Les grandes expositions parisiennes ont utilisé les chemins de fer pour transporter des millions de visiteurs, et les chemins de fer ont utilisé ces expositions comme vitrine de leur haute technologie, y exposant les plus belles de leurs locomotives et les plus innovantes. Mais de ces deux rôles, on ne peut pas dire qu’il en soit resté un souvenir vivace. Ces grandes expositions parisiennes, dites Universelles ou Coloniales, selon les années, n’ont jamais pu créer, autour d’elles, d’innovation ou de transformation profonde des systèmes de transport publics ferroviaires parisiens. C’est ainsi que la ligne de chemin de fer reliant les gares de Courcelles-Ceinture et du Champ de Mars, ouverte à grands frais pour l’exposition universelle de 1900, s’est plongée dans une léthargie d’environ 70 années après la fermeture de l’exposition et avant de devenir une section de ligne du RER-C.
La raison de cette situation, à nos yeux, est le morcellement du réseau ferré national, divisé en plusieurs territoires fermés, dévolus à des compagnies privées et jalousement indépendantes les unes des autres. L’emplacement du Champ de Mars fait tomber (à tous les sens du terme) la desserte des expositions entre les mains de la compagnie de l’Ouest, la plus pauvre et de ce fait la moins innovante des compagnies françaises dont la situation désespérée entraînera son rachat, en 1909, par l’Etat. La seule œuvre marquante de la défunte compagnie de l’Ouest est, en 1900, la construction de la ligne Courcelles-Champ de Mars, conçue comme une grande ligne en plein Paris, pour la desserte de l’Exposition universelle, avec l’espoir de mettre fin à une longue succession d’échecs d’une desserte ferroviaire pour les expositions de 1867, 1878, et 1889.

Sous le Second Empire et pendant le XIXe siècle : l’inorganisation et l’incapacité démontrées des transports urbains parisiens.
Après le démarrage des années 1830 et 1840 dans l’enthousiasme populaire et un certain suivisme passif de la part des autorités publiques, la situation générale des transports en commun parisiens est particulièrement incohérente vers 1850. Les entreprises qui ont gagné, par une sorte de partie de Monopoly, l’exploitation des beaux quartiers d’affaires, accumulent des fortunes, tandis que les autres se débattent dans les problèmes financiers sans fin, assurant un service de plus en plus médiocre. La concurrence dans les quartiers centraux va jusqu’à créer des courses entre cochers de compagnies rivales pour arriver les premiers aux arrêts bien remplis. On voit des cochers se battre, avec le renfort des conducteurs ! On comprend que la desserte des Expositions universelles ne sera pas un succès.
Les pouvoirs publics, qui ont réglementé avec succès les chemins de fer, s’attellent seulement au milieu du XIXe siècle à la lourde tâche de modifier le régime général des transports routiers généraux sur route et urbains. Les nouvelles conceptions d’urbanisme de Haussmann, nommé Préfet de la Seine en 1853, et sa forte volonté d’unification et de gestion des transports par l’Etat, pousseront les compagnies privées vers une nécessaire et tardive fusion des transports urbains parisiens.
Une nouvelle entreprise, regroupant les dix compagnies existantes, est constituée le 19 juillet 1855 sous la forme d’une Société anonyme, l’Entreprise Générale des Omnibus. Le décret impérial du 22 juillet 1855 approuve la création de cette société qui devient alors la Compagnie Générale des Omnibus (C.G.O.). Pour la première fois en France, fait remarquer l’historien Jean Robert, un monopole des transports urbains est accordé à une entreprise suivant une concession valable pour une durée déterminée. C’est la première manifestation d’unification des transports publics parisiens et ce mouvement sera, peu à peu, suivi par les grandes métropoles de province comme Lyon ou Marseille..
L’Exposition universelle de 1867, malgré ses 9 à 10 millions de visiteurs[1], n’est donc pas organisatrice ni réorganisatrice des transports urbains parisiens de son temps, et elle se borne, dans les faits, à utiliser ces transports existants tels quels et à les pousser jusqu’à un état de saturation donc d’échec. Une fois l’inefficacité et le manque d’organisation démontrées, les édiles ne peuvent, pris dans la tourmente des débats, que repousser la solution du désastre jusqu’à l’Exposition universelle suivante, en 1878, en 1889, puis jusqu’à celle de 1900 où, par la force des choses, on en sera condamné à agir et à prendre des initiatives anticipatrices.
L’Exposition universelle de 1867 et le « chemin de fer américain » de Loubat.
Pendant le XIXe siècle, les villes américaines grandissent très vite, saturant les possibilités de transport sur les mauvaises chaussées des rues pour répondre, à la demande d’une population qui se chiffre en dizaines puis en centaines de milliers d’habitants. C’est pourquoi des rails en tous sens couvrent les chaussées dans les rues des villes. Les premières lignes de tramways, à traction animale, sont installées aux États-Unis dans des villes importantes comme New York en 1832, ou La Nouvelle-Orléans en 1834.
La première ligne de tramways française et à voie sur rails gorge encastrée dans la chaussée, telle que nous la connaissons aujourd’hui, est installée tant bien que mal en 1855 entre Paris et Boulogne-Billancourt par Alphonse Loubat, un ingénieur français qui revient de New York où il a construit en 1853 une ligne de tramways de ce type. Si Loubat a réussi aux Etats-Unis où la demande était mûre, en France il est trop en avance sur son temps.
Accueilli avec méfiance par les autorités, faisant l’objet d’essais préalables dont le résultat est de lui interdire la circulation dans Paris et de longer seulement les berges de la Seine, ce tramway surnommé l’ « Américain » reste pendant une vingtaine d’années le seul tramway urbain en France, ceci jusqu’aux années qui suivent la guerre de 1870.
Donc l’Exposition universelle de 1867 n’a, en aucune manière, joué un rôle innovateur en matière de tramways : le tramway de Loubat a précédé l’exposition d’une douzaine d’années, et, pendant plusieurs années encore, il reste la seule ligne de tramways française. L’Exposition de 1867 a donc certes trouvé un tramway, l’a utilisé, mais l’a laissé en l’état.

