
Ce train curieux est peu connu du grand public actuel, pour ne pas dire qu’il est oublié, mais il faut dire qu’il n’a guère marqué l’histoire des chemins de fer. Il a représenté une intéressante tentative de promotion de l’image de marque d’un grand réseau, le PLM, alors en déclin financier au milieu des années 30, et, en même temps, une étude des possibilités de réduction de la résistance à l’avancement par le carénage intégral des trains. Le succès a été réel pendant un certain temps, mais la formule consistant à faire du faux neuf avec du vrai ancien avait ses limites…
Entre les deux guerres mondiales, tout va très mal pour le chemin de fer qui, déjà pris dans une conjoncture économique désastreuse, perd aussi du terrain face à la concurrence routière et aérienne. La perte se situe surtout au sein de la clientèle voyageurs aisée qui est, justement, celle qui lui rapporte le plus.
Les gens fortunés commencent à préférer leur Rolls-Royce ou leur Hispano-Suiza aux compartiments enfumés des trains, aux attentes en gare, au « stress » de la ruée pour être à l’heure, au comportement jugé trop raide des contrôleurs. Ceux qui sont à la fois riches et pressés commencent à affluer à l’aéroport du Bourget où de frêles trimoteurs prennent 10 passagers et prennent aussi un envol incertain et capricieux pour gagner, à 200 km/h environ, Londres ou Berlin, et s’y posent quand le pilote a la chance de pouvoir utiliser une trouée dans le plafond de nuages qui, en-dessous de l’avion, masque toute vision et efface tout repère en ces temps où l’on pilote intégralement à la vue en se repérant avec des phares au sol.
A l’instar des compagnies américaines, les réseaux européens se lancent alors dans une politique de prestige et d’image de marque en ayant recours aux « designers » et aux trains carénés, ceci à la fois pour que le train devienne « moderne » sur les affiches, mais aussi pour tenter de gagner de précieux kilomètres à l’heure – puisque la vitesse, elle aussi, est à la mode, mais coûte de plus en plus cher en énergie de traction avec un charbon dont le prix grimpe sans arrêt.

Cette opération de « relookage » (selon l’horrible mot actuel !), de « design », d’ «image de marque», repose-t-elle, pour le moins, sur une simple nécessité technique réelle ? Les ingénieurs le pensent et pourront prouver qu’un train caréné pénètre mieux dans l’air, donc consomme moins, mais, sous cette carapace de tôle, les mécanismes des locomotives ont trop chaud, et, d’autre part, le carénage crée une gêne réelle pour les opérations d’entretien : il faut tout démonter pour accéder aux organes mécaniques demandant un entretien ou des réparations, et ces démontages sont longs. Ces délicats revêtements de tôle à la peinture vernie et immaculée ne souffrent pas le moindre choc ou la moindre rayure, au démontage ou au remontage ou une fois déposés sur le sol de l’atelier, et c’est inutile de dire que c’est bien, pourtant, ce qui leur arrive… Les peintres et les astiqueurs ont fort à faire pour effacer les traces de doigts, les traînées d’huile et les rayures sur ces belles surfaces bleu marine ou marron.
Le train d’essais du P.L.M.
En 1935 la compagnie française du Paris, Lyon et Méditerranée décide, sous la poussée de la demande et sous la concurrence aérienne, de créer un service luxueux de rames rapides entre Paris et Lyon – exactement comme le fera, presque un demi-siècle plus tard la SNCF avec le TGV. Il fallait, pour le PLM, offrir aux hommes d’affaires la possibilité d’un aller et retour dans la même journée, et d’un laps de temps suffisant à Lyon.
Les Pacific semblent trop puissantes et trop gourmandes pour la remorque d’un train composé des quatre voitures qui suffisent à la demande d’un « happy few » d’hommes d’affaires, et le PLM songe à ses antiques Atlantic datant de 1907, série 221A ex-2900. Le choix n’est pas aberrant, si l’on sait qu’il s’agit de machines compound, et comme elles sont dotées de roues assez grandes, elles sont donc capables de rouler vite, et elles passent pour offrir toutes les garanties d’un service correct si le train est léger.

Moyennant l’application de perfectionnements comme la surchauffe, un échappement variable à quatre jets, un réchauffeur d’eau ACFI, des tiroirs cylindriques allégés, un système de graissage mécanique, elles doivent être capables de rouler à 140 km/h en tête de trains légers. La 221-B-11 est la première transformée selon ce cahier des charges et elle sort des ateliers d’Oullins, à Lyon, en 1935, mais non munie d’un carénage et conservant son tender d’origine à trois essieux. Par contre, la deuxième locomotive, la 221-B-14 est carénée et elle est accouplée à un tender caréné, lui aussi, mais sur bogies. La locomotive et son tender son peints en bleu wagons-lits.






