Le réseau du Paris, Lyon et Méditerranée (PLM) s’intéresse très tôt à la traction diesel parce qu’il existe un autre PLM que celui de la métropole : le réseau PLM algérien. C’est bien pour son réseau algérien que le PLM se fera innovateur et ce réseau algérien est perçu, à l’époque, comme le prolongement du réseau de la métropole. Il est perçu aussi comme méritant la même qualité technique que celui de la métropole, donc comme demandeur des techniques de traction autres que celles de la vapeur dans une Algérie où le charbon et l’eau manquent. La venue de la traction diesel sur le réseau national français se fera difficilement parce que les modes de traction classiques, vapeur et électricité, ne sont pas encore mises en cause.

Avant de parler de diesel, parlons de Diesel.
Le nom de famille de Rudolph Diesel est devenu un nom commun. Un diesel. Cet inventeur allemand, en effet, invente un moteur tellement fabuleux qu’il équipe l’ensemble des bateaux et des camions du monde entier, puis il envahit le chemin de fer qui recherche un remplaçant pour la traction vapeur, ceci pour les lignes dont l’électrification n’est pas rentable. Ensuite, c’est le tour d’une automobile sur deux aujourd’hui, mais le moteur diesel est banni.
Le moteur classique à combustion interne, c’est-à-dire le moteur de nos voitures fonctionnant avec de l’essence, utilise une étincelle électrique pour assurer, après sa compression dans le cylindre, l’explosion du mélange essence et air qui y a été introduit. Le moteur inventé par Rudolph Diesel et présenté à Kassel, en Allemagne, en 1897, fonctionne avec un taux de compression nettement supérieur à celui d’un moteur à essence classique, et ce taux de compression est capable de provoquer l’explosion spontanée et immédiate d’un mélange huile lourde (ou « gazole ») et air, sans nécessité d’allumage par étincelle.
Des avantages et des inconvénients aujourd’hui pointés du doigt.
Si les inconvénients dus au bruit, aux vibrations, au rejet de particules existent, les avantages sont très nombreux. Le moteur diesel consomme un produit moins cher que l’essence. Il consomme pratiquement la totalité de ce produit, et n’en rejette qu’une très petite partie dans l’atmosphère, contrairement au moteur à essence qui ne brûle qu’une faible partie du mélange et pollue davantage. Il consomme un produit ininflammable – donnée essentielle qui a permis l’essor de la marine, car l’essence est un vrai danger sur un bateau. Il est très robuste, et peut tourner indéfiniment, sans échauffement ni usure.
Les travaux de Rudoph Diesel.
Ingénieur allemand né à Paris en 1858 et mort, mystérieusement d’ailleurs, au cours d’une traversée en bateau entre Anvers et l’Angleterre en 1913, sa cabine ayant été trouvée vide et son corps disparu, Diesel est un homme innovateur et entreprenant. En 1893, il publie son traité intitulé : « Théorie et construction d’un moteur thermique rationnel, destiné à supplanter la machine à vapeur et les autres machines à feu connues aujourd’hui ». La demande industrielle est très forte en faveur d’un autre type de moteur que la machine à vapeur lourde et peu puissante, et beaucoup d’ingénieurs s’y emploient, et essaient des moteurs à gaz, à air comprimé. En fin de compte, c’est le moteur électrique qui deviendra le moteur industriel par excellence, détrônant la vapeur.

Mais il reste le problème des véhicules. Si encore les locomotives électriques peuvent recevoir leur courant traction à partir d’un fil électrique tendu au-dessus de la voie et le renvoyer par les rails, cette solution n’est pas applicable à la marine ni à l’automobile – sauf pour le trolleybus, véhicule, hélas, bien oublié aujourd’hui même par les municipalités écologistes les plus éclairées, sauf à Lyon. Toujours est-il que Rudolf Diesel présente son moteur à Kassel en 1897, conscient de l’avenir extraordinaire réservé à son invention.
Mais les cercles savants de l’époque, les sociétés d’ingénieurs, ne croient pas au moteur diesel. Par ailleurs, un Britannique, Herbert Stuart Akroyd (1864-1927), s’attribue aussi la paternité de l’invention. Diesel rencontre de très grosses difficultés. Mais des sociétés comme Krupp, ou, surtout, la Maschinenfabrik Augsbourg Nurnberg (MAN) emploient les brevets du nouveau moteur, et c’est le succès immédiat. Le moteur diesel trouve son application dans la marine, et permet de très grands progrès, notamment avec les sous-marins dans la construction desquels l’Allemagne a une avance considérable à l’époque.
La naissance de la locomotive diesel-électrique.
Les Ets Sulzer, à Winterthur, en Suisse, sont les premiers à essayer une locomotive à moteur diesel en 1912. Le moteur actionne directement trois essieux par bielles. Très vite se pose le problème de la transmission aux essieux, et après de nombreux essais à l’air comprimé, la transmission électrique est la seule capable de démarrer un train lourd à basse vitesse. Apparue d’abord comme une solution idéale pour les pays sans eau (on songe à elle pour le Transsaharien), la locomotive diesel-électrique deviendra la locomotive de tous les réseaux du monde, et chassera la traction vapeur, sauf sur les lignes à trafic dense où la traction électrique est rentable, et les lignes urbaines. C’est bien la locomotive diesel qui a mis fin à la traction vapeur, notamment sur les lignes d’importance moyennes pour lesquelles le coût toujours élevé d’une électrification n’était guère rentable.