L’Exposition universelle de 1867 joue plutôt la carte des transports fluviaux.
L’Exposition universelle de 1867 n’a d’autre solution, pour transporter ses visiteurs, que d’utiliser massivement les premiers bateaux-mouches qui transporteront, à l’intérieur de Paris, plus de 2,7 millions passagers dès 1867[2]. Cet effet est durable se fait sentir jusqu’à la Première Guerre mondiale, puis c’est le déclin car les autobus et le métro assurent un transport plus rapide pour le même prix. Alors que les bateaux transportaient encore 16 millions de passagers en 1913, le trafic ne dépasse pas 4,9 millions de passagers en 1923 et le déficit atteint 1,5 million de francs. Le bateau n’est plus guère utilisé par des travailleurs journaliers et il ne transporte plus que des promeneurs et des touristes durant la belle saison. Devant cette situation irréversible, les bateaux parisiens cessent définitivement toute activité de transport urbain le 5 mai 1934[3].

Faute de disposer de tramways et d’un véritable réseau de transports urbains parisiens autre que fluvial, l’Exposition universelle de 1867 aura quand même sa gare, une bien modeste station « Champ de Mars ». Cette station est placée sur une petite ligne longue de 3 km en double voie reliant le Champ de Mars à la station de Grenelle-Ceinture, par les quais d’une Seine livrée aux bateaux. Cette discrète ligne est construite en 1867 pour l’acheminement des matériaux et la construction des pavillons et des installations de l’Exposition. Construite sans souci d’un service voyageurs, cette ligne pourra démontrer tant bien que mal son utilité dans ce domaine en transportant 1,5 millions de voyageurs avec des trains omnibus lents et peu adaptés. Mais, après l’exposition, la station et ses quatre voies sont purement et simplement démolies. Il est vrai que cette ligne n’a transporté qu’une part modeste des visiteurs de l’exposition, avec environ 10% du total, soit environ 900.000 voyageurs. Elle n’a donc pas pu réveiller les esprits des « décideurs » du Second empire.

