Louis XIV : amateur de voyages en train avec sensations fortes ?

Dès les toutes premières années de la création du réseau ferré français, Versailles est une ville dont l’importance ferroviaire est consacrée par l’ouverture de deux lignes reliant Paris à Versailles l’une par la rive droite en 1839 et l’autre par la rive gauche en 1840, et donnant, tout près du château, deux magnifiques gares qui, aujourd’hui toujours, sont très actives et classées comme monuments historiques. Le bâtiment-voyageurs actuel de la gare de Versailles-Chantiers, troisième gare voyageurs de Versailles, chef d’œuvre de l’architecte André Ventre, date de 1932, mais a été construite sur une ligne très ancienne, elle aussi, remontant à 1849. Ce que peu de Versaillais, et encore moins de Français, savent est que Versailles a commencé sa carrière ferroviaire bien plus tôt qu’au XIXe siècle, et qu’il y a eu une gare construite pour… Louis XIV, dans les jardins du château, près de Marly.

Louis XIV amateur de chemins de fer ? On reste sceptique, parce que, tout simplement, on pense que les chemins de fer n’existaient pas à l’époque. Mais, dès la fin du moyen-âge, il existait dans les mines de véritables réseaux de voies équipés de rails en bois, parfois garnis de bandes de roulement en fer, et dotés de plaques tournantes, et des trains entiers de “berlines” (wagonnets) tirés par des chevaux transportaient le charbon.

Mais, en ce qui concernait Louis XIV, il a bien existé un « chemin de fer» (en bois…) d’agrément installé dans les jardins du château de Versailles, équipé d’une gare, d’une plaque tournante, et d’une ligne qu’un wagon à plate-forme parcourait, faute de locomotive, poussé par des valets. Cette installation était surnommée « la roulette » et les deux bâtiments servant de gare étaient désignés par le terme « cabinets de la roulette » ! Une très jolie appellation, et, à notre avis, meilleure de celle de « gare » qui est issu du monde de la batellerie, comme en témoigne le nom du « quartier de la gare» à Paris, la « gare » en question étant celle de la batellerie sur la Seine.

Les “cabinets de la roulette” du Roi-Soleil.

Si l’on ouvre le bon vieux livre de Louis Baclé publié au début du siècle sous le titre « Les voies ferrées », et si l’on s’arrête sur une curieuse gravure illustrant le début du deuxième chapitre, on peut voir que le Roi-Soleil jouait à un jeu dit de la « roulette » dans les jardins de la forêt de Marly, alors partie intégrante du grand domaine royal de Versailles.

La légende de la gravure du livre de Bâclé sème le doute avec son « chariot glissant sur des rails » : le terme de chariot implique des roues, par définition, mais le verbe « glisser » peut être soit une métaphore pour décrire une douceur de roulement, soit pris au sens propre, désigner un véritable glissement avec des patins. Mais la seule force de deux ou trois hommes poussant huit ou neuf personnes plaiderait nettement pour un roulement.

La gravure provient du fonds des Archives nationales, et a été aussi publiée par la revue « La Nature » dans son numéro du 12 mars 1881. Sa légende fait mention d’un « Chariot glissant sur des rails ». Il est aussi précisé dans l’article illustré par la gravure que le char est « poussé à bras d’homme sur cette voie et le Roi, qu’on voit debout à l’arrière, semblait juger de la course ».


L’aspect de la scène est indéniablement ferroviaire, et l’emploi du mot « char » ou de celui de « chariot » est fait autant par L. Baclé que par l’auteur de la gravure citée : ce mot, comme tous les mots de la même famille (charrette, charroi, etc.), implique formellement l’emploi de roues – même si le fameux «char de l’Etat » s’en passe…

La gravure n’est pas très précise pour ce qui concerne le nombre de valets “moteurs” et de voyageurs. Le fait que deux (ou trois?) hommes suffisent pour pousser huit (ou neuf ?) personnes correspond à une force motrice que seule la roue sur rail puisse rendre suffisante. Sur des patins glissant directement sur des rails, cela semble impossible. Tout ceci a fait que. partant de cette gravure, on ne peut que qu’être certain d’avoir sous les yeux la description sommaire d’un chemin de fer.

L’opinion des historiens et des spécialistes des Archives Nationales.

