
Micheline ou autorail, où est la différence ? Aujourd’hui on utilise souvent le terme de « Micheline » pour les deux, alors que seule la Micheline était sur pneus à son époque, l’autorail étant sur roues acier classiques, comme aujourd’hui toujours, à ceci près que, maintenant, on ne dit plus “autorail” à la SNCF, mais “automoteur”. Due au fabricant de pneus Michelin, la Micheline fut un très intéressant essai, entre les deux guerres, de rénovation complète du confort ferroviaire. Est-ce que cela fut un succès ? Oui, sur le plan médiatique, et beaucoup moins sur le plan technique, car, à sa création en 1938, la SNCF abandonnera ses Michelines pour ne conserver que ses très nombreux autorails.
Le pneu-rail Michelin, pour commencer l’aventure.
En 1929 le fabricant de pneumatiques pour automobiles Michelin dépose un brevet concernant des pneumatiques pour le chemin de fer, car il cherche de nouveaux débouchés, et il pense aussi que l’un des éléments de manque de confort du chemin de fer, comme il l’a expérimenté un des frères Michelin en essayant vainement de dormir en wagon-lit, est le bruit de roulement de la roue en acier sur le rail en acier. Secoué et assourdi une longue nuit durant, l’homme d’affaires se jure, au petit matin, de métamorphoser en profondeur les techniques du chemin de fer qu’il juge rustiques et archaïques.
L’idée d’André Michelin est d’utiliser les pneus des voitures particulières de l’époque, pneus qui sont aussi étroits que les rails, et de les monter sur des roues pourvues d’un mentonnet de guidage circulaire permettant le guidage, donc la circulation, sur une voie ferrée. C’est ce qu’il appelle désormais le « pneu-rail ». L’idée est bonne, originale et sera copiée, mais le grand problème est qu’un pneu ne peut pas supporter autant qu’une roue ferroviaire classique, et il faut alors multiplier les roues pour diminuer la charge par pneu. Tout au plus, à l’époque, un pneu accepte 700 kg, donc 1400 kg par essieu: c’est dérisoire par rapport à la charge par essieu des roues acier : les essieux ferroviaires classiques acceptent 20 à 23 tonnes en Europe, et même 32 tonnes aux USA!

La firme est convaincue de la nécessité de conquérir d’autres marchés, et de doter de pneumatiques tout ce qui roule, y compris le matériel ferroviaire, et c’est là que Michelin a l’idée de la Micheline, un véhicule léger et rapide, circulant sur les voies ferrées, et transportant dans des conditions de grand confort un faible nombre de voyageurs. Voulant donc aussi prendre sa part dans le marché de l’autorail et devenir fournisseur des chemins de fer, Michelin construit un grand nombre de prototypes durant les premières années 30. Mais ces premiers essais sont des constructions extrapolées de l’automobile, et la firme aura des réticences à se lancer dans une véritable construction de type ferroviaire, lourde et résistante, pratiquée avec succès par Renault, Berliet, Somua, Bugatti, et d’autres constructeurs d’origine purement ferroviaire comme les Ateliers du Nord (ADN), Decauville, Entreprises Industrielles Charentaises, De Dietrich, ou CGC, etc.

Mais André Michelin, qui dirige la firme qui porte son nom, sait que pour promouvoir une idée il faut en organiser ce que, aujourd’hui, on appellerait sa « médiatisation », et à l’époque ce que l’on appelait plus simplement sa « réclame ». En cela, il agit aussi plutôt en constructeur d’automobiles qu’en constructeur de matériel ferroviaire. La première vraie Micheline du nom est présentée en 1931 par André Michelin aux directeurs des réseaux de chemins de fer et Raoul Dautry, qui dirige le réseau de l’Etat, est passionné. Un voyage très médiatisé Paris-Deauville, avec de nombreuses personnalités, consacre la « Micheline ».




Né des amours d’une automobile (de luxe) et d’un avion (de ligne) ?
Après avoir conçu un certain nombre de prototypes d’essais, Michelin dessine donc ce type N°5 qui est réellement conçu pour la démonstration et le transport de voyageurs. Ce curieux engin mérite bien sa place au sein des records et des exceptions, car il est né, semble-t-il, des amours d’une automobile et d’un avion, mais pour donner un très curieux engin ferroviaire qui a eu un tel succès qu’il fut même reproduit en jouet. En, en outre, il bat un record de vitesse en 1931.
