontière; tandis que celles de l’Uganda s’avancent également vers elle et l’atteindront tant au nord du lac Kivu, que dans la direction d’Usumbura. Les experts internationaux de l’époque soulignent que « la ligne de. Kenya et de l’Uganda sont remarquables à tous points de vue, d’autant plus que l’on les a construites a travers un pays qui paraissait peu propice mais que l’on développe avec une méthode et une sûreté dignes d’admiration ».
Le Soudan, pays légendaire de Rudyard Kipling et d’un certain chemin de fer.
Le Soudan, c’est le pays légendaire de Rudyard Kipling, c’est la recherche des sources d’un Nil mystérieux, et un réseau ferré attachant. A l’époque où les explorateurs et les militaires disparaissaient sans laisser de trace ou d’explication , les Anglais envoient, en 1895, un général Kitchener à la recherche d’un général Gordon qui manque à l’appel depuis une dizaine d’années, disparu du coté de Khartoum. Kitchener, pour entreprendre ce qu’il pense être une longue guerre d’usure, construit un chemin de fer en écartement de 3 pieds 6 inches (1067 mm) depuis Wadi Halfa, près de la 2ème cataracte du Nil, pour court-circuiter une boucle du fleuve et atteindre Atbara à plus de 300 km de là. La ligne est parcourue par des locomotives à condensation pour pallier le manque d’eau du désert de Nubie. La bataille est livrée en 1897 (un jeune soldat y participe : il s’appelle Winston Churchill) et c’est ainsi que le Soudan devient une colonie britannique, bien qu’officiellement il s’agisse seulement d’un condominium anglo-égyptien. Prolongé jusqu’à Khartoum, le chemin de fer de Kitchener devient l’embryon du réseau soudanais, desservant Port Soudan sur la mer Rouge dès 1906. Après l’indépendance du Soudan en 1955, le réseau est étendu pour atteindre un total de 5.400 km environ. En direction du sud, le réseau pousse jusqu’à Wau en 1961 : nous sommes à 1.400 km de Khartoum, et à 2.320 km de Wadi Halfa, le point d’origine. Un bel exploit !
Il s’en est fallu de peu, en dépit des efforts soudanais, pour que le rêve de la ligne du Cap au Caire de Cecil Rhodes ne soit réalisé. Mais la jonction entre le nord et le centre de l’Afrique n’est pas encore faite quand, en 1961, le réseau soudanais renonce à aller plus loin. C’est une époque troublée pendant laquelle beaucoup de nouveaux enjeux politiques apparaissent en Afrique, et, pour sa part, le chemin de fer n’apparaît plus comme une solution d’avenir. Le manque d’eau a fait que la traction diesel a pris en charge l’ensemble des trains du réseau dès les années 1950. Aujourd’hui le réseau compte environ 160 locomotives diesel, 380 voitures et 6.000 wagons. La longueur totale est de 4313 km.

Les chemins de fer des colonies anglaises de l’Afrique orientale.
Entre le Congo et la Rhodésie, d’une part, et l’Océan Indien, d’autre part, s’étendent les colonies anglaises du Kenya et d’Uganda, le Tanganyika Territory, (autrefois l’Afrique Orientale allemande), le Nyassaland et le Mozambique. Dans chacune d’elles on a construit des chemins de fer qui, partant de la côte, se dirigent directement vers l’intérieur et cela dans le double but d’assurer la domination effective de la mère-patrie et ensuite, si faire se peut, d’en développer les possibilités commerciales, industrielles et minières.
Dans les années 1930, le réseau du Nyassaland est encore rudimentaire avec 181 km en voie de 1067 mm. Le Tanganyika a deux lignes de pénétration qui, comme celles des colonies du Kenya et d’Uganda, se dirigent vers les grands lacs : elles forment un ensemble de 2111 km en voie métrique.. Une ligne partie du Kenya rejoint la ligne septentrionale du Tanganyika Territory. Les lignes des deux colonies de Kenya et d’Uganda forment un seul réseau de 2242 km en vraie voie métrique. Le Soudan, enfin, forme un grand ensemble de 3171 km en voie de 1067 mm après reconstruction d’un réseau militaire provisoire.
Pays | Voie 600 mm | Voie 762 mm | Voie 1000 mm | Voie 1067 mm | Voie 1435 mm | Total (km) |
Gambie | * | * | * | * | * | * |
Sierra-Leone | * | 544 | * | * | * | 544 |
Côte de l’or | * | 16 | * | 797 | * | 813 |
Nigéria | * | 214 | * | 2530 | * | 2744 |
Afrique du Sud | 1278 | 174 | * | 17443 | * | 18895 |
Sud-ouest | 727 | * | * | 1683 | * | 2410 |
Walvis Bay | * | * | * | 32 | * | 32 |
Basutoland | * | * | * | 2 | * | 2 |
Bechuanaland | * | * | * | 649 | * | 649 |
Rhodésie | * | * | * | 2736 | * | 2736 |
Tanganyika | 92 | 32 | 2144 | * | * | 2268 |
Kenya & Uganda | * | * | 2242 | * | * | 2242 |
Maurice | * | 24 | * | * | 220 | 244 |
Soudan | * | * | * | 3171 | * | 3171 |
. La « ligne du fou » au Kenya.
C’est une vaste histoire, bien complexe, bien ferroviaire, bien africaine… Bref, un délice pour les amateurs du genre, et il y en a ! Rapidement surnommée la « lunatic line », cette ligne est à la fois fascinante par sa beauté et son audace, mais aussi par les souffrances et les difficultés qu’elle a engendrées tant dans sa construction et son exploitation. Il s’agit de la ligne principale du réseau des Kenya & Uganda Railways, qui relie le port de Mombasa à Nairobi, puis à Kampala. Longue de 1.400 km environ, la ligne en vraie voie métrique (1000 mm)[13] part du niveau de la mer et monte à 2 700 m d’altitude au voisinage de l’ Equateur, ceci près de Tombaroa. Des rampes de 15 et 20 pour mille sont très fréquentes, et des courbes à faible rayon rendent le travail des locomotives particulièrement ardu, après avoir rendu tout aussi ardu le travail de la construction. Une vraie ligne de l’extrême…
Paradis à louer avec chemin de fer à construire.
L’Uganda, présentée à l’époque comme « colonie peuplée, fertile et prospère », est séparée de l’Océan par la colonie du Kenya qui trouve ses origines dans les relations du Sultan de Zanzibar et des puissances européennes. Le Sultanat comprend les îles de Zanzibar et de Pemba et de vastes territoires continentaux. Après s’être libéré, en 1853, de la domination de l’état de Mascat, le Sultan de Zanzibar accepte le Protectorat britannique pour ses possessions insulaires et ce Protectorat est reconnu par la France et par l’Allemagne en 1890, lors des arrangements généraux qui concernaient divers territoires, notamment Helgoland et Madagascar. La même année, il vend ses Possessions continentales à la Grande-Bretagne, à l’Italie et à l’Allemagne. Un bel acte de vente, puisque l’on y vend jusqu’aux populations…Depuis 1888, toutes ces régions se trouvent placées sous ce que l’on appelle une « compagnie à charte » qu’est l’Imperial East Africa C°. L’acte général de la conférence antiesclavagiste de Bruxelles du 2 juillet 1890, approuvé à Londres le 9 mai 1902, lui impose l’obligation de construire un chemin de fer qui assurera la pénétration et la pacification du pays.Quant aux possessions continentales, la Grande-Bretagne les loue, en 1895, pour 10,000 livres sterling par an, ceci pour en faire l’ « East African Protectorate ». Enfin, le 23 juillet 1920, le Protectorat devient la « Colonie de Kenya «, alors que la bande côtière de 10 miles de profondeur constitue le « Protectorat du Kenya ». Bref, il s’agit plutôt de baux, de contrats de location et de gestion immobilière que du bon vieux colonialisme manu militari qui s’affiche en toute pureté… les mœurs ont changé depuis le siècle précédent. La colonie du Kenya occupe 548.000 kilomètres carrés et la population comprend environ 3 millions habitants, parmi laquelle figurent 12.500 Européens. Nairobi, la capitale du Kenya, se trouve sur les hauteurs et comprend 33.000 habitants dont 3.600 Européens. La région côtière est fertile et les ports sont nombreux. Le plus important d’entre eux est celui de Mombasa, ville de 40.000 habitants située sur la côte orientale. La plus grande partie de la région est drainée vers le nord et le bassin du Nil, auquel sont reliés les grands lacs de l’intérieur : le lac Victoria, le lac Kioga et le lac Albert, qui sont tous navigables ainsi que certaines des rivières qui s’y jettent ou qui en débouchent. Enfin, entre l’Océan et la région des lacs, s’étend une chaîne de montagnes dont les hauteurs principales se trouvent au mont Kenya (5.240 mètres) et au Kilimandjaro (6.010 mètres), l’un en territoire britannique, l’autre en territoire allemand. Même si de très vastes étendues du pays sont couvertes de lave, on a découvert des gisements miniers intéressants. L’Ouganda se trouve sous l’influence anglaise depuis 1890 et une partie du pays est d’abord administrée par la British East Africa C°. En 1894, le Royaume d’Uganda et les territoires voisins sont placés sous Protectorat Britannique, et le tout fonctionne avec l’aide des chefs indigènes locaux. La superficie du pays, qui comprend quatre provinces, est de 240,000 kilomètres carrés y compris 84,000 kilomètres carrés de lacs et de cours d’eau. La population est estimée à un peu plus de trois millions d’habitants. Il produit surtout du coton, mais on y récolte également le café et le caoutchouc, ces récoltes s’évacuant par le Soudan et le bassin du Nil.
La construction du chemin de fer ayant été décidée en 1890, un certain sir William Mackinson adresse une demande de concession le 7 décembre et sollicite une garantie d’intérêt. Sa demande est accueillie favorablement…mais on ne lui concède que les études ! En effet d’autres enjeux sont cachés derrière ce qui n’apparaît que sous la forme d’une colonisation purement économique : ligne pourrait servir au cours de la campagne que l’on prépare contre les Mahdistes en les prenant à revers, tout comme le Beira Railway a servi dans la guerre des Boers. Pourtant, l’opinion publique y était nettement hostile car elle coûterait fort cher et l’on pensait que son rendement ne serait pas meilleur que celui de la Nordbahn de la colonie voisine allemande.
Malgré cela, une fois la décision prise, la ligne est construite en quelques années à peine, et cela, malgré des difficultés de tout ordre que l’on ne pouvait prévoir. C’est ce que les Britanniques appellent une ligne «impériale » avec laquelle ils comptent devancer les autres nations pour « capter », comme on dit à l’époque, les richesses de l’Ouganda. Ce chemin de fer constituerait un débouché du Transafricain Le Cap – Le Caire, outre le support d’opérations possibles dans la campagne militaire envisagée. Mais il ne remplira jamais ce but, Kitchener étant arrivé à ses fins au moyen des seuls chemins de fer soudanais.
Le Major Mac Donald dirigea les études en 1801-1892 pour compte de l’East Africa C°. La ligne de 1.050 kilomètres, fut estimée à 2,240,000 livres sterling sans ballastage et avec des rails de 25 kilogrammes par mètre, et des ponts en bois sur chevalets : bref, un minimum absolu… Ce fut vers ce moment (1895) que la Compagnie à charte se trouvant « embarrassée » (terme délicieux, toujours d’après les documents d’époque), le Gouvernement la racheta et poursuivit lui-même l’exécution des projets entamés.



L’argent : sujet qui fâche.
Mais les choses n’allèrent pas toutes seules. La Commission des Affaires étrangères, effrayée par les prévisions de dépenses de cette longue ligne à établir en pays neuf, ramena le devis à 4,7 millions de livres sterling en utilisant des rails plus légers et en faisant d’autres économies, mais des conseils plus sages prévalurent et on s’arrêta finalement à une estimation de trois millions de livres sterling pour laquelle le Gouvernement Impérial ouvrit à la Colonie les crédits nécessaires. Mais la ligne coûta plus de 5,2 millions de livres sterling…
La construction du chemin de fer est commencée en juillet 1896 et, ne dura que cinq années, ce qui était rapide si l’on tient compte des difficultés de toute sorte qu’il fallut surmonter. Il y a d’abord la question de la main-d’œuvre, le recrutement ne pouvant se faire sur place vu le peu d’engagement de la part des populations. On importe donc des coolies des Indes et même avec eux leur propre nourriture, ce qui faisait d’eux des travailleurs chers. Malgré cela, les Britanniques tiennent bon et le nombre de coolies passe de 3.950 en 1896 à plus de 20.000 en 1900.
La bande côtière appelée le Taru, est marécageuse et malsaine, entraînant chez les travailleurs une forte mortalité et donnant raison aux populations locales qui ont refusé un tel travail. Elle est constituée par une jongle à la végétation épaisse, où il tombe jusqu’à un mètre d’eau en deux mois et malgré cela, il n’y a pas d’eau potable. On n’en trouve qu’à Tsavo, lors que la ligne s’engage dans la montagne et est déjà à 450m, d’altitude, ceci à 200 kilomètres de l’origine. Aussi faut-il établir des distilleries d’eau de mer au port de Kilindini et les locomotives ne trouvent de l’eau qu’à Nysoibé, à 524 km du point de départ. Elles transportent avec elles d’importantes réserves d’eau au moyen de wagons-citernes attelés derrière le tender.
La mouche tsé-tsé fait de terribles ravages parmi les bêtes de trait. On leur substitue des tracteurs mécaniques. Mais dès qu’on atteint les hauteurs, la ligne avance plus rapidement à raison de 600 à 1.000 mètres par jour, « ce qui était fort beau dans pareil pays » (sic) car le profil est très accidenté et la ligne est tracée à une grande altitude au-dessus du niveau de la mer.
Le prolongement de ce chemin de fer sur une distance de 52 kilomètres est commencé en 1930 sous le nom d’embranchement de Kisumu Yala. Il est évident, pour les esprits colonisateurs de l’époque, que cette ligne n’en restera pas là et recevra des prolongements successifs à mesure des nécessités, et au moyen d’une série de lignes de chemins de fer, de navigation et de lignes dites « d’auto » (services de camionnage) afin de lui amener les produits d’une large zone de l’Uganda.
Faisant ce que l’on appellerait du « multimodal » et des « mobilités », un service de bateaux sur le lac Victoria est créé pour prolonger le chemin de fer. Afin de pénétrer dans le coeur de l’Afrique, on construit en 1910, le chemin de fer de Rusoqa entre Jinja, un port du lac Victoria, et Amasagali, un port du lac Kioga où l’on établit des services de navigation jusqu’à Masinidi Point, un petit port qui est situé à l’extrémité opposée d’où des « autos » conduisent au lac Albert, à Butiaba. Les services de navigation sur ce lac et sur le Bahr el Djebel jusque Nimule à la frontière soudanaise, assurent alors une jonction avec tout le réseau soudanais qui, lui, est en voie de 1067 mm. D’autre part, les bateaux du lac Kioga descendent Ile Nil Victoria de Masidini Point jusqu’Atura.
A mesure que le trafic se développe, on améliore les transports et l’on cherche d’abord à éviter des ruptures de charge. Comme, à l’époque, on dit et écrit de l’Ouganda qu’il est « notablement plus avancé que le Kenya, qu’il est plus peuplé, mieux cultivé, et qu’il possède même un réseau routier convenable », il faut le desservir plus directement afin d’en « capter » (sic) le trafic avant qu’il ne s’achemine par d’autres voies jusqu’à la côte. A cet effet, il fallait amener la ligne directement jusque-là au lieu de ne la conduire qu’au lac Victoria. On élimine ainsi les aléas de la traversée du lac.

