Ramassage et dépose du courrier depuis le train en marche : plus vite que le facteur.

Voiture postale équipée d’un système de prise et de dépôt du courrier en marche, sur le réseau anglais du London & North Western Rly vers 1870. Le filet de réception est déployé pour happer le sac suspendu que l’on voit à gauche sur cette gravure d’époque, tandis que, aux pieds mêmes du cheminot, le sac à déposer est suspendu à son crochet.

Les relations entre le rail et la poste, toujours très tendues depuis les origines du chemin de fer, vont-elles s’améliorer en 1885, année où la France tente de mettre en place une solution très… expéditive du courrier ? Ce n’est pas certain, car ces deux services publics, tout aussi pressés et dévoués, le chemin de fer et la poste, s’accusent l’autre de faire perdre beaucoup d’argent et de temps dans la moindre gare où la dépose ou le ramassage d’un simple petit sac postal coûte cher quand il s’agit d’arrêter et de refaire partir un train lourd de quelques centaines de tonnes, mais aussi parce qu’un simple arrêt ne laisse guère le temps de faire le travail correctement.

Au moins un système de poste ferroviaire qui ne fait pas perdre de temps, si, toutefois, le cœur des lévriers tient le coup… le “Caniposte” belge est essayé en 1845 entre Ostende et Bruges. Noter le faux lapin empaillé placé sur une tige devant les chiens et qui est censé les motiver : chez les humains, dans les entreprises actuelles, on place une promesse tout aussi virtuelle d’augmentation du salaire.

Une vielle histoire que celle du courrier.

Depuis des siècles et des siècles, des coursiers, à pied ou à cheval, transportent les dépêches et parcourent des empires ou des royaumes, bravant risques et périls, quand le chemin de fer apparaît au début du XIXe siècle. À partir des années 1830-1840, il apporte enfin une solution satisfaisante à ce problème crucial. Si la malle poste, du temps des diligences, permet au courrier de Toulouse d’arriver à Paris en trois semaines et parfois un peu moins, d’un seul coup, avec le chemin de fer, ce même courrier mettra une vingtaine d’heures. Le train remplace, pour un même voyage, le nombre de jours par le nombre d’heures : bref, on se déplace vingt-quatre fois plus vite. Dans l’histoire de l’humanité, aucun moyen de transport, même celui fait par l’aviation par rapport au chemin de fer, ne connaîtra un tel bond en avant. La lettre, jadis, était attendue des semaines durant par une famille angoissée, arrive enfin d’une manière inattendue, quand les routes étaient dégagées, portée par un facteur fatigué par une immense tournée.  Avec le chemin de fer, la lettre est intégrée dans un courrier quotidien, immédiat, ponctuel, et elle est distribuée rapidement par un facteur accomplissant un trajet de complément que l’on n’appelle pas encore “le dernier kilomètre” (terme actuel) mais qui a sa dure réalité, surtout pour les régions à habitat dispersé. La gare est le centre du monde, et non seulement pour les voyageurs et les marchandises, et aussi pour ceux qui ne prennent pas le train ce jour-là, mais qui attendent des nouvelles d’un être cher.

Les Anglais, bien entendu là, toujours pour trouver des solutions originales.

Inventeur du train postal, le Royaume-Uni l’utilise dès 1844 sur la relation Londres – Twyford, et adopte peu après un système de ramassage et de dépose des sacs de courrier en marche. Il s’agit de parfaire l’organisation du courrier, notamment officiel et royal, du pays qui, à l’époque, est le premier du monde par son organisation et ses services publics, et qui possède un empire colonial sur lequel « le soleil ne se couche jamais ».

Les États-Unis, eux, connaissent, dans un pays où souvent règne la violence, les voitures postales blindées «anti burglar and collision», c’est-à-dire de véritables coffres-forts sur roues capables non seulement de résister aux voleurs comme Jesse James ou les Dalton, mais aussi aux collisions qui sont fréquentes sur les voies de l’ouest… Il ne fallait pas, en cas d’accident, se trouver dans la voiture précédant un tel wagon dont le poids considérable lui permettait de continuer sa route grâce à son élan, pulvérisait tout le train accidenté et immobilisé devant lui !

La France est, elle aussi, un des pays les plus développés du monde et les réseaux ferrés français de la Monarchie de Juillet au Second empire se mettent à la voiture postale et inaugurent une grande tradition de ponctualité et de fiabilité. Le transport du courrier, avec l’achèvement du réseau des grandes lignes, est devenu très organisé, et pratique la distribution le lendemain ou le surlendemain de la dépose. On peut compter sur le train, et sur son « wagon poste », comme on disait à l’époque. Le beau rouge sombre de ces voitures postales tranche avec le vert des voitures à voyageurs, et marque, en tête des grands trains du XIXe et du XXe siècle une présence très voyante, juste derrière le tender de la locomotive : ces voitures doivent cette position au fait qu’elles sont intégrées au train à la toute dernière minute précédant le départ.