Avec un moteur de voiture Hispano-Suiza 46 ch. et une carlingue d’avion Wibault type 280T, André Michelin obtient son type N°5. Le moteur propulse un châssis de voiture classique à deux essieux conservé tel quel, disposé à l’avant de l’engin. La carlingue repose sur le deuxième essieu de ce châssis, d’une part, et, d’autre part, sur un troisième essieu indépendant situé à l’arrière, le tout formant un ensemble rigide pouvant s’inscrire en courbe par le jeu latéral des essieux.
Il est vrai que l’avant de l’engin, avec ses ailes, son capot et sa cabine de conduite issus directement du monde de l’automobile, donne à cette Micheline toute son originalité et minimise quelque peu l’origine aéronautique de la carlingue. Le duralumin et la toile d’avion ignifugée sont utilisés au maximum, et même le pavillon de la toiture est en toile. C’est dire que, pour cet engin entièrement publicitaire et ne devant durer que le temps d’une promotion, les choix techniques n’ont rien de ferroviaire.
Le 10 Septembre 1931 Marcel Michelin invite André Citroën et Madame, Raoul Dautry, Directeur du réseau de l’Etat, quelques journalistes, des officiels et un baron pour faire un voyage d’essai Paris-Deauville aller et retour. Le trajet se fait en 2 h 14 mn et le retour demande 2h3 mn. La presse est au départ et à l’arrivée pour donner à l’exploit tout le retentissement désirable: la vitesse moyenne de 107 km/h tenue pendant plus de 4 heures, des pointes à plus de 130 km/h sont véritablement triomphales pour Michelin et ouvrent l’ère de la Micheline – c’est-à-dire l’autorail sur pneus.

Certes les responsables des réseaux ferrés restent sceptiques devant la petitesse et la fragilité de l’engin, son roulement sur pneus générateur de crevaisons et incapable de « shunter » les circuits de signalisation des voies, mais Michelin saura vaincre – du moins pour quelques années – ces réticences avec de solides arguments, prouvés à l’usage, en matière d’économie, de rendement, et surtout de confort.
Les types 20,21 et 22 apparaissent et marquent leur temps.
En 1932 les choses ont beaucoup évolué avec l’apparition des types 14 à 17, marquant la deuxième génération des Michelines. C’est l’âge de la maturité technique sur deux bogies à trois essieux, et offrant, dans une carrosserie parfaitement fermée et confortable, 36 places assises qui sont dignes, enfin, du confort que l’on doit s’attendre à trouver dans une voiture de chemin de fer. L’engin se présente sous une forme très ferroviaire, tant par sa longueur de 14,28 m, que par sa largeur qui utilise pleinement le gabarit ferroviaire, faisant toute la différence avec les premiers engins d’essais qui étaient étroits et au gabarit automobile.
En 1934, c’est un nouveau bond en avant avec les types 20, 21, et 22, offrant 56 places et sur deux bogies à quatre essieux. Cette série de Michelines est, comme les types 14 à 17, surmontée d’un kiosque de conduite surélevé permettant la marche dans les deux sens. Le moteur, un Hispano-Suiza à essence à 12 cylindres en V, attaque les deux essieux centraux d’un bogie. Le freinage est de type automobile à tambours, mais la commande, par air comprimé, est de type ferroviaire et elle est imposée par la marche en jumelage dont les deux moteurs restent indépendants et commandés par deux conducteurs, alors que le freinage est commandé par le conducteur de l’autorail de tête. La charge par pneumatique est de 850 kg, et l’appareil, plus long de deux mètres que ses prédécesseurs à 36 places avec 16, 28 m, est plus lourd de cinq tonnes, puisque le poids total en charge passe de 10,5 à 15,5 tonnes.
Sur le type 20, comme sur les 36 places, le compartiment à bagages est situé dans l’extrémité opposée à celle supportant le kiosque de conduite et comporte une porte à volet roulant, ou à battants. Les sièges sont en deux groupes à 2+2 places de front, orientés en sens inverse l’un de l’autre. Sur les types 21 et 22, le compartiment à bagages est du côté du kiosque de conduite, et le chef de train s’y installe aussi. L’accès des voyageurs se fait par deux portes coulissantes au centre de l’autorail, donnant sur une plateforme centrale. On retrouve les deux groupes de sièges du type 20, orientés l’un en sens inverse de l’autre, et en classe unique de deuxième ou troisième classe selon les pratiques des réseaux, certains tenant à la deuxième classe pour pratiquer un tarif plus élevé pour donner à l’autorail une certaine image de marque de vitesse et de qualité. Seul le réseau de l’Est prévoit trois classes : une 1ère + 2ème ensemble sur 10 sièges, et une 3ème sur les 46 autres sièges.