On décide donc que la ligne principale bifurquera à Nakifru Junction, au kilomètre 724, d’où l’on commençe la construction d’une ligne directe jusque Mbulamuti, une gare du chemin de fer de liaison des lacs Victoria et Kioga. Cette ligne traverse une région fertile qui produit surtout du coton. Quoique située presque entièrement dans le Kenya, elle pénètre dans l’Uganda à Tororo. Sa longueur totale est de 298 kilomètres dont 126 jusqu’au Malaba River qui forme la frontière entre le Kenya et l’Ouganda. Son altitude maximum est de 2.865 mètres au kilomètre 113.
Le système, remarquable par sa complémentarité entre le chemin de fer, la route, et la navigation, est complet peu avant la Seconde Guerre mondiale et les plus remarquables locomotives articulées Garratt en voie métrique y circulent, remorquant des trains de voyageurs très luxueux, et des trains de marchandises immenses. Jusque durant les années 1960, la vapeur domine, puis, comme dans l’ensemble de l’Afrique, la traction diesel s’impose partout où l’électrification est hors de portée financière.
L’admirable et grandiose réseau des South African Railways
Les chemins de fer de l’Afrique du Sud sont intéressants à de nombreux points de vue, mais une caractéristique importante demeure: la pratique de vitesses et de charges dignes d’une voie normale, mais sur voie de 1,067 m, et ceci sur des distances dignes des transcontinentaux américains. Les fameuses « 16E » ont contribué à de tels exploits.
Le réseau africain, à quelques exceptions près en voie normale de 1435 mm dans les anciens territoires français ou en Egypte, est en voie dite « métrique du Cap » de 1067 mm dans sa grande majorité, marquant par cela le fait d’un développement économique de type colonial avec une multitude de « lignes drains » autonomes apportant vers les ports les richesses de l’intérieur et ne constituant en aucune manière un réseau cohérent à l’échelle du continent.
Toutefois, tout en conservant cet écartement, le réseau de l’Afrique du Sud est différent car il constitue bien un véritable réseau national cohérent et maillé, crée dans le cadre du fort développement économique et industriel de ce pays. Dès les années 20 un service de trains assez rapides mais très luxueux couvre le pays et réunit des grandes villes comme Le Cap et Johannesburg à une vitesse moyenne de plus de 50 km/h en dépit d’une distance immense de 1530 km. Il existe même un « Blue Train », qui certes n’a rien à voir avec le vrai « Train Bleu » français, mais qui n’a rien à lui envier sur le plan du confort, y compris les voitures-lits d’un gabarit suprenant pour la voie de 1,067 m.


Dès 1925 l’Afrique du Sud entame une électrification de ses lignes, mais demeure, il est vrai, un des derniers grands bastions de la traction vapeur. L’histoire de l’électrification de ce pays est celle de l’absence de ressources pétrolières qui permettraient de remplacer la traction vapeur par la traction diesel, et force est de continuer à utiliser le charbon, quitte à le brûler dans des centrales thermiques et à produire de l’électricité. En 25 années de progrès constants, les South African Railways passent du type 1E de 1925 au type 6E de 1969. Il s’agit d’une longue lignée de BB faites pour la voie de 1067 mm, et capables de tirer des trains très lourds en dépit d’un écartement pratiquement de type métrique. Sur une base mécanique inchangée, le type 1E évolue pour gagner 77% en force de traction avec une puissance doublée, une vitesse de pointe presque doublée (180% d’augmentation), le tout pour une masse augmentée à peine du 1/3 et une longueur augmentée de 16%. La puissance par tonne passe de 24 à 31 ch. Actuellement le réseau comprend 21 303 km de lignes dont 5 916 km sont électrifiées en courant 3 000 v continu, 861 km en courant monophasé 50 000 v 50 Hz, 2 286 km en courant monophasé 25 000 v 50 Hz, sans compter un court tronçon commutable en 3 000v ou en 25 000 v 50 Hz. Le nombre de locomotives électriques est de 2 400 environ, contre 1 500 locomotives diesel. Le trafic est de 1 200 millions de voyageurs/kilomètres et de 93 000 millions de tonnes/kilomètres.
Ces chiffres montrent, d’une manière claire et frappante, à quel point les progrès de la locomotive électrique ont été importants, en particulier avec le doublement des performances pour une masse et une longueur évoluant d’une manière moins importante. Jamais la locomotive à vapeur n’a permis une telle évolution.

L’Afrique sous influence belge.
La Belgique est très présente en Afrique. L’’état indépendant du Congo, propriété personnelle du Roi des Belges Léopold II depuis 1885, puis la colonie qui lui succède le 18 octobre 1908, provoque la construction d’un réseau de voie ferrées menée avec beaucoup de pragmatisme. L’explorateur anglais Stanley a travaillé, en 1874 et 1875, pour le compte Léopold II et a démontré que seul un chemin de fer serait utile et rentable, mais ceci apparaît comme très hasardeux dans une Afrique encore inconnue. Le mérite de la construction du chemin de fer revient à Léopold II et au Capitaine Albert Thys qui l’a conseillé et qui a mis en place le Comité d’Etudes du Haut-Congo en1878.
La Compagnie du Chemin de fer du Congo est créée le 31 juillet 1889. Lionel Wiener[14] note que, sauf une élite, la Belgique se désintéresse alors de l’entreprise naissante. Le 9 novembre 1889, la Compagnie obtient pour 99 ans la concession d’un chemin de fer en voie de 750 mm et long de 388 kilomètres de Matadi à Léopoldville et Kinshasa et l’ouvre intégralement à l’exploitation le 8 juillet 1898.
Les premiers chemins de fer envisagés rétablissent la continuité des communications entre les grands biefs fluviaux, et le premier d’entre eux, le Chemin de fer du Bas Congo évite, par une ligne de 400 kilomètres, la série de cataractes situées entre Matadi et Léopoldville. Un bief navigable de 1,724 kilomètres s’étend ensuite jusqu’au haut fleuve où deux lignes du Chemin de fer du Congo Supérieur aux Grands Lacs Africains évitent les rapides des Stanley Falls et ceux des Portes d’Enfer. C’est de la même façon que les Chemins de fer Vicinaux du Congo complètent le réseau navigable du district des Uelé, et que la Compagnie de la Forminière a construit un petit chemin de fer le long du Kasaï.
Mais un autre facteur, d’ordre économique celui-là, a influencé le programme ferroviaire du Congo :c’est la découverte de l’immense richesse minière du sous-sol de la province du Katanga. Le grand spécialiste belge de l’Afrique ferroviaire qu’est le professeur Lionel Wiener écrit, en 1930 : « On ne peut prétendre que le Katanga paraisse, de prime abord, bien engageant : ses plateaux de 1000 à 1200 mètres d’altitude sont maigrement boisés et peu peuplés »[15]. Pourtant, ce maigre plateau cache bien son jeu et recèle des richesses minières telles qu’il faut leur procurer plusieurs débouchés vers les mers, car, dans les années 1920, le trafic à espérer est tel que les ports maritimes africains sont prêts à se le disputer et à faire fortune.
Les débuts du réseau congolais belge.
Deux grands axes de transport se trouvent tout entiers dans le Congo Belge, et sont mixtes avec des liaisons ferrées et fluviales. L’une est établie par la Compagnie des Grands-Lacs, en suivant le Lualaba-Congo. L’autre est construite par le Bas-Congo Katanga (B.C.K.) qui relie le Katanga au Kasaï navigable.
Trois autres voies réunissent le Katanga à des ports extérieurs à la colonie. La première, en passant par le Chemin de fer du Katanga, s’embranche, à Sakania, au réseau Rhodésien. La seconde, le Léopoldville-Katanga-Dilolo (ou Léokadi), rejoint à Dilolo le Chemin de fer du Benguela. La troisième enfin, en unissant le fleuve Congo au Tanganyika, et au réseau de la Compagnie des Grands-Lacs, assure les communications avec l’Afrique Orientale. Si l’on y ajoute la ligne Congo-Nil, envisagée à l’époque, on a ainsi une vision de tout le premier programme des voies ferrées de la Colonie.


Les Chemins de fer Vicinaux de l’UeIé datent de 1924. Il existe enfin deux lignes privées, l’une appartenant à la Compagnie La Forminière et reliant Charlesville à Makumbi, l’autre à la Compagnie La Géomines, reliant Mayumba à Manono.
Dans les années 1930, le réseau ferré est complété par des lignes de navigation et des services d’automobiles. On compte jusqu’à 27 lignes fluviales exploitées par la compagnie Unatra. D’autres, sur les biefs supérieurs du Congo et sur le Tanganyka, sont assurées par la Compagnie des Grands-Lacs. Enfin la ligne de navigation de la Luvua ainsi que celles des lacs Albert, Kivu, et Moero et du Luapula, sont exploitées directement par l’Etat belge. Quant aux lignes régulières par autocars ou camions, elles empruntent la route royale Congo-Nil, et sont exploitées par la Société des Messageries Automobiles du Congo ou par les Messageries de l‘Ituri Oriental.
« Les bateaux emmènent malades et morts par centaines ».
La construction du Chemin de fer du Congo est un enfer. Le tracé prévoit que la ligne doit surplomber le Congo puis la M’Pozo en passant par le ravin Léopold et escalader ensuite le massif de Palabala, dans « un pays dépourvu de tout, sauf de soleil, d’insectes et de maladies qui déciment le personnel » écrit Lionel Wiener, que les recruteurs ne parviennent pas à remplacer avec assez de rapidité. Les recuteurs écument les régions environnantes pour trouver des travailleurs Accras, Lagosiens, Monroviens, Dahoméens qui viennent renforcer les contingents primitifs épuisés. « Et les bateaux emmènent des morts et des malades par centaines », car, à l’époque, la médecine coloniale n’est pas encore développée et les maladies tropicales sont encore peu connues comme la dysenterie, la cachexie paludéenne, ou le beri-beri. En deux ans et trois mois de chantier, sur 4,500 hommes nouvellement transportés sur le chantier, 900 sont morts. En trois années de chantier, on a construit seulement 2,5 km de ligne, et en quatre années on en est à 9 km. En 1893, le col de Palabala est franchi, au point-kilométrique 16 et on sait que, désormais, l’entreprise est viable, car le travail sera moins dur, et dans une région où la nourriture fraîche existe. En 1894, Lufu, à 82 km, est atteint, puis en 1896, la moitié de la ligne est ouverte. Le Pool est atteint à Dolo, au point kilométrique 388, en 1898 : la ligne peut être mise en service. Un fait particulier est à noter : les ingénieurs, craignant que les indigènes ne puissent distinguer les traverses en sur-écartement (765 mm) pour les courbes de celles en écartement normal (750 mm) pour les alignements, font percer toutes les traverses à 765 mm, ce qui donne une ligne où les trains « se promènent » sur la voie en alignement, mais comme les vitesses sont très basses, ce n’est pas un problème…
Dès 1914, le tonnage annuel atteint 79 000 tonnes. Mais la ligne, construite avec des moyens légers, se montre insuffisante techniquement, et il faut songer à la reconstruire intégralement et, notamment, à élargir l’écartement des 750 mm (théoriques !) à 1067 mm. Une convention en date du 9 novembre 1921 fixe la nouvelle donne : écartement 1067 mm[16], courbes à rayon supérieur à 250 m et rampes inférieures à 17 pour mille. La longueur de la ligne passe de 397 à 373 km, les courbes minimales de 50 à 250 m, le poids des rails de 23 kg/m à 33,4 kg/m, le poids au kilomètre de la voie passe de 97 à 145 tonnes. La capacité de la ligne est portée de 280 000 à 1 300 000 tonnes. Les travaux démarrent en juin 1927, et avec des moyens mécaniques lourds. Le Roi et la Reine inaugurent la section d’Inkissi à Léopoldville lors de leur voyage au Congo le 25 juin 1928. On songe déjà à la traction électrique. En attendant, 114 locomotives à vapeur classiques et pas moins de 32 locomotives Garratt assurent la traction, une cinquantaine de voitures à voyageurs et plus de 1200 wagons composent le parc remorqué, dont un wagon « frigorifère » qui est alors la grande nouveauté.

