
Depuis 1878, la Revue Générale des Chemins de fer fait honneur à son titre en décrivant, avec soin et compétence, l’évolution de l’univers ferroviaire, reprenant une appellation usuelle qui fait du fer le constituant essentiel de ce moyen de transport, grand créateur de la révolution industrielle. Or, paradoxalement, les Anglais, créateurs du chemin de fer moderne, ne font aucune allusion à ce métal, appelant les chemins de fer des « railways ». Ce sont les Français, mais aussi les Allemands, les Italiens, et beaucoup d’autres utilisateurs mondiaux qui parlent de « fer ».
Les Anglais, qui ont raison dans tous les domaines, c’est bien connu et l’auteur de ce site-web en est particulièrement conscient, ne se réfèrent pas au fer pour désigner ce que nous appellerons le “chemin de fer”. Eux, ils appellent tout simplement leurs chemins de fer des “railways”, littéralement des “routes à règles” – le mot français “règle” (ou aussi prononcé “rèle”) étant passé dans la langue anglaise sous le nom de “rule” ou aussi de “rail”. Ce grand ensemble technique, qu’ils ont créé les premiers, va utiliser et intégrer de nombreux matériaux et notamment le bois, jusque dans la construction des voies qui auront, dans les mines, des rails en bois et des wagonnets en bois, y compris pour les roues.
Les premiers rails des chemins de « fer » miniers d’Europe centrale, au XVe-XVIe siècles, sont en bois : voilà le vrai précurseur du chemin de « fer » que l’on aurait pu, ainsi, nommer le « chemin de bois » et même quand le rail en fer se généralise au XIXe siècle, le rail en bois conserve encore ses partisans.
Du chemin de bois au chemin de fer.
La plus ancienne mention historique d’un système de transport par guidage utilisant des rails est celle de Sébastien Münster dans son ouvrage « Cosmographie Universelle » paru à Bâle en 1550. Cet auteur décrit le système de chariots sur rails circulant dans les mines de Leberthal, en Alsace, poussés par des mineurs dans les galeries. Le chariot est en bois, ses roues sont en bois, les deux éléments tendant à se garnir de surfaces de roulement en fer pour pallier l’usure qui ne manque pas de creuser les tables de roulement des roues ou de réduire la hauteur des rails .



Les mines de Newcastle, en Angleterre, utilisent toujours au XVIIIe siècle des chariots ou des bennes en bois, à roues de fer, roulant sur des rails en bois de section carrée et tirés par des chevaux que l’on met en tête de trains entiers. Des plaques tournantes sont disposées dans les recoupements des galeries et permettent le « virage » des bennes alors dirigées dans des galeries transversales.
Il semblerait que ce serait sur le réseau de Whitehaven que, vers 1738, on eut l’idée de garnir le dessus des rails en bois avec des bandes de fonte pour en réduire l’usure. Le « chemin de fer » au vrai sens du terme, même s’il ne s’agissait pas encore de fer, mais de fonte, était né. On attribue à l’anglais Jessop la mise au point, en 1789, du rail définitif, en saillie et avec roue à boudin de guidage intérieur, tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Les premières « voies ferrées » : des routes avec des bandes de fonte ou de fer ?
Le terme de « voie ferrée » (« iron way » en anglais qui a donné le mot français “voie ferrée”) décrit une autre réalité consistant à recouvrir des routes avec deux bandes métalliques plates, assez larges, munies de rebords en saillie, et servant à offrir un chemin de roulement doux et rapide pour les véhicules routiers ordinaires dont, comme on le sait, les roues sont cerclées de fer. Le roulement est, en effet, excellent, et la largeur des bandes formant une véritable chaussée métallique large et plate permet la circulation des véhicules sans imposer un écartement précis. Ces voies ferrées sont à péage, et sont mentionnées dans divers textes anglais du XVIIIe siècle. Mais il semble qu’il y en a eu assez peu – vu le coût élevé et la grande quantité de métal nécessaire – et aucune gravure connue ne vient en donner une idée assez précise.
Le bois est et reste un matériau très utilisé dans les chemins de fer des débuts. Une armée de charrons, qui, jusque-là, fabriquaient des charrettes routières, des camions à chevaux, des diligences, et des véhicules de toutes sortes en bois de chêne et de hêtre bien solide, est recrutée dans les années 1830 et 1840 par les compagnies de chemins de fer qui les embauchent dans leurs ateliers pour que, avec les mêmes gestes du métier et les mêmes aptitudes professionnelles, ils fabriquent des voitures et des wagons de chemins de fer, ou même des châssis de locomotives qui sont, à l’époque, encore en bois, sans compter les tenders et le matériel roulant remorqué alors intégralement en bois.
Seules quelques pièces de liaison des châssis et quelques organes de roulement sont en fer, comme pour les véhicules routiers, sinon le bois domine en presque totalité le matériel roulant ferroviaire, ne laissant au métal que ce qui, sur la locomotive, est au contact du feu, comme le foyer, au contact des gaz chauds comme le corps cylindrique de la chaudière ou des mouvements mécaniques précis comme les pistons, les cylindres, les bielles, les corps d’essieu.