En 1971, l’auteur de ce site-web, alors faisant ses débuts pour la revue de modélisme ferroviaire « Loco-Revue », consulte les documents du  Service des Plans des Archives Nationales et plus particulièrement le « Plan des parties hautes et des bosquets de Marly » qui date de 1714. Il voit que la « roulette » y figure et occupe des allées situées au sud du bois actuel de Marly reliant la « Grille du trou d’enfer » (toujours existante) aux réservoirs.

Les plans des Archives Nationales (1780): la voie de la “roulette” est toujours présente.
Le plan des Archives Nationales (1714): nous avons colorisé en rouge la voie de la « roulette » pour faciliter son repérage.
Le plan avec les deux “cabinets de la roulette”, la plaque tournante, et les deux “chariots” dont l’un est vu en plan et l’autre en élévation.

Sur ce plan la plaque tournante de la gravure reproduite par L. Baclé est bien présente, avec les deux « cabinets de la roulette » qui constituent la gare et sont fort beaux. Plus encore : sur celui qui est dessiné vu en plan (bas de la feuille), un banc occupe deux des parois d’une salle d’attente. Deux « chariots » sont dessinés, et, sur l’un deux, représenté vu par le dessus, on voit ses bancs et les flancs de caisse. Aucune indication technique n’est donnée, ni roues ni organes de guidage ou de glissement. C’est dommage.

La voie est large toute à la mesure des ambitions de Louis XIV, elle est d’un écartement approximatif d’une toise. soit près de deux mètres. Depuis les « cabinets » jusqu’a la plaque tournante il y a une distance d’environ cinq toises, soit une dizaine de mètres, et la « pleine voie » — si l’on peut dire — s’étend sur quelque 120 toises, soit près de 240 mètres.

Le plan laisse une impression d’horizontalité absolue du terrain, impression confirmée par la gravure des Archives et c’est précisément ce détail qui est surprenant quand on va sur place à Marly : le terrain est, au contraire, très accidenté.

Bien entendu et malheureusement . il ne reste absolument rien aujourd’hui, ni gare, ni plaque, ni rails. A la mort de Louis XIV, Marly fut progressivement oublié, le mobilier des pavillons fut vendu sous la Révolution, une filature de coton fut installée par la suite, puis les bâtiments furent détruits sous Napoléon Ier.

L’opinion de l’historien spécialisé Alfred Marie en 1971.

Cependant, nous avons voulu en avoir le cœur net et connaître le maximum de détails sur ce chemin de fer. A l’époque, le conservateur en chef du château de Versailles introduit l’auteur auprès d’Alfred Marie qui est un érudit accompli sur Versailles et son histoire.

La précision extrême des renseignements fournis par M. Marie ne laissent aucun doute pour lui-même. Ce n’est pas au chemin de fer qu’a joué Louis XIV mais, plus simplement, au jeu, populaire à l’époque, de la « ramasse ». un jeu d’origine suisse et qui consiste en un traîneau glissant sur une voie en bois, un engin sans doute inspiré des « schlittes » qui descendent le bois des montagnes vosgiennes.


Le roi et les dames de la Cour se laissent donc descendre à une vitesse vertigineuse sur la pente. La scène de la gravure et des plans représente la mise en place du traîneau (et non du «chariot ») en haut de la glissière inclinée. Une fois le Roi et sa cour arrivés en bas, et remis de leurs émotions, le « chariot » est ensuite remonté à vide vers le sommet par des laquais qui trouvent le jeu moins amusant…

Oui mais : le terme “roulette” laisse un doute…

Mais il n’en reste pas moins que l’origine du terme de « roulette » pose problème : il reste le seul à désigner, sur les plan d’époque, le système en question, et ce terme indique formellement un véhicule roulant. En outre ce « chariot », joint à la mention d’une voie et de plaques tournantes sur le plan, permet d’affirmer l’existence d’un chemin de fer, même s’il ne s’agit en somme que d’un « scenic railway » ou d’une installation comparable â nos montagnes russes de foire, en l’occurrence un véhicule roulant et guidé, abandonné à lui- même depuis le haut d’une pente. Alors : véhicule roulant sur des rails, ou véhicule glissant sur des rails peut-être enduits de savon, de suif, ou d’huile ?

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