Le Liban: le temps oublié de la paix et du chemin de fer.

Il est difficile de ne pas parler du Liban aujourd”hui: ce pays qui fut un paradis est devenu un enfer, particulièrement avec l’explosion qui a détruit le port et une grande partie de Beyrouth. Le Liban, pourtant, a été heureux. Mais c’était il y a si longtemps…

En 1896 le Moyen-Orient est déjà un pays fascinant par sa beauté, mais, aussi, les investisseurs, moins sensibles à la beauté sinon celle de leur portefeuille, se précipitent pour être les premiers sur place, car l’aventure du Moyen-Orient peut rapporter gros. Le problème est l’absence de tout moyen de transport, et comme l’automobile et l’avion n’existent pas encore, on construit une ligne de Beyrouth à Damas, mais dans des conditions techniques difficiles.

Tout se passe donc entre trois états, la Syrie, le Liban, et la Palestine.

Aujourd’hui la Syrie est un état du Moyen Orient, d’une superficie de 185.180 km2 et peuplé de 17.000.000 habitants environ. Le réseau ferré syrien comprend deux entités indépendantes : un ensemble récent en voie normale et un reste de l’ancienne ligne du Hedjaz. A la fin du 19ème siècle, le Moyen-Orient attire les investisseurs. Damas compte alors 200.000 habitants quand un projet de chemin de fer s’impose. La ligne Beyrouth-Damas est la première envisagée avec prolongement sur le Hauran : longue de 250 km, elle est prévue en voie métrique. Le reste du réseau syrien, comme la ligne Homs-Hama-Alep-Biredjik sur l’Euphrate, sera réalisé en voie normale avec garantie du gouvernement syrien. Ce réseau syrien en voie normale est construit dans le nord et l’est du pays, Alep se trouvant sur le Bagdadbahn et Tripoli se trouvant raccordée.

La Syrie et son réseau ferré en 1923. Le Liban fait partie de la Syrie, à l’époque.

Après la Seconde Guerre mondiale, et avec l’indépendance du Liban, et la fin du mandat français, le réseau syrien à voie normale s’ouvre à l’Est vers l’Irak, et la ligne de Beyrouth est alors abandonnée. Aujourd’hui le réseau syrien comprend environ 1.700 km de voies en écartement normal formant le réseau des Syrian Railways dont le siège est à Alep, et 230 km en écartement de 1.050 km formant le réseau du Chemin de fer Hedjaz-Syrien, dont le siège est à Damas.

Le Liban est lui aussi un état du Moyen-Orient, d’une superficie de 10.400 km2 est peuplé de 3.700.000 habitants environ. La première ligne libanaise remonte à 1895, sous la forme d’une liaison entre Beyrouth et Damas, exploitée avec des locomotives de construction suisse et comportant des tronçons à crémaillère systeme Abt. Pendant la Seconde Guerre mondiale, une ligne en voie normale fut établie entre Alep et Tripoli, et une autre construite par le génie militaire entre Haïfa  et Beyrouth. C’est alors la seule période où il est possible de faire le tour de la Méditerranée en train, et de voyager entre l’Egypte et le Turquie d’une manière continue par Israel et la Syrie.

Le réseau ferré syrien en 1950. La Syrie est partagée en “états”.

Pour ce qui est de la Palestine, la situation est devenue dramatique, on le sait. Le 29 novembre 1947, le plan de partage de la Palestine est adopté par l’ONU. En 1948 l’Etat d’Israël est crée, et en 1949 le royaume de Jordanie est crée avec la réunion de l’émirat de Transjordanie et de la Cisjordanie (qui faisait partie de l’Etat arabe prévu par le plan de partage de la Palestine). La Palestine, à l’époque du partage, disposait d’un réseau ferré d’environ 1.000 km qui sera partagé entre la Jordanie  et  Israël. Le réseau comprend les lignes à voie normale de Rafah à Haïfa et de Jaffa à Jérusalem (croisant la précédente à Lydda), formant le réseau du Gouvernement Palestinien, long de 325 km, plus la ligne de Rafah à Kantara en voie normale, elle aussi, longue de 203 km. Une ligne de Tulkarm à Nablus a été construite en écartement de 1.066 mm par l’armée turque pendant la Première Guerre mondiale, et a été convertie en voie normale par l’armée britannique.