Le problème du Katanga.
La mission Bia-Francqui, assistée du géologue Cornet, découvre les richesses minières du Katanga entre 1891 et 1893. Les prospections ont lieu de 1900 jusqu’en 1909 et révèlent trois bassins miniers, avec du fer au sud, du cuivre dans un bassin parallèle à la frontière et très riche et enfin de l’étain plus au nord, le long du Lualaba. Mais le Katanga se trouve au cœur même de l’Afrique, et à 2000 km de toute mer. On avait le choix entre construire une ligne en direction de celle du Mozambique (Beira), de l’Afrique Orientale Allemande (Dar-es-Salaam), de l’Angola (Benguela et Lobito-Bay), et celle du Congo Beige (Matadi). Mais il est possible d’aller chercher une ligne plus proche encore, en acceptant alors d’aller vers un port plus éloigné, ce qui est le cas avec le réseau de la Rhodésie, avec 255 km à faire en territoire congolais plus 310 km en territoire rhodésien pour toucher Broken Hill, bifurcation ferroviaire située … à 3300 km du Cap ! C’est, vers 1900, la solution la plus facile à mettre en œuvre et la plus rapide sur le plan du transport.
En reliant le Katanga avec le Lualaba, on pouvait trouver un débouché par le nord. La création de la Compagnie des Grands-Lacs en 1902 avec des tronçons de chemin de fer contournant les rapides du Congo finissent par donner une ligne mixte ferrée et fluviale du Katanga jusqu’à l’Océan, et qui pour avantage d’être entièrement en territoire national belge ! Certes, cet itinéraire est long et lent, mais il est économique et à l’abri des tracasseries diplomatiques en évitant de passer par les territoires portugais ou britanniques ou de faire appel à des compagnies de chemins de fer ressortissant de ces pays.
Enfin, en 1914, on ouvre la ligne du Congo au Tanganyka, donnant second débouché sur l’Océan Indien,par l’intermédiaire du chemin de fer Tanganyka-Océan qui fut ouvert sur tout son parcours le 1er mars 1914.
En 1930, la situation est telle que Elisabethville (future Lubumbashi), chef-lieu du Katanga, se trouve reliée à un grand nombre de ports aficains de la manière suivante :
Port | Ligne ou compagnie | Parcours fer au Congo | Parcours bateau au Congo | Parcours étranger | Total |
Beira | Bulawayo | 255 | * | 2350 | 2605 |
Beira | Projet Kafue | 255 | * | 1550 | 1805 |
Dar-es-Salaam | Lualaba+Tanga. | 731 | 695 | 1245 | 2797 |
Lobito | Benguela | 770 | * | 1347 | 2117 |
Matadi | Grands Lacs | 1329 | 2684 | * | 4013 |
Matadi | Léokadi | 1972 | 825 | * | 2797 |
Les kilométrages sont considérables, surtout si l’on veut rester en territoire belge avec, dans ce cas, plus de 4000 km et le plus long parcours en bateau !
Les réseaux de la compagnie du Bas-Congo au Katanga (B.C.K.).
La Compagnie du B. C. K. est créée par un décret en date du 31 octobre 1906 pour une durée de 99 ans et elle signe, le 5 novembre 1906, une convention avec l’Etat Indépendant du Congo en vue de financer le chemin de fer du Katanga aux lieu et place de l’Etat, de construire et exploiter, pour compte de l’Etat, un chemin de fer unissant le Katanga avec le Bas-Congo et un autre unissant cette province avec le chemin de fer de Benguela, à la frontière de l’Angola. Le B.C.K. ne possède donc pas de chemins de fer, mais les étudie, les construit et les exploite pour la Compagnie du Chemin de fer du Kantanga ou encore pour le Léokadi. Le B.C.K. exploite ainsi trois lignes :
Les lignes du B.C.K. en 1930
Lignes | Katanga-Elisabethville | Léokadi-Francqui | Léokadi-Dilolo | Total |
Longueur (km) | 802 | 1128 | 523 | 1930+1323 en construction |
Personnel blanc | 418 | 211 | 20 | 649 |
Personnel africain | 4700 | 5000 | 2000 | 11700 |
Locomotives | 101 | 30 | 9 | 140 |
Voitures | 36 | 26 | * | 62 |
Wagons | 1134 | 345 | 68 | 1547 |
Les caractéristiques techniques de ces lignes sont un écartement de 1067 mm, des traverses métalliques de 2 m de longueur sur le B.CK. pesant 42 kg, ou de 1,75 m sur le Léokadi pesant 32 kg. La matériel roulant est d’une grande simplicité, et il est muni de l’attelage automatique Henricot et du frein continu. Il est compatible avec le matériel roulant de la Rhodésie.
La ligne de jonction avec celle du Benguela.
Cette ligne a fait couler autant d’encre qu’elle n’a transporté de minerais… Le Chemin de fer de Benguela portugais pénètre dans le Congo belge par l’extrême sud du Katanga; totalisant ainsi environ 1800 kilomètres en territoire portugais et une centaine de kilomètres en territoire belge, du moins selon ce qui a été prévu initialement.
Une nouvelle convention, signée en 1908, prévoit de déplacer le tracé de la ligne vers le nord. Par suite de la configuration de la frontière, ceci ne laisse que 1250 kilomètres en territoire portugais et en place 640 en territoire belge. Les recettes brutes devaient être mises en commun et partagées entre les trois compagnies (Benguela Ry., B.C.K. et Katanga) au prorata de leur kilométrage.
La compagnie belge doit évidemment exécuter le tronçon situé au Congo. La convention primitive oblige le Chemin de fer du Katanga à construire la liaison de façon à atteindre la frontière en même temps que la ligne du Chemin de fer de Benguela. Mais cette dernière progresse si lentement qu’en 1925 une nouvelle convention intervient aux termes de laquelle la liaison à construire par la compagnie belge serait commencée à la frontière et seulement lorsque la ligne du Chemin de fer de Benguela l’aura atteinte. D’autres clauses réglaient des points connexes : la Compagnie de Benguela s’engage « à prêter ses bons offices » (sic) pour la fourniture de main-d’œuvre angolaise et à transporter, à un prix forfaitaire, le matériel de construction de la compagnie belge. Les Belges attendent donc l’arrivée des Portugais qui finissent bien par arriver et à toucher, à force de travail et de difficultés, le Haut-Kasaï au point kilométrique 1242 qui forme la frontière à la fin de 1927. Mais, à cette époque, un échange de territoire a lieu entre les colonies belge et portugaise et la frontière entre l’Angola et le Congo belge est reportée plus à l’est, le long de la rivière Luao. Ceci allonge la ligne portugaise d’une centaine de kilomètres, la faisant passer à 1347 kilomètres, et raccourcit d’autant la ligne belge, le point où elles franchissent la frontière étant choisi de commun accord. Le B.C.K achève son travail en 1930. La ligne sera très active, parcourue par de lourds trains de minerai et de très luxueux trains de voyageurs. Elle est en fait très belle, et, aujourd’hui, on s’attache à la reconstruire, car elle a été intégralement détruite sur sa partie angolaise par les événements qui ont affecté ce pays depuis une quarantaine d’années.
La société des Chemins de fer Vicinaux du Congo.
Sous cette très jolie raison sociale se trouvent des réseaux en voie de 600 mm. Le district des Uélé est situé dans le nord de la colonie, entre l’Oubangui et le Congo dont un affluent., l’Itimbiri, est formé à Gouma par le Likati et le Rubi. Ces cours d’eau, plus ou moins navigables, sont longtemps les seules voies d’accès de ces territoires cotonniers qui comptent parmi les plus productifs de la colonie belge. Les bateaux du Congo remontent l’Itimbiri jusqu’Aketi, mais seules de légères embarcations peuvent encore continuer jusque Buta, sur le Rubi, ou jusqu’à Likati. Le portage à dos d’homme et les automobiles parviennent à effectuer des transports au-delà, mais dans des conditions très pénibles qui ne permettent pas de dépasser Aketi.
La Société Commerciale et Minière du Congo qui entreprend de réaliser un programme en combinant les transports ferrés, fluviaux et routiers. Afin de créer un ensemble au moindre coût, elle adopte la voie de 60 au lieu des 615 mm (2 pieds) du chemin de fer du Mayombe, parce qu’on dit trouver plus aisément du matériel approprié, et parce que, à l’époque, on ne pense pas qu’il y ait un grand inconvénient à introduire ainsi un écartement supplémentaire dans la colonie, puisque des voies de ce genre ne sont pas appelées à avoir de liaison entre elles. Grave erreur, et courte vue…. En juillet 1927, le point kilométrique 100 est atteint, et la ligne, longue de 158 km, est entièrement ouverte en 1928. Un embranchement de 11 km est construit entre Komba et Goma, d’où part la route royale Congo-Nil que l’on ne désespère pas, dans des temps futurs et meilleurs, de remplacer par une ligne de chemin de fer – toujours le rêve du Cap au Caire qui hante les esprits…
Le matériel routant en 1928 se compose de 20 locomotives, 133 wagons, 2 automotrices et 6 remorques pour les voyageurs, un fourgon à bagages, et une grue roulante. Les locomotives de 12 tonnes sont à 4 essieux couplés avec essieu mobile arrière, système Klien-Lindner. Les tenders pèsent 4,2 tonnes vides et peuvent contenir 4,5 mètres cubes d’eau et 3 tonnes de combustible. Les automotrices peuvent contenir « 4 Européens 12 indigènes » (sic) et transporter 1,5 tonne de bagages. Tous les wagons sont à bogies, avec une tare de 3,2 tonnes et une capacité de 6 tonnes.
Le réseau de l’ancien Congo Belge aujourd’hui.
Le réseau du Congo belge ne souffre pas de la Seconde Guerre mondiale, étant éloigné des zones d’hostilités, et, même il est très actif du fait des besoins militaires en métaux. Au lendemain de la guerre, c’est une période d’attente, mais l’activité minière reste très forte, ce qui justifie une électrification en 1952, et en monophasé de fréquence industrielle, sur une centaine de kilomètres entre Jadotville (maintenant Likasi) et Tenke, électrification qui a été étendue ensuite sur environ 500 km dans la zone minière du cuivre. Le Congo Belge change de nom et de réalité politique en 1971 pour devenir le Zaïre jusqu’en 1997, puis devient la République Démocratique du Congo. Le réseau ferré est la SNCC, sigle de la Société Nationale des Chemins de fer de la République Démocratique du Congo et le réseau comprend environ 4.000 km de voies. Selon les statistiques de l’UIC, ce réseau assure aujourd’hui 67,04 millions de Voyageurs/Kilomètres, 174 millions de Tonnes/Kilomètres, et a une longueur de 3641 km.
En conclusion : le problème de l’écartement des voies au Congo belge.
Il n’a pas manqué de se poser, mais trop tardivement dans l’histoire du réseau du Congo belge pour éviter une situation disparate et trop tard pour permettre d’y remédier d’une manière économique. Au début de la colonisation, il est logique, sans doute, puisque l’argent est très rare, de construire les premières lignes le plus économiquement possible, et selon la formule du « c’est cela ou rien »… C’est pourquoi l’on adopte initialement, pour le Chemin de fer du Bas-Congo, un écartement de 750 mm seulement. Ce choix a rapidement soulevé des critiques fondées, et il est certain qu’il ne fallait le considérer que comme provisoire et à convertir en un écartement plus grand dès que possible.
La ligne de Mayumba ne devait être qu’un grand réseau en voie Decauville, ou 600 mm, mais voilà un écartement de plus. Mais on commet une autre erreur en établissant les lignes de la Compagnie des Grands-Lacs en voie métrique 1000 mm, au lieu de choisir la voie de 1067 mm des pays voisins. Faute d’avoir prévu leur liaison avec les chemins de fer des colonies voisines et particulièrement avec ceux de l’Afrique australe qui étaient tous établis à écartement de 3 pieds 6 pouces (1067 mm), on se condamne des difficultés d’incompatibilité technique, des impossibilités de circulation directe d’un pays à un autre, et sans rien gagner sur le coût à l’achat. En effet, la différence de prix n’est pas grande entre le matériel 1000 et 1067 mm, et aurait peu augmenté le prix de premier établissement, tandis qu’une conversion d’écartement ultérieure, outre son prix très élevé, apporte de nombreuses perturbations dans le trafic pendant qu’on l’effectue. Peut-être peut-on penser qu’à l’époque on envisageait un premier raccordement avec les chemins de fer de l’Est Africain Allemand. Il n’en restait pas moins vrai qu’une liaison avec les lignes de l’Afrique Australe était tout autant prévue et qu’elle est, de beaucoup, la plus importante sur le plan du trafic et la plus rentable économiquement.
En résumé, il y a donc, en 1930, pour cinq compagnies, cinq écartements différents, 1067 mm, 1000 mm, 750 mm, 615 mm et 600 mm. Les projets de l’époque sont qu’il faudra les réduire à deux : 1067 mm et 600 mm. Les lignes du Katanga sont à voie de 1067 mm; la conversion au même écartement du chemin de fer du Bas Congo est prévue et la future ligne Congo-Nil sera construite avec la même voie. Il restera, plus tard, à porter de 1000 à 1067 mm l’écartement de voie des autres lignes de la Compagnie des Grands-Lacs. Quant aux lignes à voie étroite, celle de l’Uelé restera à voie de 600 mm et l’on réduira légèrement l’écartement de la voie du chemin de fer du Mayumbé de 610 à 600 mm.
Le chemin de fer de Namibie, encore une histoire complexe et différente.
Nous voici, maintenant, dans cette « Afrika » dont l’Allemagne a tenté d’en faire un empire colonial. Située au sud-est de l’Afrique, la Namibie a une surface égale à une fois et demi celle de la France, pour une population dépassant à peine le million d’habitants. Formant un vaste désert, sa principale richesse réside dans son sous-sol, avec du cuivre, de l’uranium et même des diamants, ce qui explique la présence d’un réseau ferré cohérent, raccordé à son voisin d’Afrique du Sud
Occupée principalement par les Bantous, la Namibie est colonisée à la fin du siècle dernier par les Allemands, qui créent un protectorat en 1884. De 1897 à 1902 ils construisent la ligne devant relier le port atlantique de Swakopmund à la capitale Windhoek. Etablie à moindre coût en voie de 600 mm avec des rails préfabriqués, elle reprend en grande partie la piste des pionniers, avec des rampes de 53 pour mille pour atteindre son terminus à 1654 m d’altitude. La traction est assurée par des couplages de 030T circulant dos à dos, puis des 040T Krauss typiques des chemins de fer militaires dit de campagne allemands.
En 1900, une compagnie concurrente, les Chemins de fer et mines de l’Otavi, construit une autre ligne à voie de 60 pour relier au port de Swakopmund les gisements de cuivre de Tsumeb, au nord-est du pays. La plate-forme est beaucoup plus soignée, et les locomotives type 031T d’origine sont remplacées par des 141 à tender séparé et équipées de la surchauffe. Les deux exploitations, dont les voies sont sensiblement parallèles sur 180 kilomètres jusqu’au pot de Swakopmund, fusionnent en 1910 pour former un premier réseau au nord du pays.
Au sud de la Namibie une ligne à voie de 1067 mm est ouverte en 1905 entre le port atlantique de Lüderitz et la ville de Keetmanshoop, à 365 km à l’est. Trois ans plus tard, la ligne est raccordée à à celle qui mène à De Aar en Afrique du Sud. En 1912, la voie de 1,067 m est prolongée au nord jusqu’à la capitale Windhoek, puis deux ans plus tard jusqu’à la jonction avec le chemin de fer de l’Otavi. La traction est assurée par des 050 Henschel sur les sections difficiles de la ligne de Lüderitz, et aussi par des 140T compound et des 140 à simple expansion.
Au début de la Première Guerre mondiale, les forces sud-africaines débarquant à Walvis Bay près du port de Swakopmund décident la conversion à voie de 1,067 mm de la section ouest du chemin de fer de l’Otavi. Achevés dès août 1915 en dépit de grandes difficultés comme des dunes de sable entre Walvis Bay et Swakopmund, des ouvrages d’art minés par les AIlemands en retraite, ces travaux ont permis de constituer la première ligne transcontinentale d’Afrique, longue de plus de 3000 kilomètres entre Walvis Bay et Durban.
En 1923, les Chemins de fer du Sud-Ouest africain sont intégrés aux SAR, (les South African Railways). La section est de la ligne de l’Otavi, qui faisait appel à de puissantes locomotives articulées type Garratt, sera convertie à la voie de 1,067 m en 1960. Sur tout le réseau, la traction vapeur, victime des coûts élevés d’approvisionnement en charbon provenant d’Afrique du Sud, cédera la place au diesel en 1962.
Le mandat de l’Afrique du Sud sur le Sud-Ouest africain a été révoqué par l’ONU en 1966, mais il faudra attendre 1988 pour que la Namibie puisse accéder à l’indépendance. L’année suivante, l’administration des chemins de fer est confiée à la «TransNamib», organisme chargé des transports ferroviaires, routiers, aériens et maritimes. Essentiellement marchandises, le trafic est assuré par des CC diesel-électriques construites par General Electric initialement pour les chemins de fer sud-africains.
L’Ost-Afrika : brève rencontre entre l’Allemagne et l’Afrique.
Arrivés tard en Afrique, voulant entrer dans le club très fermé des puissances coloniales, les Allemands s’y montrent entreprenants, et ils ont eu le temps de construire au Cameroun, au Togo et surtout en Afrique du Sud-est, des lignes de chemins de fer de qualité, mais dans des conditions rendues difficiles par le relief, le climat, et le mauvais rendement économique des lignes. Mais, pour une raison d’ailleurs totalement étrangère à l’Afrique, la défaite de l’Allemagne à l’issue de la Première Guerre mondiale lui enlève ses colonies et toute son œuvre africaine, et remet les intérêts de l’Afrique Orientale allemande entre les mains du Royaume-Uni. Il s’ensuit que celui-ci est installé de façon désormais ininterrompue du Cap au Caire et que ces territoires devront forcément s’unir plus étroitement aux autres colonies anglaises, leurs voisines.
L’Afrique Orientale allemande, future Tanganyika, est au cœur des projets allemands. Elle a une superficie d’environ 995,000 kilomètres carrés et, au lendemain de la Première Guerre mondiale, une population bantoue d’environ quatre millions habitants. A l’époque, on parle de « parent pauvre des colonies africaines » et l’Allemagne, venue trop tard, doit s’en contenter, dit-on cruellement dans les ouvrages contemporains… La capitale est Dar-es-Salaam. Le pays s’étale en plateaux où de rares cours d’eau ne présentent que quelques biefs navigables, et s’abaisse vers la côte par deux ou trois larges gradins. La seule façon d’ouvrir le pays est de construire des chemins de fer depuis la côte vers l’intérieur et plus particulièrement vers le Tanganyika et le lac Victoria.
C’est à quoi s’attachent les autorités allemandes qui construisent une « Centralbahn » de Dar-es-Salaam au Tanganyika avec embranchement vers la partie méridionale du lac Victoria, et deux lignes plus courtes, l’une dans le nord, le chemin de fer d’Usumbura, l’autre dans le sud, le tramway de Lindi. L’Allemagne fait donc construire deux lignes de pénétration, l’une vers le lac Victoria, l’autre vers le lac Tanganyika et les concède toutes deux à des compagnies privées. Mais par manque d’expérience coloniale et absence de coordination entre la politique économique de la colonie et l’établissement de ses chemins de fer, les résultats obtenus sont médiocres, pour ne pas dire mauvais et, dans un cas comme dans l’autre; le Gouvernement du Protectorat vient au secours des sociétés privées.
Le but immédiat de la ligne d’Usumbara est de développer les régions agricoles traversées et de mettre les plantations en communication avec la côte. De plus, les flancs du Kilimandjaro sont propices à la colonisation. Il suffit d’ailleurs de noter que le transport, par porteurs, de Tanga à Moshi coûte 540 francs la tonne et que le transport par chemin de fer, même par chargements incomplets, est à 145 francs, soit 3,8 fois moins.
En 1891, la Eisenbahngesellschaft fur Deutsch Ostafrika (Société du chemin de fer del’Afrique Orientale allemande) est constituée et obtient la concession d’un chemin de fer de 352 kilomètres de Tanga jusqu’à Korogwe, sur le Pangani. Les travaux sont rapidement menés et la ligne est ouverte à l’exploitation jusque Muhesa, sur 40 kilomètres, en 1898, mais la Société est à bout de souffle, le kilomètre ayant coûté 72 000 marks. En 1896, la Compagnie emprunte un million de marks à la société-mère. Le Gouvernement Impérial lui accorde alors, à partir de juillet 1897, des subventions mensuelles de 6000 marks mais ceci est dérisoire. Le 24 octobre 1898, le Conseil Colonial allemand décide la prolongation du chemin de fer jusqu’à Mombo, et comme il était hors de question d’en confier la réalisation à la société existante, il décide le rachat de la concession. Il exploita la ligne en régie et, afin d’achever la construction jusque Korogwe, il fait voter un crédit de 2,686,250 francs en 1900. Cette construction se fait par petits lots en attendant la réorganisation des services. Un nouveau crédit fut voté en 1901 et le tronçon est achevé en mars 1902. Il avait suffi… de huit années pour construire les 128 kilomètres depuis Mombo ![17] De plus, après avoir dépensé près de 5,000,000 de marks, on avait un chemin de fer dont les conditions techniques étaient bonnes, trop bonnes même dit-on à l’époque, mais qui, par suite des ravages de la mouche tsé-tsé et d’une épidémie parmi les plants de caféiers, rapportait 24 000 marks seulement par année.
Le Protectorat reprend donc la construction qui continue « son petit bonhomme de train » d’après la presse d’époque ! On construit le tronçon de Korogve à Mombo de novembre 1903 à février 1905, et Buiko est atteint en mai 1909 et Moschi, à l’extrémité de la ligne et située au pied du Kilimandjaro, à une altitude de 258 mètres en septembre 1911. On livre ainsi à l’exploitation la ligne entière le 7 février 1912. Sans être brillants, les résultats d’exploitation sont fort convenables quoique le coefficient d’exploitation (proportion des dépenses dans les recettes) monte de 53% en 1908-1909 à 73,9% en 1913-1914. En 1913, le matériel roulant comprend 18 locomotives, 31 voitures et 202 wagons. Les conditions techniques sont une voie métrique, des rampes de 25 pour mille, des rayons de courbure de 200 mètres, et exceptionnellement de 150 mètres.

