
Non, il ne s’agit pas de la gare de Montoire et de la rencontre de Pétain et de Hiter dont nous aurons des choses à dire ultérieurement sur ce site. Il est question d’une autre aventure ferroviaire du maréchal, cette fois sur la « mauvaise » ligne de Pontarlier à Vallorbe. C’est ainsi qu’elle est surnommée par les équipes de conduite, car elle n’a jamais été aimée, étant trop difficile, avec ses rampes de 25 pour mille (presque le maximum admis à l’époque) qui, en sens inverse, sont des pentes très dangereuses. Et puis elle se fait peu apprécier avec son tracé difficile, ses intempéries et ses hivers interminables, et, tout compte fait, son trafic négligeable qui ne lui vaut guère l’estime et l’affection des comptables du PLM puis de la SNCF à partir de 1938..
Parlons d’abord de cette ligne maudite, et pourtant magnifique par la beauté des sites de montagne qu’elle traverse, situés en Franche-Comté et en Suisse. Elle laisse un souvenir encore vivant pour les équipes de conduite qui l’ont fréquentée. En hiver, ou, pis encore, en automne à l’époque des rails gras et humides et des feuilles mortes, quand on « faisait » un train « à la descente » entre Jougne et Vallorbe, il arrivait très souvent que l’on ne pouvait plus maîtriser quoi que ce soit, et que le train dévale la pente d’une manière plus ou moins contrôlée, roues parfois bloquées, glissant sur le rail gras, et passant alors à grande vitesse, allant jusqu’à pénétrer plus vite que prévu en Suisse, et n’ayant désormais pour seul recours le cul de sac en rampe placé fort sagement au-delà des quais de la gare par les ingénieurs des Chemins de Fer Fédéraux suisses au cas où… Parvenu en douceur en haut de la rampe bénéfique du cul-de-sac, le mécanicien, remise de ses émotions, n’avait ensuite plus qu’à « se laisser aller » en arrière pour rejoindre son emplacement d’arrêt normal en gare de Vallorbe. Le cas était si fréquent que même les douaniers savaient que, parfois, ils pouvaient être dispensés de travailler quand il pleuvait en automne, du moins pour les trains à la descente, ceux en montée souffrant d’autres difficultés, notamment pour ce qui était de leur redémarrage en gare.


Une ligne dont on espérait un grand trafic international.
Cette ligne franco-suisse de Pontarlier à Vallorbe, et dont on voit toujours les murs de soutènement et la plateforme aujourd’hui en voyageant en voiture sur la nationale 57, est construite par la compagnie du P.L.M. à partir de 1857 et elle est mise en service le 1er juillet 1875 sur les 27 kilomètres qui séparent les deux villes, la française et la suisse. Son exploitation est assurée à l’époque par la compagnie suisse du Jougne-Eclepens, puis par le Jura-Simplon et enfin par le P.L.M. français en 1915.
C’est une ligne en voie unique, mais qui a, au départ de Pontarlier, l’aspect trompeur d’une double voie, l’une étant la voie unique pour la Suisse et Neuchâtel, et l’autre pour Vallorbe. Le parcours de Pontarlier à Vallorbe se fait d’abord en profil facile tant qu’on est sur les hauts plateaux, et on trouve d’abord la gare de Frambourg, où se la ligne vers Neuchâtel quitte la plate-forme commune aux deux lignes. Cette gare prendra le nom de La Cluse de Mijoux en 1935.
Ensuite la ligne s’élève, par une rampe de 23 pour mille pour dépasser le millier de mètres d’altitude sur les hauts plateaux du Jura. Ensuite, c’est le grand plongeon, toujours en rampe de 23 pour mille, et même 25, pour mille vers la Suisse, en contournant Métabief et le Mont d’or. La ligne dessert au passage la petite gare des Hôpitaux-Neufs-Jougne où sont postés les douaniers, puis passe en tunnel sous le village de Jougne et débouche en Suisse, près de Balleigues au lieu dit « Le Creux », au pied du Mont d’Or, pour terminer sa descente en gare de Vallorbe, alors une gare terminus pour cette ligne. Cette gare est aussi le terminus des lignes du Brassus et aussi de Neuchâtel, jusqu’à l’ouverture de la section Frasne-Vallorbe en 1915 par le tunnel du Mont d’Or qui lui assure un débouché direct vers la France.
Donc, à l’époque et avant le percement du tunnel du Mont d’Or, les trains venant de France doivent rebrousser en gare de Vallorbe pour poursuivre leur route en direction de Lausanne.



