Train Jaune, Canari, ligne de Cerdagne : le Premier ministre adore.

Cette ligne de Cerdagne, et son « Train Jaune » ou « Canari », est toujours active aujourd’hui. On peut dire que c’est un miracle ! Constituant une exception dans le réseau SNCF, elle a toujours été l’objet de profonds changements techniques entrepris à chaque fois que son existence était mise en cause. Touristique malgré elle, alors qu’elle ambitionnait de développer toute l’économie d’une région et d’être une relation internationale, elle survit d’abord parce qu’elle est électrique, ce qui la pare de toutes les vertus, y compris comptables, et ensuite parce que les habitants de la Cerdagne et leurs élus se montrent toujours très réactifs et agressifs quand les comptables de la SNCF commencent à faire mine de songer à des économies. Elle a aussi pour elle d’avoir un auteur passionné, Jean Castex, Premier ministre, qui a consacré en 2017 un ouvrage intitulé « La ligne de chemin de fer de Perpignan à Villefranche – Prélude de la ligne de Cerdagne », décrivant donc l’ensemble de la ligne de Perpignan à La Tour de Carol formant un embranchement du transpyrénéen oriental. Cet ouvrage fait partie d’une collection dédiée au Train Jaune.

Le « Train Jaune », état actuel des anciennes rames de 1909, toujours en service sur la ligne de Cerdagne, vue ici près de Font-Romeu. Noter la prise de courant par troisième rail latéral, chose qui rappellera aux Parisiens de passage leur cher métro !
Le livre du bien connu Jean Castex traite, dans le cadre d’une collection dédiée au « Train Jaune », de la ligne de Perpignan à Villefranche qui n’a de sens que dans son prolongement qu’est la ligne de Villefranche à la Tour de Carol, ou ligne de Cerdagne, formant un nécessaire embranchement du Transpyrénéen Oriental.

La ligne de Villefranche-Vernet-les-Bains à La Tour-de-Carol, dite ligne de Cerdagne, est, ce que peu de gens savent, une ligne SNCF et non une ligne privée. Mais, contrairement à la pratique générale du réseau SNCF, elle est à voie métrique, mais aussi, fait plus rare pour cet écartement, en traction électrique tout comme la ligne de Savoie, l’autre exception nationale. Longue de 63 km, elle relie entre elles les lignes à voie normale de Perpignan à Villefranche, d’une part, et de La Tour-de-Carol à Toulouse, d’autre part. Partant de Villefranche, dans la basse vallée de la Têt, à l’altitude 426 mètres, elle remonte le cours de cette rivière, l’abandonne à Mont-Louis pour franchir le col de la Perche à 1591 mètres d’altitude et point culminant du Réseau de la SNCF, pour passer, après avoir desservi Font-Romeu, dans le bassin de la Sègre, dont les eaux coulent vers l’Espagne. Elle traverse la Cerdagne, et aboutit à la gare internationale de La Tour-de-Carol située à 1231 mètres. Elle longe la frontière espagnole sur une vingtaine de kilomètres entre Bourg-Madame et La Tour-de-Carol, contournant l’enclave espagnole de LIivia.

La ligne de Cerdagne. Son utilité, prévue à l’origine, est de compléter le transpyrénéen oriental en apportant la traction électrique et sa puissance à une époque où règne la traction vapeur, mais difficilement sur les fortes rampes des lignes de montagne. Le choix, pour des raisons économiques, de l’écartement métrique est un handicap et une erreur.
La ligne de Cerdagne (en rouge) dans sa partie haute doit contourner l’enclave espagnole de Llivia.
Le profil en long de la ligne de Cerdagne.



Dès l’entre-deux guerres, la ligne est perçue comme ayant un grand intérêt touristique, qui provoque en été un important afflux de voyageurs à grande distance, bien que, aussi, la saison des sports d’hiver soit très active. En outre, la présence d’importants sanatoria à Osseja, Enveigt et Ur-les-Escaldes crée aussi un trafic constant à l’époque. En dehors de ces périodes, le trafic des voyageurs, centré sur Perpignan, est relativement bas et n’a guère qu’un caractère local. Le trafic marchandises, peu important dans l’ensemble, provient essentiellement de la production laitière de la Cerdagne, des mines de fer du massif du Canigou pour environ 43 000 t annuelles dans les années 1920 à 1950, et de l’approvisionnement des centres touristiques comme Mont-Louis, Font-Romeu, et Bourg-Madame.

Quelques caractéristiques techniques très spéciales.

