Atmosphère ? La “gueule” d’Arletty, oui, mais les locomotives aussi.

« Atmosphère!…Atmosphère!…Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? » disait Arletty dans une immortelle réplique du film de Marcle Carné “Hôtel du Nord” qui a marqué l’histoire du cinéma. Mais le chemin de fer, bien avant le cinéma, s’intéressait à la question de la traction utilisant l’atmosphère (comme on disait à l’époque pour le vide) et dès le début du XIXème siècle on voit de nombreux ingénieurs proposer des projets de “chemin de fer atmosphérique”. Certains furent réalisés, mais on ne peut pas dire que les performances aient été à l’ordre du jour.

Et pourtant l’idée est très “moderne” et correspond tout à fait à la démarche que seule la traction électrique pouvait réaliser : installer au sol la production d’énergie et la transmettre à une locomotive par un rail conducteur posé sur la voie ou un fil de contact tendu au-dessus. Le raisonnement, très logique, est de dire que, puisque l’on construit obligatoirement une voie de chemin de fer pour que des trains roulent, pourquoi ne pas, aussi, confier à cette voie le transport de l’énergie nécessaire au roulement du train ?

On éviterait ainsi à la locomotive à vapeur, qui produit elle même son énergie et qui doit transporter, avec elle, le lourd “sac à dos” des réserves en eau, en charbon, pour la produire. Elle est handicapée par ce poids mort, mais elle est le seul mode de traction viable au XIXe siècle, puissant, simple, fiable, et le chemin de fer fera naître autour de lui toute une civilisation, celle des usines de la Révolution industrielle, et de la mise en valeur de continents nouveaux comme l’Amérique du Nord ou la Russie.

La gare d’Exeter, au Royaume-Uni, bénéficiant, si l’on peut dire, d’un système de traction atmosphérique essayé par l’ingénieur Brunel en 1845, et, comme il se doit, en voie large de 7 pieds et 1/4 de pouce (2140 mm). Si la voie large dura plus d’un demi siècle et presque sur l’ensemble du Great Western anglais, ce système atmosphérique fut rapidement abandonné.

Une singulière parenté avec la traction électrique.

Dans les deux cas, la traction atmosphérique comme la traction électrique actuelle, l’énergie n’est pas produite à bord de la locomotive, mais est produite en un lieu fixe et par conséquent nettement distincte du piston à vide atmosphérique ou du moteur électrique, qui se déplace avec le train. L’énergie est transmise au moteur atmosphérique par un tube pour la traction atmosphérique, et, pour la traction électrique actuelle, par un rail conducteur supplémentaire ou une caténaire aérienne. Les machines pneumatiques qu’il fallait multiplier le long de la ligne pour assurer une énergie à peu près constante en traction par le vide jouent le même rôle que les sous-stations d’une ligne électrifiée. L’analogie est étonnante, et vraie. Mais le grand avantage de la traction électrique est, pour le moins, tout risque de fuite d’air, et aussi une capacité étonnante de transmettre la puissance motrice avec un rendement que la traction atmosphérique ne pourra jamais atteindre.

La traction “atmosphérique” est bien, dans sa démarche, une sorte d’électrification, visant à débarrasser le chemin de fer de la locomotive à vapeur qui est lourde, peu puissante par rapport à son poids, pénible à conduire, longue à mettre sous pression, gourmande en charbon, bruyante, sale. Un grand nombre d’inventeurs, ayant déjà compris ces problèmes avec un siècle d’avance, ont tenté d’offrir une alternative à la locomotive à vapeur. Mais ils n’y arriveront pas, et le moteur électrique, puis le moteur diesel seront, beaucoup plus tard, une alternative efficace.

Faute de mieux, l’utilisation de l’air a pu se faire surtout sous la forme d’une transmission pour les locomotives diesel, mais aussi sous deux formes que l’on confond souvent, l’air comprimé (qui ne fait que déplacer le problème puisqu’il y a une réserve énergétique à bord de la locomotive), et le vide (où, comme en traction électrique, il n’y en a pas).

En Allemagne, en 1930, quand les locomotives diesel deviennent puissantes, le problème de la transmission se pose rapidement. Avant la transmission électrique, lourde et chère, on essaie la transmission par l’air comprimé dans des cylindres de type vapeur. Ce n’est pas, ici, une locomotive à vapeur que l’on voit, mais bien une locomotive diesel.

La traction par air comprimé.