Les Michelines dites « coloniales ».
Une des caractéristiques des lignes africaines sous influence coloniale française de ces années 1930 est la présence d’autorails, tout comme en métropole. Les raisons sont sans doute différentes : en métropole il s’agit de sauver des lignes mises à mal par la concurrence des autres modes de transport, alors qu’en Afrique, le chemin de fer est encore seul à assurer ce service public dans les années d’entre les deux guerres. L’autorail se justifie donc pour une toute autre raison que la survie des lignes : c’est la réponse à la demande de performances de la part d’une clientèle qui n’accepte plus des voyages qui durent plusieurs dizaines d’heures. La rapidité de l’autorail permettra de donner des ailes à ces trains africains, en attendant que l’avion, lui, vienne donner de vraies ailes…
Les constructeurs automobiles français sont, de nouveau, sollicités par le chemin de fer, mais cette fois, il s’agit de la France d’Outremer dont le réseau offre des particularités extrêmes, avec un climat difficile, et surtout des lignes qui ne permettent pas de grandes vitesses. Or le manque de vitesse des trains classiques est devenu très problématique et les constructeurs comme Renault, surtout, ou encore Michelin ou Decauville pensent avoir dans leurs cartons de quoi répondre à cette nouvelle demande.
Après ses succès en métropole, Michelin exporte ses autorails sur pneus, ou Michelines, dans diverses colonies françaises. Après la mise en service de Michelines à voie normale sur le réseau français au début des années 1930, leur constructeur réalise des véhicules semblables pour voie étroite. L’un deux fut essayé sur la ligne Nice-Digne des Chemins de Fer de Provence en 1934, mais ne fut pas retenu pour le réseau. Toutefois, ce matériel allait connaître un certain succès à l’exportation, dans les colonies françaises. Dix-neuf Michelines baptisées « coloniales » des types 51 et 52, sont livrées: sept au Mozambique, deux en Indochine pour la ligne du Yunnan, deux en Afrique-Équatoriale française pour la ligne du Congo-Océan, une en Afrique-Occidentale française pour la ligne du Dakar-Niger, et sept à Madagascar.


Les Michelines de Madagascar représentent, sans doute, la phase la plus connue de cette aventure. Le réseau terré de Madagascar ou Réseau National des Chemins de Fer Malagasy (RNCFM), est ouvert à partir de 1903. Il est constitué de deux ensembles à voie métrique totalisant 883 kilomètres: un au centre de l’île, l’autre au sud. Depuis plus de 50 ans, des projets pour les réunir par une ligne centrale Nord-Sud réapparaissent de temps à autre, mais tous sont restés sans suite.
Le premier ensemble s’articule sur l’axe principal Antananarivo-Toamasina, long de 372 kilomètres, d’où se détachent deux lignes, celle de Antananarivo à Antisirabé (154 kilomètres) et de Moramanga au lac Alatroa (167 kilomètres + une antenne minière). L’axe principal relie la côte à la capitale, située à 1305 mètres d’altitude. La ligne y accède par des sections à forte rampe qui lui permettent de franchir les deux grandes falaises qui séparent les hauts plateaux centraux de la côte. La ligne Sud de Fianarantsoa à Manakara, longue de 164 kilomètres, est aussi une ligne de montagne au profil difficile avec des courbes à rayon de 80m, des rampes de 35 pour mille.

Les Michelines « coloniales » sont livrées en deux lots: quatre du type 51 de 1932 à 1938 (18 places), puis trois en 1952 et 1953 du type 52 (42 places). Leur mise en service est une véritable révolution sur le réseau. Elles circulent sur la ligne d’Antananarivo au port de Toamasina, où arrivent les paquebots en provenance de la métropole, couvrant la distance en 8 heures et 15 minutes à la vitesse commerciale de 45 km/h, alors qu’il fallait 14 heures au plus rapide des trains à vapeur
Leur confort et leur robustesse leur permettent de rester en service jusqu’au début des années 1980, date à laquelle elles sont garées… faute de ces rares « pneus-rails » Michelin ! Plusieurs d’entre elles sont détruites, mais grâce à l’aide du constructeur Michelin qui fournit les pièces nécessaires pour réaliser de nouveaux « pneus-rails », deux d’entre elles sont remises en état de marche et ont repris du service. Une troisième Micheline coloniale a été également remise à neuf : il s’agit de la ZM 514, construite par Carel & Fouché en 1952, dotée d’un moteur diesel Panhard de 80 ch, et qui a été rapatriée en France pour être présentée lors de manifestations ferroviaires.