Le bois domine dans les bâtiments et ouvrages d’art des chemins de fer.
Le bois est utilisé aussi dans l’ensemble des bâtiments, comme les cabines d’aiguillage qui sont, par excellence, le bâtiment purement ferroviaire dans ses origines et ses fonctions, mais aussi les halles à marchandises, les remises à locomotives, les quais couverts, et même les mâts des signaux pendant un certain temps. Les poteaux télégraphiques et électriques sont en bois, et certaines parties des ponts légers comme les viaducs de Harel De La Noé pour les réseaux en voie métrique qui conjuguent le ciment et le bois. Dans le Nouveau-Monde, on s’enhardit à construire des ponts en bois, ou “trestle bridge”, mais quelques catastrophes calmeront l’enthousiasme des ingénieurs ou la jubilation des comptables…








Posser, l’homme qui crut dans le bois.
Bien que l’Europe commence à se couvrir de chemins de fer, il existe encore, en plein XIXe siècle, des gens pour croire encore au rail en bois. À Londres, en 1844, un ingénieur anglais, Posser, propose un système de rails en bois à section rectangulaire, posés sur des traverses en bois. Les roues du train sont plates, sans boudin de guidage. Le guidage se fait par des roues inclinées, placées aux extrémités de chaque véhicule du train qui, lui, reste classique dans son ensemble : locomotive, tender et voitures ou wagons. Ce système de guidage par roues inclinées sera, d’ailleurs, utilisé de nouveau par Arnoux qui crée, à la même époque, la ligne de Sceaux et son matériel à essieux radiants permettant de réduire le rayon des courbes. Les métros sur pneus actuels utilisent un système comparable, mais à roues horizontales.
L’avantage de son système, selon Posser, est d’abord le faible coût : en effet, la fonte, le fer, et déjà l’acier, atteignent des prix très élevés, et c’est par dizaines de milliers de tonnes que les chemins de fer, alors en construction dans toute l’Europe, réclament ce métal alors fabriqué selon des procédés coûteux et surtout très lents. Le bois est donc encore abondant et Posser se fait fort de diviser le coût des rails par trois ou quatre.
Un autre avantage est la douceur et le silence de roulement : Posser compte sur l’effet d’amortissement du bois, bien connu des urbanistes de l’époque qui recommandent des pavés en bois dans les villes pour amortir de bruit des sabots des chevaux et des cerclages métalliques des roues. Il est d’ailleurs certain que les qualités de l’amortissement des sons et des vibrations que seul le bois peut procurer à l’époque ne seront jamais oubliées par les ingénieurs du matériel roulant, et non seulement ils utiliseront le bois dans les caisses des voitures jusque durant les années 1930 pour les rendre confortables, insonores, et isolées du froid ou du chaud (toutes qualités reconnues à la maison en bois aujourd’hui toujours…), mais, pour les voitures métalliques qu’il faut bien construire, désormais, pour des raisons de sécurité, ils penseront à créer des roues à voile en bois, laissant seulement les jantes et les moyeux en acier, pour amortir les bruits de roulement et les vibrations, ceci pour les voitures-lits et salon de luxe.
Enfin, pour Posser, il est évident que l’usure des roues des trains sera bien moindre : les roues coûtent très cher, car il faut les usiner avec précision, et leur remplacement et leur reprofilage au tour sont un facteur aggravant du prix de revient du transport ferroviaire. Le roulement dur de la roue en acier sur le rail en acier est très destructeur pour les châssis et les caisses si l’on n’interpose pas une suspension efficace et, surtout, des filtres à vibrations. Or les rails en bois sont, justement, de magnifiques filtres à vibrations et Posser a raison d’insister sur l’effet destructeur des voies en fer ou en acier sur le matériel roulant.
Toutefois, les essais montrent que rails en bois engendraient des patinages des roues des locomotives par temps humide, et sont sujets à une très forte usure. Le triomphe du rail en acier, à partir de 1855, écartera l’idée même d’un autre matériau pour la voie.