A cet ensemble entièrement en voie normale s’ajoute la ligne partant de Haïfa et Acre en direction Affula et Samakh, en voie de 1.066 mm, formant, sur une longueur de 204 km, le tronçon palestinien de la ligne du Hedjaz. Haïfa est le centre du réseau avec sa gare importante et ses ateliers et, peu avant la Seconde Guerre mondiale, pense devenir la tête d’une ligne de 1.100 km en voie unique vers Bagdad. Le réseau est cependant en assez mauvais état à la veille de la Seconde Guerre mondiale, et souffre déjà de la concurrence de la route. L’état de guerre permanente qui a embrasé le Moyen-Orient depuis plus d’un demi siècle a quasiment réduit à néant ce qui était le réseau palestinien. Israël a cependant reconstruit et agrandi une partie de l’ex-réseau palestinien en ce qui concerne son propre territoire actuel, soit 1138 km de lignes en voie normale, et Tel-Aviv Jaffa est le centre de réseau. Le réseau est établi surtout le long de la côte méditerranéenne, mais plusieurs lignes de pénétration existent, dont une atteint Jérusalem. Le matériel roulant est performant, et de type actuel.

La Palestine et son réseau ferré en 1948.

Relier Beyrouth à Damas n’intéresse pas les investisseurs.

En 1863, quand une compagnie française établit une route la reliant à Beyrouth, Damas compte 10.000 habitants, ce qui en fait une ville importante déjà. La ville compte 200.000 habitants vers la fin du siècle quand le projet de chemin de fer s’impose. Mais si le reste du réseau syrien, comme la ligne Homs – Hama – Alep -Biredjik sur l’Euphrate est réalisée en voie normale avec garantie du gouvernement syrien, la ligne de Beyrouth à Damas, avec prolongement sur le Hauran, longue de 250 km, est prévue dans un bien curieux écartement de 1055 mm et sans garantie officielle. La ligne, en outre, se heurte à un relief accidenté formé par les deux chaînes de montagnes parallèles à la côte n’offrant de passage que par des cols de plus de 1400 m d’altitude.

Un avant-projet de 1889 comporte, pour cette voie proche du métrique, des rayons de 150 m minima, et des rampes de 20 pour 1000. Mais ces rampes relativement peu sévères allongent le tracé d’une manière considérable, la seule traversée du Liban demandant 100 km, en dépit d’un tunnel de faîte à 1200 m d’altitude. Les ouvrages d’art se succèdent et sont à construire sur un sol instable, en suivant un tracé passant dans des zones d’éboulement.

C’est pourquoi un autre projet, en 1892, permet d’économiser 43 km de parcours et 10 millions de francs de dépenses en ayant recours à la crémaillère Abt sur les parties les plus difficiles du parcours. La Société de Construction des Batignolles enlève le marché et construit la ligne Beyrouth-Damas qui est ouverte en 1895, tandis qu’une société belge poursuit la construction de la ligne en direction du massif du Hauran.

La ligne et son destin.

La ligne de Beyrout à Damas a une longueur de 147 km, et franchit de col du Liban à 1486 m d’altitude, ceci à seulement 37,5 km de son point de départ de la Méditerranée, puis descend vers Damas qui est à 687 m d’altitude. Les rampes en crémaillère sont de 70 pour 1000, tandis que les sections à simple adhérence ont des rampes de 25 pour 1000. Les rayons de courbure descendent jusqu’à 100 mètres seulement. Les voies ont des traverses en acier. Les bâtiments sont dans le style des secondaires français. Le matériel est composé de 7 locomotives à crémaillère suisses type 031T, d’une part, et, d’autre part, de 13 locomotives-tender classiques type 130T, de voitures et de wagons du plus pur style des métriques français. Dès l’inauguration, le succès est tel que le matériel roulant est en nombre insuffisant.

