Les points kilométriques, ou PK : la ponctuation des lignes.

Construction de la ligne de Florac, à Collet-de-Dèze, en Lozère (pas en Ardèche où est l’éditeur de la carte postale), vers 1890. Le piquetage, qui trace l’axe de la plateforme, disparait provisoirement sous l’ampleur du “mouvement des terres”. Tout se fait à la main, et pour des décennies encore il faudra des dizaines de milliers d’hommes pour construire une ligne.

Il y a, dans cette époque actuelle de destruction du langage, une tendance, chez les “communicants” du chemin de fer, à embrouiller les cartes, façon jeu de bonneteau, quand ils parlent de “ligne”. Pour eux, ce mot qui désigne, depuis bientôt deux siècles, une installation permanente au sol, formée d’une plateforme, de traverses, de rails, de points kilométriques, tend désormais à désigner le parcours d’un train, ou son itinéraire, avec ses gares desservies, ses horaires. Les deux réalités, celle de la réalité physique parcourue et celle du mouvement du parcours, sont confondues.

Ainsi, on peut lire que la SNCF va créer des “lignes” entre Londres et les stations de ski des Alpes, ou des “lignes de nuit” entre Paris et Tarbes après avoir créé celle de Paris à Nice.

Ah bon ? La ligne de Paris à Tarbes ou celle de Paris à Nice n’existaient pas, ou n’existaient plus ? D’obscurs complots avaient donc arraché les rails et les traverses, rasé les remblais, les tranchées, les gares et avaient bouché les tunnels après avoir fait sauter les viaducs ? Il fallait ainsi tout reconstruire ? Mais non, que l’on se rassure : ces “lignes” nouvelles sont simplement la mise (ou la remise) en service de trains.

Cette confusion vient de la référence intellectuelle en permanence à tout ce qui n’est pas chemin de fer, notamment l’aviation ou l’autocar qui restent, pour eux, la référence absolue. La preuve ? Ils ignorent jusqu’au joli terme de “voyageurs” et parlent de “passagers” : c’est à cela que l’on peut les reconnaître à coup sûr. C’est l’indice. C’est la carte de visite. Ils ne savent pas que, contrairement à la “classe sardine” des avions et des autocars, quand on prend un train, on “voyage”.

Par exemple, il n’y a jamais eu de “ligne”, c’est-à-dire de voie ferrée, de Londres en Espagne, mais plus simplement des itinéraires tracés pour des trains empruntant des lignes des compagnies de l’État, du PO et du Midi entre les ports du Havre, Cherbourg, St-Malo et Irun. Ce document anglais de 1922, publié dans “The Locomotive Magazine”, ne fait pas la confusion entre une ligne (“line”) et un itinéraire (“route”).

Alors : les “lignes” ? Effectivement, pour créer une ligne d’avions, il n’y a rien à construire, l’atmosphère utilisée par l’avion étant déjà fournie par Dieu, merci Seigneur, et il suffit de tracer un trait sur une carte. De même, pour créer une ligne d’autocars, il n’y a rien à construire, la route étant déjà payée et fournie par le contribuable, merci mon brave, il suffit de tracer un trait sur un plan de la ville, surtout quand on est candidat aux municipales …

Mais dans le domaine du chemin de fer, tout est à construire, tout est à entretenir, ceci avant que le premier train ne roule, et les installations fixes représentent, de très loin, la partie la plus importante des dépenses d’investissement engagées.

Études, faites par l’admirable Marc Seguin, grand pionnier du chemin de fer français, pour le tracé, très d’avant-garde à l’époque, de sa ligne (= voie ferrée) de St-Etienne à Lyon, ouverte en 1833.
Toujours avec Marc Seguin, et vers 1825, les études préliminaires de sa ligne avec de faibles déclivités et des courbes à grand rayon – bref, le contraire de ce qu’il a étudié en Angleterre, et une grande anticipation sur les caractéristiques des lignes du futur.

Le “PK”, ponctuation du voyage en chemin de fer.