L’Exposition universelle de 1878 : les visiteurs voyagent comme ils peuvent.
L’Exposition de 1878, comme celle de 1867, utilisera et laissera en l’état le réseau des transports urbains de Paris sans y apporter la moindre retouche, attirant pourtant plus de 16 millions de visiteurs qui voyageront comme ils pourront. Les décennies 1870 et 1880 sont celles du triomphe technique du matériel hippomobile, et construit en d’assez grandes séries. Mais, à partir de la fin des années 1880, c’est l’apparition des tramways sans chevaux, à traction dite « mécanique » à air comprimé, à vapeur, à gaz, à soude, ou électrique avec des accumulateurs ou prenant leur courant par fil aérien ou par plots, ou par caniveau. La traction électrique se généralise après 1900. L’Exposition universelle de 1878 trouve, à sa disposition si l’on peut dire, un système de transports qui n’a pas évolué depuis l’Exposition universelle de 1867 et, donc, n’y apportera pas de modification notoire autre qu’un accroissement des fréquences sur les lignes d’omnibus à chevaux ou les lignes de bateaux la desservant. Toutefois les conséquences de cette insatisfaction sont telles que la municipalité parisienne commence à « entendre le message » (comme diraient les politiques d’aujourd’hui) et la perspective de l’Exposition universelle de 1900 commence à faire bouger sinon les choses du moins les pensées.
Un autre effet majeur est la fierté parisienne qui est ébréchée par le fait que deux grandes villes de réputation mondiales se sont équipées d’un métro : Londres, et New-York. Paris, la « Ville Lumière », passe alors pour une bourgade obscure…
A Londres, la ligne de Paddington à Farringdon est ouverte en 1863 sur une courte distance de 6 km environ, et sous l’un des axes les plus chargés de la capitale anglaise, alors la plus grande ville du monde. Mais ce n’est pas, à vrai dire, un métro : la capitale britannique va se doter d’un réseau assez dense de voies de raccordement entre ses grandes gares sur lesquelles circulent des trains à vapeur grandes lignes ou banlieue, et ce n’est qu’au début du XIXe siècle que Londres se dotera d’un véritable métro urbain, en traction électrique, le fameux « tube ».
A New-York, une ville très d’avant-garde qui a un réseau de tramways (« streetcars ») déjà dense et actif, la construction d’un véritable métro urbain est commencée en 1868 entre la rue Greenwich et la Neuvième avenue. En 1872, elle ne s’étend pas encore au-delà de la 30e rue, soit une longueur totale de 6 km au plus. Les voitures y sont remorquées par un câble sans fin. En 1874, on prolonge cette ligne jusqu’à Central Park, en partant de la pointe sud de Manhattan, dite Battery, et aujourd’hui Battery Park. On construit de nouvelles stations, pour multiplier les départs. Quelques années après, le succès commençant à se dessiner, on s’occupe d’étendre tout autour de la ville le réseau ferré aérien immortalisé sous le nom de « Elevated »
Toujours est-il qu’à Paris, faute de « railway métroplitain », on reprend les habitudes de 1867 et, sur l’emplacement de l’ancienne gare du Champ de Mars, une nouvelle gare est construite pour cette exposition de 1878. Mais elle est très belle, car elle est dessinée par Juste Lisch, un architecte qui se fera connaître pour ses grandes gares en France. Cette nouvelle gare Champ de Mars est un modeste mais très joli bâtiment à ossature métallique et remplissage briques, avec des « pagodes » latérales. La gare est réutilisée pour l’exposition de 1889, et même placée au pied de la tour Eiffel cette fois : c’est sans doute son heure de gloire, et son chant du cygne, car elle est démontée en 1897. Elle est reconstituée et posée à Asnières, à la limite de Bois-Colombes. Elle est dans un triste état d’abandon actuellement.