Pour ce qui est du train d’essais proprement dit, le P.L.M. compte ses sous et, avec pingrerie, accepte tout au plus d’habiller des voitures classiques OCEM, dotées pour la circonstance de « jupes » de bas de caisse et de soufflets intégraux prolongeant les flancs de caisse. Cela leur donne un certain aspect flatteur et “moderne”, mais aussi cela vise à supprimer les turbulences d’air se produisant sous les caisses, autour des bogies, et entre les caisses. Le train est peint en bleu clair et bleu sombre et comprend les voitures A8yfi 536, B9yfi 5536 et B9yfi 5537, peintes en bleu wagons-lits pour le bas de caisse et gris clair au niveau des fenêtres, et en bleu clair pour les toits.



Il est vrai que, si le P.L.M. avait fait les frais de la construction d’intégrale d’une rame légère et articulée, avec des bogies d’inter-caisse, ou même des caisses en aluminium, les performances auraient été tout autres, et le gain de temps aussi. Mais, comme on dit “il faudra faire avec” des voitures qui sont de classiques et bien lourdes OCEM qui pèsent chacune leur bonne quarantaine de tonnes et dont les qualités de roulement sont ce qu’elles sont…
Des performances acceptables pour un petit prix.
Dès les premiers essais, d’après le très professionnel « Bulletin PLM », la vitesse de 156 km/h est soutenue entre Joigny et Sens avec le train d’essais de trois voitures. En service courant la vitesse de 140 km/h est soutenue sur certaines parties de la ligne, et celle de 130 km/h sur les autres parties moins favorables à la vitesse. Les 512 km séparant Paris de Lyon sont couverts en 5 heures, soit à une moyenne de 102 km/h, ce qui est remarquable par rapport aux trains ordinaires qui, à l’époque, demandent encore 7 à 8 heures.
D’après les ingénieurs de l’époque, le carénage permet de gagner une puissance de l’ordre de 120 ch à 120 km/h et de 190 ch à 140 km/h: il y a donc bien gain de vitesse et économie de combustible, car la locomotive carénée dégage un excédent de puissance, par rapport à la non carénée, de 164 ch à 100 km/h et de 261 ch à 140 km/h.
Mais il faut bien une voiture-restaurant pour ces messieurs affamés bien que travailleurs. La CIWL refuse la transformation d’une de ses voitures, et le PLM est bien obligé de faire avec les moyens du bord en transformant sa B9yfi 5537 dans laquelle on installe, tant bien que mal, une petite cuisine et des sièges avec leurs tables, plus un local servant de fourgon.

Les trains carénés en service courant.
Les essais sont concluants, et on passe à la mise en service des trains du service commercial formés de rames de quatre voitures. En 1936-1937, en plus de la 221 B 14, on modifie d’autres 221 A qui deviennent ainsi des 221 B, soit les N° 3, 8, 12, 15, 16 et 20. De même on procède à l’habillage de trois voitures A8 yfi OCEM à rivets apparents portant les numéros 546, 551 et 570, six B9yfi OCEM à faces lisses portant les numéros 5605, 5613, 5615, 5618, 5619 et 5623, et encore trois B9yfl OCEM à faces lisses portant les numéros 5607, 5616 et 5622, mais transformées en voiture-restaurant-fourgon.



La capacité de l’une de ces rames de quatre voitures est de 48 voyageurs en première classe, et de 142 en deuxième classe. A titre d’essai, l’une des rames a un conditionnement d’air prototype. Les voitures ont des portières modifiées pour donner des faces bien lisses. Les jupes de bas de caisse et un « tunnel » caoutchouté reliant les voitures entre elles et aussi au tender améliorent l’aérodynamisme. Les deux extrémités ovoïdes de la rame, de forme diminuent les tourbillons d’air à l’arrière du train. Le 22 mai 1937, les “Trains aérodynamiques” remplacent les fameux trains rapides 11 et 12 Paris- Marseille, mais leur capacité insuffisante commence à poser de sérieux problèmes, et le PLM utilisera, en 1938, des Pacific remorquant des trains classiques plus longs, ou deux rames carénées jumelées.
Après la guerre, tout le matériel caréné PLM retrouvera son aspect d’antan et reprendra le rang. La guerre, d’une part, et, d’autre part, le développement des autorails rapides et aussi de la traction électrique avec les 2D2 ne permettront pas de renouveler l’expérience qui, pourtant, aurait du être prolongée jusqu’à Marseille, permettant la relation Paris-Marseille en 8 heures. Les Marseillais auront à attendre encore un demi-siècle pour avoir, enfin, une liaison ferroviaire en 3 heures avec la capitale, avec l’arrivée des TGV !