Lorsque l’on voyage en train, la vision familière offerte aux voyageurs qui savent regarder (et non au passager qui pianote des deux pouces sur son “smartphone”) s’impose dès que l’on s’intéresse au paysage : ces points kilométriques, ou « point kilométrique » dans le langage des cheminots, jouent un rôle très important. Simple plaque numérotée pour le voyageur, ils sont un élément de repérage essentiel pour le mouvement des trains, l’entretien des lignes, la localisation des interventions de toute nature que ce soit. Il y a même des gens qui, voyageant à bord d’un train, les repèrent et les comptent, et nous avons cru voir un spécialiste de ce genre de sport en commentant, avec une mauvaise foi avérée, mais pour amuser les lecteurs de ce site, une scène photographiée dans une voiture-dancing de la SNCF (voir cet article sur ce site-web).

Point kilométrique sur le PO.
Point kilométrique sur le réseau de l’Etat, ligne de Paris au Mans, état actuel.
Point kilométrique sur l’Ouest, état actuel, sur la ligne d’embranchement de Plouaret à Lannion. On notera que les PK de l’embranchement sont, eux aussi, comptés depuis Paris comme sur la ligne Paris-Brest.

Il faut dire, si l’on veut bien commencer par le début, que la construction d’une ligne de chemin de fer est d’abord une opération de géométrie sur le terrain même : le tracé de la ligne est arrêté grâce à des études économiques et géologiques, et il faut placer sur le terrain des balises qui sont un premier repérage. Ces balises sont en alignement pour les futures sections droites, ou forment des sommets d’angles englobant les futures courbes. Puis l’on procède au « piquetage » de la ligne, c’est-à-dire que l’on pose des piquets hectométriques portant chacun un numéro, les numéros étant continus depuis le commencement de la ligne. Par exemple, pour une ligne longue de 42,5 km, le dernier piquet aura le numéro 425. Ensuite, on procède au chaînage de la ligne avec des chaînes d’arpenteur étalonnées, on relève les profils en long  (cotes par rapport au niveau de la mer) et en travers au niveau de chaque piquet, ceci pour obtenir un plan coté très précis permettant l’exécution des travaux.

Les risques personnels pris par les ingénieurs et les géomètres pour le balisage d’une ligne dans un site montagneux. Cette gravure se passe de commentaires.

Un comptage complexe.

Appelés jadis “Poteaux Kilométriques” et créés vers 1875, les points kilométriques, ainsi que les bornes hectométriques qui les complètent, sont posés lors de la construction de la ligne et se présentent sous la forme de poteaux ou de mâts surmontés d’une plaque comportant un numéro, celui du kilomètre mesuré depuis l’origine de la ligne.

Il est certain que seules quelques grandes lignes ont leur PK 0 situé à Paris, et que beaucoup de lignes prennent leur départ en s’embranchant sur une autre ligne. Toutefois, si l’on consulte les « Carnets de Profils et Schémas de la SNCF », on découvre que, par exemple, Trouville-Deauville est desservie, en 1957, par deux lignes s’embranchant sur la grande ligne Paris-Caen-Cherbourg, l’une à Lisieux (aujourd’hui toujours en service) et l’autre à Mézidon. Le comptage des PK par Lisieux se fait depuis Paris : Trouville-Deauville est, pour cette ligne, au PK 219,2. Par contre, la ligne de Mézidon est considérée comme une ligne d’embranchement prenant sa naissance dans cette dernière ville : Trouville-Deauville est alors au PK 50,5.

Un exemple du “Carnet de Profils et Schémas” de la SNCF. L’échelle des PK, chiffrés par dizaines, est à droite. Au centre le profil en long avec les noms des gares et ouvrages d’art et surtout l’indication très exacte de leurs PK. A gauche, à la même échelle que le profil en long, le plan de voies de la ligne.

Sur toutes les lignes partant de Paris, c’est la gare tête de ligne dans la capitale qui est l’origine du kilométrage, et, par exemple, pour les lignes du Sud-Ouest, c’est la gare d’Austerlitz. Pour les lignes transversales ou d’embranchement, il n’y a pas de règle absolument générale. Dans bien des cas, on poursuit le kilométrage de la ligne principale sur l’embranchement ou la transversale. Dans d’autres, on numérote les kilomètres à partir de la gare tête de ligne ou à partir d’une grande gare assez voisine.