Techniquement, la ligne exploitée sous le régime de la « Signalisation simplifiée » complété par une Instruction spéciale de sécurité, comporte des déclivités jusqu’à 60 pour mille, des courbes de 80 mètres de rayon de nombreux ouvrages d’art dont 17 tunnels, plusieurs viaducs dont deux remarquables que sont le Pont Séjourné et le Pont Gisclard. La vitesse maximale y varie de 25 à 45 km/h selon les déclivités.  La traction est assurée par des automotrices électriques de 360 ch à courant continu 850 V alimentées par troisième rail latéral. Le courant est distribué par des sous-stations à redresseur commandées par les gares, et alimentées par une double ligne à 20 000 V.

Le matériel roulant (automotrices, remorques et wagons) est entretenu par le dépôt de Villefranche, assez bien outillé, qui a également la charge du matériel moteur 12 000 V monophasé en fréquence spéciale 16 périodes 2/3, utilisé jusque durant les années 1960 sur la voie normale entre Villefranche-Vernet-les-Bains et Perpignan.

Les automotrices électriques construites en 1909 par Alstom, alors Alsthom. Ce matériel, souvent perfectionné, est toujours en service.

Une électrification pour le moins surprenante.

La ligne à voie étroite de Villefranche-de-Conflent à Bourg-Madame, en Cerdagne française, est concédée en 1902 à la Compagnie des Chemins de fer du Midi, avec obligation de l’exploiter en traction électrique. Le courant choisi est le courant continu à la tension de 850 volts, avec captage par rail conducteur latéral.

Une usine hydro-électrique, établie à La Cassagne, est construite pour alimenter la ligne. Cette usine utilise les eaux de la Têt sous 420 mètres de chute, régularisée par le réservoir des Bouillouses contenant de 13 millions de mètres cubes et établi à la 2000 mètres d’altitude.

Une des stations de la ligne. Le troisième rail, ainsi que les pylônes haute tension très Midi, créent une ambiance particulière à la ligne.
La gare de Bolquière, près du col de La Perche à 1591 m d’altitude, point le plus haut du réseau de la SNCF.
En gare d’Olette, dans les années 1930.



L’usine de La Cassagne est, à l’origine, équipée avec des génératrices dites à l’époque « dimorphiques », c’est-à-dire des machines capables de produire soit du courant continu à 850 volts, soit, et même, théoriquement, simultanément, du courant triphasé à la fréquence de 25 Hz. Ce dernier courant est élevé à la tension de 20 000 volts et distribué par deux lignes, établies sur les emprises du chemin de fer, à cinq sous-stations situées à Villefranche, Thues, Odeillo. Err et Bourg-Madame, équipées chacune avec deux commutatrices à 25 Hz.

La ligne est mise en service en 1910 entre Villefranche et Mont-Louis, et en 1911 de Mont-Louis à Bourg-Madame. Tout l’équipement électrique de l’usine et des sous-stations, ainsi que celui des automotrices, est fourni par la Société Alsacienne de Constructions Mécaniques. Toutefois, en 1922, les équipements et les moteurs des automotrices sont remplacés par du matériel Thomson.

En 1927, lors de la mise en Service du Transpyrénéen de Portet-St-Simon à La Tour-de-Carol et Puigcerda, la ligne de Villefranche à Bourg-Madame est prolongée de Bourg-Madame à La Tour-de-Carol sans augmentation du nombre de sous- stations. En 1938, on décida le réaménagement hydro-électrique de la Vallée de la Têt et la transformation en 50 Hz de toutes les installations électriques de la Cerdagne.

Un des magnifiques ouvrages d’art de la ligne de Cerdagne, le pont Séjourné du nom de l’ingénieur qui l’a conçu, enjambant la Tet.
Sur la ligne de Cerdagne. Les ouvrages d’art se succèdent du fait d’un tracé et d’un profil difficiles.



Le matériel de l’usine de La Cassagne et des sous-stations de la ligne de Villefranche à La Tour-de-Carol, vieux de plus de trente ans, est très fatigué et, de toutes façons, devait être remplacé du fait du changement de fréquence. Pour améliorer la tension en ligne, on décide de remplacer l’ensemble par dix sous-stations à un seul groupe, équipés chacun avec un redresseur à vapeur de mercure de 600 kW commandé par la gare voisine, comme c’était déjà le cas pour les anciennes sous-stations à commutatrices. Par mesure d’économie, à une époque où il est très difficile de se procurer du matériel, chaque groupe débite sur le troisième rail, qui ne comporte donc aucun sectionnement.

Des phénomènes surnaturels?