Et la France ? Elle “se met au pétrole” bon gré ou mal gré.
Entre les deux guerres, la France a dû, bon gré mal gré, « se mettre au pétrole », comme on dit à l’époque. C’est alors une époque de triomphe des transports routiers et aériens, malgré le peu d’enthousiasme des pouvoirs publics pour tout ce qui repose sur une importation, donc sur une dépendance vis-à-vis d’autres pays : la pénurie de charbon de 1919 est encore très présente dans les souvenirs et la prudence suisse, par exemple, a conduit ce pays voisin à s’en affranchir par une électrification totale de son réseau en cours d’exécution à l’époque. Le chemin de fer des années 1930 se contente des restes du raffinage des carburants « nobles » destinés à l’automobile et à l’avion en consommant du gazole.
Venu d’un monde extérieur au chemin de fer qu’est la marine, le moteur diesel n’a pas les caractéristiques les plus adaptées en matière d’encombrement, de couple, et de puissance pour donner le meilleur de lui-même dans une locomotive. Ce moteur ne peut s’intégrer, à l’époque, dans la grande traction, et reste le type même du moteur pour autorails. L’autorail, à l’époque, n’est pas du tout du “chemin de fer”. Présent sur la scène ferroviaire par suite de considérations de coûts, le moteur diesel est imposé au chemin de fer, plus comme une bouée de sauvetage que comme une avancée technologique.
Un peu malgré lui, donc, le PLM se présente comme un novateur en matière de traction diesel. Le réseau procède à des essais d’une locomotive, la 232-ADE-1 destinée au réseau algérien, le 11 août 1933 entre Paris et Marseille. Cette locomotive est du type 2C2, et développe environ 930 ch. Elle atteint une vitesse commerciale record de 95,8 km/h et des pointes à 120 km/h, laissent penser que ce mode de traction a un avenir en France, tout autre que les manœuvres ou les embranchements industriels.





Ce que le P.L.M. attend de la traction diesel.
Cette locomotive a été longtemps attendue, et elle est déjà présente, sous la forme de documents, sur le stand P.L.M de l’Exposition coloniale de 1931. Les essais de la locomotive destinée au réseau algérien datant de 1933 ont montré que ce mode de traction peut, si on le perfectionne, rendre les mêmes services et accomplir les mêmes performances que la traction vapeur ou électrique, et surtout éviter au PLM les frais de l’électrification de la ligne de Paris à Marseille qui demandent un investissement considérable, correspondant à plus de deux années de bénéfices, que le réseau ne peut accepter. Ces locomotives éviteront elles la lourde dépense d’une électrification ?
Ces nouvelles locomotives destinées au PLM de la métropole, réalisées par la Compagnie des Forges et Aciéries de la Marine et d’Homécourt sous la forme de deux prototypes en 1937, sont immatriculées 262 AD1 et 262 BD1 sur le réseau. Elles doivent pouvoir effectuer, avec un train de 450 tonnes, sans ravitaillement ni graissage en cours de route, le trajet Paris-Menton ou vice-versa (1110 km), en 10 h. 30 mn au plus, non compris les arrêts intermédiaires, ce qui implique une vitesse soutenue de 130 km/h sur une grande partie du parcours, et de plus de 85 km/h sur les longues rampes de 8 mm/m rencontrées sur les sections entre Les Laumes et Dijon et aussi entre Marseille et Fréjus. Elles doivent aussi remorquer, suivant les horaires actuels des trains à vapeur, les rapides et express de la ligne de Paris à Nice, dont le poids atteint fréquemment 600 tonnes. Elles doivent assurer un parcours annuel de 275 000 km, sans que les immobilisations nécessitées par l’entretien dépassent 115 jours par an. Enfin, elles doivent offrir une charge par essieu limitée à 18 tonnes, et présenter un poids adhérent suffisant pour éviter tout risque de patinage.





