
L’autorail réel porte la signature de l’un des inventeurs les plus géniaux du monde de l’automobile: Ettore Bugatti. Il sut, durant les années 30, prévoir l’avenir des trains à grande vitesse et l’autorail qu’il proposa aux réseaux ferrés français de l’époque n’était ni plus ni moins que le “TGV” du moment, et il connut le même succès. Le premier modèle circule en 1933, et, une fois son succès bien assuré, deux ans plus tard, les fabricants de trains-jouets le reproduisent, mais avec plus ou moins (et plutôt moins) d’exactitude. Qu’importe : l’essentiel est d’avoir le nom prestigieux sur la notice accompagnant le jouet, et l’essentiel, pour ce qui est du jouet lui-même, est qu’il s’inspire de la forme des extrémités des autorails que le génial Bugatti, roi du “design”, avait imaginée.
Le déclin du chemin de fer au lendemain de la Première Guerre mondiale.
Lorsque l’automobile, tant sous la forme de la voiture particulière que des poids lourds, commença sa carrière vers la fin des années 1910, les compagnies de chemin de fer ne s’inquiétent pas, tellement la suprématie du rail est évidente. Mais durant les années 20 et surtout 30, il fallut se rendre à l’évidence : l’automobile, sous la forme de l’autocar, du camion puis de la voiture particulière populaire était en train de tuer le rail, surtout sur les courtes distances, et mettait surtout à mal les lignes secondaires moins armées pour résister à la concurrence.
Les compagnies se tournèrent alors vers les constructeurs d’automobiles, notamment avec le concours PLM de 1932, pour leur demander de résoudre les problèmes du rail par la mise au point de véhicules rapides, confortables, mais à faible prix de revient. Si certains proposèrent ce qui ne fut, dans les faits, que de médiocres adaptations d’autobus à la voie ferrée, d’autres, comme Renault, Bugatti, Berliet, ADN, De Dietrich, conçurent de véritables automotrices lourdes selon les lois de la technologie ferroviaire classique, et ces engins, nommés rapidement “autorails”, sauvèrent bien des lignes secondaires.

veut dire “Wagon Léger”: c’est bien ce qui était prévu pour les autorails: être une sorte de wagon (motorisé) léger.
Bugatti va plus loin qu’un simple sauvetage.
Mais Bugatti, constructeur réputé de voitures de sport et de luxe, installé à Molsheim en Alsace, proposa de véritables trains articulés, rapides et confortables, et destinés non à des lignes secondaires, mais à des relations entre grandes villes sur des lignes importantes. Mus par plusieurs moteurs à essence juxtaposés, ces autorails battirent rapidement des records mondiaux de vitesse, comme 196 km/h entre Connéré et Le Mans en 1933. Le trajet Paris-Strasbourg, dès l’année 1935, se fait en 3h30, à une vitesse moyenne de 144 km/h sur les 504 km du trajet: les trains “Corail” d’aujourd’hui ne font guère mieux.



L’autorail Bugatti est très soigné esthétiquement, contrairement au cas de bien des autorails d’époque très laids, et ses formes aérodynamiques lanceront de nouveaux canons en matière de “design” de trains rapides, cette forme étant même reprise par des stylistes anglais pour les fameuses locomotives du “Coronation Scot” Londres-Edimbourg.
Le conducteur de l’autorail est placé dans un kiosque surélevé disposé sur le toit, ce qui autorise une circulation dans les deux sens avec une parfaite visibilité, et en économisant la solution classique des deux cabines de conduite d’extrémité. Les bogies sont à quatre essieux de type automobile soutenus par de simples ressorts à lame. Ce bogie a une telle tenue de voie qu’il permet même le franchissement d’une portion de rail enlevée sans déraillement ! Les freins sont actionnés par un grand volant disposé sur le côté de la cabine de conduite et ce volant commande, par un simple système de treuil, de palans et de câbles, l’ensemble des freins à tambour de type automobile de l’autorail. Rudimentaire, ce système n’est pas d’une efficacité exemplaire….
Les moteurs agissent directement par arbres de transmission sur les essieux, sans boîte de vitesses, et simplement par l’intermédiaire d’un coupleur hydraulique. Le conducteur doit “mettre les gaz” à fond pour le démarrage, et laisser l’autorail gagner de la vitesse. Souvent des jets de flamme jaillissent par les pots d’échappement latéraux et balaient les quais, à la grande fureur des chefs de gare, mettant même le feu au stand de la marchande de journaux !
Voici un bref tableau montrant le choix des modèles offerts par Bugatti aux différents réseaux. Le réseau du PLM seront très adeptes du modèle à deux éléments, appelé “couplage” sur ce réseau, tandis que le réseau de l’Etat fera rouler, avec succès, des éléments triples sur la relation Paris-Le Havre.