Le PK 0 de la gare de l’Est, à Paris. Cliché Alain Jeunesse du Club de la Grande Vitesse Ferroviaire.

L’exemple complexe du réseau du Midi.

Ce réseau n’a pas de « tête » à Paris et occupe le triangle situé entre la Garonne et les Pyrénées, avec plusieurs villes importantes faisant du réseau un ensemble à plusieurs « têtes ». Sur les lignes de l’ancien réseau du Midi, c’est Bordeaux qui est à l’origine du kilométrage. Sur la ligne de Bordeaux à Narbonne, par exemple, le kilométrage progresse régulièrement de Bordeaux (km. 0) à Narbonne (km. 406), mais sur la ligne de Bordeaux à Lyon, la situation est beaucoup plus compliquée.

De Bordeaux à Coutras, avec comme origine Paris-Austerlitz (via Poitiers) on a Bordeaux-Saint-Jean au point kilométrique 583, Coutras au point kilométrique 531. De Coutras à Périgueux, origine Coutras, on trouve Coutras au point kilométrique 0, et Périgueux au point kilométrique 75. 

Les trois réseaux du PO, du Midi et du PLM pénètrent dans le Massif Central et plus particulièrement, pour ce qui est du Midi, au sud de cet important massif occupant le centre de la France. Entre Périgueux et Saint-Sulpice-Laurière, par exemple, et avec origine Paris-Austerlitz (via Châteauroux), on trouve Périgueux au point kilométrique 500, mais Saint-Sulpice-Laurière au point kilométrique 368, car on remonte par le sud.

 
Entre Saint-Sulpice-Laurière et Montluçon, origine Paris-Austerlitz (via Montluçon), on trouve Saint-Sulpice-Laurière au point kilométrique 449 et Montluçon au point kilométrique 326, car on considère que l’on remonte en direction de Paris par Montluçon. Entre Montluçon et Gannat, origine Paris-Austerlitz (via Montluçon), on a Montluçon au point kilométrique 326, et Gannat au point kilométrique 394. Mais de Gannat à Saint-Germain-des-Fossés, origine Paris-Lyon (via Moret et Nevers), Gannat se trouve au point kilométrique  378 puisque relevant du P.L.M. et Saint-Germain-des-Fossés au point kilométrique 354 pour la même raison.

De Saint-Germain-des-Fossés à Saint-Germain-au-Mont d’Or (poste 2), avec pour origine Paris-Lyon (via Moret et Nevers), Saint-Germain-des-Fossés est toujours au point kilométrique 354, mais Saint-Germain-au-Mont-d’Or, est au point kilométrique 496 (Poste 2). De Saint-Germain-au-Mont-d’Or (poste 2) à Lyon-Perrache, origine Paris-Lyon (via Dijon), on trouve Saint-Germain-au -Mont-d’Or (poste 2) cette fois au point kilométrique 490 !

Le second exemple suffit à montrer la complexité inévitable du kilométrage sur les longues transversales, surtout lorsqu’elles se trouvent en tronc commun sur certains parcours avec des artères radiales.

Un exemple actuel : où est le point kilométrique 0 de la ligne à grande vitesse Paris-Sud-Est ?

Le point kilométrique 0 de la ligne à grande vitesse reliant Paris au Sud-est de la France est, en théorie, exactement au point kilométrique 29,426 de la ligne classique du PLM, à Lieusaint, au nord de Melun.

Facile à dire…. Allons sur le terrain. Lors de l’ouverture de la ligne en 1982, les trains quittant Paris ne parcourent pas tous ce que l’on appelle « la faucille de Villeneuve-St-Georges », cette grande et belle courbe qui n’affecte, au sud de cette grande gare, que les voies 1 bis, 2 et 2 bis et qui n’est imposée que pour les trains pairs – c’est-à-dire ceux se dirigeant vers Paris. Les autres, impairs et donc quittant Paris, parviennent au point kilométrique 0 de la ligne à grande vitesse en ayant économisé 700 mètres.