L’ingénieur français Antoine Andraud (1759-1865), qui estimait que «la vapeur coûtait cher et qu’elle nous manquerait nécessairement un jour» (car il croyait, comme beaucoup d’esprits éclairés de son temps, à l’épuisement rapide des ressources en charbon) expérimente, le 9 juillet 1840, à l’atelier parisien de Chaillot, une voiture à air comprimé sur rails. Techniquement, la locomotive à air comprimé est une locomotive à vapeur, mais sans foyer, et sans chaudière tubulaire, mais dont elle a bien le châssis, les cylindres, le mécanisme moteur.


Prévoir, dès cette époque, le jour fatal où les mines ne fourniraient plus un gramme de charbon, c’était peut-être agir avec une excessive prudence… et, aujourd’hui, au début du XXIe siècle, on sait que les réserves mondiales sont loin d’être épuisées, même si, pour d’évidentes raisons écologiques, il vaut mieux renoncer au charbon. L’invention de la locomotive à air comprimé n’en est pas moins digne d’intérêt et l’air comprimé devait, par la suite, trouver plusieurs applications, notamment pour les évolutions de locomotives sur des aires où tout feu est interdit du fait d’activités chimiques. Mais Antoine Andraud était un homme avisé.


Pour en revenir aux années 1840, la machine à air comprimé d’Andraud rappelle, la cheminée en moins, la silhouette des locomotives à vapeur de l’époque. Sur un châssis à six roues avec un essieu moteur encadré par deux essieux porteurs, se trouve à la place de la chaudière, mais d’un aspect identique, un réservoir de trois mètres cubes renfermant de l’air comprimé à 20 kg/cm2. Le 21 septembre 1841, premier jour des essais, la locomotive parcourt 3.400 mètres, atteignant une vitesse de 32 kilomètres à l’heure.

Les expériences s’effectuent sur le chemin de fer de Paris à Versailles RG, dont les dirigeants, traumatisés par la catastrophe de Meudon, trouvent qu’une locomotive sans foyer sera plus sure, en cas de déraillement, et sans risque d’embraser le convoi renversé derrière elle, comme cela s’était produit le 8 mai 1842. Toutefois, la machine, dont la réserve d’air comprimé, trop faible, n’assurai[ pas une autonomie assez grande, n’est pas retenue.

La locomotive à air comprimé trouve alors un succès plus durable dans certains chantiers, en particulier pour la construction des tunnels, où la petitesse du rayon d’action était par contre largement compensée par l’absence de fumée. En 1882, le chemin de fer aérien de New-York expérimente une machine à air comprimé plus perfectionnée due à Robert Hardie.


Le très futuriste et ingénieus métro “atmosphérique” de New-York, système Hardie, à air comprimé, vu vers 1890. Vraisemblablement il s’agit d’un “wagon-piston” fonctionnant soit par air comprimé, soit par le vide, dans un tunnel à section circulaire, selon le système essayé à Syndenham en Angleterre.
Le système Rammel essayé à Syndenham, en 1860, au Royaume-Uni. Un “wagon-piston” est aspiré par dépression dans le tunnel dont les portes de sortie sont fermées… et ouvertes juste à temps, peut-on l’espérer, pour que le wagon en question puisse poursuivre sa course à l’extérieur su l’erre, avec l’espoir de rouler quelques kilomètres, pas plus. Derrière le “wagon-piston”, sur cette illustration, on voit une partie de la machinerie à faire le vide.

L’ingénieur français Louis Mekarski, spécialisé dans cette forme de traction appliquée aux tramways, réalise pour la ligne électrique de Paris-Invalides à Versailles une motrice qui marque un incontestable progrès dans la technique de l’air comprimé. Des réservoirs d’air, d’une capacité totale de deux tonnes sous une pression de cent kilogrammes par centimètre carré, alimentent un moteur bicylindre compound disposé sur chacun des deux bogies. Le réchauffage de l’air est assuré par deux bouillottes de 2260 litres chacune, contenant l’eau et la vapeur à une pression de 18 kilogrammes par centimètre carré. En 1901, lors de l’ouverture de la ligne, ces motrices construites à deux exemplaires passent le plus clair de leur temps à attendre vainement, pour entrer en service, la panne de courant qui aurait immobilisé leurs collègues électriques, ce qui, d’ailleurs, ne se produisit que très rarement….  L’air comprimé, qui n’avait jamais réussi à s’imposer comme mode de traction par le manque d’autonomie, la lourdeur et la complexité des installations de compression en bout de ligne, fut alors pratiquement abandonné.

