Le sait-on encore ? Le France, en 1949, un train entier est envoyé aux États-Unis par la France, embarqué sur le cargo Magellan, ceci en remerciement pour l’effort de guerre et l’action américaines en notre faveur. L’arrivée se fait à New-York et Broadway pavoise avec les mots « Welcome gratitude train ! ». Formé de 49 wagons, un par État américain, ce train parcourt les États-Unis et offre, dans chaque ville, un témoignage de la reconnaissance française sous la forme de nombreux cadeaux. Les 49 wagons sont des couverts ayant servi pendant la Première Guerre mondiale et portant encore l’inscription « 40 hommes – 8 chevaux » de triste mémoire, bien que nullement en rapport avec la Seconde Guerre mondiale et les déportations, puisque remontant à avant 1914, pour indiquer le maximum d’hommes ou de chevaux que ces couverts pouvaient accepter.
Revenons à ce curieux train, et rappelons dans quelles circonstances il a été créé.




Un « goût » américain pour aider les autres nations.
Les Américains ont fait, pour chaque guerre mondiale, un effort considérable – même si leur entrée en guerre a été tardive, comme ce fut le cas en 1917 et en 1941 : depuis, les choses vont plus vite… Mais leur effort de guerre a été décisif et a permis de venir à bout de problèmes dont les enjeux représentaient un danger pour les démocraties occidentales.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont fait un effort sans précédent, tant sur le plan militaire qu’industriel, et leur réseau de chemins de fer a été mis au tout premier plan. D’abord, comme durant la Première Guerre mondiale, l’ensemble des compagnies de chemins de fer des États-Unis, qui sont privées, sont soumises à une « nationalisation » de fait qui est l’Association of American Railroads (AAR), et sont donc dépendantes directement des autorités gouvernementales américaines. Rappelons qu’en Europe, on fait de même et qu’en France, dès la déclaration de guerre en 1939, la SNCF n’existe plus, purement et simplement : le réseau ferré est sous l’autorité complète de l’armée et les cheminots obéissent désormais aux généraux, si l’on peut dire. C’est l’armée qui commande, et après la défaite en 1940, l’armée allemande prend le commandement et la responsabilité de la circulation de l’ensemble des trains. Nous reviendrons, d’ailleurs, sur cette question dans un prochain article.


La Seconde Guerre mondiale : une situation différente.
Entre le débarquement américain du 6 juin 1944 et la capitulation allemande du 8 mai 1945, il y a 11 mois et deux jours de guerre durant lesquels le réseau ferré français représente l’enjeu le plus important, puisqu’il est le seul moyen de transport. Il faut à la fois le paralyser les transports allemands, mais permettre les transports alliés, d’où des destructions et des reconstructions continuelles, et quasi totales, comme les 24 grands triages nationaux, 51 grandes gares, 71 grands dépôts, 600 postes d’aiguillage, des milliers et des milliers de kilomètres de voies.
L’action américaine est différente de celle de 1918 : les itinéraires sont multiples, car les Allemands sont partout en France. Deux grands courants, toutefois, assurent l’essentiel des transports militaires lourds : au départ de Cherbourg et Granville, par Le Mans, la banlieue nord de Paris, Compiègne et en direction de l’est et de la Belgique, et un autre au départ du Havre et en direction des fronts de l’est par Troyes, Chalons-sur-Marne, Vitry-le-François.
Mais aussi les Américains trouvent, en 1944, un réseau ferré français presque détruit. La grande ligne qui semble la plus intacte est la Paris-Brest, mais Landerneau est son terminus… Toutes les autres ont disparu. Le Havre, Nantes, Bordeaux, le sud de la Bretagne et la Vendée, Nice, Strasbourg et tout l’est sont coupés de la capitale. Lyon peut être atteinte par un incroyable trajet de 14 heures passant par Nevers. Aucun train ne peut traverser la Loire à Orléans (le transfert se fait en barque), ou passer Nevers en direction de Clermont-Ferrand. Les Américains, avec les Anglais, devront donc se faire bâtisseurs de ponts et de voies ferrées pour mettre en application la moindre stratégie. Les cheminots de la SNCF se mettront au travail pour reconstruire le réseau derrière l’avancée des alliés, et peu après la Libération, le réseau redevient actif, la situation normale étant retrouvée à la fin des années 1940.