Nombre d’éléments | Nombre de moteurs | Puissance totale | Appellation |
1 | 2 | 400 | Allégé (caisse de 19m) |
1 | 2 | 400 | Allégé (caisse de 21m) |
1 | 2 | 400 | Surallongé (caisse de 25m) |
1 | 4 | 800 | «Présidentiel» (un élément) |
2 | 4 | 800 | Double (deux éléments) |
3 | 4 | 800 | Triple (trois éléments) |
Les autorails Bugatti vus par la marque CR.
Si, comme nous l’avons vu, le grand patron de Molsheim, Ettore Bugatti a fait fort, un autre, Frank Hornby, en fait de même dans le domaine du jouet, ne voulant rien laisser à ses concurrents JEP et LR en France. Seul CR parvient discrètement à accompagner Hornby sur ce créneau très recherché, mais, il faut le dire, avec des modèles type bazar ou stand de forain qui ont certes du charme mais guère de qualités mécaniques.
Cette marque CR, très ancienne, a pour spécialité les jouets de bazar ou forains. Faits dans une tôle de fer-blanc très mince, mais ornés de lithographies superbes et flatteuses, ces jouets représentent, par rapport à Hornby ou JEP, le bas de gamme total, et permettent à des milliers d’enfants à la bourse modeste d’avoir quand même des jouets. Les collectionneurs actuels aiment CR pour la naïveté des formes et des couleurs, surtout dans le domaine des automobiles. Les trains CR sont moins cotés : trop naïfs, trop pauvres, ils ont de médiocres qualités de fonctionnement. Mais les autorails Bugatti CR amusent les collectionneurs par une multiplication de versions assez fantaisistes, dont certains, avec leur gros boîtier à pile plate rajoutée sur le toit, confinent à la caricature. Mais certains modèles, si ce n’était leur soufflet faisant le tour des caisses par l’extérieur, ont une décoration rouge et crème et un dessin des fenêtres assez évocateur du modèle réel. Les modèles d’après-guerre, avec leur couleur tricolore rouge-bleu-gris ou bleu ton sur ton et gris, et leur porte centrale ovale sur chaque face, sont très fantaisistes. Il est à noter que, sur le catalogue, l’autorail à plusieurs éléments est présenté sous le terme assez amusant de «chenille articulée » …
CR démarre sa production d’autorails mécaniques en 1935 en voie de 28 mm pour très petits jouets de bazar : on trouve des modèles simples, doubles et triples, longs respectivement de 14, 26 et 40 cm, vendus avec ou sans rails et accessoires.
Les modèles en voie de 35 mm (écartement « O ») sont produits à partir de 1939. Plus gros, plus sérieux, avec des longueurs de 24, 44 et 63 cm selon le nombre d’éléments, ces modèles sortent à la veille de la Seconde Guerre mondiale, et ne connaîtront leur véritable carrière que pendant les années 1950 et 1960, et constituent, sans doute, la dernière réminiscence de l’autorail Bugatti pour les enfants, les autorails réels ayant cessé de circuler en 1958. La marque CR cesse toute activité en 1962.

Les autorails Bugatti vus par Hornby.
Les modèles Hornby presque aussi naïfs que ceux de CR, mais de qualité et de finesse de dessin nettement supérieures. Leur raccourcissement très exagéré par rapport au modèle réel, leur mise sur quatre roues seulement même habilement dissimulée par une jupe de caisse venant au ras des rails, voilà ce qui fait des modèles Hornby de simples jouets : les autorails JEP, en revanche, sont de très beaux grands modèles sur bogies avec soufflets articulés, portes ouvrantes, et sont un triomphe pour cette dernière marque qui, cependant, n’a pas choisi ou n’a pas eu la permission de reproduire des autorails Bugatti.
Il faut dire que, lorsque Hornby sort son premier autorail Bugatti en 1935, la marque est fermement décidée à le traiter comme un petit jouet et l’inscrit dans la série bon marché « M » où il est de règle de rouler sur quatre roues, où l’on ignore le bogie et la grande longueur de caisse, et ù tout est fait de façon minimale, mais séduisante, pour offrir des jouets à bas prix qui se vendent très bien.
Cet autorail à un seule élément apparaît donc en 1935 qui est, décidément, une grande année pour l’autorail jouet en France, comme cette année l’est pour les autorails réels. Le modèle est proposé en version mécanique ou électrique. Long de 23 cm, coiffé de la petite cabine de conduite sur le toit, il existe en deux décorations : ETAT rouge et crème, ou P.L.M. bleue et crème.