Motrices de tramway système Mékarski en attente place de l’Etoile à Paris en 1892.

La traction par le vide : les bonnes idées de George Medhurst.

La traction par le vide semble offrir un certain nombre d’avantages sur le plan de la propreté, du silence, de l’absence de réserve d’énergie sur la locomotive, et elle est essayée, elle aussi, dès les débuts du chemin de fer. Le principe du moteur est, cette fois, de ne pas pousser directement un piston avec de l’air sur sa face arrière (comme on le ferait avec de la vapeur), mais bien au contraire, d’aspirer le piston en aspirant l’air en avant de ce piston pour que la pression atmosphérique agisse sur la face arrière du piston. Plus le vide sera fort, plus la pression atmosphérique agira, du côté opposé, sur le piston qui se déplacera.

L’ingénieur danois George Medhurst (1759-1827) est généralement considéré comme l’inventeur de ce système fort simple. Son principe est de remplacer le cylindre par un long tube disposé au milieu de la voie. On relie par une tige le piston au châssis de la voiture de tête d’un train. Le déplacement du piston entraîne le train.

L’emploi de la pression atmosphérique comme moyen de traction est en effet clairement exposé dans un mémoire « Nouvelles méthodes pour transporter des effets et des lettres par l’air », qu’il publie en 1810. Toutefois, l’Autrichien Von Ghega, dans son ouvrage sur les progrès des chemins de fer, édité à Vienne en 1852, en attribue la paternité, dès 1805, à un certain Taylor de Manchester, ce qui est possible, car il est bien connu que quand une invention « est dans l’air du temps », c’est-à-dire peut répondre à un problème technique ou à un besoin assez répandu, de nombreux inventeurs indépendants les uns des autres se mettent au travail et peuvent trouver, en même temps, une solution. Il n’en reste pas moins certain que l’idée est diffusée par Medhurst, qui, en plus du mémoire cité, en consacra deux autres à cette question. Et le dernier écrit en 1827 est intitulé « Nouveau système de transport et de véhicule par terre pour les bagages et les voyageurs », et il est assez précis dans l’application du nouveau système pour susciter des réalisateurs.

Medhurst prend son brevet en 1810, pour déposer l’idée d’un chemin de fer à très petit écartement destiné à l’acheminement du courrier à l’intérieur d’entreprises ou dans des ateliers. Un petit véhicule circule sur des rails en étant relié à un piston circulant dans un tube et aspiré par le vide crée par une pompe. Le seul problème technique, et il restera prépondérant pendant toute l’aventure des chemins de fer atmosphériques, est celui de la liaison entre un pistion, prisonnier dans un tube à vide, et le véhicule roulant parallèlement à ce piston, mais situé à l’extérieur du tube. Medhurst est bien obligé de ménager une fente longitudinale tout le long du dessus du tube, de manière à ce qu’une tige de liaison, boulonnée au piston à l’intérieur du tube, puisse entraîner le chariot placé à l’extérieur. Seulement il se pose la question de ne pas laisser cette fente ouverte sur toute la longueur du tube, et par laquelle l’air extérieur s’engouffre, réduisant à néant le vide. Aucun système ne sera satisfaisant, surtout avec les techniques de l’époque, comme des lèvres de cuir plaquées par la dépression, mais écartées au passage par la tige du piston en mouvement – comme une fermeture-éclair.

En 1865, le duc de Buckingham s’expose aux risques subis par un sac postal en voyageant sur le chemin de fer postal souterrain de Londres, établi en voie étroite et en tunnel, selin les principes de Medhurst. Recommandé avec AR, et “suivi”, ce courrier arriva à bon port. Ce chemin de fer existe toujours, mais sous une toute autre forme, notamment en matière de traction.

Et pourtant Medhurst est inventif et réfléchit… Il parvient, en puisant l’idée dans les laboratoires de chimie où l’on se sert d’une surface d’eau au repos ou empêcher un gaz de s’échapper d’un tube à essais, à résoudre le problème en retournant le tube pour que la fente soit en bas, et en aménageant une surface d’eau au sol, sous le tube partiellement immergé dans de l’eau, ce qui assure l’étanchéité. La tige ressemble alors à un point d’interrogation à l’envers, sortant du tube par le dessous, et s’incurvant vers le haut pour sortir de l’eau et entraîner le chariot. Inutile de dire qu’un tel système, utilisant un faible poids d’eau qui n’est pas sous pression, ne peut retenir quoique ce soit, et empêche nullement l’eau d’être aspirée par le vide et de monter dans le tube !