La ligne de Beyrouth à Damas en 1910.
Locomotive-tender type 031 de construction suisse donc de très haute qualité, engagée sur la ligne. Elle est à crémaillère.
Cheminots libanais sur la ligne d’Alep en voie normale.
Train sur la ligne d’Alep en voie normale, dans les années 1960. Noter la qualité de la voie digne d’une ligne YGV actuelle en France: traverses bi-bloc béton et longs rails.

Mais la situation mouvementée de guerre en guerre aura raison de la ligne. Après la Première Guerre mondiale il ne circule plus qu’un train par jour et à une moyenne de 15 km/h. Après la Seconde Guerre mondiale, et avec l’indépendance du Liban, et la fin du mandat français, le réseau syrien à voie normale s’ouvre à l’Est vers l’Irak, et la ligne de Beyrouth est abandonnée sur une grande partie de son parcours, mais reste provisoirement exploitée par tronçons d’une manière très aléatoire.

Et aujourd’hui ?

De la ligne de Beyrouth à Damas, il ne resterait rien qui soit exploitable, et bien que, pour les pouvoirs publics libanais, il soit question, de temps à autre, de songer à rouvrir la ligne, les travaux ne sont pas entrepris.

Du coté de Damas, et malgré quelques mésententes sur le plan international, la Syrie n’a pas, pour autant, supprimé toutes les possibilités de passer de son réseau routier et ferroviaire vers celui des pays voisins, sauf le Liban.

La Syrie aurait des relations ferroviaires en particulier avec l’Irak. Cependant, pour l’Irak, elle reste un point d’accès privilégié par la route. La ligne de chemin de fer d’Alep à Mossoul est ouverte de nouveau depuis l’été 2000, et, à l’époque, on pouvait faire le voyage en une quinzaine d’heures, mais dans des conditions assez aléatoires. Avec la Jordanie, le train a également repris du service sur la relation Damas – Amman, mais il reste tout aussi lent et aléatoire que sur les autres lignes du Moyen-orient.

Il est également possible de se rendre en train en Turquie, toujours en partant d’Alep. Enfin, en mars 2001, c’est la reprise du trafic ferroviaire sur la ligne Alep – Téhéran, après 19 ans d’arrêt. La Syrie entend développer son trafic ferroviaire avec l’Europe, l’Asie et le reste du monde, du moins d’après ses déclarations officielles… 

Toutefois, sur les horaires à partir de 2006, des relations intérieures en Syrie existent entre Alep et Lattaquié (204 km) en deux heures et demie environ avec sept trains quotidiens dans les deux sens, entre Alep et Damas (405 km) en cinq heures environ avec cinq trains quotidiens dans les deux sens, et entre Alep et Quamishi (547 km) en huit environ et deux trains quotidiens dans les deux sens.

Il est possible d’aller d’Alep à Téhéran ou à Istanbul, par le fameux « Taurus Express » qui offre des solutions très confortables en voitures lits, même climatisées et qui a oublié que, dans les années 1930, il fut crée pour prolonger en Orient le parcours d’un Orient-Express qui, lui, n’était pas un express et n’allait pas jusqu’en Orient.

Palestine: ligne de Jérusalem à Ramallah en 1918.
Locomotive-tender type 142 lourde et puissante des chemins de fer palestiniens, dans les années 1920.
Locomotive pour trains de voyageurs type 230 des chemins de fer palestiniens dans les années 1920: rien à envier aux plus belles locomotives européennes !
A bord d’une locomotive palestinienne dans les années 1920. Un parfum d’aventure à la Laurence d’Arabie…
Efficace et redoutable présence britannique en Palestine en 1923. D’antiques Ford T sont converties en draisines. Les guerres commencent à ruiner le Moyen-Orient.

Gare de style purement français type réseaux secondaires départementaux, mais en Palestine dans les années 1930: chaque pays y va de son apport.
Gare et ambiance purement françaises à Amman en Palestine. Années 1930.
Gare d’Alep, en Syrie. Années 1950.
Locomotive type 140 de construction allemande Hartmann et de qualité sur le réseau syrien, vue dans les années 1950.

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