Entre les points kilométriques 28 et 40 la ligne suit un large plateau à faibles dénivellations limité par de hautes montagnes, et de fréquents et violents orages donnent lieu à des phénomènes inquiétants et imprévus. En juin 1911, des cantonniers travaillant entre Bolquière et Odello déclarent avoir vu une boule de feu courir sur le 3ᵉ rail en direction de Mont-Louis. Le 3 juillet 1911, deux autres cantonniers, à l’abri sous le tunnel du col Rigat, voient une boule de feu suivre le 3e rail en direction d’Odello. Le 16 août de la même année, le chef de dépôt de Villefranche-Vernet les Bains, se trouvant à l’arrière d’un train, aperçut, par temps d’orage, une boule de feu de 30 cm de largeur et de 50 cm de hauteur venant à la rencontre du train vers le point kilométrique 26. Rencontrant le premier frotteur de l’automotrice, la boule de feu suivit le câblage de traction et provoqua l’éclatement du parafoudre de l’automotrice, et l’amorçage d’un arc électrique sur la manivelle de commande du frein dans la cabine. Le conducteur du train fut brûlé à la main.

Ne croyant ni aux puissances surnaturelles ni au diable, la direction de la compagnie des chemins de fer du Midi fit installer des parafoudres à distance d’éclatement réduite sur le 3e rail à l’entrée et à la sortie des gares de la section Planès-Bourg Madame. Le phénomène cessa.

Le pont système Gisclard, sur la ligne de Cerdagne, long de 253 mètres, est construit en 1910, c’est un pont suspendu aux techniques originales avec une suspension du tablier rigidifiée par des fermes indéformables. Le tablier est à 80 mètres au-dessus des eaux, et en rampe continue de 60 mm/m..

1947 : l’heure des économies drastiques a sonné.

Un bilan financier est fait, suivi d’un rapport qui subordonne le maintien en service de la ligne à un certain nombre de conditions : la réduction des parcours kilométriques réguliers par une révision complète du système de desserte, l’assouplissement du règlement spécial à la ligne, conjugué avec diverses modifications techniques. En vue de réduire la composition et le personnel d’accompagnement des trains, la réduction des effectifs des gares, la fermeture de certaines d’entre elles au service de la sécurité, la réduction du nombre de passages à niveau  gardés, l’augmentation de la périodicité du programme de révision des voies, la réduction des dépenses de sabots de frein par l’extension du freinage rhéostatique qui était déjà utilisé sur les plus fortes pentes, la réduction des dépenses pour le déblaiement des neiges en renonçant à l’emploi d’entreprises et en se limitant aux possibilités de la main-d’œuvre locale de la SNCF, et la réalisation de l’unité de commandement des différents services de la ligne.

La tâche à accomplir se présente, il n’est pas inutile de le souligner, sous des dehors assez peu encourageants… Les difficultés à surmonter sont nombreuses du fait d’un trafic se répartissant irrégulièrement au long de l’année et s’élevant en été à trois fois son niveau moyen; un matériel moteur et remorqué spécial pour la ligne et empêchant sa rationalisation et sa maintenance dans les grands centres, un tracé de voies difficile avec une infrastructure très accidentée, des vitesses encore relativement élevées maintenant des contraintes de sécurité et d’entretien. En outre, la SNCF envisage la suppression d’un certain nombre de sous-stations, destinées à rééquiper la ligne de St-Gervais-le-Fayet à Vallorcine !

La modernisation se fera néanmoins. Les automotrices, construites en 1909 par la SACM, Thomson-Houston et Carde, sont modernisées dans les années 1960 par les ateliers SNCF de Marseille-Prado puis, à nouveau, entre 1984 et 1988 par l’atelier de Béziers. Enfin un nouveau matériel s’annonce pour le transport des quelques 400 000 touristes fréquentant la ligne chaque année. Pour compléter le matériel ancien qui ne sera pas chassé car il est considéré comme « un symbole du territoire catalan » et prolonger ainsi sa longévité, la Région Languedoc-Roussillon Septimanie (devenue Occitanie), dans le cadre de sa politique de développement du TER, a investi neuf millions d’Euros dans l’achat de deux automotrices panoramiques conçues par la société Stadler (Suisse) et en tenant compte de l’expérience acquise sur des automotrices livrées d’une part pour les Chemins de Fer du Jura en Suisse, et d’autre part pour les Chemins de fer de Catalogne. Les compartiments voyageurs comportent de grandes baies vitrées permettent une vision panoramique, de grandes plates-formes d’accès dans la partie surbaissée, et offrent des strapontins ou dégagements pour le transport des personnes handicapées, des vélos, des poussettes et des skis. Ces deux rames très modernes sont équipées d‘une climatisation et de toilettes accessibles à tous, de sièges avec appui-tête et accoudoirs.

Une des deux nouvelles rames fabriquées par la firme suisse Stadler pour la ligne de Cerdagne, vue en 2004.

En savoir plus sur Train Consultant Clive Lamming

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading