Nous avons déjà traité, sur “Trainconsultant”, de l’histoire des autorails sur pneus Michelin sous le titre “Les Michelines : le “train en pantoufles” de Bibendum”. Mais nous aimerions revenir sur la très éphémère Micheline type 5 et sa journée mondaine et très médiatisée du 10 septembre 1931, ceci lors d’un parcours à 107 km/h de moyenne entre Paris et Deauville. C’est beaucoup plus la médiatisation qui nous fascine, alors ignorée des chemins de fer de l’époque mais déjà très pratiquée par l’automobile. Les frères Michelin, rois incontestés du pneumatique, ont su mener une opération prestigieuse et très payante, avec, même, l’appui d’André Citroën, un autre roi dans un genre différent mais proche, qui prête même sa villa de Deauville, et aussi son épouse qui prend place à bord de ce fragile prototype pesant 4,2 tonnes, à caisse en bois et toile d’avion, suivi à courte distance par les 120 tonnes d’une locomotive à vapeur type Mountain Etat chargée, elle, de shunter les circuits de voie de la signalisation. Une drôle d’aventure.

Né des essais Michelin, ce curieux engin mérite bien sa place au sein du club très fermé des records et des exceptions, car il est né, semble-t-il, des amours d’une automobile et d’un avion, mais pour donner un très curieux engin ferroviaire qui a eu un tel succès qu’il fut même reproduit en jouet. En, en outre, il bat un record de vitesse en 1931 en assurant le trajet Paris-Deauville avec, à bord, des gens très en vue que l’on n’appelle pas encore des “influenceurs”, mais cela viendra presque un siècle plus tard.
Non seulement Michelin fabrique des pneus pour l’automobile, mais, en cette période de crise économique qui frappe les années 1920 et 1930, la firme est convaincue de la nécessité de conquérir d’autres marchés, et de doter de pneumatiques tout ce qui roule, y compris le matériel ferroviaire.


Le chemin de fer, monde techniquement difficile et fermé.
Mais le poids par essieu, dans les chemins de fer, se chiffre en tonnes et atteint couramment 20 tonnes sur une ligne: un pneumatique ne peut à peine supporter que quelques centaines de kilogrammes. Il faut donc construire léger, et c’est là que Michelin a l’idée de la Micheline, un véhicule léger et rapide, circulant sur les voies ferrées, et transportant dans des conditions de grand confort un faible nombre de voyageurs. Donc : vitesse, confort, mais faible capacité : voilà les trois “fondamentaux” (comme il faut dire aujourd’hui) du cahier des charges.
Après avoir conçu un certain nombre de prototypes d’essais, la célèbre firme étudie ce type N°5 qui est réellement conçu pour les essais et la démonstration.
Hispano-Suiza et Wibault mélangés.
André Michelin obtient ainsi rapidement son type N°5. Il se présente, en apparence, comme composé de deux parties : on pourrait croire qu’il y a un “tracteur” sur un châssis d’automobile 40 cv Renault, d’une part, et pour la partie “remorque” une carlingue d’avion Wibault 280T. En apparence c’est un appareil articulé (que le fabricant de jouets LR traitera ainsi pour affronter les courbes serrées des rails, voir l’illustration en fin d’article), mais en réalité, il n’en est rien. Il n’y a pas deux éléments, mais un seul, l’ensemble étant parfaitement rigide et d’une seule pièce. Le moteur propulse un châssis de voiture classique à deux essieux, disposé à l’avant de l’engin. La carlingue repose sur le deuxième essieu de ce châssis, d’une part, et, d’autre part, sur un troisième essieu indépendant situé à l’arrière, le tout pouvant s’inscrire en courbe uniquement par le jeu latéral des essieux.


Il est vrai que l’avant de l’engin, avec ses ailes (pas toujours présentes sur l’ensemble des documents), son capot et sa cabine de conduite issus directement du monde de l’automobile, donne à cette Micheline toute son originalité et minimise quelque peu l’origine aéronautique de la carlingue. Le duralumin et la toile d’avion ignifugée sont utilisés au maximum, et même le pavillon de la toiture est en toile ! Inutile de dire que c’est un peu léger pour aller se frotter aux dures réalités du monde ferroviaire, entouré de voitures à voyageurs en acier épais et pesant leurs 40 à 50 tonnes…
Un événement très chic.
Ce 10 Septembre 1931 Marcel Michelin conduira lui-même la Micheline type 5. Il a invité André Citroën et Madame, son ami Raoul Dautry, Directeur du réseau de l’Etat, 10 privilégiés, dont un cousin des Michelin, Mr Forgeot, ancien ministre (on ne sait jamais, des fois qu’il ferait son “outing” suivi d’un “comeback” comme on dirait, en bon français, aujourd’hui), Mr Colas, maire de Deauville, et le baron Brincard (pour faire chic : aujourd’hui on s’en passerait) et Mr Birkigt le très connu dirigeant de la firme Hispano-Suiza. Tout ce beau est monde réuni afin de faire un voyage d’essai Paris-Deauville aller et retour. La Micheline est, avec sa carlingue d’avion de l’époque, à peine plus large que l’écartement de la voie, et il faut combler le vide existant entre le bord du quai et la porte de la Micheline avec une caisse posée sur le ballast dont la très élégante Madame Citroën fera un usage obligé et hésitant, s’aventurant en manteau, jupe et talons haut sur cet un équipement guère ferroviaire.
Le départ a lieu à 10h30 et l’arrivée se fait, sans problème majeur, à la gare de Trouville-Deauville à 12h44. La toute nouvelle gare accueille la « party » et les 10 invités vont manger chez Mr et Mme Citroën, dans leur somptueuse propriété qu’est la villa “Les Abeilles”. Il est, d’ailleurs, assez amusant de penser que, si André Citroën sait se mettre en avant dans cet événement mondain, jamais, contrairement à Renault, Berliet, ou à Bugatti, il engagera sa firme dans la construction de matériel ferroviaire, malgré son amitié pour Raoul Dautry, directeur du réseau de l’Etat qui l’y incite.