Interdit aux voyageurs, mais encouragé pour le courrier : monter ou descendre en pleine vitesse !

Sans doute, bien des lecteurs actuels de ce site “Trainconsultant” seront intéressés et amusés de découvrir une pratique assez surprenante du ramassage ou du largage du courrier, ceci en pleine vitesse, mais oublié et pas, Dieu merci, avec les TGV ! Encore que… pour gagner du temps sur le temps et donner au train des idées d’avance : l’idée de larguer les hommes d’affaires pressés par un système de filets et de parachutes pourrait être étudiée par la SNCF, comme celle de leur ramassage dans les gares franchies sans arrêt ?… La Revue Générale des Chemins de Fer (RGCF) d’avril 1885 y consacre un article très important, car ce système fait, à l’époque, l’objet d’une application en France sur le réseau de l’Est, installé à Pont-sur-Seine, sur la ligne de Paris à Belfort.

Ce système est l’œuvre de Messieurs Trottin, ingénieur des Postes et Télégraphes, et Parent, ingénieur des chemins de fer de l’État, selon la RGCF. Notons que le système est installé sur le réseau de l’Est. Mais il y avait, entre les anciens réseaux privés, de nombreux exemples d’échanges techniques., ont conçu ce système qui utilise force sonneries électriques d’avertissement, leviers, contrepoids, rondelles de caoutchouc, articulations, coulisses, fourches pivotantes, filets, courroies… bref tout un équipement complexe et lourd qui donnerait la chair de poule à un ingénieur de la SNCF d’aujourd’hui.

Le ramassage du courrier en France, sur le réseau de l’Est, en 1885, d’après un document du Musée de la Poste. Il n’y a pas de filet de ramassage, mais une simple perche qui, avec le mouvement du train, s’engageait dans l’anneau coiffant le sac à prendre. Il fallait que le système soit bien réglé !
Le système de la photographie ci-dessus illuistré par un excellent dessin technique paru dans la RGCF de 1885.
Le système dit “anglo-américain” paru, lui aussi, dans la RGCF de 1885. Nous n’avons aucun document américain sur ce système et le wagon illustré plaide pour un modèle de type purement anglais. Noter le très joli terme de « Appareil à échanger les dépêches sans arrêt des trains ».

Il s’agit d’une curiosité aujourd’hui oubliée que cette technique du ramassage et du dépôt du courrier alors que le train est en train de rouler à pleine vitesse. Bien sûr, il ne faut pas expédier d’œufs frais par ce système très rapide et efficace. Pourtant, les sacs postaux pleins de lettres voyagent très vite s’ils tiennent le coup – pardon « font preuve de résilience» comme il faut dire actuellement en ces temps de pandémie.

L’idée est simple et astucieuse, et messieurs Trottin et Parent ont bien transposé cette idée à partir de réalisations anglaises et américaines. Les compagnies anglaises l’adoptent dès la deuxième moitié du XIXe siècle. Il comprend d’une part, des installations fixes au sol, et, d’autre part, un équipement spécial sur une voiture postale. Au sol, on trouve un mat doté d’un crochet rectangulaire, orienté dans le sens de la marche du train. Au pied du mât se trouve un vaste filet soutenu par un cadre en bois à la manière des buts de football. Sur la voiture postale se trouve un crochet, situé au niveau du châssis, orienté vers l’arrière du train, et un panier rétractable ou un système de filet rétractable soutenu par un cadre. Messieurs Trottin, diligent ingénieur des Postes et Télégraphes, et Parent, ingénieur des chemins de fer de l’État, ont conçu ce système qui utilise force sonneries électriques d’avertissement, leviers, contrepoids, rondelles de caoutchouc, articulations, coulisses, fourches pivotantes, filets, courroies… bref tout un équipement complexe et lourd qui donnerait la chair de poule à un ingénieur de la SNCF d’aujourd’hui.

La pratique britannique du ramassage en marche à l’époque.

Tous ces systèmes reposent sur un principe technique commun. Le sac de courrier à déposer en marche est accroché, par son anneau, au crochet de la voiture postale et il est accroché, au passage du train, par le filet situé au sol, près du mât. Il tombe dans le filet. Le sac de courrier à prendre en marche est accroché au sommet du mât fixe, et il est happé au passage par le filet de la voiture postale. Le filet a été déployé par le postier, puis est replié après une fois le sac dans le filet. Le système est utilisé initialement par un très grand nombre de compagnies britanniques, et il permet un ramassage ou une dépose du courrier à des vitesses s’élevant jusqu’à 60 mp/h, d’après les revues anglaises d’époque, soit environ 96 km/h, ce qui est quand même très rude pour les sacs postaux et leur contenu… Il a été progressivement abandonné entre les deux guerres, sans doute du fait des progrès effectués par le ramassage et la distribution du courrier grâce à des camionnettes automobiles regroupant lettres et colis dans de grands centres de tri des gares principales.