Rapidement éclipsée par la ligne directe du Mont d’Or.
La traction est d’abord assurée par trois petites locomotives du type 030 à tender séparé construites par la Société Alsacienne de Constructions Mécaniques en 1869. Inaugurée en 1877, la ligne achemine essentiellement les trains internationaux du PLM et assez peu de trains locaux. En 1906, le tunnel du Simplon est enfin ouvert et assure une liaison France-Italie importante et directe par Brigue et Domodossola, ce dont notre petite ligne bénéficie pour un temps, car ses jours sont comptés.
Neuf ans plus tard, en 1915, l’ouverture à la circulation du tunnel du Mont d’Or crée la liaison Frasne-Vallorbe qui est plus courte et à profil moins acrobatique, et en évitant Pontarlier et notre ligne trop pentue. Voilà qui relègue notre ligne au seul trafic local – ce qui, on s’en doute, n’est pas grand-chose et les 140 du PLM « s’essuient les pieds » (c’est-à-dire : patinent) pour un temps encore.



Avec l’apparition des autorails sur la ligne en 1935, le trafic voyageurs reprend un peu d’importance, avec, quand même jusqu’à huit trains par jour dans chaque sens. Les autorails sont quatre petits appareils à deux essieux Baudet-Donon-Roussel assurant un transport en 3e classe uniquement. Commandés par le PLM, ils sont affectés au Centre Autorails de Pontarlier à partir du 1er juillet 1934, rejoints par la suite par deux autres autorails identiques revendus par le réseau du Midi.