Les Michelines 96 et 106 places : l’apogée ou le crépuscule des dieux ?
Les efforts de Michelin n’allaient pas se borner à développer ces deux types de Michelines à 36 places et à 56 places. Un but restait encore à atteindre : la très grande vitesse pour les services directs des grandes lignes et la grande capacité ou, du moins, la capacité maximale qu’il convient, en l’état actuel des choses, de donner à l’autorail. En 1936, Michelin propose alors le type 23, de 96 places, et le type 33, de 106 places : le succès sera-t-il au rendez-vous de la haute technologie ?
En 1936, les autorails Michelin sur pneumatiques sont à leur quatrième année d’exploitation, et la firme estime qu’il est possible de dégager une politique de l’autorail novatrice et originale, car, pour la grande firme de Clermont-Ferrand qui n’hésite pas à penser à la place des dirigeants des réseaux toujours très timorés, il faut bien comprendre que l’autorail ne doit pas être purement substitué au train à vapeur, même si son horaire peut être tracé d’une manière plus tendue.
Dans la très prestigieuse revue « Traction nouvelle » de juillet-août 1936, Jacques Lucius, auditeur au Conseil d’Etat, écrit : « L’autorail doit permettre des formules nouvelles d’exploitation pour que toutes ses possibilités puissent être utilisées et pour qu’il rende au publie un service meilleur, plus commode, adapté à ses besoins nouveaux et qui seul l’attirera et lui redonnera le goût du voyage sur le rail. Or, ces formules qui semblent s’orienter vers le service rapide et fréquent adapté aux variations horaires du trafic laissent au train lourd sa part, mais le complètent, lorsque le trafic est insuffisant, par la circulation d’automotrices. »
Pour les dirigeants des réseaux d’alors, le nombre maximum de 150 places paraît être la limite à offrir dans un service d’autorails. En effet il y a un poids maximum à ne pas dépasser pour garder au véhicule ses qualités de vitesse commerciale élevée et bon marché, et, d’autre part, le train classique sait traiter les grands nombres de voyageurs d’une manière appropriée et économique.
En effet, à l’époque, il faut souvent jumeler les Michelines de 36 et de 56 places en les faisant circuler attelés, le conducteur unique de l’autorail de tête prenant en charge les deux véhicules. On dispose alors d’un élément double, constituant une seule circulation et dont la capacité s’élève à72 ou 112 places en cas de nécessité et qui, par simple attelage ou dételage, s’adapte aux variations du trafic. Ce système permet, en limitant au plus près de la demande, de moduler l’offre du nombre de places, sans entraîner un poids mort inutile dans les périodes creuses du trafic. Mais certaines grandes lignes demandent des capacités supérieures et d’une manière plus durable.
Michelin double la mise.
Les deux autorails nouveaux présentés par Michelin en 1936 présentent, une fois encore, des traits originaux qui témoignent bien de l’adaptation réciproque du véhicule et du « pneu-rail » sur lequel il roule. Chacun des deux types part d’une conception différente pour résoudre la question.
Le problème posé est le suivant : compte tenu des progrès réalisés dans la construction du « pneu-rail » permettant de porter à 2,2 tonnes la charge par essieu, comment offrir une capacité de l’ordre de 100 places assises, tout en atteignant des performances élevées, c’est-à-dire une vitesse maximale de 130 km/h, une vitesse normale de 110 km/h, une accélération de 0 à 100 km/h en 1 800 mètres, et un freinage d’urgence permettant l’arrêt en 150 à 200 mètres lorsque l’on roule à 100 km/h ? En outre, les considérations d’économie, donc de simplicité et celles de confort, devaient être placées au premier plan des préoccupations du Constructeur. Deux solutions de nature différente ont été apportées au problème par les véhicules type 23 et type 33, dont les caractéristiques principales sont différentes.
La Micheline type 23, avec 96 places assises et 1,5 tonne de bagages, se compose d’une caisse-poutre d’une longueur totale de 36,36 m, divisée en deux compartiments de 48 sièges chacun, séparés par la soute à bagages au disposée au centre. La caisse repose sur deux bogies porteurs à quatre essieux chacun et ayant une distance entre pivots de 21, 52 m. Tout le mécanisme moteur est concentré dans un bogie moteur à quatre essieux, placé sous la caisse en son milieu, mais formant un ensemble tracteur libre simplement attelé à la caisse par deux bielles longitudinales, placées de part et d’autre du bogie. Les ingénieurs de Michelin, toujours créatifs, comparent le rôle de ce bogie-moteur à celui du chien qui tire sous la charrette du colporteur ! Le moteur placé dans le bogie est un 400 CV Panhard à 12 cylindres. Le poids à vide est de 16,3 tonnes environ, En charge normale, il atteint 25 tonnes.
Le poids par place offerte de 170 kilogrammes par voyageur assis (et 120 kilogrammes en comptant les voyageurs debout), et cette caractéristique exceptionnelle a été obtenue avec une ossature de caisse en poutre double dite Waren, construite en tubes à section carrée, en acier doux au manganèse. L’habillage de la poutre est fait en panneaux de duralumin d’un millimètre d’épaisseur. Les panneaux sont eux-mêmes rivés sur une ossature en profilé de duralumin.
Les bogies porteurs sont à quatre essieux, reliés au châssis par des ressorts chargeant deux essieux à la fois. Le bogie central, seul moteur, contient tout l’appareil de propulsion. La puissance nécessaire étant de 400 ch., quatre essieux moteurs sont requis pour obtenir l’effort adhérent indispensable. Des chaînes assurent le couplage de deux essieux voisins. Quant à la transmission, elle est constituée, sur chaque arbre moteur, par son coupleur hydraulique suivi d’une boite électromagnétique, les deux coupleurs jouant en quelque sorte le rôle d’un différentiel entre les deux extrémités du vilebrequin.
On notera que la disposition adoptée, qui supprime la commande d’embrayage et le levier de vitesses pour les remplacer par des fils électriques, est particulièrement utile ici, puisque la caisse s’inscrit en courbe sur les bogies extrêmes. Ainsi, le bogie-moteur, libre sous la caisse, se déplace latéralement sur pas moins de 22 centimètres en courbe de 250 mètres de rayon, et sur 85 centimètres en courbe de 65 mètres !
Pour assurer la liaison du bogie moteur avec la caisse, deux bielles de poussée sont utilisées. Elles ont été prévues très longues, afin de diminuer à la fois les effets de leur position oblique et leur permettre un allongement proportionnel en courbe. Des plots de caoutchouc absorbent cet allongement qui peut atteindre 10 millimètres dans une courbe de 100 mètres, ainsi que les à-coups au démarrage. La caisse s’appuie sur le tracteur par l’intermédiaire de galets, portés par un ressort, roulant sur des chemins de roulement. L’isolement de la caisse contre les vibrations du moteur a été particulièrement poussé.


La « Micheline 33 » a été plus spécialement conçu pour les services directs de grandes lignes. Les modèles antérieurs de Michelines 24 places, 36 places, 56 places, et même le type 23, à 96 places, ont été, en effet, conçus pour des services omnibus ou semi-directs que leur vitesse et leur accélération permettent d’améliorer.
La Micheline 33, à 106 places, à l’inverse du type 23, présente une caisse de 45m,200 de longueur, articulée en trois éléments reposant sur quatre bogies dont les deux extrêmes sont seulement porteurs. Les deux éléments extrêmes de la cabine sont destinés aux voyageurs avec 46 places de première classe et 60 places de deuxième classe. L’élément central porte les organes moteurs, séparés ainsi matériellement des caisses recevant les voyageurs. Un poste de conduite est placé à chaque extrémité.
Le groupe moteur disposé dans la cabine centrale comprend deux moteurs Hispano de 250 ch. chacun réglés à3000 tours minute. Chacun de ces moteurs, disposé transversalement, attaque un inverseur central commun, par l’intermédiaire d’une roue libre, permettant l’arrêt en marche de l’un des moteurs. L’élément moteur central porte également tous les accessoires : radiateur de refroidissement du moteur, radiateurs et ventilateurs pour le chauffage du véhicule, etc.
C’est le réseau de l’Etat qui, bien sûr, s’intéresse à ces appareils dont il retient immédiatement le prototype qui circule sur ses lignes dès 1936, et reçoit les neuf exemplaires suivants en 1937 et 1938, alors que le réseau est devenu la région ouest de la SNCF. Ces autorails font carrière dans les centres de Rouen et de Brest. Le réseau du PLM reçoit cinq exemplaires pour le centre de Clermont-Ferrand. Le P.O.-Midi en reçoit onze exemplaires affectés au centre de Carmaux. Ces autorails sont construits jusqu’en 1943 et font un excellent service. Cinq autorails sont mis en service en Algérie, entre Constantine et Biskra, puis Philippeville, et autour de Constantine. Il est à noter qu’un prototype électrique fut construit et essayé sur la banlieue ouest. Après la guerre, certaines de ces belles Michelines finissent leur carrière sous la forme de remorques d’autorail, démunies de leurs deux cabines de conduite, et posés sur des bogies classiques de wagons à marchandises….


Les Michelines ? Une carrière brève mais performante.
Les performances sont plus que remarquables pour l’époque, tant à l’accélération qu’à la décélération, ceci du fait, on s’en doute, des pneus qui adhèrent bien mieux sur un rail qu’une roue en acier. Le 80 km/h est atteint sur 750 mètres, et le freinage de 80 km/h à l’arrêt est obtenu sur 90 mètres: même le TGV actuel ne fait pas mieux…. La vitesse maximale en palier est un honorable 112 km/h.
L’ensemble des réseaux français, sauf celui de l’Alsace-Lorraine, adoptent la Micheline 56 places. Le réseau de l’Est commande six autorails du type 22, et 2 deux du type 20, pour son centre d’autorails de Troyes. Le réseau du Nord commande six autorails du type 21 pour son centre de Fives-Lille. Le réseau de l’Etat, grand amateur d’autorails, commande deux du type 20, quinze du type 21, et neuf du type 22, pour ces centres d’Argentan, de Granville, de Brest, de St-Brieuc, et Saintes. Le réseau du P.O.-Midi commande deux du type 20, trois du type 21 pour Carmaux. Le PLM commande six autorails du type 21 pour son centre de Besançon. Le total est de 51 autorails, tous livrés entre 1934 et 1937. Michelin doit même faire appel à des constructeurs sous-traitants pour l’aider à honorer ses commandes, et ce sont les très réputées firmes Carel & Fouché, constructeur de voitures, et Billard, constructeur d’autorails, qui s’en chargent pour seize exemplaires. Il est à noter qu’une 52ème et tardive Micheline de 56 places du type 22 est acquise par la SNCF en 1949, du fait des vicissitudes de la Seconde Guerre mondiale et retrouvée inachevée mais en bon état, chez Michelin, faisant partie d’une commande des anciens réseaux non validée en 1938 par la toute nouvelle SNCF. L’entreprise Carel & Fouché la termine et elle est livrée à la région sud-est qui a remplacé le PLM.
La Seconde Guerre mondiale, certes, n’est pas favorable pour la carrière de ces autorails qui arrivent tardivement, et juste à temps pour être garés, faute d’essence et de pneumatiques pendant de longues et difficiles années.
En dépit de leurs qualités et de leurs performances, la construction des Michelines s’arrête lors de la guerre et n’est pas reprise ensuite, la SNCF laissant alors son parc de Michelines finir sa carrière durant les années 50, les six dernières Michelines 56 places étant retirées du service en 1953.
Sont-elles regrettées ? Pas tant que l’on pourrait le supposer…Les pneus crèvent souvent, ceci du fait des copeaux de métal à demi arrachés aux rails par les patinages des locomotives à vapeur, ces copeaux se dressant agressivement sur la surface de roulement du rail et venant « couper un bifteck » selon les termes d’époque…. Un changement de pneu est une opération très complexe, et pénible en cours de service, sur la voie même : il faut sortir le cric, démonter des trappes, et lever un véhicule qui avoisine la quinzaine de tonnes si l’on ne fait pas descendre tous les voyageurs. En outre la faible charge admise, la faible capacité, les endémiques difficultés de shuntage des circuits électriques de voie de signalisation, des consommations importantes dues à la résistance au roulement des pneus, voilà quelques-unes des raisons qui faisaient que les Michelines n’étaient pas si appréciées que cela de la part des cheminots de l’époque.
Par contre, il est indéniable que, du coté des voyageurs, les Michelines ont une grande et réelle popularité, indépendamment de l’aura très publicitaire que Michelin sait créer et entretenir autour de ces appareils. Les réelles qualités de confort, et, surtout, la vitesse ont séduit les usagers, surtout sur des lignes de montagne jusque-là parcourues par des trains classiques lents. Notons, enfin, qu’une Micheline de 56 places, la 54005 du réseau de l’Est, est conservée, dans un magnifique état de restauration, à la Cité du Train de Mulhouse.



L’autorail Dunlop-Fouga : le face à face avec Michelin.
IL est vrai que Michelin n’a pas inventé le pneumatique (quoiqu’en dise sa publicité, voir ci-dessus), et c’est bien John Boyd Dunlop, né à Dreghorn au Royaume-Uni en 1840, qui fait cet exploit en 1887 et crée la première fabrique de pneus au monde, du moins sur le plan chronologique. Si Michelin, devenu le premier fabricant de pneus au monde sur le plan de la quantité et de la qualité, a bien aussi inventé la Micheline, ce fameux autorail sur pneus, et la filiale française de la firme Dunlop essaie, elle aussi, de s’imposer dans le domaine des chemins de fer et de ne pas laisser la voie libre seulement à Michelin. L’autorail Dunlop-Fouga connaîtra-t-il le succès ?
Le 26 Mars 1935 est un jour important pour la filiale française de la grande firme britannique Dunlop : c’est une présentation officielle du prototype d’une nouvelle “automotrice” (premier terme en usage pour désigner les autorails avant d’être réservé à la traction électrique, dite du système Dunlop-Fouga, dont la nouveauté de conception intéresse fortement les milieux du chemin de fer en France. En effet, à l’époque, le « pneu-rail » de Michelin souffre d’un mal endémique qui condamne son avenir ferroviaire : la faible charge par essieu supportée. Les ingénieurs de Michelin n’ont d’autre solution que de répartir la charge sur le plus grand nombre d’essieux possibles pour diminuer le poids par essieu, donc de faire des Michelines qui sont de véritables millepattes. Les ingénieurs de Dunlop pensent que, au lieu de multiplier les pneumatiques, donc les complications, on pourrait mélanger les genres et utiliser concurremment des roues de deux types : des roues ferroviaires classiques en acier et des roues à pneumatiques, chaque type de roue apportant avec elle ses qualités et ses certitudes techniques, et réduisant les défauts de l’autre type.
Somme toute, ils ne font rien d’autre qu’appliquer le principe classique, et déjà utilisé à l’époque, des automobiles que l’on fait rouler sur des voies ferrées en les équipant de galets de roulement disposés de part et d’autre des roues d’origine de l’automobile pour assurer leur guidage sur le rail. Dunlop expérimente cette solution avec une camionnette Berliet circulant sur les voies intérieures de l’usine de Montluçon.
C’est ainsi que le 1er août 1932, une grande limousine familiale Hotchkiss, équipée de huit galets encadrant ses quatre roues, a transporté les personnalités venues inaugurer la ligne de La Ferté-Hauterive à Gannat. Munie d’un cric rotatif central placé sous son châssis, la voiture s’est engagée sur un passage à niveau et, levée par son cric, elle a pivoté, puis est redescendue pour reposer sur les rails, et gagner la gare de départ du trajet inaugural. C’est bien ainsi que Dunlop entend présenter l’acte de naissance de son système « Rail-route Dunlop », dument affiché à l’avant de la voiture.

Le mélange des genres.
Deux types distincts de roues sont donc utilisés dans cet autorail, chaque type étant spécialisé dans sa fonction particulière, à savoir des roues-guides à bandage métallique, de profil ferroviaire classique, d’une part, et, d’autre part, des roues porteuses, motrices sur l’un des bogies et porteuses sur l’autre, dépourvues de boudins de guidage et munies de pneumatiques. Cette solution permet d’ores et déjà d’éviter le pneumatique spécial pour voies ferrées qui doit être étroit et d’utiliser des pneus qui, bien qu’établis en vue de cette application, présentent toutes les caractéristiques du pneumatique routier classique et capable de transporter, sur la route et sur le rail, une charge de deux tonnes.
Entre autres avantages, la présence simultanée des deux types de roues permet de proposer une solution au problème de la limite de pression des pneumatiques sur rail. En effet, avec l’autorail Dunlop-Fouga, la charge supportée par les roues à pneumatiques est susceptible, par un dispositif approprié, d’être partiellement, ou même totalement, reportée sur les roues à bandage métallique. En somme, on a, par rapport aux vicissitudes du pneumatique, une position de repli.