Le succès est immense et immédiat, et sans s’en être rendue compte initialement, la firme a misé sur ce pur-sang commercial qu’est l’autorail Bugatti et qui va lui rapporter gros. Il faut passer aux choses sérieuses, et dès 1936, la série s’étoffe avec la version double et triple, mécanique ou électrique au choix, possédant le kiosque haut conforme à la réalité, et toujours dans les deux présentations ETAT ou PLM. Ces autorails sont classés dans la série N°1 et ne sont donc pas des « M ». N’empêche… ils ont des caisses aux mêmes dimensions générales, à la même section, et toujours sur quatre roues. Les longueurs sont de 40 cm pour le double et 58 cm pour le triple. Il est à noter que l’autorail triple se trouve pratiquement à la longueur transposée à l’échelle du 1/43,5ème, le « O » donc, d’un élément simple réel… Comme quoi, Hornby avoue sans le dire, un raccourcissement de plus de deux fois de l’autorail réel qui se trouve réduit presque au tiers de ce qu’il devrait être !
Une autre bizarrerie est le fait que, pour l’autorail triple, l’élément moteur ne soit pas central avec un moteur sous le kiosque de conduite comme dans la réalité. L’autorail double Hornby respecte bien cette particularité du moteur sous le kiosque, mais, pour le triple, le moteur est placé dans une des caisses d’éxtrémité. Il est possible que la firme, ayant peu confiance dans la stabilité d’un véhicule poussé sur les voies à très faible rayon de courbure de la marque, ait préféré opter résolument pour la formule plus sage et plus stable du train entièrement remorqué.
Posé sur ses rails, roulant sur un réseau, l’autorail triple a vraiment belle allure et restitue bien l’aspect racé, long et bas de l’autorail réel. Lorsque cet autorail croise, en 1939, un train complet « Etoile du Nord » et passe dans les gares démontables au style architectural très aéroport, on a un ensemble très cohérent et qui marque un âge d’or pour Hornby, celui de la modernité accomplie, des couleurs vives, des formes rondes.
Malheureusement, la Seconde Guerre mondiale gomme le tout des catalogues en 1940. En 1953 apparaît de nouveau la version à deux éléments, rouge et crème, avec des marquages SNCF au lieu de marquages ETAT, et en version mécanique ou électrique. Il n’y a plus d’autorail simple ou triple, et il n’y a plus de bleu P.L.M. : pour les couleurs Hornby se conforme au rouge et crème de la SNCF. L’autorail Bugatti disparaît en 1957, mettant fin à la carrière de ce type d’appareil chez Hornby dans l’écartement « 0 ».
Les prix des autorails Hornby sur le marché de la collection reste très accessible pour les modèles simples d’avant guerre, ou doubles d’après guerre. Seuls les autorails à trois caisses d’avant-guerre atteignent des cotes confortables avec 350 à 600 Euros selon l’état. Les modèles à deux caisses d’avant-guerre sont estimés à 150/250 Euros, et les modèles à une seule caisse à seulement 100/150 Euros. Le modèle à deux caisses SNCF d’après-guerre, assez courant, reste apprécié s’il est neuf en boîte et peu atteindre, dans ce cas, 200 à 250 Euros.
Les principaux autorails Bugatti dans le train-jouet.
m=mécanique, él=électrique
Dates | Marque et référence | Type | Couleurs | Ecart. |
1935-1938 | CR-2002B | Autor+rem.m | Bleu+crème ou divers | 28 |
1935-1950 | CR-2000B | Autorail m | Bleu+crème ou divers | 28 |
1939-1950 | CR-2002B | Aut.double m | Bleu+crème ou divers | 28 |
1939-1940 | CR-2003B | Aut.triple m | Bleu+crème ou divers | 28 |
1939-1952 | CR-9001B puis 90B | Autorail m | Bleu+crème ou divers | O |
1939-1940 | CR-9002B | Aut.double m | Bleu+crème ou divers | O |
1939-1940 | CR-9003B | Aut.triple m | Bleu+crème ou divers | O |
1939-1940 | CR-9001B | Autorail m | Bleu+crème ou divers | O |
1935-1940 | Hornby-M | Autorail m | Bleu+cr.P.L.M. ou rouge+cr ETAT | O |
1935-1940 | Hornby-ME | Autorail él. | Bleu+cr.P.L.M. ou rouge+cr ETAT | O |
1936-1940 | Hornby-1 | Aut.double m | Bleu+cr.P.L.M. ou rouge+cr ETAT | O |
1936-1940 | Hornby-1E | Aut.double él | Bleu+cr.P.L.M. ou rouge+cr ETAT | O |
1936-1940 | Hornby-M3 | Aut.triple m | Bleu+cr.P.L.M. ou rouge+cr ETAT | O |
1936-1940 | Hornby-M3E | Aut.triple él | Bleu+cr.P.L.M. ou rouge+cr ETAT | O |
1953-1957 | Hornby-1 | Aut.double m | Rouge+crème SNCF | O |
1953-1957 | Hornby-1E | Aut.double él | Rouge+crème SNCF | O |
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