Vue rapprochée du système britannique de ramassage et dépose du courrier en marche, vu vers 1890.
Le garde veillant à ce que tout se passera bien après avoir accroché le sac… Notons qu’il ne peut jouer aucun autre rôle, sinon que celui d’aller chercher le sac déposé s’il atterrit à côté du filet au sol.
Le système illustré ici, du moins, quand tout va bien. Nous n’avons jamais trouvé de photographie du cas où tout se passe mal ! Assez violent et très destructeur, ce système demande des sacs très « résilients » comme on dirait aujourd’hui, car, même si le train ralentit, le choc est rude.

La marée de Boulogne utilise ce système, mais pas pour le transport du poisson.

Ne sourions pas devant ces excentricités anglaises. Et, relisons la RGCF, cette fois, en 1934. En 1933 la marée de Boulogne, le premier port de pêche français, demande cinq trains complets par jour, soit 36 000 tonnes par an, expédiés entre 13 h 20 et 16 h 20 précisément pour pouvoir bénéficier des meilleurs sillons horaires disponibles et parvenir rapidement sur les réseaux de l’Est, du PO-Midi et du PLM pour ceux qui poursuivent leur route au-delà de Paris. Le problème est que le nombre de colis de poisson dépasse 5 000 par jour, atteint même 6 000, et que chaque colis demande des pièces d’écriture et de comptabilité. Ces documents sont acheminés dans le fourgon d’un train rapide quittant Boulogne en soirée. Mais le report du départ de ce train de Boulogne à Calais en 1934, et la difficulté matérielle d’arrêter ce train rapide pour le simple ramassage d’un sac postal à Boulogne conduisent le réseau du Nord à adopter le système anglais de ramassage en marche.

Ls système de ramassage en marche à Boulogne, à partir de 1933. Noter l’existence d’au moins un fourgon Nord tout acier, type grandes lignes, équipé pour ce service.
Le système Nord de ramassage en marche comprend deux poteaux et permet le ramassage de deux sacs postaux dans le même fourgon.

Implanté à Boulogne même, le système au sol comprend deux mâts espacés de 15 mètres l’un de l’autre, ce qui permet de ramasser deux sacs à la fois. Deux fourgons Nord équipés spécialement pour ce ramassage ont un panier à carcasse en acier garni d’un filet en cordelette, panier disposé à demeure devant l’une des quatre portes. Manœuvré à bras d’homme par deux poignées, le panier peut pivoter sur son axe inférieur et dépasser du fourgon par la porte ouverte. Les sacs sont confectionnés en cuir épais, et, vides, pèsent déjà 5,7 kg. Solides, ils doivent résister au choc de la chute dans un panier à 30 km/h, mais aussi protéger les dépêches contenues.

La grand époque du « PAZ 500 » : le courrier à l’heure.

Voilà un « Wagon poste », selon le terme d’époque, très typique du chemin de fer français. Cet ambulant de 20 mètres a été incorporé dans l’ensemble des grands trains rapides à partir des années 20 et jusqu’aux années 1990. Sa caisse rivetée, son toit à lanterneau, sa couleur rouge sombre et ses marquages jaune vif lui donnent un charme qu’il ne perd avec sa nouvelle livrée jaune «La Poste» des dernières années de sa carrière.

Le PAZ-500, le wagon-poste le plus emblématique des réseaux français, construit par l’Office Central d’Etudes de Matériel (OCEM) à partir de 1926.

Au lendemain de la guerre de 1914-1918, le parc de voitures postales est jugé trop ancien avec ses caisses en bois qui deviendront incompatibles avec les nouvelles voitures tout acier que projettent les compagnies privées. L’administration des postes décide de tout renouveler. L’Office Central d’Études du Matériel, organisme commun à un certain nombre de réseaux de chemin de fer français, vient d’être créé et lance des études de matériel entièrement métallique à partir de 1922-23. Les premières voitures postales «OCEM» sortent à partir de 1926, et pas avant, faute de crédits… ce qui a prolongé d’autant la situation de risque pour le personnel utilisant encore les voitures à caisse en bois. Ces lourdes voitures métalliques s’intègrent bien dans les rames des voitures OCEM composant les grands trains d’alors, et sont bien de véritables bureaux ambulants de grandes dimensions.