Cet autorail comporte huit essieux répartis entre deux bogies de quatre essieux chacun. Chaque bogie possède une traverse médiane articulée, à chacune de ses extrémités, comme un essieu avant d’automobile. Cette articulation ne se fait pas sur une fusée de roue directrice, mais sur un petit longeron qui porte quatre roues alignées dans un même plan, dont deux roues à pneumatiques encadrées par deux roues-guides à bandage métallique ferroviaire. L’ensemble, complété pat des barres d’accouplement, constitue un parallélogramme déformable qui s’inscrit dans les courbes de la voie. La caisse repose sur la traverse médiane par l’intermédiaire de deux ressorts à lames, exactement dans les mêmes conditions qu’une caisse d’automobile repose sur sou essieu avant.
Les fusées des roues pneumatiques sont solidaires des petits longerons, mais ceux-ci reposent sur les roues-guides par l’intermédiaire d’un bras articulé et d’une suspension réglée de telle manière que tout excès de charge soit évité au pneumatique. En cas de dégonflement de l’un de ceux-ci, le poids qu’il devrait supporter est pris automatiquement en charge par la roue-guide voisine qui est de type ferroviaire et qui peut assumer cette surcharge.
Le mécanisme, complètement indépendant de la caisse, repose, par l’intermédiaire de ressorts à lames, sus les traverses médianes des bogies. On évite ainsi la transmission à la caisse et aux voyageurs de vibrations désagréables. Mais on protège le mécanisme contre les réactions de la voie, puisque celles.ci ne sont transmises que par l’intermédiaire des roues à pneumatiques. L’adhérence des pneumatiques au rail qui est, on le sait, de beaucoup supérieure à celle des roues métalliques, peut être momentanément accrue par l’emploi d’un dispositif de surcharge des roues motrices que le conducteur actionne au moyen d’un bouton de commande. Un frein de service normal agit sur les seules roues métalliques. Un frein complémentaire, agissant sur les roues pneumatiques, permet des arrêts d’urgence. Enfin un troisième frein, agissant sur la transmission, joue le rôle d’un frein de secours et d’arrêt. Le gonflement des pneumatiques s’effectue au moyen d’un raccord branché sur la conduite générale, où la pression est exactement celle des pneumatiques.

Le réseau du Midi est preneur, mais pas le P.O.-Midi.
Ce réseau travaille beaucoup pour Dunlop dont il transporte les matières premières et il prête un oreille attentive aux projets d’un bon client qui veut construire un autorail sur pneus. En 1933, le réseau accepte de commander, auprès des établissements Fouga de Béziers qui assurent pour lui de l’entretien de matériel roulant ferroviaire, un autorail à moteur diesel allemand Maybach, boîte de vitesses suisse SLM, placé donc sous le signe de la très haute qualité technique, et pouvant transporter 49 voyageurs assis. Prévu pour les petites lignes de l’étoile de Mont-de-Marsan, l’autorail est livré en 1935, mais le réseau du Midi a fusionné avec celui du Paris-Orléans et le résultat est que le nouveau réseau du P.O.-Midi préfère ne pas s’encombrer d’un tel prototype et l’affecte à Montluçon, où, pour le moins, il ne sera pas éloigné des usines Dunlop qui pourront ainsi admirer leur jouet, en prendre soin, et apprécier ce retour à l’envoyeur peu élégant…
Question élégance, l’autorail est très réussi, et son dessin extérieur comme sa conception intérieure ont de la classe. Il roule à 108 km/h en palier., et à 70 km/h à l’heure en rampe de 10 pour mille, et encore à. 40 km/h en rampe de 35 pour mille. Il atteint 70 km/h en 70 secondes. A la vitesse de 90 km/h en palier, il est capable d’un arrêt sur 120 mètres. A 65 km/h en pente de 33 pour mille, l’arrêt est obtenu sur 150 mètres. Le freinage est du type Loockheed sur les tambours des roues métalliques et sur les tambours des roues pneumatiques. IL existe un frein de service et d’arrêt sur l’arbre de transmission, entre la boîte de vitesses et les essieux moteurs. Il y a un poste de conduite à chaque extrémité. Les installations voulues ont, bien entendu, été faites aussi en ce qui concerne le confort des voyageurs avec une ventilation multiple, un chauffage, un éclairage électrique, des toilettes W.-C., etc.
L’autorail mène une carrière discrète, malgré une venue très médiatisée à la gare d’Austerlitz à Paris, le 26 mars 1935, pour sa présentation officielle et pour transporter jusqu’à Montluçon des personnalités dont le maréchal Pétain, alors ministre de la Guerre, Raoul Dautry, grand amateur d’autorails, et Jean-Raoul Paul, directeur du réseau du Midi. Roulant relativement peu, l’autorail sera garé pendant la Seconde Guerre mondiale et retiré du service en 1949.

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