Une poêle à marrons ambulante !

Les deux ingénieurs Clegg et Samuda étudient un chemin de fer atmosphérique assez perfectionné pour l’établir, en 1842, sur les 2.700 mètres qui séparent Kingstown de Dalkey en Irlande, et le tube a bien sa fente à sa partie supérieure, ignorant donc le dernier perfectionnement de Medhurst. Deux lèvres en cuir doivent refermer la fente après le passage de l’unique voiture à voyageurs circulant sur la ligne, ceci au moyen d’un vigoureux collage à la cire chaude opéré par un rouleau d’appui placé sur le véhicule et muni d’un petit fourneau itinérant surveillé et activé par un des accompagnateurs! Bref, le tout tient, techniquement, de la poêle à marrons ambulante des marchands au coin de la rue…

En 1842, le chemin de fer atmosphérique irlandais en gare de Kingstown (Dublin) semble, du moins le jour de son inauguration, rencontrer un succès d’estime.

L’Angleterre suit l’exemple avec un système tout à fait comparable, et en reliant  Londres à Croydon. Pendant ce temps, les ingénieurs Hallette et Hédiard, en France, travaillent sur la question et cherchent d’ultimes perfectionnements au système, tandis qu’Arago, le 4 juillet 1844, demande devant la Chambre l’essai du chemin de fer atmosphérique.

« Cette suggestion aurait dû éveiller quelque réticence, mais notre pays ne pouvait marquer plus longtemps un retard sur le terrain scientifique » note la presse de l’époque, et une loi, votée le 5 août 1844, décide la création d’un chemin de fer atmosphérique entre Nanterre et le plateau de Saint. Germain.


Arago, certes un savant astronome, n’atteindra jamais une gloire fondée sur de remarquables découvertes dans son domaine de prédilection, mais n’a pas plus de chance avec les chemins de fer. Il s’était déjà opposé publiquement à la création de tunnels en prédisant aux voyageurs « fluxions de poitrine et pleurésies », sans compter le danger aggravé des explosions de chaudières dans un espace limité – ce dernier point n’étant pas totalement dénué de fondement, les tunnels aggravant considérablement les effets du moindre accident pour en faire une catastrophe.

Mais revenons au chemin de fer atmosphérique. « Maintenant que, de toute son éloquence, il réclamait un chemin de fer au lieu de le combattre, il était permis de se demander comment ce chemin de fer contredirait le savant » écrit un journaliste qui ne devait pas être précisément un de ses amis…



Les partisans du système voient dans son application une économie sensible réalisée dans l’exploitation d’une ligne ainsi équipée, le vide nécessaire dans le tube ne demandant que la mise en action de pompes aspirantes assez puissantes. D’autre part, les locomotives incapables de gravir les rampes au delà dépassant une certaine valeur que l’on estimait en général à 20 pour mille, seraient avantageusement remplacées par ce système, qui devait « vaincre les déclivités les plus rudes ».


A ce propos, il fallait convenir que le nouveau trace était bien choisi puisqu’il devait atteindre enfin, par une voie en déclivité de 35 millimètres par mètre, la ville de Saint- Germain prudemment ignorée en 1837 avec la construction d’un terminus établi au Pecq, en bas de la rampe qui terminera donc la ligne.

La construction épique de la ligne du Pecq à St-Germain.

L’Etat accorde une subvention de 1 790 000 francs, auxquels s’ajoutent 200 000 francs remis par la ville de Saint-Germain, heureuse de voir enfin le chemin de fer et, partant, la civilisation et le chic parisien, accéder jusqu’à elle. Les travaux commencent; mais, comme la section assez plate de Nanterre au Vésinet, comparable aux tracés des chemins de fer atmosphériques irlandais et anglais, n’aurait apporté aucun élément nouveau à l’expérience, il fut décidé de réaliser la seule partie vraiment utile puisque jugée impraticable aux locomotives, c’est- à-dire l’intervalle de deux kilomètres et demi entre le pont de Montesson et Saint-Germain.

La ligne de Paris à St-Germain, vue vers 1850. La rampe du Pecq à St-Germain occupe le dernier tronçon sur la gauche du dessin.