Grâce à un moteur Hispano-Suiza donnant 46 ch., le trajet se fait en 2 h 14 mn et le retour demande 2h3 mn. Il aura fallu faire le plein d’essence à Trouville-Deauville avec des moyens de fortune et le dévouement d’un pompiste local, ce précieux fluide n’existant pas encore dans les gares et les dépôts de l’époque, et il aura fallu tourner l’autorail sur la plaque du dépôt pour qu’il puisse repartir à Paris. La presse est au départ et à l’arrivée pour donner à l’exploit tout le retentissement désirable et une foule considérable a pu être attirée : la vitesse moyenne de 107 km/h tenue pendant plus de 4 heures, des pointes à plus de 130 km/h sont véritablement triomphales pour Michelin et ouvrent l’ère de la Micheline – c’est-à-dire de l’autorail sur pneus.




d’histoire naturelle.

Une massive et lourde locomotive à vapeur suit discrètement.
Certes les responsables des réseaux ferrés restent sceptiques devant la petitesse et la fragilité de l’engin, son roulement sur pneus générateur de crevaisons et incapable de « shunter » les circuits de signalisation des voies, mais Michelin saura vaincre ces réticences avec de solides arguments – prouvés à l’usage – en matière d’économie, de rendement, et surtout de confort et d’attractivité.
Mais on peut penser que André Michelin, tout comme les invités de la journée, n’aura aucun regard pour la locomotive à vapeur Mountain Etat (194 tonnes tender compris) qui suit, à distance respectueuse, la Micheline pendant la totalité du voyage.
Personne n’aura le mauvais esprit de souligner la présence de cette locomotive qui, elle, souligne le grand problème que les autorails à pneumatiques ne manqueront pas de poser : leur inexistence électrique sur les rails, donc leur non détection par les circuits de voie actionnant la signalisation. Ce problème restera endémique pour les Michelines, et le constructeur ne verra d’autre solution que la pose de frotteurs métalliques prenant appui sur les rails, solution très aléatoire et donnant des ratés de fonctionnement.

Les autres Michelines roulent déjà pendant cet essai.
Pendant ce même été 1931, les premières Michelines du type à 24 places destinées à l’exploitation commerciale des réseaux accumulent des kilomètres d’essais sur la ligne de Coltainville à Saint-Arnoult du Réseau de l’Etat. Dès les mois de mars et de mai 1932, les réseaux de l’Est et de l’Etat reçoivent les premiers exemplaires qui entrent aussitôt en service. Ces autorails, d’une puissance de 95 CV, pèsent, à vide, 4,7 tonnes et, en charge, 7 tonnes. Montés sur cinq essieux, dont deux moteurs, ces autorails ont une caisse en bois et toile, ce qui, certainement, donne la chair de poule aux responsables des réseaux, si ce n’est pas le cas des téméraires voyageurs environnés de Pacific pesant 120 tonnes remorquant des trains de 600 tonnes…. Mais, à la grande joie des comptables des réseaux, le poids mort par place offerte n’atteint que 195 kilogrammes par voyageur et la vitesse en service s’élève, en pointe, à 100 km/h et, en marche normale, à 80 km/h.


Ainsi, dès 1931-1932, la Micheline prouve ses possibilités en exploitation commerciale, mais une grosse difficulté apparait : la limitation de la charge par essieu qui semble compromettre tout avenir ferroviaire. IL faut de la capacité de transport, et un véhicule à 24 places n’est, en effet, susceptible que d’un emploi limité pour sa capacité trop réduite.
Tout le problème réside donc à la fois dans l’allégement du véhicule, déjà fort léger pourtant avec son poids-mort de seulement 195 kg par place offerte contre 1000 kg dans les voitures métalliques, et surtout dans l’amélioration du poids par essieu accepté par les pneumatiques. Il faut donc améliorer encore les progrès déjà réalisés dans le domaine du « pneu-rail ». C’est ce qui est fait dès les mois qui suivent, la charge du « pneu-rail » est passée de 650 kilogrammes en 1932 à plus de l100 kilogrammes en 1936, c’est-à-dire un poids de 2,2 tonnes par essieu. Notons que ce n’est que le dixième de la charge acceptée par un essieu ferroviaire classique…
C’est ainsi qu’après la Micheline de 24 places de 1932, les progrès en matière de pneumatiques permettent la mise au point de la Micheline de36 places en 1933 et de 56 places en 1934. Ce sont les modèles courants employés sur les réseaux français.




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