En 1923 : apogée des trains de luxe, apogée du bois précieux.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le bois est toujours un matériau très présent. En novembre 1923, le numéro 5 de la « Revue Générale des Chemins de fer et des Tramways » comporte un très important article, abondamment illustré de gravures comparatives, sur l’utilisation des bois coloniaux dans le matériel roulant des chemins de fer. Cet article a pour but d’aider les compagnies dans le choix des bois coloniaux qui doivent venir remplacer les bois nationaux qui, eux, commencent à manquer.
À l’époque, la Fiance possède environ 90 millions d’hectares de forêts dans son empire colonial, dont 54 millions dans l’Afrique Occidentale française, mais le problème est que cet empire fournit souvent, au même endroit, « une variété d’essences extrêmement gênante » écrit la RGCF qui ajoute que « L’exploitant des forêts africaines se trouve fréquemment en présence de 40 espèces différentes qu’il est conduit à jeter sur le chantier et dont le quart à peine trouve actuellement un écoulement suffisant ».
Il faudra donc généraliser l’utilisation de toutes les essences, quelles que soient les dimensions des grumes préparées, et la RGCF désire persuader les grands réseaux français de faire cet effort d’adaptation en analysant le classement industriel des principaux bois des colonies d’Afrique, sanctionné par les Commissions officielles et le Congrès des Architectes français.
Ce classement comprend sept catégories, et il permet de « déterminer les essences exotiques susceptibles de remplacer les diverses essences de la métropole ». Ceci soulève toutefois un sérieux problème : l’identification des diverses essences. La RGCF consacre alors de nombreuses pages de son article à la reproduction de fiches d’identification publiées par la Mission Forestière Coloniale.



Oser la caisse de Micheline en toile et bois, ou en carton bouilli : Michelin l’a fait !
Le fait est peu connu : les voyageurs des premières Michelines, au début des années 1930, ont risqué leur peau (à leur insu ?) dans des véhicules à caisse en toile d’avion sur charpente en bois léger, ou, mieux encore, à caisse en contre-plaqué recouvert de cuir !!! Les fameuses Michelines type 11 mises en service sur un certain nombre de réseaux français d’alors ont une ossature en duralumin recouverte par un double cloisonnement en contreplaqué décoré de bandes de similicuir, très chic sans doute, mais fort peu ferroviaires question solidité. Représentant un vrai travail de sellerie de luxe, les jointures des bandes sont collées et vernissées pour en assurer l’étanchéité. Le plancher est, lui aussi, en contreplaqué, recouvert d’un tapis de caoutchouc. C’est sûrement un record en matière d’originalité et d’« exotisme » des matériaux utilisés pour un véhicule ferroviaire.

D’après la RGCF de 1950 : la SNCF est (malgré elle) fidèle à la voiture en bois.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le bois est toujours là… Dans le numéro de janvier 1950, page 31, un court article signale que « pour assurer les trains de voyageurs omnibus, la SNCF dispose, presque exclusivement, en dehors des autorails, de voitures à deux ou trois essieux à portières latérales avec caisse en bois tôlée extérieurement ».
Nous lisons bien : « presque exclusivement » ! Cela veut dire que, pour le parc de voitures omnibus, la SNCF sait de quel bois elle se chauffe, et qu’il n’y a pas d’autre choix. Le bois, donc, domine encore le parc omnibus récemment hérité des anciennes compagnies à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Dans les années qui suivent cette guerre, la SNCF commence alors une vaste campagne de démontage des charpentes en bois de ces voitures qu’elle remplace par des charpentes métalliques, équipant aussi ces voitures de nouvelles fenêtres de grandes dimensions (1,25 m) et des portes à deux battants ouvrant vers l’intérieur sur des plateformes d’accès dégagées. Ces voitures dites « métallisées » rouleront jusque vers la fin des années 1980, notamment sur la région ouest, certaines étant peintes en rouge et crème pour s’intégrer dans le parc des autorails dont elles sont les remorques.


Bonjour Clive Tres intéressant comme toujours… mais un point le laisse perplexe La gare de saint Michel sur Orsay Austerlitz a toujours été souterraine
Je ne sais pas a quoi correspond ta photo
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Cher Olivier, merci pour ton message et ton soutien. Je le jure : ce n’est pas moiu qui ai construit cet abri en bois :-))) , et je ne pense pas que la photo soit inexacte ou truquée… encore que…. Tu as raison : la gare a toujours été souterraine, mais je pense que, simplement, ici il s’agit d’un “pavillon” faisant office de protection des voyageurs utilisant l’escalier par temps de pluie ou de neige. IL y en avait d’autres du même type le long de la Seine, par exemple, au Champ-de-Mars, ou sur la Ceinture. Veux tu des photos ? Bien à toi, cher Olivier. Clive