Mais, sur le tracé abandonné par la traction atmosphérique et sur lequel les locomotives ordinaires devaient continuer leurs bons offices, deux machines fixes de deux cents chevaux chacune, destinées à manœuvrer des cylindres pneumatiques pour faire le vide, n’en avaient pas moins été placées, l’une à Nanterre, l’autre à Chatou. Ce qui faisait dire à un ouvrier de l’entreprise, devant lequel on regrettait l’inactivité de ces machines : « Au moins, elles ne chauffent pas et ne mangent pas de pain : que peut-on leur reprocher? ». Sans doute l’expression « ça ne mange pas de pain » est née là…

 
Le 1er mai 1846, date primitivement prévue pour l’inauguration, les tubes ne sont pas encore livrés et il faut, finalement, attendre le 14 août 1847 pour la ligne soit ouverte à la traction atmosphérique et pour que, enfin, St-Germain soit reliée à la civilisation.

Les « appareils aspiratoires » à vapeur sont ruineux…

L’exploitation de la ligne se révèle peu économique. Déjà, plus de six millions ont été engloutis dans les travaux. Si les cylindres pneumatiques qui aspirent l’air dans le tube propulseur avaient été commandés par une chute d’eau, le système aurait pu devenir avantageux malgré de fortes dépenses de premier établissement Ce n’était pas le cas, et les « appareils aspiratoires » (terme d’époque) disposés en haut de la ligne, sur le plateau de St-Germain, sont manœuvrés par de puissantes machines a vapeur. Le tout est installé dans un bâtiment qui, avec sa haute cheminée de briques, ressemble à une véritable usine.



Une vue, partielle, des énormes machines installées à St-Germain pour créer le vide nécessaire, comme le montrent les personnages présents sur ce dessin. Six chaudières fonctionnent toute la journée pour maintenir une dépression utilisée à chaque mouvement d’un train pendant 3 minutes.

Il faut maintenir la pression dans les six chaudières toute la journée pour, à chaque heure, mettre en action les pompes pendant les trois minutes nécessaires à la montée d’un train. Quant au système atmosphérique proprement dit, c’est-à-dire le tube propulseur placé entre les rails, il a un grave défaut mécanique, celui, toujours et ici encore, de posséder la fameuse rainure au sommet pour laisser passer la barre de connexion qui rendait le piston solidaire de la voiture directrice.


La rainure est bien refermée, en avant et en arrière de la barre, sur toute la longueur du tube, par une soupape formée de bandes de cuir recouvertes de clapets métalliques que des galets de diamètres croissants disposés dans l’axe longitudinal du piston écartent et soulèvent au fur et à mesure de la marche, mais ce dispositif ne pouvait assurer une étanchéité parfaite. En outre la graisse nécessaire à la bonne conservation des lèvres en cuir fermant la rainure longitudinale est un régal pour les rats qui viennent, des alentours, se livrer chaque nuit à un festin, bénissant ce progrès nouveau apporté par le chemin de fer…

La voiture-motrice de St-Germain : noter lé présence, sur la droite, du “chauffeur” à tous les sens du terme puisqu’il chauffe la cire pour la faire fondre et coller les lèvres en cuir de la fente du tube !
Le principe du chemin de fer atmosphérique, selon le traité de Perdonnet : en rose la partie mobile (châssis du wagon et son piston dans le tube), en violet la partie fixe (rail et tube).Tout le problème est à la fermeture hermétique du tube en violet, dessin du bas) après le passage du piston. Il ne sera jamais résolu d’une manière fiable.
De nombreux systèmes de clapets, de vannes, sont nécessaires pour établir ou suspendre la présence du vide dans le tube, notamment aux passages à niveau, appareoils de voie, etc. Des systèmes d’enclenchement mécaniques sont nécessaires et viennent compliquer encore plus un système déjà peu fiable.

La seule solution est de supprimer la rainure. Pour cela il aurait fallu faire du tube … un tunnel, c’est-à-dire l’agrandir pour que le train puisse circuler à l’intérieur, l’avant de la voituré motrice, doté d’un disque épousant la forme du tube ou du tunnel, formant piston. Un tel chemin de fer est d’ailleurs bel et bien réalisé en 1865, à Londres, par l’ingénieur Rammel avec une voiture-piston circulant sur la courte distance de l’Arsenal au palais de Sydenham. Il ne fut jamais plus qu’une attraction.

Une longue liste d’imperfections et de déceptions.