L’exposition universelle de 1889: il n’y a pas que la tour Eiffel !
L’Exposition universelle de 1889 occupe le Champ-de-Mars et le Palais du Trocadéro, mais, aussi, l’esplanade des Invalides offre une exposition annexe consacrée aux colonies françaises et au ministère de la Guerre, mettant en place la première Exposition coloniale française. Outre la tour Eiffel, le point fort est la fameuse galerie des machines, large de 110 mètres et longue de 420 mètres, présentée comme la plus importante structure métallique d’Europe, malheureusement démolie en 1909. Le palais des Beaux-Arts et des Arts libéraux est aussi sur le Champ-de-Mars, ainsi que le palais des Industries. Le Grand Dôme Central est le premier bâtiment à utiliser l’électricité à grande échelle avec sa fontaine à lumières électriques changeant de couleur … au son de la musique jouée par une fanfare militaire ! Les visiteurs ont peuvent écouter, par « théâtrophone » (c’est la naissance du téléphone), des morceaux d’opéra transmis depuis le Palais Garnier.
Le chemin de fer est présent dans l’exposition sous la forme d’un réseau en voie de 600 mm Decauville, qui est l’une des attractions préférées des visiteurs, et qui circule entre le Champ de Mars et les Invalides sur une distance de 3 km, avec deux tunnels, l’’un sous la tour Eiffel et l’autre près du pont de l’Alma. Cette ligne transporte 6 342 446 voyageurs payants, inaugurée le 4 mai 1889 et démontée dès la fin de l’exposition.



L’Exposition universelle de 1900, et surtout l’électricité, permettent de prendre le métro.
Forte de ses 50 millions de visiteurs, l’Exposition universelle de 1900 est demandeuse de transports, mais elle n’est pourtant pas, à vrai dire, créatrice du métro parisien. Or elle est, incontestablement, un élément accélérateur dans la prise de décision finale : c’est à la suite d’une trentaine d’années de débats, de conflits, d’atermoiements qui accompagnent l’examen de nombreux projets, que la décision est prise pour éviter de recommencer les erreurs ou les absences d’initiative qui ont accompagné les expositions précédentes avec des dizaines de millions de visiteurs allant à pied, en omnibus à cheval, en tramway, en bateau, et avec tous les moyens de fortune possibles, jusqu’au Champ de Mars..
Un deuxième et plus important élément déclenchant est que, enfin, la traction électrique offre assez de puissance et de fiabilité pour permettre la circulation de rames lourdes et rapides, et cesse d’être une technique aléatoire juste bonne pour faire rouler des petites motrices de tramways.
Les éléments retardateurs n’ont pas manqué. Trente ans auparavant, à partir des années 1870, on pense que le « railway métropolitain » ou encore le « railway intérieur » de Paris serait un ensemble de raccordements et de prolongement des grands réseaux nationaux dans Paris, ceci à la manière du « Metropolitan » de Londres. Le Conseil municipal ne veut donc pas financer un réseau ferré qui serait, en quelque sorte, étranger à la ville et qui servirait les intérêts des grandes compagnies de chemin de fer. Faisant enfin et clairement la distinction entre un chemin de fer dit d’intérêt général et un chemin de fer d’intérêt local, il réalisera un métro qui, à l’instar des petits réseaux départementaux en voie métrique, sera appelé un « chemin de fer d’intérêt local »[4].
L’ingénieur Haag présente au Conseil municipal de Paris une successions de projets de métropolitain continuellement remaniés entre 1883 et 1895. Haag a compris clairement une des données du problème que l’on perdra de vue par la suite : il ne faudrait pas faire à Paris un seul métropolitain, mais bien deux, un d’intérêt général et un d’intérêt local. En effet il propose d’une part un chemin de fer d’intérêt général qui aurait permis le passage des trains des grandes lignes des chemins de fer nationaux par le centre de la capitale, et, d’autre part, un chemin de fer d’intérêt local ou municipal qui, se ramifiant à partir du précédent, desservirait les différents quartiers de la capitale. Mais la faiblesse du projet Haag est de refuser les lignes en souterrain, ce qui fera complètement oublier la dimension nationale du projet, donnant aujourd’hui au métro de Paris une de ses grandes faiblesses : pour le Conseil municipal de Paris, le métro ne sera que parisien, comme fermement statué dans la séance du 26 novembre 1895. Le gouvernement se désintéresse de la question et laisse à la ville de Paris la question de son métro : l’exposition universelle de 1900 s’annonce, et, cette fois, il ne faut pas rater l’opération et donner au monde entier une image négative de la France. Pour 1900, Paris aura donc son métro : la décision est prise le 22 novembre 1895.