Les caractéristiques techniques de la locomotive carénée PLM:
Cylindres haute pression : 370 x 650 mm.
Cylindres basse pression : 560 x 650 mm.
Surface de la grille du foyer : 2,98 m2.
Pression de la chaudière: 16 kg/cm2.
Diamètre des roues motrices: 200 mm.
Poids total: 75,8 t.
Puissance estimée : 1 700 ch.
Vitesse limite : 150 km/h.
Célèbre jusque chez les marchands de jouets.
Très connu à l’époque, le train caréné du PLM mérite d’être reproduit en jouet et la firme Hornby dévance ses concurrents en sortant le train quelques mois après la mise en service du vrai ! Toutefois, par rapport au modèle réel, il s’agit d’un jouet très simplifié, mais plein de charme comme Hornby sait faire.
En France l’histoire de la marque anglaise Hornby est un succès, mais qui repose sur le choix de trains typiquement français pour faire disparaître l’aspect “so British” des premiers trains importés d’Angeleterre, notamment en ayant recours aux trains du PLM. Après l’installation d’un point de diffusion « Meccano » avant la Première Guerre mondiale, la firme s’ installe en 1923 -24 au 78, rue Rébéval, dans le XIXe arrondissement , et la fabrication démarre dans les quatre étages de cet immeuble. Beaucoup de trains sont montés là avec des outillages anglais, tandis que d’ autres sont importés. La nécessité commerciale de créer des modèles purement français et fabriqués en France naît très rapidement et c’est dans la grande usine de Bobigny que ce désir se concrétise vers le début des années 30. Cette usine fabrique la série de trains bon marché type « M » qui deviendra le jouet populaire par excellence, et les fameux « Train Bleu » et « Flèche d’Or » qui seront les modèles les plus luxueux de Hornby pour l’époque. En 1934-35 de grandes nouveautés sortent, et marquent la fin du matériel de type anglais redécoré: il s’ agit bien de modèles purement français et de type français comme la série « 1 » avec sa locomotive à cabine coupe-vent type PLM, des wagons de marchandises assez exacts et immatriculés avec précision. Des signaux français sont fabriqués. Mais c’est surtout notre train caréné du PLM qui constitue la grande nouveauté pour 1937, car Hornby sait très bien exploiter ce que l’on n’appelle pas encore le « coté médiatique des choses », et le train du PLM est à la une de tous les journaux….
L’art de la simplification dans le monde du jouet comme déjà fait dans celui du PLM.
Sans nul doute Hornby, avec ce train, atteint un sommet dans l’art de simplifier les choses: en effet la marque parvient à faire un modèle très bas de gamme assez fantaisiste et qui, pourtant, a l’air d’un modèle haut de gamme précis.
La locomotive, d’abord: si, sur le réseau du PLM, il s’agit d’une 221, Hornby réussit à dissimuler le fait que, au lieu d’avoir 10 roues, la locomotive n’en ait que 4… grâce à la jupe formant le bas du carénage. Hornby réussit aussi, grâce à un sous-dimensionnement général, à donner l’impression que la locomotive est aussi longue qu’elle devrait l’être, alors qu’elle est très raccourcie. Le tender subit le même traitement.
Les voitures, ensuite: elles sont, elles aussi outrageusement raccourcies, n’ont que quatre roues et pas de bogies, et le bas de caisse cache astucieusement cette solution minimaliste… puisque, avec moins de quatre roues, même un jouet ne peut pas rouler.
Mais les enfants de 1937 et leurs parents n’ont pas ce regard de modéliste exigeant et se précipitent sur les superbes coffrets à la présentation flatteuse. Le succès commercial est grand, surtout pour la version électrique. Le train ne sera pas reproduit après la guerre, ce qui le rend assez rare sur le marché de la collection, bien qu’il n’atteigne pas une cote très élevée, étant un jouet malgré tout un peu trop bas de gamme.



Très intéressant article et bien documenté sur un sujet passionnant….On imagine Maurice Chevalier ou Arletty prendre ce train pour rejoindre les rivages ensoleillés…