La rainure obligatoire du tube n’est d’ailleurs pas le seul inconvénient du chemin de fer atmosphérique. Il y en avait d’autres qui appelaient des solutions compliquées. Il était ainsi impossible d’établir un embranchement sans prévoir en même temps la machine pneumatique pour faire le vide dans le tube du nouveau parcours. Mais aussi sur un tracé étendu, il fallait prévoir des machines pneumatiques échelonnées le long de la ligne de 5 en 5 kilomètres, car le vide était loin d’être absolu dans un tube plus long demandant beaucoup plus de raccords et de joints. Les passages à niveau sont purement et simplement impossibles et la route devait passer soit au-dessus, soit par le dessous de la voie. Enfin, l’intensité à peu près constante de la puissance motrice imprime au train une vitesse uniforme.

Un exemple, parmi beaucoup d’autres, des imperfections du système : les passages à niveau et la gêne créée par le tube qu’il faut interrompre et équiper de vannes à fermeture automatique.

En outre, la locomotive « Hercule » dame le pion à la traction atmosphérique.

Le système atmosphérique s’avérait ainsi le plus coûteux des chemins de fer. Ces travaux onéreux auraient pu se justifier pour l’exploitation d’une section dont la forte rampe devait exclure l’usage des locomotives à vapeur. C’était, pensait-on, le cas pour le chemin de fer atmosphérique de Saint- Germain, mais une locomotive nommée « Hercule », spécialement établie pour les transports des matériaux pendant la construction de la ligne, démontre le contraire en remorquant sur la fameuse rampe des convois de 50 tonnes…


Comble du ridicule, l’« Hercule » a même l’honneur de promener dans le chantier le ministre des Travaux publics. Cette mémorable visite a lieu le 21juin 1846. Les quatre voitures du train ministériel se lancèrent derrière l’ « Hercule », à l’assaut du plateau. La marche atteint facilement 30 kilomètres à l’heure et, alors, le mécanicien ralentit sa machine en pleine rampe, s’arrête presque et regagne facilement sa vitesse première. Trop… c’en était trop… Mais le concepteur de la ligne avait de solides appuis politiques et l’on put ne pas ébruiter, grâce à la complicité d’une presse complaisante, l’exploit de l’ « Hercule ».

Le fonctionnement complexe et capricieux d’un système pourtant bien en cour.

L’année suivante, lors de l’inauguration de la ligne, le ministre (sans doute le même) dut trouver bien longues et inutiles les manœuvres de la locomotive qui, après avoir amené le train de Paris jusqu’au bas de Saint-Germain, se détachant de la rame, s’aiguillait sur une voie latérale pour se retrouver en définitive derrière les voitures à voyageurs qu’elle poussait jusqu’au tube qui devait les prendre en charge.

« Sur un signal donné par le télégraphe, l’usine installée à Saint-Germain se mettait brusquement en activité. Les énormes roues dentées tournaient, entraînées par des bielles gigantesques qui battaient l’espace ; toute cette mécanique, digne de la « Ville flottante » de Jules Verne, s’agitait avec un formidable bruit de soufflet issu des machines pneumatiques. Trois minutes après, le train passait devant l’usine, qui retrouvait pour une heure un calme à peine troublé par la note monotone des chaudières en pression. » écrivent Jean Falaize et Henri Girod-Eymery dans leur livre « A travers les chemins de fer des origines à nos jours ».

Le train redescendait ensuite par son propre poids. Aussi avait-on fait l’économie d’un tube pour la seconde voie de la section. Maigre avantage et amère consolation…

Du temps de sa belle gloire, l’ “atmosphérique” a même droit à des reportages élogieux parus dans l’Illustration, une référence et un “leader d’opinion” de l’époque. Ici, le public admire l’arrivée des trains à St-Germain.

Il arrive ce qui devait arriver.

Dans la soirée du 6 septembre 1858, un train, en quittant le débarcadère de Saint-Germain, s’engage sur la pente, accélère, traverse à une vitesse vertigineuse le long viaduc au-dessus de la Seine et ne s’arrête en gare du Vésinet qu’en culbutant une locomotive à vapeur. Il y eut des victimes, trois tués, dont le conducteur du train, et des blessés plus ou moins grièvement. Quelques mois après, en 1859, une douzaine d’années après l’inauguration, les pompes aspirantes sont démontées et les tubes envoyés à la ferraille. Le dernier chemin de fer atmosphérique disparaissait, l’Irlande et l’Angleterre, qui en avaient donné l’exemple, ayant déjà renoncé à ce système qui compliquait l’exploitation.

Sur la rampe du Pecq à St-Germain. Le talon d’Achille du système est bien le problème de la fermeture de la fente supérieure du tube par laquelle passe la tige reliant le piston au “wagon-moteur”. Le problème ne trouvera aucune solution.

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