La mise en service de la ligne 1, intervenue en juillet 1900 et avec plusieurs mois de retard sur l’ouverture de l’Exposition universelle prévue et faite en avril de la même année, lance le mouvement qui ne s’arrêtera jamais, même si la presse parisienne, qui n’a d’yeux et d’éloges que pour l’Exposition universelle, ignore l’événement… Les parisiens, eux, ont besoin du métro et s’y précipitent par foules entières. Le trafic est tel que la compagnie se trouve confrontée au choc de l’imprévu et se laissera quelque peu déborder par la situation avant de prendre le taureau par les cornes.

La situation, sur la ligne 1, montre très rapidement qu’il n’était plus possible de multiplier des remorques (« voitures d’attelage ») derrière des motrices à deux essieux dans une politique de traction de style tramway lourd, et, en octobre 1901, la ligne reçoit les premières rames de 8 voitures comportant 2 motrices en unités doubles. Ces trains occupent déjà toute la longueur des stations fixée dès l’origine à 75 m. La ligne tourne donc au maximum des capacités de son infrastructure, les rames occupant intégralement la longueur des quais, les quais contenant difficilement une foule envahissante que la lenteur et l’espacement trop grand des trains condamne à de longues attentes. Bref, ce n’est pas au point…mais l’Exposition universelle a eu « son » métro…



Longuement objet de curiosité et de laboratoire scientifique pendant le XVIIIe et la première moitié du XIXe siècle, l’électricité tarde à jouer le rôle technique et industriel qui l’attend. Son essor n’est possible qu’avec les lois de Maxwell, et la mise au point de la dynamo de Gramme qui permettent, entre 1870 et 1890, la naissance d’un système technique cohérent grâce aux machines électromagnétiques : l’électricité est enfin produite et utilisée d’une manière fiable. L’illumination de la colonne de la Bastille ou de l’avenue de l’Opéra sont des opérations spectaculaires mais très ponctuelles, mais l’exposition parisienne de 1881 consacrée à l’électricité attire, d’une manière plus efficace, l’attention sur les possibilités industrielles nouvelles offertes surtout avec la lampe d’Edison. Quelques incendies dues au gaz comme celui de l’Opéra-comique en 1887 montrent que le gaz ne peut durer indéfiniment et tout résoudre.
La cause de l’électricité est gagnée pendant les années 1890. Vers 1900, une nouvelle « économie électrique », selon les termes de l’historien de l’économie François Caron, est née permettant une industrialisation nouvelle : les centrales et les réseaux de distribution sont en place, et les entreprises utilisatrices se multiplient. En retard sur d’autres capitales européennes qui ont pris en charge leur propre électrification, Paris charge, en 1889, six sociétés privées de créer et d’exploiter, pendant 18 ans, les réseaux de distribution d’électricité. Devant les craintes exprimées par les habitants, les centrales seront toutefois construites en banlieue et le courant haute tension sera amené à Paris où il sera abaissé dans des sous-stations : voilà le principe adopté. Le métro de Paris peut enfin compter sur l’électricité pour son système de traction : son existence est techniquement plausible.
Le métro parisien a-t-il vraiment desservi l’Exposition universelle de 1900 ? La question pourrait paraître saugrenue, car la réponse, à nous yeux, n’est pas un « oui » franc et massif. L’unique ligne 1 du métro parisien, terminée en hâte, est sur la rive droite, et ne dessert pas l’exposition qui, elle, se tient sur la rive gauche au Champ de Mars principalement. C’est pourquoi on construit, au départ de la station Etoile, un court embranchement qui se dirige vers le sud de Paris et qui, aujourd’hui, constitue les premières stations de la ligne 6 jusqu’à Trocadéro, alors station terminus, où l’on est toujours rive droite, et où l’on descend pour aller visiter l’Exposition universelle après avoir traversé le pont d’Iéna. A l’époque la courte ligne en question est considérée comme faisant partie d’une future grande circulaire parisienne dont la ligne 2 actuelle est la partie nord (dite à l’époque « ligne 2 nord »)[5].
Mais Fulgence Bienvenüe a arrêté le principe d’un métro à lignes totalement indépendantes avec des rames allant toutes sur le même itinéraire et desservant toutes les stations. Il supprime les embranchements de la ligne 1, intégrant le court tronçon Etoile-Dauphine à la ligne 2, et il sépare les lignes « 2 nord » et « 2 sud », mettant fin à toute idée de ligne circulaire par les boulevards extérieurs.