Par ailleurs, sur la ligne à grande vitesse proprement dite, le raccordement de la voie 1, en direction de la province, est exactement au point kilométrique 29,309 tandis que celui de la voie 2, en direction de Paris, est au point kilométrique 29,258, soit une différence de 51 mètres !  Pour « simplifier » les choses, on a finalement décidé que le point kilométrique 0 de la ligne à grande vitesse se situe au point kilométrique 29,426 de l’ancienne ligne, ce qui laisse une zone « inexistante » de 168 mètres sur la voie 2 et de 117 mètres sur la voie 1 parcourues par les TGV. Le vieux problème philosophique de l’existence a été résolu de main de maître par les géomètres de la SNCF.

C’est, du moins, la situation en 1982, lors de l’ouverture de la ligne nouvelle. Depuis, les TGV gagnant le Sud-est passent par le nouveau raccordement de Valenton et de Bonneuil-sur-Marne, celui-ci permettant l’arrivée, sur la ligne, des TGV venant du nord de l’Europe par Roissy. Cela se complique de plus en plus…

La situation à Mâcon TGV en 1982. Déjà complexe, en attendant mieux… En rouge : les PK de la LGV. En vert : les PK de la ligne classique Paris-Lyon. En gris-jaune : les PK de la ligne de Mâcon à Bourg. Les TGV Paris-Genève passent ainsi du PK 337,888 au PK 7,289 de la voie paire de la ligne Mâcon-Genève, puis au PK 7,780 de la voie impaire.
Un autre exemple de site très complexe, pour les PK: celui de Longueau, sur le réseau du Nord.
Le site de Longueau dans la réalité (non augmentée…). De quoi perdre ses PK et son latin !

Des éléments de repérage indispensables.

Pour la SNCF, il faut que les documents comportent bien les mêmes points kilométriques que ceux du terrain, même s’il y a des points kilométriques ajoutés et comptés à rebours pour compenser des zones situées entre deux lignes.

Les PK trouvent certes toute leur importance, sans doute, dans le simple comptage de distances kilométriques, mais ils comptent surtout pour le repérage des gares, des points particuliers comme des bifurcations, des ouvrages d’art comme les viaducs, les tunnels, les ponts, des appareils de voie, des signaux. En outre, ils permettent, dans le cas d’un incident en ligne comme une panne, ou une défaillance mécanique, de situer immédiatement le lieu d’intervention, le mécanicien pouvant par téléphone ou par liaison radio donner sa position exacte. Ils permettent aussi d’organiser les travaux avec précision.

Notons aussi que l’électrification des lignes apporte une accumulation d’équipements et d’installations fixes qui doivent tous être repérés : des milliers de poteaux ou de supports de caténaires, des sectionnements, des points d’alimentation, des sous-stations, tout ceci provoque un véritable envahissement de l’environnement ferroviaire et se doit d’être repéré avec la plus grande précision. C’est ainsi que les supports de caténaire sont numérotés individuellement entre deux points kilométriques et portant sur eux cette numérotation : le support comporte deux chiffres, l’un étant le point kilométrique et l’autre son propre numéro à l’intérieur du kilomètre considéré. Par exemple, un support affichant 280-12 est le 12e support à l’intérieur du 280e kilomètre de la ligne.

Donc une ligne, c’est beaucoup plus qu’un simple itinéraire, c’est beaucoup plus que n’est l’atmosphère pour un avion ou la route pour un autocar. C’est la donnée fondamentale, et technique et concrète, de ce qui crée le chemin de fer. Et chaque PK est aussi le témoignage, sur le terrain, des efforts des hommes pendant bientôt deux siècles pour construire ce que l’on appelle les chemins de fer.

Construction de la ligne de Maîche à Morteau, dans le Doubs, à la fin du XIXe siècle. Les bœufs sont la seule force non humaine sur le chantier. Le train de bennes circule sur une voie provisoire, sans doute étroite.

1 réflexion sur « Les points kilométriques, ou PK : la ponctuation des lignes. »

  1. Le Village du Collez de dèze est en Lozère pas en Ardèche: https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Collet-de-D%C3%A8ze

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