Le « Centralbahn » est-africain : une interminable suite de désillusions.
Ce chemin de fer est entrepris tardivement, alors que les Belges et les Britanniques poussent leurs lignes vers le cœur de l’Afrique Centrale. Il présente cette particularité d’avoir été concédé à une Compagnie dont le Protectorat détient la majorité des actions. Ce chemin de fer est dans les esprits dès 1895 : un consortium, formé du Gouvernement Impérial, de la Deutsche Ostafrikanische Gesellschatt et de la Deutsche Bank, fait étudier une ligne tracée de la côte aux grands lacs de l’intérieur. Les études sont achevées en 1896, mais elles restent longtemps dans un tiroir. En 1898, Cecil Rhodes, toujours lui quand il s’agit de construire des chemins de fer en Afrique, se rend à Berlin pour y négocier le passage de son fameux et irréalisable Le Cap-Le Caire à travers la colonie allemande. Mais il échoue et l’on en revient aux clauses du Traité Anglo-Allemand du 1er juillet 1890 qui n’accorde aux Anglais que le transit libre dans la direction Nord-Sud.
Une garantie d’intérêts de 360,000 marks offerte à une Compagnie ne provoque pas sa constitution. Le Gouvernement allemand, qui tient à sa politique de pénétration ferroviaire, s’attache en 1899 à réaliser la ligne du Nord et pense exécuter lui-même le « Centralbahn » à l’aide d’un emprunt. Il se fait allouer un crédit de 100,000 marks pour les études – qu’il obtient – et pense atteindre l’Ukamiland en trois ans. Le devis est estimé à 12 millions de marks, mais en 1900, les premiers crédits sont refusés par le Reichstag. Enfin, le 6 mai 1902, après huit années d’études et de débats, la construction de la ligne est enfin décidée, ainsi que celle de deux embranchements dont l’un se dirigerait vers le lac Victoria et l’autre vers Gantanigy. Le devis se monte à 30,000 marks par kilomètre, ce qui était évidemment insuffisant. La concession du chemin de fer de Dar-es-Salaam peut enfin être accordée, en 1904, à l’Ostafrikanische Eisenbahngesellschaft (Société du chemin de fer de l’Est Africain) mais le manque de volonté politique fait que l’on ne concède le chemin de fer que par tronçons. Le premier d’entre eux s’étend de Dar-es-Salaam à Morogoro (208 kilomètres), le deuxième de Morogoro à Tabora (847 kilomètres) et le troisième de Tabora à Kigoma (197 kilomètres) sur le Tanganyika, soit en tout, 1,253 kilomètres. La Ostafrikanische Eisenbahnqesellschaft obtient donc, pour 88 ans, la concession de la première section, en juin 1904, et la loi du 31 juillet de la même année lui accorde une garantie de 3% sur son capital de 21 millions de marks Cette section est construite de 1905 à 1907.
Les Allemands découvrent les rudes réalités africaines.
Mais la Compagnie ferroviaire allemande entre dans une ère de difficulté dont elle ne peut sortir. Le Gouvernement allemand décide donc de lui venir en aide car il tient à ce que la ligne s’achève, mais à la condition d’en devenir immédiatement le maître. A cet effet, la loi du 18 mai 1908 l’autorise à faire au Protectorat des avances qui lui permettent de racheter 90% du capital et de poursuivre la construction du chemin de fer. Ces sommes sont prélevées sur le produit de l’emprunt colonial. La deuxième section, de 847 kilomètres, est donc concédée le 18 mai 1908 et livrée à l’exploitation le 1’ juillet 1912, l’entreprise de la construction ayant été confiée à Philippe Holzmann et C° de Francfort. Il avait fallu s’élever jusqu’à 1140 mètres d’altitude à Dodoma, redescendre à 830 mètres pour franchir la grande dépression de l’Afrique Orientale, pour regrimper ensuite sur le versant opposé, la ligne se trouvant à l’altitude de 1,326 mètres à Baranda et de 1,200 mètres à Tabora.
Généralement, 15,000 travailleurs sont à la tâche, mais ce nombre descend à 10,000 au moment des récoltes. Ils ont des contrats de six mois et sont bien soignés, d’après les rapports de l’époque. Leur salaire varie de 13,50 à 22 francs plus la ration, ce qui est supérieur à ce qui s’est pratiqué par d’autres pays : les Allemands auront su se montrer corrects….Les travaux de la troisième et dernière section continuent sans arrêt par les plateaux de l’Unyaniwesi et la vallée du Malagarassi jusqu’à Kigoma, cette section étant ouverte à l’exploitation provisoire en mars 1914. Les travaux ne sont pas difficiles, sauf à la traversée de la Malagarassi dont le pont provisoire est détruit trois fois.
Le Gouvernement Impérial tient particulièrement à la construction de cette ligne, car le Ruanda-Urundi, dont la superficie est de 57,000 kilomètres carrés, contient 3 millions et demi d’habitants qui s’adonnent à l’agriculture et à l’élevage et l’on espère que la culture du riz prospérerait dans les régions des lacs. Les principales marchandises transportées consistent en du bétail provenant de la région d’Ussugara et en coton, en arachides et riz de l’Unyamwesi. Au delà de Tabora, se trouvent les salines de Gottorp et d’Uwinsa, les palmeraies de Malagarassi et d’Udjiji, dont les produits peuvent s’exporter tant vers la côte que vers le Katanga belge. Enfin, le chemin de fer permet aux établissements côtiers de recruter de la main-d’œuvre dans l’intérieur. Mais la Première Guerre mondiale bouleverse tous ces beaux projets en effectuant une redistribution des colonies qui entraine une modification profonde de l’économie générale du pays.
L’Allemagne par hasard aussi en Afrique de l’Ouest.
IL n’a a pas eu seulement l’Ost Afrika : deux pays de l’Afrique de l’Ouest ont été, techniquement, sous influence ferroviaire allemande avec le Cameroun et le Togo. Au Cameroun, les Allemands construisent la« Nordbahn » de Bonabéri à Nkongsamba, longue de 171 km, et qui est inaugurée en 1911, et la « Mittelbahn », longue de 173 km, construite entre Douala et Esaka en 1914. Il est à noter l’existence d’une ligne en voie de 60 dite « Chemin de fer de Victoria » construit à partir de 1901 et étendu selon les besoins d’une compagnie de plantations pour atteindre jusqu’à 50 km vers 1930.