L’Exposition universelle de 1900 : une ligne de (vrai) chemin de fer dans Paris.
La ligne de Courcelles au Champ de Mars est, sans nul doute, la seule grande réalisation ferroviaire entreprise dans le cadre des Expositions universelles parisiennes, avec pour but d’assurer, depuis l’ensemble des grandes gares parisiennes, une desserte du Champ de Mars en utilisant la ligne de la Petite ceinture qui, jusque-là, n’a joué aucun rôle en ce sens.
Elle est originale en ce sens qu’elle est le seul cas, historiquement, de la concession d’une ligne entièrement située dans Paris, et conçue, administrativement, comme une « vraie » ligne de chemin de fer. Elle est déclarée d’utilité publique par la loi du 14 juin 1887, et elle est concédée à la compagnie des chemins de fer de l’Ouest qui dessert déjà la Normandie et la Bretagne, sans compter une bonne partie de l’Ile de France et sa banlieue ouest. Mais la concession comporte une clause : la compagnie de l’Ouest doit accepter, sur cette ligne, des trains de voyageurs d’autres compagnies moyennant un péage se montant à 60% de la recette brute rapportée par ces trains.
Préparée dans le cadre du projet de l’Exposition Universelle de 1900, cette ligne est construite à grands frais, et comporte même de superbes bâtiments comme la station Boulainvilliers ou des ouvrages d’art hardis comme le viaduc en courbe sur la Seine (toujours en service aujourd’hui), et elle est bien mise en service en 1899, donc avant l’ouverture de l’Exposition – et non après, comme ce sera la cas pour la première ligne du métro parisien. Elle est, en quelque sorte, un embranchement de la ligne de la Petite Ceinture desservant le centre de Paris, et, surtout, dans la mesure où la Ceinture raccorde entre elles toutes les grandes gares de Paris et leurs réseaux, la ligne du Champ de Mars permet, par correspondance dans les grandes gares, le transport direct des visiteurs arrivant à Paris depuis la France et l’Europe, et aussi ceux qui viennent des banlieues desservies par des trains omnibus circulant sur ces grandes lignes. La ligne du Champ de Mars est donc bien, à nos yeux, la première opération innovante en matière de desserte d’une Exposition universelle, et elle est capable de jouer ce rôle[6].





Comme pour les précédentes expositions, une fois encore, l’oubli des infrastructures de transport suit inévitablement la fermeture des portes de l’événement, et la ligne Courcelles-Champ de Mars tombe en léthargie pour plus d’un demi-siècle, formant un raccordement abandonné en dehors de quelques très occasionnels mouvements de matériel ferroviaire. A la fin des années 1970, la ligne est reconstruite pour être intégrée à la ligne C du R.E.R. dont elle forme une partie de la branche Montigny-Beauchamp – Argenteuil.
Elle demande, vu l’exiguïté du site ferroviaire du Champ de Mars, la construction d’une nouvelle gare, dite à l’époque la Gare des Carbonnets, et qui est établie en tranchée le long de la Seine, sur les deux voies de la ligne qui dessert les Invalides. IL faudra rapidement construire un site complémentaire avec vingt voies et dix quais pour accueillir les visiteurs de l’exposition, et 10 250 000 voyageurs utilisent le site pendant la durée de l’événement.
Une fois les portes de l’exposition fermée, la gare du Champ de Mars est fermée aux voyageurs, et elle devient, au grand dam des habitants du quartier, une gare de marchandises puis, pis encore, elle devient la grande gare du charbon, avec son environnement peu apprécié de bougnats, de petits bistrots, de chevaux et de tombereaux, et de tout un monde bruyant et sale : les habitants n’auront de cesse que cette gare soit démolie. La gare de marchandises ferme le 31 mars 1935, son trafic étant reporté sur les celles de Vaugirard, de Grenelle et des Moulineaux. Toutefois le chemin de fer ne disparaît pas entièrement : le nécessaire dépôt de la ligne des Invalides est maintenu sur place faut de pouvoir l’installer ailleurs.