Longs de 21,57 m ou de 21,67 m selon les séries, ces 382 « ambulants » sont les plus nombreux du parc et les plus connus. La construction est rivée et faite à partir de fers plats et de profilés. Le toit à lanterneau vitré permet d’éclairer un véhicule dont les fenêtres sont rares et restreintes du fait de la présence de casiers tout le long des parois internes. Une plate-forme de chargement de 6,5 m², des lavabos, des WC complètent la salle de tri de 13, 87 mètres. Un système de chauffage autonome équipe la voiture dans la mesure où celle-ci doit rester de longues heures en stationnement, isolée sur une voie de service, et attendant sa mise en tête de son train qui se fera peu avant le départ.

Des tables longitudinales supportent les casiers de tri et l’on peut accrocher les sacs à leur bord. Des selles escamotables sous les tables permettent aux agents de travailler assis, à condition de bien poser ses pieds au sol en position écartée pour assurer sa stabilité, mais les conditions de travail restent difficiles et la fatigue gagne le dos : il faut trier rapidement les lettres tout en étant très secoué, et dans des conditions de bruit ou de manque de place parfois éprouvantes. Les huit tonnes de courrier doivent être triés en quelques heures de stationnement et de trajet.

L’organisation du travail dans un « ambulant ».

Le personnel est réparti dans de ce que l’on appelle des « brigades » d’une dizaine à une vingtaine d’agents, chaque brigade ayant son chef. L’importance de la brigade est fonction du volume du courrier, ce volume correspondant au nombre de départements desservis en cours de route. Le service débute en fin de soirée : les agents, appelés, eux aussi, « ambulants » comme leur voiture postale, ont quitté leur domicile vers 18 h ou 19 h et prennent place à bord de l’ «ambulant » après avoir mis leur tenue de travail. Les agents prennent possession de ce qu’ils appellent des « chantiers », c’est-à-dire des différents espaces affectés à chaque tri : envois ordinaires, recommandés, presse, etc. Les sacs sont identifiés par la couleur de leur col : blanc pour le courrier ordinaire, rouge pour les recommandés ou les envois à valeur déclarée.

Chaque case reçoit un « masque » de carton, ou disons une étiquette indiquant les communes, départements, ou villes, dans le cas du courrier au départ de Paris vers la province (dit « service descendant ») et le tri consiste à ouvrir les sacs, et à en répartir le contenu dans les cases correspondantes aux destinations. Les cases sont ensuite vidées dans des sacs. Souvent le travail se fait pendant plusieurs heures en gare, l’ « ambulant » étant sur une voie de service et attendant son train, mais il se poursuit durant le trajet et doit impérativement être terminé avant l’arrivée.

Le travail du tri dans un wagon-poste ou “bureau ambulant” ou “ambulant”: pénible, intense, il ne laisse pas le temps d’admirer le paysage, surtout parce qu’il se fait de nuit sur la majeure partie du trajet.

Ce qui aurait pu être la fin d’une belle histoire.

L’époque des PAZ-500 aurait pu être la fin d’une belle histoire, celle de la Poste et du rail, unis depuis plus d’un siècle. Le réseau ferré français reprend, à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale, un lent, mais inexorable processus de fermetures de lignes secondaires commencé entre les deux guerres, et la victime, outre les voyageurs et les marchandises condamnés à la route et à ses incertitudes, sera bien aussi le courrier : faute de train, le courrier redécouvre la route, parée des charmes de l’automobile désormais.

Ancienne voiture postale du réseau du Nord, datant de 1911.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale on pensait cependant que les relations à grande distance entre les agglomérations importantes resteraient attachées au rail, et l’administration des postes va jusqu’à commander des voitures postales neuves pendant les années 1970. Mais le processus continue et la plus grande souplesse des transports routiers, les bas salaires des conducteurs de camions et les bas coûts qui y sont liés, la très forte baisse du prix du transport aérien, la mise en place de systèmes de tri automatisés et très rapides, voilà tout ce qui se conjugue pour réduire la part du rail. Aujourd’hui, il n’y a plus de tri en cours de route. Ainsi, il n’y a plus d’ « ambulants », et les derniers transports par rail se font par conteneurs, notamment grâce aux trois TGV postaux. Le TGV est ainsi venu sauver beaucoup plus de magnifiques traditions ferroviaires que l’on ne le suppose : si le TGV maintient en vie des lignes secondaires pour des parcours de prolongement ou de correspondance, il maintient aussi, et on l’oublie souvent, le transport du courrier par le rail. Et, même, comme on peut le livre dans ce numéro de la RGCF, le chemin de fer et La Poste, ont encore des promesses d’avenir à échanger.

Chargement d’une allège postale dans les années 1950-1960. Contrairement à la voiture-postale transportant des employés qui trient le courrier en cours de route, l’allège ne transporte que du courrier, sans la présence d’aucun employé et reste considéré comme un simple wagon.

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