D’après l’auteur historien Jean-Cuynet, spécialiste de la Franche-Comté et selon ses ouvrages dont son récent “Histoire du rail en Franche-Comté”, un autorail type ADN du centre de Chalon-sur-Saône circule les dimanches et les jours fériés, assurant la relation à longue distance assez peu connu qu’est Chalon- Besançon-Gilley-Pontarlier-Vallorbe. Les samedis et veilles de fêtes, un autorail effectuait un aller et retour Pontarlier – Les Hôpitaux en soirée. La toute dernière circulation voyageurs se fait après la fermeture de service voyageurs, sous la forme de la présence d’un autorail X 44000 du dépôt de Besançon et de sa remorque assurant le transport des skieurs jusqu’à la gare des Hôpitaux Neufs en hiver au début des années 1950. Il est à noter que la ligne fera des siennes jusqu’au bout… puisque l’autorail devait parfois être poussé par la locomotive à vapeur 242 TA qui effectuait normalement les navettes entre Pontarlier et Les Verrières (Suisse).
Une existence difficile pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le 18 avril 1939, la ligne Vallorbe-les Hôpitaux Neufs via Jougne est fermée au trafic voyageurs, et en septembre de la même année, le trafic est fermé par les autorités suisses à la frontière au Creux. En 1943, les Allemands manquant de métal, déposent non seulement la voie entre les Longevilles-Rochejean sur la ligne de Vallorbe à Frasne, mais s’en prennent aussi à notre ligne dont ils connaissent l’existence et déferrent la portion de voie entre Le Creux, au niveau de la douane de Vallorbe, et Jougne. Il est à noter que les CFF déposent également la voie sur la partie suisse de la ligne ce qui met fin à toute possibilité d’utilisation entre Vallorbe et Jougne.
Malheureusement, lors d’un bombardement en 1940, la destruction partielle du tunnel de Jougne interrompt le service voyageurs qui ne sera jamais repris, la SNCF étant même, on peut le croire, plutôt soulagée, de voir une ligne aussi problématique, peu fréquentée, et totalement déficitaire, fournir d’elle-même un prétexte pour sa fermeture.
Un voyage pas assez secret pour le maréchal.
En septembre 1944, le maréchal Pétain, son épouse et son personnel, sont emmenés par les Allemands à Sigmaringen, où se sont déjà réfugiés les personnalités du régime dit de Vichy, soit un millier de collaborateurs et quelques centaines de membres de la Milice française. Une fois arrivé dans cette ville, le maréchal Pétain refuse de participer aux activités de la Commission gouvernementale présidée par Fernand de Brinon. Comprenant que leur défaite n’est plus qu’une question de jours, les Allemands contactent la légation suisse en Allemagne, installée dans le sud de la Bavière, pour préparer le retour en France du maréchal par la Suisse. Pétain passe alors la frontière germano-suisse peu de temps après, ceci dans quatre voitures automobiles (sans doute de grosses et luxueuses Opel “Kapitän” d’aspect très Studebaker – et non de vraies voitures américaines comme on peut le lire parfois !) transportant Pétain et son épouse, le général Debeney, l’amiral Bléhaut, des officiers et des membres du personnel dont les gardes du corps du maréchal et son valet de chambre. Le but est de se rendre à Vallorbe le plus directement et la plus discrètement possible, et surtout d’éviter les journalistes ou, pis encore, la curiosité populaire, mais on croise des armées allemandes en déroute, on subit des alertes, et, dans une Allemagne qui se décompose, c’est un voyage hallucinant, irréel.
Le 26 avril 1945, les voitures allemandes arrivent à 16 h 45 dans la gare de Vallorbe. Il n’y a pas de train spécial ! Le trajet se poursuit donc, toujours par la route, car un des tunnels de la ligne entre Vallorbe et Les Hôpitaux-Neufs a été détruit par l’armée française en juin 1940. Il faut faire quelques kilomètres encore jusqu’à la gare des Hôpitaux-Neufs, qui est atteinte vers 19h. Enfin, on voit un train qui attend le maréchal, gardé par 150 soldats armés qui surveillent les environs, car une attaque des FFI est toujours possible
Le général Kœnig, gouverneur militaire de Paris, est venu, sur les ordres de De Gaulle, pour arrêter Pétain, et il est là, et attend avec ses hommes, militaires et policiers armés. Pétain sort de sa voiture, prend un air aimable et salue d’un coup de chapeau les militaires et officiels présents qui ne rendent pas son salut et restent impassibles. Pétain tend alors la main au général Koenig, qui se met au garde à vous pour éviter de devoir la lui serrer la main. Pétain a compris : il cesse de sourire.
Le train spécial, composé d’une locomotive type 230-A PLM et de de deux voitures attend pour ramener le maréchal et les personnes qui l’accompagnent à Paris. Le général Koenig a fait le geste de faire mettre à disposition sa voiture salon-lits PLM au maréchal qui, ainsi, échappe au voyage en simple couchette… Le train quitte la gare des Hôpitaux-Neufs à 21 h 30, mais stationne, peu après pendant 20 longues minutes en gare de Pontarlier, pour changer de locomotive (ce qui est plausible vu les faibles performances d’une 230-A ) et/ou pour laisser a des manifestants (la presse dira “des communistes”), bien renseignés, crier « à mort Pétain » ou « Pétain au poteau”. Des cailloux sont lancés, à la grande peut de Mme Pétain. Les manifestants viennent taper de la main contre les vitres. Le train repart, enfin, et arrive, en étant remorqué sans doute par des Pacific qui se relaient, notamment à Dijon et Laroche, jusqu’à lé région parisienne, atteinte le lendemain matin à 6 h 30 en gare d’Igny, dans le sud-ouest de la capitale. Le couple Pétain est alors convoyé par la route jusqu’au fort de Montrouge, dans le sud de Paris. Les autres personnes iront dormir directement en prison.


“Happy end” pour une ligne aujourd’hui redevenue active.
En 1969, cette courte ligne, après plus d’une vingtaine d’années d’activités très restreintes, est définitivement fermée à tous trafics et seuls de courageux amateurs, menés par un courageux entrepreneur Lois Poix, formant une association nommée « Conifer », se souviendront d’elle en 1993 et la remettront en service, du moins partiellement sur 8 km entre Les Hôpitaux-Neufs et Fontaine-Rondeet, avec l’espoir d’une remise en service intégrale de la ligne jusqu’à Vallorbe. En attendant, plus de 30.000 voyageurs, chaque année, prennent le train sur cette ligne, dans de somptueuses voitures CIWL ou d’autres voitures anciennes, et remorquées par deux locomotives à vapeur, une 030T suisse et une imposante 150 allemande.

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