Après la Première Guerre mondiale, l’exploitation des lignes du Cameroun est anglaise puis française. La construction de la ligne Eséka – Makak est commencée en 1922 dans des conditions très difficiles. En 1927, Yaoundé est desservie, et la ligne de Otélé à Mbalmayo, en voie de 60, est ouverte en 1928, puis convertie en métrique en 1933. En 1955 les anciennes lignes du Nord et du Centre sont raccordées grâce à la construction d’un pont sur le Wouri. La Régie des Chemins de fer du Cameroun (ou REGIFERCAM) réalise le tronçon Mbanga – Kumba en 1969. Le réseau est complété ou amélioré pendant les années 1980, notamment par la reconstruction intégrale du tronçon Douala – Youndé.

Le Togo, alors protectorat allemand, ouvre sa première ligne en 1905 avec 44 km en voie de 750 mm (transformée en voie métrique ultérieurement) reliant Lomé, la capitale, à Anécho. La ligne de Palime (118 km) est ouverte en 1907 et celle d’Atakpame (167 km) en 1908. Passant sous mandat français en 1922, le Togo augmente son réseau en atteignant, en 1934, la ville de Blitta, en direction du nord, ce qui marque le point ultime atteint par le réseau qui comprend, aujourd’hui, environ 500 km de lignes en voie métrique.
En consultant la carte d’Afrique (voir plus haut), montrant en 1967 l’ensemble des écartements du continent, on voit que le métrique allemand et français ont créé, sans le vouloir puisque dans le cadre du « chacun pour soi » colonial, un ensemble doté d’une unité d’écartement intéressante en voie de 1000 mm, mais non raccordé ni avec les réseaux du Sénégal, du Mali, des nombreuses colonies côtières, ni avec ceux de l’Ouganda et du Kenya, et même séparés par de vastes réseaux en voie de 1067 mm. L’absence de géopolitique commune jointe aux hasards des choix et des habitudes techniques des ingénieurs de chaque puissance coloniale ne pouvait pas donner de bons résultats, et l’ensemble de ces réseaux ont été prisonniers de la lenteur de leurs trains, des fréquences rares, des performances médiocres. Une grande nation, à l’américaine ou à la russe, ne pouvait de construire.
Le transafricain d’est en ouest : que reste-t-il de ce rêve portugais ?
Les Allemands n’ont pas été les seuls à vouloir imiter les Britanniques et les Français : les Portugais, une nation de navigateurs et de créateurs d’empires coloniaux, ont voulu renouer avec un glorieux passé. Dès le début du XIXe siècle, l’influence portugaise sur les routes maritimes du monde entier, qui était considérable dans les siècles précédents, est réduite presque à néant, mais les Portugais conservent en Afrique des territoires importants avec les Açores, Madère, la Guinée portugaise, l’Angola et le Mozambique. Si la Guinée portugaise est peu développée , il n’en est pas même de l’Angola et du Mozambique où se trouvent chemins de fer intéressants, et dont le projet initial fut un transafricain d’est en ouest.
L’Angola, qui occupe l’extrémité Nord-Ouest du plateau Sud-Africain, est la plus vaste des colonies portugaises et comprend, du nord au sud, les districts du Congo, de Loanda, du Benguela, de Mossamèdes et d’Uuila, auxquels il faut ajouter le Lunda, qui sépare le Loanda du Katanga. Il a une superficie de près de deux millions de kilomètres carrés et une population de plus de quatre millions d’habitants au lendemain de la Première Guerre mondiale.

Une zone côtière assez basse, qui s’étend sur une largeur de 240 kilomètres dans le Nord de la Colonie, se rétrécit à mesure que l’on s’avance vers le Sud. Elle est suivie d’élévations boisées qui la séparent du plateau largement ondulé de l’intérieur et dont l’altitude est de 1000 à 1200 m dans le Nord, et de 2000 à 2500 m dans le centre, ne dépasse pas 1800 mètres dans la partie méridionale.
Sur les hauteurs, le pays est très sain et extrêmement fertile; il produit en abondance toute la flore tropicale et tempérée et, notamment, le café, le coton, le cacao, le caoutchouc, la canne à sucre, le tabac et les céréales. Comme il est également riche en minéraux de toutes sortes, on comprend à quel point un réseau ferré s’impose tant pour amener les produits dans les ports, et d’autre part, pour assurer éventuellement la liaison avec certaines colonies voisines comme le Congo belge et éventuellement la Rhodésie.
La naissance du réseau de l’Angola.
Ancienne colonie portugaise depuis le XVIe siècle, l’Angola construit ses lignes de chemin de fer toujours sur le même modèle, celui de la desserte directe d’un port, ce qui est le cas pour Luanda, Porto Amboin, et Mossamedes. L’ensemble de ces lignes est en écartement de 1.067 mm, ou le fameux 3 pieds et 6 pouces anglais mais aussi en 600 mm, soit 1 pied, 11 ½ pouces. Si la ligne du Benguela totalise à elle seule environ 1340 km, les autres du pays cumulent, de leur coté, environ 1500 km de voies.
Les mines de cuivre du Katanga sont une grande aventure qui vaut bien celle de l’or de l’Ouest américain. Mais la ville de Benguela a un accès maritime défectueux, alors qu’à une cinquantaine de kilomètres plus au Nord, se trouve Lobito Bay, dont la rade a 4,500 mètres de longueur et une largeur de plus de 3 kilomètres. Son entrée étroite qui mesure quelque 700 mètres seulement en protège complètement les eaux dont la profondeur est ample. C’est pourquoi on décide de reporter à Lobito, ce port naturel parfait, l’origine de la ligne qui se dirigerait d’abord vers le Sud afin de desservir Benguela avant de repartir vers l’intérieur.
Le 28 juillet 1895 on décide donc la construction d’un chemin de fer de Lobito Bay vers le rio Cubango et la frontière rhodésienne. La « Compania Portugueza de Caminhos de Ferra Africanas » (Compagnie Portugaise de Chemins de fer Africains) n’ouvre au trafic que 23 kilomètres à voie métrique, depuis Lobito jusque à Catumbela, à peu près à demi-distance de Benguela. Mais la ligne est très mal construite, pourvue de rails de 9 kilogrammes par mètre seulement et la Compagnie, à bout de ressources, cesse toute exploitation et tente de vendre l’entreprise.
Entretemps, la loi du 17 août 1899 autorise la construction du chemin de fer de Lobito Bay, mais elle en modifie le tracé qu’elle reporte dans une direction plus orientale, afin d’atteindre la frontière du Congo belge, au lieu de celle de la Rhodésie. Un décret du 23 juin 1900 crée un comité mixte d’intérêts publics et commerciaux, intitulé la « Junta administrativa do Carninho de Ferro de Benguela ». On procède aux études, et le 23 janvier 1902, les deux premières sections du chemin de fer de Lobito-Bay ainsi que le wharf de Lobito Bay et un pont sur le Rio Catumbela sont mis en adjudication. Les 23 premiers kilomètres existent bien, mais il faut les reconstruire intégralement.

L’Anglais qui a failli construire la ligne.
La concession est accordée pour 99 années avec droit de rachat à partir de 1922, moyennant paiement annuel à la Compagnie d’une somme égale à la moyenne des bénéfices des cinq dernières années. On concède aussi des droits miniers sur une bande de 120 kilomètres de large de part et d’autre de la ligne, l’usufruit des forêts domaniales nécessaires à l’exploitation, et des droits commerciaux divers. Par contre, l’Etat cherche à se protéger de toute ingérence étrangère en exigeant que la majorité des membres du conseil et de la direction soient portugais.
Entretemps, on découvre les immenses richesses minières du Katanga et l’on cherche la façon la plus commode de transporter le minerai jusqu’à la côte. Des offres internationales mettent en compétition les lignes allemandes (côte Orientale et Dar-es-Salaam), anglaises (port de Beira), belges (voie mixte fer et fluviale via le fleuve Congo et Matadi), et enfin portugaise via Lobito-Bay, qui est la plus courte à condition d’en modifier le tracé primitif.
Le 28 novembre 1902, un Anglais, Robert Williams obtient la concession pour le compte de la Tanganyika Concessions Lirnited, ainsi que des droits miniers sur une bande de 120 km tout du long de la ligne. Le 26 mai 1903, on la transfère à une « Compania do C° de Ferra de Benguela » qui avait été constituée la veille à effet ! Celle-ci choisit Pauling and C° comme constructeur et ils ne pouvaient mieux faire, puisque cette avait construit le tiers des chemins de fer de l’Afrique australe, et les travaux commencèrent dès le 1er mars 1903. Ils sont très difficiles, et il fallut importer de la main d’œuvre de Lybie, ou des Indes, ou du Sénégal, et même des chameaux pour le transport dans des régions sans eau.
Prévoyant un développement économique du sud du continent, Williams a eu la sagesse de choisir l’écartement de 1067 mm qui est celui du réseau d’Afrique du Sud, ainsi que les normes de ce réseau, notamment pour les rails et les traverses. Les 526 premiers kilomètres sont achevés en 1913, mais la guerre les arrête. En 1925, ils reprennent et 754 kilomètres son ouverts, et la ligne, terminée en 1928 en atteignant la frontière du Congo belge, est même ultérieurement raccordée au réseau d’Afrique du Sud ultérieurement pour former un tout cohérent. Lobito est alors à 3965 km du Cap par chemin de fer: un record absolu en voie métrique !
Il est à noter que des problèmes de rampes se sont posées : la différence d’altitude entre le niveau de l’océan et les plateaux de l’Angola, situés à plus de 1600 m d’altitude, est telle que Williams prévoit des sections à crémaillère, système Riggenbach pour des rampes à 62 pour mille. Un parcours plus long, achevé en 1948, permet de réduire la rampe à 50 pour mille. Enfin, en 1974, on achève un troisième parcours qui réduit la rampe à un 12,5 pour mille très acceptable. Le matériel moteur, sur les sections à simple adhérence, est, on s’en doute, des locomotives articulées du système Garratt : en 1928, sur les 35 locomotives de la ligne, 6 sont des Garratt, et 4 sont à crémaillère. Certains trains atteignent 1440 tonnes. Inutile de dire que la situation dramatique de l’Angola de ces dernières décennies, depuis l’insurrection de Luanda en 1961, et de 1976 à 1988, avec la présence des troupes cubaines, puis une période très violente et instable jusqu’en 2002, a réduit presque à néant une grande partie des installations fixes et du matériel roulant. La ligne de Benguela est en cours de reconstruction.
Le chemin de fer de l’Etat de Loanda
Depuis longtemps, la ville de Loanda est un centre de commerce avec les populations locales, aussi les Portugais veulent en étendre la sphère d’attraction en construisant une ligne de chemin de fer vers l’intérieur de la colonie. L’objectif ultérieur est la liaison avec les colonies voisines, projet que les événements ont d’ailleurs modifié à plusieurs reprises. D’autre part, commencée par la Compagnie, la ligne, devait plus tard être nationalisée. Ces changements de directives et de régimes ont eu une répercussion immédiate sur le développement de l’entreprise.
Jadis la colonie de l’Angola, sur la côte de l’Atlantique, et celle du Mozambique, sur l’Océan Indien, formaient autrefois un tout, quoique l’intérieur en fût mal ou pas connu. La concession du 28 août 1857 s’applique ainsi à une ligne transafricaine est-ouest. Mais elle ne mène à rien de concret, et de nouvelles études sont entreprises débouchant sur une concession obtenue par un Sr. Alexandre Perez pour une concession de 99 ans, le 25 septembre 1885. Ce concessionnaire la rétrocède le 6 février 1886 à la Compagnie du « Caminho de ferre atravez d’Africa » (Compagnie transafricaine de chemins de fer). Elle concerne un chemin de fer de 364 kilomètres en voie métrique, qui doit
relier Sao Paulo de Loanda à Ambaca et unir les plantations de café et de sucre de la vallée de la Lukala avec le port de Loanda.
Mais des questions internationales viennent grandement modifier ces projets. La Rhodésie pénètre dans la zone de colonisation revendiquée par le Portugal, et sépare définitivement l’une de l’autre les possessions portugaises occidentales et orientales. Cette distribution nouvelle de territoires est reconnue par le traité du 11 juin 1891. Il faut donc modifier l’objectif du chemin de fer qui de ligne transafricaine devient une simple ligne de pénétration coloniale.
La section de Loanda à Ambaca est construite par tronçons à partir de la fin de 1886 et le soixantième kilomètre est atteint en 1889, let 260 km sont terminés à la fin de 1894 au niveau du pont de la Luinha. Enfin Ambac est atteinte le 8 mai 1899, au point kilométrique 340. Le prolongement jusqu’à la frontière du Congo belge est construit, mais dans des difficultés administratives telles qu’il fallait transborder les marchandises en gare de d’Ambaca, chaque section se voulant indépendante ! La situation financière de la ligne, de désastreuse avec un coefficient (proportion dépenses sur recettes) de 360% en 1892 à 78% en 1910, s’est améliorée constamment, jusqu’à sa nationalisation en 1914 : voilà au moins une nationalisation astucieuse…
Nous ne serions pas complets sans mentionner le chemin de fer d’Amboim, qui montre l’ampleur incroyable de la « biodiversité » ferroviaire africaine, et qui est une petite ligne à voie de 60, située dans le sud de la colonie et qui est construite pour desservir les plantations de café du plateau d’Amboim. La première section a une longueur de 80 kilomètres et mène jusqu’à Carloarigo au pied des collines. On l’ouvre à l’exploitation en janvier 1925. Quoique la distance à vol d’oiseau de Carloango au Haut Amboim ne soit que de 4 kilomètres, le développement de la ligne entre ces deux points atteindra 24 kilomètres jusqu’au terminus à Huila. Le matériel roulant consiste en petites locomotives-tender allemandes et en voitures et wagons de type anglais.
Le Chemin de fer de Mossamèdes.
Mossamèdes est le port du Sud de l’Angola et, ici encore, la région est « susceptible de colonisation aisée », selon les auteurs de l’époque, mais elle est « difficile à pacifier ». On entreprend donc la construction d’un chemin de fer militaire, capable de mener rapidement des troupes jusqu’au pied du plateau de Chella situé à 154 kilomètres de la côte et de les ravitailler. D’autre part, le district d’Otavi dans l’ex-Sud-Ouest Africain allemand riche en minerais.
La région de Tsumbé où s’installe la « South West Africa Company » (anglaise) pour l’exploitation du cuivre, de l’étain et de l’argent, peut être atteinte par cette voie et cette considération pèse également sur la décision qui est prise. D’une part, les intérêts portugais poussent leur chemin de fer de la côte vers l’intérieur, et, d’autre part, les intérêts anglais chercheraient à établir le leur de Tsumbé vers l’Océan.
La Compagnie de Mossamèdes obtient la concession du chemin de fer de Port Alexandre à la frontière en 1899, et signe un contrat de construction avec la Railway Works Company de Londres. D’un autre côté, la South West Africa C° décide, le 28 juillet 1902, de construire une ligne qui, de Tsumbé, se dirige vers la frontière septentrionale du Sud-Ouest allemand, où elle franchira le Rio Cunene en aval de sa première cataracte, et continuera sur Port Alexandre. Le coût de la ligne à construire par la Compagnie des Mines d’Otavi est estimé à 1,655,000 livres.
Enfin, Cecil Rhodes se rend à Berlin où certaines négociations touchent, un instant, aux intérêts portugais en Afrique et à ceux des colonies allemandes. Mais des contingences politiques modifient tous ces projets. Les Anglais cherchent un débouché pour les mines d’Otavi en passant par le Sud, et par le port de Swakopmund, au lieu de la route du Nord, via Port Alexandre. Les Portugais ne peuvent désormais compter que sur leurs seules ressources pour mener à bien leur entreprise.
Celle-ci est réalisée par l’Etat portugais sous la forme d’une régie autonome, par décret royal du 27 mai 1905, et qui la finance au moyen d’emprunts. A la fin de l’année suivante, 67 kilomètres sont en exploitation. Le prolongement jusqu’au kilomètre 109 est bientôt construit à la suite du décret du 25 avril 1907, et a graduellement été poussé plus loin encore. Lors de la déclaration de la Première Guerre mondiale, 147 kilomètres, sur un total de 249, sont en exploitation. Depuis lors, la ligne a atteint Lubango et enfin Huila.
Il est intéressant de savoir que l’écartement de la voie est de 600 mm. Elle est construite le long de la route qu’elle suit jusqu’au Rio Giraul à 80 mètres d’alitude. Elle s’élève ensuite jusqu’à Capangombe, à 480 mètres, et jusqu’au pied du plateau de Chella, à 700 mètres, un plateau dont l’altitude est de 1700 mètres.
Par ailleurs, un autre point intéressant est que l’on a pensé prolonger la ligne jusqu’à la frontière de l’Afrique du sud-ouest, conformément aux plans primitifs. En 1914, un syndicat allemand fut même constitué à cet effet. Il a été également question d’un embranchement de Huambo (ou tout autre point) vers les Chutes Victoria. C’était reprendre sous une forme modifiée, le vieux projet d’union entre l’Angola et le Mozambique, mais la création de la Rhodésie, interposée entre les possessions portugaises, avait déjà retiré tout sens à ce projet.