Les dispositions générales de ces deux locomotives.
Ce programme a conduit au choix du type 2-C-2 + 2-C-2 présentant un poids adhérent de 6 x18 = 108 tonnes, et à la répartition de la puissance entre deux moteurs diesel, développant chacun 1.900 ch en régime continu et 2.200 ch en régime unihoraire, à 600 et 700 t/mn respectivement. Ces moteurs, construits par la Compagnie de Construction mécanique, Procédés Sulzer, sont suralimentés par turbosoufflantes Rateau à gaz d’échappement.
L’équipement électrique a été fourni par les Forges et Ateliers de Constructions électriques de Jeumont, normalement associés avec la Compagnie des Forges et Aciéries de la Marine et d’Homécourt pour la construction de locomotives diesel-électriques sous la marque « Marine-Jeumont ».
Le poids de la locomotive est de 228 tonnes en ordre de marche, avec 7 tonnes de combustible, ce qui correspond au poids remarquablement bas de 51,8 kg par cheval de puissance unihoraire diesel. Les deux moitiés de la locomotive sont identiques, accouplées en permanence par un attelage spécial court et reliées par une plate-forme mobile et un soufflet élastique épousant sensiblement le gabarit de la caisse. Ne devant jamais circuler isolément, chaque demie locomotive n’a qu’une cabine de conduite, à l’extrémité opposée à l’accouplement. La locomotive est donc symétrique et se prête à la marche à grande vitesse dans les deux sens.
Ses formes sont spécialement étudiées pour offrir le minimum de résistance à l’air : les parois frontales sont profilées et un carénage enveloppe toutes les parties basses.
Les moteurs diesel et leurs transmissions électriques.
Le moteur Diesel de chaque demie locomotive est du type Sulzer 12 LDA 31, à deux lignes parallèles de six cylindres verticaux quatre temps de 310 mm d’alésage et de 390 mm de course, avec une injection directe de combustible. Le poids du moteur diesel, sans socle, eau ni huile, est de 20 tonnes environ, soit 9 kg. par cheval de puissance unihoraire.
Chaque moitié de la locomotive forme au point de vue électrique un tout complet, excepté la batterie d’accumulateurs, celle-ci étant unique pour l’ensemble de la locomotive, mais répartie également entre ses deux moitiés, les deux groupes de batteries étant couplés en série. En fonctionnement normal, chaque génératrice principale alimente en parallèle les trois moteurs de traction de la demie locomotive correspondante, et la commande des deux demi équipements, complètement indépendants, se fait en unités multiples à partir de l’une ou l’autre des cabines de conduite. Toutefois, en cas d’avarie à un groupe électrogène, les moteurs de traction correspondants peuvent être alimentés en série avec les trois autres, par la génératrice restée active.
Bien que le moteur diesel ne présente aucune vitesse critique importante au-dessous de 700 t/mn, un rhéostat de sécurité, asservi à l’index du régulateur du moteur, et hors circuit quand le moteur fonctionne normalement, s’intercale dans la mesure nécessaire dans le circuit de champ de l’excitatrice, en cas de baisse anormale du couple du diesel, causée par exemple par la défaillance d’un cylindre ou une suralimentation défectueuse. Aucune surcharge ne saurait se produire, la charge électrique étant ainsi automatiquement ramenée au maximum compatible avec l’état du diesel, même si le manipulateur était porté sur un cran correspondant à une puissance supérieure à ce maximum.

Les raisons d’une absence de descendance.
Ces locomotives fonctionnent bien et se montrent puissantes et fiables. Cependant, l’effort moteur reste modeste par rapport au poids total de 225 à 230 tonnes représenté par l’engin qui est formé, en fait, de deux locomotives 2C2 jumelées. Il ne dépasse guère le rapport poids/puissance des 241 à vapeur du réseau de l’époque. Les bons résultats en service, la relative absence de problèmes de maintenance valent à ces deux locomotives de rester en activité à la SNCF jusqu’en 1956 : la guerre les aura arrêtées pour un temps, et empêchera la réalisation du plan quinquennal de 1939 prévoyant leur construction en série.
La SNCF, au lendemain de la guerre, se lancera certes dans une politique très intense et très suivie en matière de traction Diesel, mais ceci avec des locomotives beaucoup plus légères, de type BB, CC et A1A-A1A, et beaucoup plus souples d’utilisation. Ceci est une tout autre histoire, et, fait notoire, c’est déjà et aussi de l’histoire.

Caractéristiques techniques des deux locomotives diesel PLM de 1937
Type : 2C2+2C2
Année de construction : 1937
Puissance totale: 4400 ch.
Masse totale: 225,6 t.
Longueur totale: 33,05 m.
Vitesse maximale en service: 140 km/h.




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