Un effort deux fois et demi plus important qu’en 1917.
La demande de transport est beaucoup plus importante que pendant la Première Guerre mondiale. Cette fois-ci, c’est un effort sans précédent qui est demandé au réseau américain : par moins de 89 divisions d’environ 15.000 hommes chacune doivent être acheminées en direction des ports. Pour une seule division, il faut pas moins de 48 trains de 16 voitures chacun (sans compter les voitures-cuisine) et 20 trains de marchandises de 50 à 60 wagons chacun. En 1943, année du sommet de cet effort, il faut transporter plus de 11 millions de soldats. En 1944, le transport des soldats et des équipements est de deux fois et demie celui de 1916, et de cinq fois celui de 1939. Cet effort correspond à la puissance de traction de 42.000 locomotives !
C’est, en fait, un véritable miracle, car, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, le chemin de fer américain est en récession, à la fois technique et humaine, se remettant mal de la crise économique des années 1930, et terrassé par une cruelle concurrence routière et aérienne. Les locomotives à vapeur sont souvent vieilles et à bout de course, et les voies sont parfois mal entretenues et fatiguées. Il faut donc réveiller le chemin de fer américain, lui redonner vie, lui redonner de nouveau les moyens de prouver son efficacité et son utilité. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le chemin de fer américain sera, de nouveau, laissé à son triste sort, et dévoré par la concurrence routière et aérienne, sans aucune aide de cette nation qu’il a servie.


Du matériel spécial pour l’Europe.
Le chemin de fer américain est totalement différent de celui du vieux monde. Le seul point commun est l’écartement des voies de 1, 435 m, écartement dit normal dans le monde entier. En dehors de cette importante donnée technique, toutes les autres sont spécifiques pour chaque continent. Les États-Unis pratiquent des charges plus lourdes sur chaque essieu, ont un gabarit beaucoup plus généreux en hauteur (4,78 m contre 4,28 m) et en largeur (3,25 m contre 3,10 m), et utilisent un attelage automatique complètement incompatible avec le nôtre. La médiocre qualité des voies américaines a imposé le recours au bogie pour la totalité du matériel remorqué, alors que le matériel européen de type marchandises est majoritairement sur deux essieux. Les Américains conçoivent donc un matériel roulant conforme aux normes européennes. Pour la France, tout particulièrement, un effort est fait avec des locomotives à vapeur 141-R et des wagons à marchandises dits “couverts standard” A ou B, et des locomotives diesel Baldwin type A1A-A1A.
Une vapeur américaine pour la France.
La commande des locomotives 141-R est faite par la SNCF auprès de l’industrie américaine et canadienne, les seules industries au monde capables, à la fin de la guerre, de fournir en un temps record 1.340 locomotives. Le temps manque pour étudier un nouveau modèle : à la demande d’une locomotive mixte de type 141 formulée par la France, il n’était possible de répondre qu’avec un type ancien dont le poids par essieu et les dimensions générales fussent acceptables par le réseau français. Les Américains partiront d’un modèle crée dans les années 1910 pour produire, rapidement et en grande série, une version pour la France.
C’est une locomotive dite « mixte », ni rapide ni lente, d’une puissance moyenne, de performances moyennes, que l’on verra absolument tout faire sur le réseau français : trains de marchandises, manœuvres, trains de travaux, trains de voyageurs, omnibus ou même express. Limitée à 105 km/h, capable de parcourir toutes les lignes, elle est la locomotive universelle par excellence dont la SNCF a besoin immédiatement une fois la paix revenue. Durant les années 50, les 141 R effectuent 44,8 % du tonnage total de la SNCF à elles seules : presque la moitié du trafic ferroviaire français !