Un peu plus loin que le Champ de Mars : la gare des Invalides, et le ratage d’une grande destinée.
Une gare du Champ de Mars qui ne vit que le temps des expositions ne peut intéresser la compagnie de l’Ouest qui, elle, veut une vraie grande gare au cœur de Paris, active à longueur d’année et à longueur de siècle. Ce sera la gare des Invalides. Les habitués d’Air-France utilisent toujours aujourd’hui son bâtiment-voyageurs, sans le savoir. Cet élégant bâtiment, qui ressemble plutôt à une orangerie échappée de Versailles, est la troisième gare construite par la compagnie de l’Ouest[7] avec une double arrière-pensée : désengorger la ligne de banlieue Paris-Montparnasse – Versailles, d’une part, et, d’autre part, profiter au passage de l’Exposition de 1900 pour faire un bon chiffre d’affaires. Pour ce qui est du deuxième objectif, ce fut nettement raté, car la ligne ne put être ouverte …. qu’en 1902 !


Déclarée d’utilité publique le 14 juin 1897, la nouvelle ligne de Paris (Invalides) à Versailles est mise en chantier, mais avec une hâte modérée, car la compagnie de l’Ouest, étant sûre d’avoir écarté la concurrence, ne se presse qu’en fonction de ses disponibilités financières… et le prolongement de cette ligne jusqu’aux Invalides impose la suppression des passages à niveaux que la compagnie compte dans Paris. Cette restriction oblige la compagnie à créer une ligne neuve en tranchée du Point-du-jour aux Invalides, la ligne précédente étant au niveau des chaussées. La compagnie de l’Ouest s’est engagée à inaugurer la ligne pour l’exposition de 1900. Mais le 29 juin 1900, le plafond rocheux d’un tunnel en cours de percement cède brusquement et la galerie est envahie de sable fin, argileux et humide. Le pari est perdu et la ligne complète qui aurait transporté les foules admiratives depuis Versailles et la banlieue ouest ne peut être ouverte à la circulation que le 31 mai 1902, soit… deux ans après l’extinction des lumières de la plus grande exposition du monde. Pour un ratage, c’est parfait. La compagnie n’au pu empocher, entre temps, que les bénéfices rapportés par une navette entre les gares des Invalides et le Champ de Mars dès l’ouverture de l’exposition: maigre consolation.