Le Mozambique, à l’autre bout de l’irréel transafricain est-ouest.
Les colonies portugaises de l’Afrique Orientale occupent une situation tout à fait particulière : elles s’étendent sur une longue bande côtière qui sépare la Rhodésie et le Transvaal de la mer. Les régions anglaises de l’intérieur ont du donc chercher un débouché maritime à travers les territoires portugais et, réciproquement, les chemins de fer menant des ports portugais vers l’intérieur, desservent des pays étrangers. Il en a résulté forcément des conflits d’intérêt et des luttes d’influences économiques qui ont pesé sur le coût de l’établissement des chemins de fer. D’autre part, les colonies portugaises ne pourront vivre exister par elles-mêmes qu’en les unissant avec un chemin de fer longitudinal qui sera difficilement viable, composé de tronçons courts desservant trop peu de territoire à partir de chaque port.
Occupant environ 1,7 millions de km2, et peuplé à l’époque d’environ 3 millions d’habitants, le Mozambique est partout fertile et produit le mil, le riz, caoutchouc. Le cocotier borde les rivages, la canne à sucre se trouve dans les vallées. Sur les hauteurs de l’intérieur, croissent le café, le blé, le thé et même la vigne. Enfin, comme dans l’Angola, on y trouve de grandes richesses minérales. Ici aussi, les cours d’eau servent peu comme moyens de communication. La Rovuma est navigable jusqu’au Loujenda, mais aux hautes eaux seulement; il n’y a pas de barre à son embouchure, qui se trouve en ex-colonie allemande. L’estuaire du Quisongo est navigable. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le Zambèze et peu navigable. La mouche tsé-tsé décime les animaux de bât ou de trait : il faut des moyens de transport mécaniques et terrestres.

Les chemins de fer sont sous construits principalement par des compagnies anglaises qui apportent leurs normes et leurs techniques. En premier lieu, il y a le réseau des Chemins de fer de l’Etat Portugais comprend trois ensembles distincts : le Lourenço Marquez en voie de 1067 mm, qui est le plus important, et les deux petites lignes en voie de 670 mm[18] de Quelimane et du district de Mozambique (avec ses petites lignes de Villa Nova de Gaza à Chimokoa, et celui du port d’Inharrime à Inhabane). Ensuite on trouve le Beira Junction Railway en voie de 1067 mm et le Beira Railway reliant le port de Beira à la Rhodésie d’abord en voie de 670 mm reconvertie en voie de 1067 mm. Enfin on a l’ensemble reliant Beira au Nyassaland anglais et qui comprend les lignes du Transzambezia RR, du Central Africa RR, et du Shire Highlands RR, le tout en voie de 1067 mm.
Décrire les péripéties diplomatiques, judiciaires, financiers, les concessions accordées puis refusées, les créations de compagnies et les liquidations, les conflits d’actionnaires et de gouvernements, les procès à Londres, Lisbonne, Prétoria, ou dans d’autres lieux, jusqu’à la cour internationale de Berne en Suisse, voilà qui demanderait un ouvrage entier ! Ces lignes offrent des débouchés maritimes bien plus proches, pour des pays riches comme le Transvaal, que ceux du Cap éloignés de plus de 1500 km, et, des années 1870 à 1900, les Britanniques ne cessent de faire pression sur les Portugais pour obtenir des droits de passage pour des lignes de chemin de fer. Les Portugais sont souvent condamnés au profit des Anglais, et paient des amendes, mais réussissent à garder la propriété des chemins de fer construits par ces derniers et menant jusqu’à Lourenço Marquez qui, à force d’exporter les richesses du Transvaal et de la Rhodésie, devient pratiquement le premier port africain au lendemain de la Première Guerre mondiale. Toutes ces lignes sont ouvertes entre 1890 et 1925.
Les chemins de fer portugais en Afrique en 1930 (longueurs en km).
Nom | 600mm | 750mm | 1000mm | 1067mm | Total (km) |
Loanda | 32 | * | 600 | * | 632 |
Benguela | * | * | * | 1347 | 1347 |
Amboim | 80 | * | * | * | 80 |
Mossamedes | 249 | * | * | * | 249 |
Total Angola | 2308 | ||||
Lour.Marquez | 34 | 75 | * | 352 | 461 |
Inhambane | 10 | * | * | 89 | 99 |
Quelimane | * | 83 | * | 100 | 183 |
Mozambique | * | * | * | 90 | 90 |
Beira Jct RR | * | * | * | 56 | 56 |
Beira RR | * | * | * | 271 | 271 |
Tr.Zambesia | * | * | * | 251 | 251 |
Central Africa | * | * | * | 181 | 181 |
Total Mozam | 1592 | ||||
Total général | 3900 |
Madagascar, éloignée du continent africain.
C’est un état d’Afrique, bien que ce soit une île éloignée de plus de 600 km de ce grand continent, mais son isolement ne peut lui permettre de faire partie du MSF africain. Elle a une superficie tout à fait comparable à celle de la France, avec 587.041 km2, mais elle est seulement peuplée de 16.913.000 habitants. Il est remarquable que si peu de chemins de fer aient été construits dans une île de cette importance avec 689 kilomètres en exploitation, soit cinquante fois moins qu’en métropole. Le réseau malgache est toujours en service. La ligne de la côte est a été entièrement refaite en 1999 grâce à des fonds internationaux. Aujourd’hui le réseau a une longueur totale d’environ 880 km et la diésélisation est totale.



Le projet Cecil Rhodes du Cap au Caire
Il y a eu le projet du Transsaharien que nous traitons par ailleurs sur ce site et qui n’était pas un véritable transafricain intéressant tout le continent. Mais il y a eu, aussi, le projet d’un vrai Transafricain Nord-Sud intégral, reliant les villes du Cap et du Caire. Ce projet a fait rêver des générations entières, au début du XXe siècle, et aujourd’hui encore, de nombreux « routards » et « globe trotteurs » ferroviaires essaient de faire ce fantastique voyage, comblant à bord d’un 4×4 les lacunes de cette ligne qui ne fut jamais totalement construite : sur les 10.000 km du projet, il en manque toujours quelques milliers.
Unifier un continent éclaté.
Tout commence en 1880, à l’extrémité sud de l’Afrique. Cecil Rhodes (1853-1902) rêve de construire une grande ligne de chemin de fer en direction du Nord, et de relier Le Cap au Caire. Cecil Rhodes échoua, ne laissant que son nom à la Rhodésie (devenue Zimbabwe) et un mot célèbre: « Faites le télégraphe, et faites le chemin de fer en le suivant ».
En cours de construction, le projet est détourné de sa destination initiale quand on découvre de l’or au Transvaal, puis Kruger, président du Transvaal, s’oppose aux intérêts de Rhodes. Réunissant des capitaux anglais et allemands pour la poursuite de la ligne, Rhodes ne se décourage pas, mais meurt en 1904 avant d’avoir vu la ligne atteindre les chutes Victoria. En 1906 la ligne parvient à Broken Hill en Rhodésie, à 3.200 km du Cap, puis en reste là, ne franchissant pas le Congo, car l’Egypte et le Soudan ne croient guère en la rentabilité du projet et refusent d’y contribuer.

L’époque du Transcontinental Sud-Nord Africain.
C’est le nom officiel donné au projet au lendemain de la Première Guerre mondiale, mais, sur le terrain, il ne s’agit toujours pas de la grande ligne transafricaine tant attendue. Sur les cartes des années 1920 on peut constater, certes, l’existence d’une ligne prolongeant le réseau Sud-Africain en direction du Nord permettant d’aller à 4.190 km du Cap, mais dans les faits il s’agit d’une succession de voies en écartement de 1.000 ou de 1.067 mm, et ne formant pas un ensemble cohérent. C’est ainsi que l’on peut parcourir 1.245 km du Cap à Vryburg en Union Sud-Africaine, puis 1.548 km en Rhodésie du Sud (aujourd’hui :Zimbabwe) entre Vryburg et Kalamo, et 1.397 km dans le Katanga (Ex Zaïre, puis RD du Congo) jusqu’à Bokama. En partant du Caire, on peut descendre sur 2.000 km jusqu’au sud du Soudan par la vallée du Nil en combinant le train et le bateau, puis s’arrêter à Wau, en plein désert, à quelques centaines de kilomètres de la première ligne ougandaise.

Le rêve enfoui dans les sables.
Jamais le projet de Cecil Rhodes ne se réalisera. Aujourd’hui il nous reste environ 3.200 km d’un coté et 900 km de l’autre, soit un peu plus de 4.000 km réalisés, et en deux écartements différents. Entre les deux tronçons se trouvent des lignes disparates, ne formant pas un ensemble continu et cohérent, et appartenant au Soudan, au Tanganyka, à l’Ethiopie, au Kenya ou à l’Uganda mais en des écartements tout à fait autres que celui de la ligne de Cecil Rhodes ou de la voie normale égyptienne, avec prédominance de la voie métrique. Il aurait fallu transformer ces écartements, reconstruire des lignes, en créer d’autres. Le projet était irréalisable, hélas, dans une Afrique aussi morcelée par des décennies de conflits entre des intérêts coloniaux antagonistes.