Produits sous la forme de « kits ».
Déjà, pendant la première guerre mondiale, l’armée américaine laisse sur place des wagons à bogies que le Ministère des Travaux Publics répartira, en 1919, entre les réseaux, d’où leur nom de wagons « TP ». Mais cette fois-ci, l’aide américaine porte sur des couverts classiques à deux essieux dits “Standard”. Conçus selon des plans français, ces wagons sont construits par les firmes Pressed Steel Car C°, American Car and Foundry, General American Transportation, Magor Car Export, et même la très vénérable Pullman s’y met, cette dernière abandonnant son bois précieux verni et ses étoffes délicates, on s’en doute ! Embarquées sous la forme de pièces détachées, ces wagons sont transportés par bateau jusqu’à Cherbourg, et sont assemblés sur place par les Ateliers et Chantiers de Cherbourg. Comme pour les jouets « Meccano », une notice très claire est jointe, et le montage est très rapide.

Et pourtant : croissance et déclin du réseau des Etats-Unis.
Si le réseau nord américain compte 37 km de lignes à la fin de 1830, il en compte 49.286 en 1860, 150.094 en 1890, 311.183 en 1900, et la croissance du réseau est alors fantastique avec un total de 406.935 km atteints en 1920. Les années 1920 et 1930 sont un âge d’or, avec un réseau qui se maintient à plus de 400.000 km de lignes, des trains carénés rapides roulant à 160 km/h et offrant un luxe incroyable, des trains de marchandises immenses, des locomotives très performantes, des gares monumentales en marbre, des viaducs gigantesques par-dessus bras de mer et fleuves : c’est le meilleur réseau du monde et il fait la fierté des Américains à juste titre.
Mais à la fin des années 1930, le déclin s’amorce avec le triomphe de la route : le camion et la voiture particulière vident les trains. En 1940, le réseau totalise 376.869 km de lignes, en 1960 il en est à 350.104 km, et en 1980 il passe en dessous de 300.000 km avec 294.625 km. Aujourd’hui, il est d’une longueur d’environ 250.000 km, chiffre approximatif compte tenu des fermetures, mais aussi des créations fréquentes de « short lines » (petites lignes privées) ou de réouvertures d’embranchements industriels.
Le Royaume-Uni, porte-avions des Etats-Unis.
Et les Anglais ? Personne n’est parfait (l’auteur de ce site web est de père anglais et de mère française, donc il le sait) mais sans eux, sans leur courage, alors qu’ils sont seuls en face du monstre national-socialiste après 1940, l’effort de guerre américain aurait été bien plus difficile et hasardeux, sinon impossible, sans la présence des Iles Britanniques jouant un véritable rôle de porte-avions amarré au large des côtes françaises, mais amarré assez loin pour être à l’abri des actions militaires allemandes.
En effet, opérant à des milliers de kilomètres de leurs bases, les armées américaines ne pouvaient débarquer directement sur le sol français, en particulier avec un matériel ferroviaire lourd et abondant. Ce matériel avait été construit aux États-Unis en prévision des importantes destructions que subirait le réseau français du fait des opérations de bombardement et de destruction en vue de retarder ou de paralyser les mouvements des armées allemandes. Ce matériel fut d’abord transporté en Angleterre, souvent en pièces détachées pour être assemblé sur place avant la traversée de la Manche. Le port de Cherbourg servit de base pour le débarquement des locomotives transportées directement depuis les États-Unis et entièrement montées, prêtes à rouler. La plupart de ce matériel anglais regagnera la Royaume-Uni à la fin de deux guerres. Les Américains abandonnent le leur tant en 1918 qu’en 1945, n’en ayant pas l’usage sur leur réseau. Les Britanniques, pendant la Première Guerre mondiale, auront construit un très grand réseau militaire en voie de 60 qu’ils abandonneront et qui survivra comme réseau industriel durant plusieurs décennies. Pendant les deux guerres, les locomotives, les wagons, les trains-hôpitaux produits par le “ROD” (Railway Operation Department) rendront de grands services en France, même après les guerres.



Vous devez être connecté pour poster un commentaire.