Partir des Invalides pour Brest ou Granville.
Outre un service de banlieue, un service grandes lignes pour Rambouillet, Mantes et Epône est assuré à partir de 1902 à partir de la gare des Invalides. En 1907 on part des Invalides pour Granville, et même pour Brest, et les promeneurs évoluant sur l’esplanade des Invalides sont loin de se douter que, sous leurs pieds, des trains entiers évoluent et partent pour desservir la Normandie ou la Bretagne. La présence de locomotives à vapeur oblige, à partir de 1929, la compagnie de l’Ouest à reporter l’ensemble des relations grandes lignes assurées au départ de la gare des Invalides dans celle de Montparnasse qui, elle, accueille des locomotives à vapeur et qui, en plus, vient d’être agrandie par la construction de la gare annexe du Maine. La gare des Invalides ne conserve que quelques relations pour Versailles et les navettes pour Meudon. Au début des années 30, seulement cinq voies suffisent pour ce trafic. Une partie de l’exposition de 1937 occupera la plate-forme des autres voies désormais désaffectées. La gare reste un modeste terminus de banlieue jusqu’à la création de la ligne C du R.E.R. et jusqu’à la jonction Invalides-Orsay en 1979.
L’Exposition coloniale de 1931 : le métro assure une desserte exemplaire d’un événement important.
A la fin des années 1920, la ligne 8 continue sa progression vers l’est de Paris, par les Grands Boulevards, la place de la République, et elle parvient, en 1931, à desservir l’Exposition coloniale à la porte Dorée, poursuivant même jusqu’à la porte de Charenton. Parcourue par des rames de sept voitures, la ligne est très active et la ligne 8 nouvelle est mise en service le 27 juillet 1937 entre Balard et la porte de Charenton. En 1942, la ligne 8 atteint Charenton-Ecoles.
Mais surtout elle montre, dans cette extension à grande distance hors de Paris, que l’idéologie «métropolitaine » de la ville de Paris a définitivement changé avec l’abandon des petites lignes de métro circulaires et tortueuses à vocation de proximité dans les quartiers parisiens au profit de grandes transversales actives et au long cours. C’est dans cet esprit que l’on crée la ligne 10 Auteuil-Jussieu en détournant la partie ouest de l’ancienne 8 d’Auteuil à La Motte-Piquet-Grenelle à son profit,




En 1937 : rien de nouveau à l’horizon, pourtant.
Nous sommes deux années à peine avant la Seconde Guerre mondiale, et ses inquiétants signes avant-coureurs n’empêchent d’honorer d’une médaille d’or les lourds et terribles pavillons de l’Allemagne nazie et de l’URSS stalinienne. Toutefois l’Exposition de 1937 fait, dans un magnifique pavillon spécial, une part très belle aux chemins de fer vus comme une technique (pour ne pas dire une « high-tech »), comme un brillant thème d’exposition, leur consacrant même un pavillon entier, mais elle en reste là. L’influence de l’Exposition de 1937 n’aura aucune influence innovatrice en ce qui concerne les transports publics de Paris et de sa région, malgré un nombre de visiteurs dépassant 31 millions. Mais il est vrai que, pour les transporter, elle trouvera à sa disposition ce qui manquait beaucoup à l’Exposition universelle de 1900 : un réseau de chemin de fer métropolitain particulièrement dense, cohérent, efficace qui, depuis la fin des années 1920, a commencé à s’étendre en banlieue pour devenir ce que l’on appelle à l’époque un réseau « départemental ». Les autobus parisiens, tout comme les taxis, sont tout autant mis à contribution et montrent une souplesse et une efficacité qui montrent que Paris vraiment changé d’époque.


[1] Selon les sources qui varient de 9.143.000 à 10.250.000 visiteurs.
[2] L’effet induit par l’Exposition universelle est durable et, par exemple, en 1874 on en est à neuf millions de passagers transportés dans l’année sur la Seine, soit beaucoup plus que n’en font aujourd’hui l’ensemble des compagnies fluviales de transports de passagers à Paris. En 1905, le chiffre incroyable de 14 millions de passagers est atteint.
[3] Malgré l’affluence de certains jours d’été, le déficit des bateaux augmente d’année en année pour atteindre 1,4 millions de francs en 1928. La S.T.C.R.P. (Société des Transports en Commun de la Région Parisienne), désormais responsable aussi des services de bateaux-mouches, demande dès lors la suppression totale de l’exploitation. Le prolongement de la ligne 8 du Métropolitain à la porte de Charenton, pour l’Exposition coloniale, porte un dernier coup aux bateaux qui perdent leurs derniers passagers réguliers.
[4] Le métro de Paris a toujours conservé cette situation administrative, d’ailleurs…
[5] Sur certains plans de l’époque, la ligne actuelle est appelée « ligne A » et les embranchements sont regroupés sous le nom de « ligne B ».
[6] Toutefois cette ligne vise surtout la desserte de la grande et belle gare des Invalides. Pendant le bref temps de l’exposition de 1900, la compagnie de l’Ouest installe, au Champ de Mars, une simple gare en bois, provisoire et rudimentaire, et servant de point de vente de billets.
[7] Après celles de Saint-Lazare et de Montparnasse
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