Les grands projets transafricains de 1948.
Une fois la paix revenue, l’Europe se reconstruit et certains pays qui doivent beaucoup de leur prospérité à l’Afrique n’oublient pas de faire des projets pour le développement de ce grand continent. Ces pays sont la Belgique, le Portugal, et le Royaume-Uni, et ils s’intéressent aux chemins de fer du centre de l’Afrique.
Le développement des chemins de fer africains a été contrarié par des difficultés matérielles de tous ordres au seins desquelles on a la pénurie d’acier, le manque de main-d’œuvre, les mauvaises relations entre les ports et l’intérieur du continent. La Belgique, le Portugal et l’Angleterre étudient des projets en vue de modifier radicalement la carte des chemins de fer entre l’Equateur et le Tropique du Capricorne, grâce aussi à une collaboration étroite entre les Administrations Belges et Anglaises pour éviter toute concurrence onéreuse dans ce domaine.
Le besoin se fait fortement sentir d’établir une liaison plus étroite entre les possessions britanniques de l’Est Africain et les possessions centrales. Des arguments d’ordre militaire viennent, par ailleurs, renforcer ce point de vue, en réclamant la construction d’une voie ferrée Nord-Sud reliant la ligne principale du Congo au Cap (dans le Nord de la Rhodésie) avec les lignes du réseau de l’Est Africain, qu’il conviendrait également de relier entre elles.
Le tracé le plus favorable serait celui qui quitterait la ligne principale du Northern Rhodesian en un point au Nord de Broken Hill, cette ligne traverserait la frontière du Tanganyika entre les lacs Nyassa et Tanganyika, couperait la ligne du Tanganyika Central au voisinage de Morogoro, s’infléchirait vers le Nord en direction de Korogwe sur le Tanganylka Northern. La longueur de cette ligne serait d’environ 1600 km. Un deuxième tracé a été proposé, qui coupe la Central Line près de Dodoma et continue vers le Nord sur Arusha et Nairobi cette ligne aurait une longueur de 2000 km.
Un prolongement vers l’intérieur de la ligne actuellement en construction reliant Mikindani aux plantations d’arachides voisines rejoindrait la nouvelle ligne à mi-chemin environ entre la frontière Nord du Tanganyika et de la Rhodésie et Iringa. en desservant Songea et les mines de charbon récemment découvertes, ainsi que les plantations de tabac du Sud du Tanganyika.
Afin de permettre la réalisation de ce projet, il faudra donner un nouvel écartement aux lignes à voie métrique du réseau de l’Est Africain, afin de pouvoir les relier aux lignes du Sud et Centre Africain qui sont à écartement de 1067 mm. Des travaux préparatoires ont déjà été exécutés en vue de cette uniformisation dont la réalisation sera très longue et coûteuse. D’ores et déjà, toutes les traverses en acier livrées au réseau de l’Est Africain sont prévues pour pouvoir se prêter à cette conversion; le matériel roulant neuf lui-même a été conçu dans ce même but En attendant, on envisage de construire la nouvelle voie Nord-Sud à écartement de 1067 mm et de la prolonger parallèlement aux voies de métriques existantes de Morogoro à Dar-es-Salaam et de Korogwe à Mombasa.
Le Ministère des Colonies de la Belgique étudie un programme décennal encore plus important avec la construction de chemins de fer au Congo qui comporterait la réalisation de 2400 km de voies situées sensiblement dans axe de l’Afrique du Sud. La construction d’une ligne assez courte dans l’Uganda permettrait à cette artère de servir les buts stratégiques qui sont à la base du projet purement anglais de ligne Nord-Sud reliant le Sud, le Centre et l’Est Africain. Un programme commun Anglo-Belge permettrait de relier les territoires de l’Est Africain anglais avec les ports de Matadi et Lobito Bay sur l’Atlantique.
Le programme belge serait le suivant : une ligne reliant Kamina à Kabalo (480 km), une ligne reliant Kindu à Ponthierville (360 km) et une ligne reliant Stanleyville à Goma sur le lac Kivu (640 km).On envisage aussi le prolongement de la ligne du Cap au Congo par report de son terminus de Port-Franzqui à Léopoldville, soit 880 km supplémentaires, mais aussi l’électrification de la ligne de Matadi à Léopoldville (320 km) et la conversion en écartement de 1067 mm des lignes en voie métrique Alertville-Kabalo-Kindu et Ponthierville-Stanleyville.
On réaliserait ainsi une relation directe du Cap à Dar-es-Salaam, tandis que Kampala pourrait être reliée à la frontière du Congo avec la nouvelle ligne belge de Stanleyville à Coma. Le prolongement de la ligne Port-Francqui à Léopoldville créerait une liaison transafricaine continue de Matadi à Mombasa.
Les difficiles années 1950 à 1970.
Si les réseaux des pays du tiers monde sont dotés de matériel neuf lors de leur construction pendant la première moitié de notre siècle, il est certain que, lors des périodes troublées d’accès à l’indépendance, de dures conditions de travail aggravées et conjuguées avec une maintenance de qualité décroissante font que le matériel souffre, ne peut être réparé faute de pièces, ou n’est pas remplacé à temps, et finit souvent dans un état d’abandon.
Certains réseaux d’Afrique bénéficient, pour un temps (idéologique) qui est révolu, de l’aide de l’URSS et ont reçu un matériel moderne de fabrication tchèque ou hongroise, voire polonaise, comme des locomotives diesel ou des rames automotrices. Mais l’absence de pièces détachées est resté le problème endémique de ce type de matériel, et, ici aussi, il est souvent hors d’usage alors qu’il pourrait encore servir. Ensuite est venu le temps d’autres partenaires, investisseurs privés, banques mondiales, pays émergeants comme la Chine, dont les motivations idéologiques sont moins claires, mais dont les objectifs sont de faire de l’argent. S’ils parviennent à en faire, et à le redistribuer pour une grande part en Afrique, au moins sous la forme de travail, alors on peut penser que les investissements courageux de la première moitié du XIXe siècle n’ont pas été une erreur. Il revient donc à ces nouveaux investisseurs de prouver que l’Afrique en valait la peine.En conclusion : les grands projets africains des années 2000.
Disons les choses telles qu’elles sont. Le voyage ferroviaire européen se fait sous le signe de la vitesse, du confort, de l’espace, du luxe, mais aussi de performances et de sécurité, et enfin, ce qui ne gâte rien, de la ponctualité. Mais, pour des millions de personnes, le train est l’expérience d’un entassement, assis à même le plancher ou sur le toit et dans tous les vents, et les performances sont, sans doute, un peu supérieures à celle d’un homme ou d’un animal au pas. Un retard de plusieurs heures à l’arrivée, des pannes en cours de route, des défaillances de la voie ou du matériel roulant, tout cela s’accumule pour faire régner une incertitude acceptée dont l’Européen, qui regarde sa montre, n’a pas idée. Il n’y a pas d’autre choix, et le train est vital pour les Africains qui l’attendent et ne regardent pas la montre qu’ils n’ont pas. Mais, aussi, ces trains-là disparaissent. Le chemin de fer africain a-t-il un avenir ?
Il est certain que la richesse d’un pays peut se mesurer par le Produit National Brut, les revenus par habitant, ou la qualité des équipements médicaux ou des soins, ou encore le niveau d’instruction et la valeur de son système éducatif. Le système des transports est aussi un bon indicateur. Le chemin de fer, la qualité d’un réseau national, les performances des trains rapides ou la charge des trains de marchandises les plus lourds, en disent aussi très long sur la puissance économique d’un pays et la qualité de vie offerte à ses habitants, ceci d’autant plus qu’un réseau ferré représente un investissement sur des décennies, donc très long, et traduit, par la force des choses, une richesse déjà ancienne. Maintenir en vie un réseau ferré est un luxe.
Les pays où la valeur du temps personnel n’est pas appréciée ou même évaluée, et où un billet d’avion représente une somme considérable par rapport aux très modestes revenus annuels des habitants, sont des pays à réseaux de chemin de fer peu outillés pour la vitesse et pour une desserte fine. Le souci de ponctualité et les exigences de confort restent très aléatoires, l’essentiel étant de se déplacer. La maintenance est minimale, et le matériel roulant, même s’il est récent, est soumis à de telles conditions d’utilisation, qu’il est, après quelques années, dans un état de vétusté et d’usure avancés. Les vitesses sont très basses, les moyennes étant de 20 à 40 km/h au maximum, et souvent moins.

L’Afrique et ses quarante réseaux nationaux.
Les projets ont beau être là et débattus, il n’en reste pas moins vrai qu’aucun continent, si l’on excepte l’Océanie pour d’évidentes raisons géographiques, n’est aussi démuni de chemins de fer que ne l’est l’Afrique, mais aussi, paradoxalement, aucun continent ne peut aligner, dans les publications statistiques et économiques, un aussi grand nombre de compagnies et de réseaux ferroviaires.
Pendant les années 1960 et 1970, ce qu’il est convenu d’appeler le colonialisme laisse derrière lui environ 80000 km de lignes de chemin de fer dont les nouveaux États reprennent en mains la destinée. On estime à un peu plus de 53 000 km le total du réseau africain actuel, d’après les données dont on dispose – tout en tenant compte de leur incertitude pour certains réseaux. Certains réseaux de chemin de fer, comme celui de l’Angola ou de l’Erythrée, ont pratiquement disparu.
L’Afrique, d’après les données de l’Union Internationale des Chemins de fer, c’est 7 % du million de km de lignes de chemin de fer existant dans le monde pour un continent qui comporte 20 % de la superficie de la planète et 15 % des habitants. Il y a bien un très grave déséquilibre, et l’origine en est incontestablement le minimum de chemins de fer construit par les puissances occupantes dans le seul but de l’exploitation et du transport en direction des ports des richesses naturelles des territoires.
Chaque réseau de chemin de fer africain est ainsi cloisonné dans les limites de son territoire, d’où non un système ferroviaire continental, mais une mosaïque de réseaux isolés dont chaque État nouvellement créé à la place des anciennes colonies est, à son tour, tributaire.
Chaque nouvel Etat veut assumer et afficher son indépendance jalousement conquise et, comme les chemins de fer nationalisés sont devenus la référence en matière de service public, portant fièrement le nouveau logo du réseau et le nom de l’Etat, ils sont le point de mire de la politique nationale. On voit la même attitude jusque dans la création, souvent hors de prix pour le budget national, d’une compagnie aérienne qui porte aussi, et jusqu’à l’autre du monde, le nom du nouveau pays.
Quarante réseaux nationaux parce qu’il y a quarante pays tout aussi « nationaux », voilà ce qui caractérise l’Afrique ferroviaire. La somme arithmétique des réseaux membres et des délégués a longtemps fait de l’Afrique le continent le mieux représenté dans les instances mondiales de l’Union Internationale des Chemins de fer, puisque les Africains, délégués ou réseaux, en représentaient environ le tiers. IL est à noter que la quarantaine de réseaux africains est assez rapidement devenue une bonne cinquantaine ces derniers temps, puisqu’un certain nombre de réseaux entièrement privés ont été crées par de grandes compagnies minières, soit par rachat et modernisation d’anciens réseaux, soit par construction. Mais si l’on se réfère aux documents de l’Union Internationale des Chemins de fer, on ne trouvera guère que 18 réseaux, les autres ne cotisant plus pour cette institution faute de moyens.
Le continent des régions des pays sans chemins de fer.
L’Afrique a le plus grand nombre de régions ou même de pays presque dépourvus de tout chemin de fer. La Libye est un exemple connu, elle qui en avait jadis, n’en a plus, et qui veut construire 2000 km de lignes.
D’après l’expert international François Batisse, et ses nombreux articles dans la Revue Générale des Chemins de fer, ce manque de lignes de chemin de fer est aggravé par le fait que la quasi-totalité du réseau africain est en voie unique, et en traction diesel : a peine 10% des lignes, hors des villes, sont à deux voies et plus et à peine 20 % des lignes sont électrifiées. Inutile de préciser que la presque totalité des lignes à deux voies ou électrifiées se trouvent en Afrique du Sud, qui reste, à tous points de vue, le pays d’Afrique le mieux équipé.
Il faut dire que la faiblesse du trafic ferroviaire en Afrique est dissuasive en ce qui concerne l’étude et les projets de ligne, sauf pour quelques régions minières comme le mythique Katanga ou la non moins mythique Mauritanie. L’Afrique, par rapport au monde entier, c’est une part de 1 % pour les Voyageurs/Kilomètres du monde entier, et de 2 % pour les Tonnes/Kilomètres, et de 7% pour la longueur des lignes[19], alors que 15 % de l’humanité est composée d’Africains.
Cependant tout n’est pas si sombre, car le volume du fret a très légèrement augmenté depuis l’époque de l’indépendance et a atteint 143 milliards de tonnes-kilomètres en 2003, dont, bien entendu, les trois quarts sont transportés sur le réseau de l’Afrique du Sud. Mais le transport des voyageurs a chuté pour ne laisser que 60 milliards de voyageurs-kilomètres : est-ce à dire que l’on voyage moins en Afrique ? Non, mais on voyage par la route, où autocars et camions abondent, ou en avion sur les plus longues distances. Seul un pays fortement étatisé et organisé comme l’Égypte transporte les deux tiers du trafic voyageurs de l’ensemble du continent, et même transporte dix fois plus de voyageurs que de marchandises. Les experts estiment que, hors l’Égypte pour les voyageurs et l’Afrique du Sud pour le fret, la vingtaine de réseaux africains membres de l’UIC ne compte en moyenne guère plus d’un milliard de tonnes-kilomètres et moins d’un milliard de voyageurs-kilomètres, soit le trafic ferroviaire dans un département en France !
Mais aussi les réseaux africains tendent à abandonner leurs voyageurs, et préfèrent le fret coûte moins et génère des bénéfices qui permettent d’éponger les déficits des voyageurs. En outre, le fret, lui, attire les capitaux privés… Les investisseurs posent toujours comme condition pour obtenir un prêt ou une aide, que les lignes les plus déficitaires soient fermées, et que le réseau se centre sur le fret, et les investisseurs tolèrent le maintien des services voyageurs si l’État assume les déficits.
Le continent champion de la diversité ferroviaire.
L’Afrique détient le record mondial de la diversité ferroviaire, ce qui ne manque pas d’enchanter les amateurs et les touristes, mais n’est pas bon pour le rendement des réseaux, car le nombre d’écartements de voie atteint sept écartements différents officiellement recensés. Le fameux écartement anglais de trois pieds et six pouces, ou 1067 mm, arrive en tête avec plus de 50000 km de voies réparties dans 18 pays différents.
Le métrique proprement dit avec ses 1000 mm, posé principalement par les Français et les Allemands, concerne 16 000 km de lignes dans dix-sept pays. Et, malheureusement, on trouve en troisième position alors qu’il aurait du être le premier, l’écartement standard de 1435 mm sur environ 12 000 km de lignes dans huit pays. En outre quatre écartements de moins d’un mètre concernent un total de 2000 km de lignes dans cinq pays. Une dizaine de pays ont deux ou même trois écartements différents sur leur propre réseau national, ce qui crée autant de ruptures de charge et de transbordements et de pertes de temps et d’argent, donc de surcoûts économiques à l’intérieur du même pays.
Les grands projets ferroviaires africains, toujours en projet depuis des décennies !
L’Afrique terre de rêves et de projets… certes, mais malheureusement pas seulement dans l’imaginaire des explorateurs, car son chemin de fer n’a pas, non plus, échappé à la mythique des projets pleins de grandeur et d’opportunité, mais sans concrétisation sur le terrain.
Il est vrai, comme le fait remarquer l’expert François Batisse, que l’Amérique du Sud et surtout l’Asie semblent avoir plus de chances de voir se réaliser leurs grands projets parce que leurs maillons manquants restent raisonnables, alors qu’en Afrique, pour créer ce grand réseau continental qui fait défaut, il faudrait construire intégralement des milliers et des milliers de kilomètres.
Nous ne reviendrons pas, pour les avoir amplement décrits, les célèbres projets de liaison nord-sud comme le Transsaharien de 4000 km dont le Sahara est l’immense maillon manquant, ou le projet encore plus grandiose d’une liaison de 12000 km du Cap au Caire, imaginée par Cecil Rhodes il y a un siècle et qui souffre toujours de trois lacunes à combler sur plusieurs milliers de kilomètres dans la région des Grands Lacs, entre l’Ouganda et le Soudan et aussi entre le Soudan et l’Egypte. De même, il y eut le projet de ligne reliant l’ouest de l’Afrique et son centre par le Burkina Faso, le Niger et le Bénin : mais, faute de moyens, et devant le coût de quatre tronçons d’interconnexion manquants, ce projet est resté entouré d’une ombre totale et n’a même pas fait rêver comme les deux précédents.
À l’inverse, aujourd’hui une liaison est-ouest de 4700 km a dépassé l’état de projet et les travaux sont en cours pour relier, à lointaine échéance, les ports des deux anciennes colonies portugaises séparées par la Rhodésie britannique, que sont, d’une part, Benguela et Lobito situés en Angola sur l’Atlantique et d’autre part, Beira, situé en Mozambique sur l’Océan Indien.
En écartement normal, la ligne « impériale » ou encore dite du Trans-Maghreb reliant le Maroc, l’Algérie et la Tunisie, a été interrompue par les guerres d’indépendance, puis elle a été remise en service sur toute sa longueur, mais son trafic reste faible.
Beaucoup d’autres lignes pourraient, en se raccordant, contribuer à former des lignes transcontinentales : mais il faudra y mettre le prix car elles n’ont été conçues dans ce but et n’ont été construites que pour assurer à des pays sans façade maritime une ouverture sur un port. C’est le cas tout particulièrement de la ligne dite Tazara qui ouvre à la Zambie le port de Dar Es-Salaam.sur l’Océan Indien, ceci à travers la Tanzanie.

Le grand et beau projet de l’Union Africaine des Chemins de fer.
L’union Africaine des Chemins de Fer regroupe avec pragmatisme les chemins de fer d’Afrique, et elle a créé un groupe de travail chargé de tracer les futurs grandes lignes devant créer un vrai réseau à l’échelle du continent, ce vrai réseau africain que jamais l’époque coloniale n’a songé à faire. De ce magnifique travail est résulté un projet de dix lignes ferroviaires internationales suivantes, et dont on pourra consulter la carte ci-contre.
Nom de la ligne | Pays concernés |
Nord | Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Égypte, Soudan |
Nord-Est | Soudan, Éthiopie, Kenya, Tanzanie |
Nord-Est – Ouest | Soudan, Tchad, Nigeria |
Est – Sud | Tanzanie, Zambie, Zimbabwe, Mozambique, Afrique du Sud |
Est – Centre-1 | Soudan, République Centrafricaine, Cameroun |
Est – Centre-2 | Tanzanie, Rwanda, République Démocratique du Congo |
Ouest – Centre | Sénégal, Mali, Burkina Faso, Niger, Nigeria |
Sud-Ouest | Côte d’ivoire, Burkina Faso, Niger, Bénin |
Centre-Sud | Cameroun, Gabon, Congo Brazzaviflle, République Démocratique du Congo, Angola, Namibie |
Nord – Ouest | Sénégal, Mauritanie, Maroc |
Nord – Centre-Sud | Libye, Tchad, République Centrafricaine, Congo Brazzaville, République Démocratique du Congo, Angola |
Il existe aussi un très intéressant projet de corridor multimodal, dit « projet ferroviaire des Grands Lacs », et qui émane du Marché Commun des États d’Afrique de l’Est et d’Afrique Australe ou « Common Market for Eastern and Southern Africa » (COMESA) voir la carte ci-jointe. Il s’agit de construire cinq lignes d’une centaine de kilomètres chacune pour relier l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi à la Zambie et au réseau Tazara de façon à atteindre l’Afrique du Sud. Le rêve de transafricain du Cap au Caire de Cecil Rhodes, une fois encore, est présent…

Les preuves de la possibilité d’un réseau africain performant.
De nombreux faits viennent cependant démentir le pessimisme dans lequel, en général, on se plaît à décrire la situation ferroviaire africaine. Il est vrai que la situation de la plupart des pays ayant accédé à l’indépendance a placé les réseaux dans un contexte souvent aléatoire.
Mais quand on sait, par exemple, ce que font les réseaux en voie métrique européens (sauf la brillante exception suisse) il serait difficile de croire qu’un réseau à voie métrique africain fasse circuler des trains de 10 000 tonnes aussi performants que ceux des plus grands réseaux américains en voie normale ! Par ailleurs, les experts internationaux disent que la productivité du personnel du fret est trois fois celle des cheminots européens et le rendement des wagons le double.
Le réseau en voie normale de Mauritanie fait tranquillement rouler, sur 700 km, les trains de minerai les plus lourds (22 000 tonnes) et les plus longs (2500 m) du monde, ceci depuis plus d’un demi siècle…
L’Égypte, avec 450 millions de voyageurs et 41 milliards de voyageurs-kilomètres, sans compter 4 milliards de tonnes-kilomètres de fret, a un rendement et des volumes de trafic que ne dénieraient pas bien des réseaux européens. Un projet de construction de ligne, avec assistance française, en direction de la Libye et aussi en direction de Gaza et du Moyen-Orient est en train de prendre corps, ; tout comme un projet de ligne à grande vitesse entre le Caire et Alexandrie.
Le réseau du Maroc a électrifié 55 % de ses lignes, et produit 5 milliards de tonnes-kilomètres et 2,5 milliards de voyageurs-kilomètres : un bon nombre de réseaux européens ne peuvent en dire autant, surtout en matière d’électrification. Un projet de ligne à grande vitesse Casablanca à Fès est étudié, construit, et en cours d’essais, un projet d’extension du réseau jusqu’à Marrakech aussi et le spectaculaire projet du tunnel de 39 km sous le détroit de Gibraltar fait déjà rêver les grandes firmes de travaux publics et de matériel ferroviaire. Le réseau marocain a 10000 employés dont la productivité de 750000 unités kilométriques par employé vaut celle de la DB ou de la SNCF.
Pendant ces vingt dernières années, le trafic a cessé de décroître, et les réseaux africains ont réussi à réduire de moitié les effectifs de leur personnel et d’un tiers ou de moitié leurs parcs de matériel, ce qui a relevé les taux de productivité jusqu’à des niveaux comparables aux moyennes des réseaux de l’ouest de l’Europe. Par exemple, le réseau d’Afrique du Sud Spoornet, outre son volume de trafic exceptionnel, outre les réductions drastiques et la mise en œuvre des moyens matériels, est un réseau très efficace et rentable, et n’a que 35 000 employés et 110 000 wagons pour assurer un trafic de plus de 100 milliards de tonnes-kilomètres, ce qui représente 3 millions par employé, soit 4 fois la moyenne d’unités kilométriques de trafic par employé en Europe. Cela représente aussi presque le million de tonnes-kilomètres par wagon, soit presque le double de la moyenne des wagons européens.
Notes.
[1] Ligne qui, très récemment, a été entièrement et magnifiquement reconstruite, en écartement normal et traction électrique, par la Chine : on peut voir, ici, l’annonce d’une nouvelle période, d’un « new deal » africain, et en espérant que l’on ne pas répéter, avec des acteurs différents, la même pièce de théâtre.
[2] Le 610 mm, ou « voie de 2 pieds » est l’équivalent britannique de la voie en 600 mm ou « voie de 60 » des pays du continent européen, dont la France et l’Allemagne tout particulièrement. Signalons toutefois l’existence, en Allemagne et aussi en Europe centrale et dans les Balkans, d’une voie que l’on peut qualifier de voie de 60 élargie, portée à 750 ou 760, voire 762 mm, et que l’on retrouvera aussi sur le sol africain.
[3] Nous tenons à dire que nous ne prenons en aucune manière un parti pour ou contre le colonialisme qui, certainement, a eu des effets positifs notamment en matière d’équipements routiers, ferroviaires, ou de santé, d’éducation tout en étant motivé à la fois par une générosité humanitaire (pensons aux missions) mais aussi par un « sens des réalités » cruel et cynique menant à une situation qui avait été décrite par André Gide dans son « Voyage au Congo » publié en 1927. On peut regretter, toutefois, la géopolitique ferroviaire – ou, plutôt, l’absence de toute géopolitique ferroviaire – pratiquée par les puissances coloniales qui ainsi portent une lourde responsabilité vis-à-vis de la situation désastreuse de l’Afrique, resté un continent sans Méga-Système-Ferroviaire (MSF en géopolitique).
[4] Des tomes entiers de la Revue Générale des Chemins de fer en France, ou du Railway Magazine au Royaume-Uni témoignent encore, pour celui qui veut les consulter, de cette réaliité, notamment dans les notes de voyage des ingénieurs ou les bilans statistiques des réseaux.
[5] Page 172 de son ouvrage « Le système ferroviaire dans le monde », op.cité. Notons que le Train bleu en question cité n’est nullement le célèbre Train bleu de la CIWL, mais seulement la traduction du nom « Blue Train » d’un train local, certes très luxueux, mais avide, sans doute, de s’approprier le nom d’un des trains les plus célèbres au monde avec l’Orient-Express crées par la CIWL.
[6] Cette erreur, assez courante dans l’histoire des chemins de fer, consiste à confondre, dans la transmission des données techniques entre les concepteurs des réseaux et les chantiers de construction, l’écartement d’axe en axe des rails souvent coté sur les plans, d’une part, et, d’autre part, l’écartement entre les faces internes des rails qui est pratiqué sur le terrain. Ainsi, une voie dite métrique (1000 mm entre les faces internes des rails) peut être cotée 1050 mm entre les axes des rails, avec des champignons (ou « tête ») des rails mesurant 50 mm en largeur. On a fait la même erreur, par exemple, lors de la construction de voies de présentation au musée SNCF de Mulhouse, avec des voies de 1435 mm cotées, par l’architecte, à 1500 mm d’axe en axe et installées par une entreprise en prenant cette cote pour l’écartement entre les faces. Bien entendu, il a fallu rectifier cette erreur.
[7] Du nom de l’entreprise de Paul Decauville qui imagina en 1875, notamment à des fins agricoles, un système très complet et très performant d’un chemin de fer présenté comme transportable, et existant dans des écartements de 400, 500, et 600 mm. Ce dernier écartement, dit « voie de 60 » eut surtout son heure de gloire sur le front de la Première Guerre mondiale et devint, par excellence, un outil stratégique.
[8] Malheureusement toujours reportée dans le temps et finalement réalisée, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en 1500 volts continu par souci d’homogénéité avec les autres grandes électrifications faites en France. Le choix du 3000 v continu, pourtant, se révélera comme excellent en Italie, Belgique, Russie, etc…
[9] Toujours, comme pour les autres réseaux cités, d’après le « Railway Statistics 2016 Synopsis » de l’UIC.
[10] Pour ce qui est de la France, les Bretons et les Corses apprécieront… tout comme les Savoyards ou les Provençaux ou les habitants de la Cerdagne ou du Vivarais. Mais on retrouvera la même démarche pour la Sardaigne, des pays entiers des Balkans, le pays de Galles, et le métrique sera vraiment l’acte du doute et du refus de l’investissement, fruit d’une promesse électorale.
[11] On peut même atteindre un gabarit en largeur de quatre fois la voie, comme cela s’est vu sur certains réseaux en voie de 600 ou 610 mm. Cela s’est vu sur le Donegal en Irlande.
[12] Rappelons que l’Ouganda et le Kenya sont une sorte d’enclave en « vrai métrique » (1000 mm) au cœur de cet empire en « métrique anglais » ou encore dit « métrique du Cap » (1067 mm), cette différence de seulement 70 mm étant catastrophique pour le continent sud-africain et ayant fait échouer la création du fameux La Cap-La Caire cher à Cecil Rhodes.
[13] Ecartement non pratiqué par les Britanniques qui tiennent en principe à leurs 1067 mm, mais imposé par le raccordement logiquement prévisible avec le réseau du Tanganyika, construit en voie métrique par les Allemands. Toujours une politique du coup par coup, du « chacun pour soi » complétée d’accommodements traités au cas par cas, laissant les écartements créer, au fur et à mesure des erreurs, un ensemble incapable d’assurer le développement du continent africain dans son ensemble.
[14] Voir la note suivante.
[15] Lionel Wiener « Les chemins de fer coloniaux en Afrique », 1930, Editions Goemere à Bruxelles et Dunod à Paris, un rare ouvrage essentiel pour comprendre l’histoire complexe du chemin de fer africain.
[16] Comme quoi un changement d’écartement est toujours possible, si la volonté politique est d’abord là.
[17] A titre de comparaison, les Anglais exécutent non loin de là, dans leur colonie de l’Est Africain Britannique, à travers un pays autrement difficile, 1,225 kilomètres en cinq années.
[18] Cet écartement de 670 mm n’est nullement cité dans le tableau général des écartements mondiaux donné par la Revue Générale des Chemins de fer en 1925. Toutefois on a bien retranscrit l’écartement de 1 pied 11,3 pouces en 603 mm au lieu de 610 mm, tout comme le 1 pied 11 1 pouces en 597 mm, avant de les regrouper en écartement de 2 ft : il est possible que ce soit une retranscription erronée du 610 mm mesuré d’axe en axe de rails à fort armement. Mais la variété des écartements, même correctement mesurée entre les faces internes, est telle qu’il est parfaitement possible que cet écartement ait existé avant sa reconversion en 1067 mm.
[19] D’après le « Railway Statistics 2016 Synopsis » publié par l’UIC.
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