Epoque Dorpmüller : le réseau allemand en révolution de 1920 à 1945.

Julius Heinrich Dorpmüller (1869-1945), haut fonctionnaire et homme politique allemand, est directeur général de la Deutsche Reichsbahn de 1926 à 1945 et aussi ministre des Transports entre 1937 et 1945. Reprenant en mains le destin du chemin de fer allemand qui a été unifié et nationalisé en 1920, il sera l’homme de la renaissance ferroviaire allemande et de l’excellence du réseau. Mis hors de cause parce qu’il n’a jamais été ni sympathisant ni membre du parti national-socialiste, il est sollicité par les alliés pour recréer les transports publics allemands, mais il décèdera rapidement d’un cancer.

Une Pacific de la série 01, vue vers 1936 en gare de Hambourg. La croix gammée sur la locomotive et les anneaux olympiques sur le tender essaient de faire bon ménage… idéologique.
La Pacific série 01, emblématique de la Deutsche Reichsbahn des années 1920 et 1930. Les roues et le châssis rouge vif, le châssis amplement ajouré, la cabine de conduite dans le style “unifié” contribuent à créer le mythe.

Peu de temps avant que Dorpmüller ne la dirige, la Deutsche Reichsbahn Gesellschaft est créée le 11 octobre 1924 : c’est l’unification des chemins de fer allemands en une seule société nationale, et c’est la fin de la multitude de compagnies privées ou de petits réseaux des états allemands initiaux. La DRG sera un réseau innovant, performant, et, donnant l’exemple de la modernité militante, il contribue aussi à créer l’image de marque de l’Allemagne industrielle. Le point fort de cette période est la création de locomotives à vapeur unifiées formant des séries ayant des chaudières, des roues, des cabines de conduite standardisées créant une économie à la construction et à l’entretien.

Construite à plus de 7000 exemplaires en un temps record par la mise à contribution de toute l’industrie allemande, la “Kriegslok” type 150 série 52 marque le départ de la “guerre totale”, notamment pour la conquête de l’Europe et de l’URSS. Le désastre de l’opération Barbarossa viendra de l’impossibilité d’utiliser le réseau russe qui est dans un écartement de 1524 mm, donnée sous-estimée par Hitler et son état-major.

La montée en puissance du réseau ferré allemand.

La première ligne allemande est ouverte en 1835 entre Nuremberg à Fürth, en Bavière, mais la puissance industrielle et le « leadership » allemands viendront bien de la Prusse : en 1871, le Roi de Prusse est proclamé Empereur de la Confédération Germanique. À ce moment, le réseau allemand comprend environ 18000 km de lignes, réparties entre 82 exploitations et 66 compagnies ! Il faut mettre de l’ordre dans cet ensemble très hétéroclite et la Prusse est chargée d’administrer le réseau, avec toutefois l’aide de la Bavière, de la Saxe, du Mecklembourg et de la Hesse. La prédominance prussienne est un fait acquis, et l’Allemagne moderne se construit autour d’elle et du réseau ferré. Le grand réseau bavarois, dont la conception, les techniques, l’exploitation sont très différentes de celles du réseau prussien, se trouve, dans une certaine mesure, marginalisé, mais dans une brillante marginalisation, car il saura attirer sur lui l’attention des ingénieurs du monde entier par la qualité technique de ses locomotives.

Mais c’est surtout au lendemain de la Première Guerre mondiale que le chemin de fer allemand aide à cimenter l’union d’un pays meurtri. Votée par la loi du 30 mars 1920 et applicable le 1er avril 1921, la nationalisation de 1924 est notamment le démarrage véritable du réseau allemand qui, pour la première fois, porte dans son appellation l’adjectif « deutsche »: la DRG est bien la naissance de l’Allemagne ferroviaire.

La première ligne allemande, de Nuremberg à Fürth, en 1935. La locomotive est une “Patentee” anglaise livrée par Stephenson.
Cent ans plus tard, à Nuremberg toujours, c’est la célébration du centenaire des chemins de fer allemands avec une reconstruction du train de 1835. Le régime nazi fait les choses en grand, car l’image du chemin de fer est porteuse de modernité, de puissance et d’efficacité.

La « vache à lait de l’Empire » …

Les compagnies allemandes anciennes ne sont pas prêtes à se laisser déposséder, mais la ténacité de Bismarck à opérer le rachat en vue d’une œuvre de centralisation politique et économique au profit de la suprématie prussienne finit par triompher. Il présente plusieurs fois son projet, le plaçant modestement sur le terrain économique, le justifiant par des promesses, le défendant par des prévisions, et réussit à le faire voter en 1879.

Magnifique photographie d’époque, prise vers 1880, du chemin de fer allemand alors morcelé en petits réseaux privés ou d’état. Les tarifs sont élevés et les performances médiocres.

Ces promesses et ces prévisions n’ont pas tenu devant les faits : les tarifs allemands sont parmi les plus élevés d’Europe, pendant que le peuple allemand en réclame la réduction. Le « Berliner Taygeblatt » écrit : « Lorsque l’État prussien a commencé ses rachats, beaucoup s’y opposaient, et la pratique leur a donné, en partie, raison, car il y a plus d’un reproche à faire à l’Administration des chemins de fer de l’État, entre autres, celui du manque de wagons et de mauvais tarifs. »

Comme en tous pays, la guerre de 1914 amène en Allemagne des perturbations considérables dans le fonctionnement des chemins de fer. La capacité de rendement baisse de 25 % par rapport à celui du temps de paix. Tous les services techniques sont clans des mauvaises conditions, aux dires de la « Gazette de Francfort » elle-même. Au lendemain de l’armistice, le Dr Solf, Ministre des Travaux Publics, déclare que la crise se trouve aggravée par la détérioration, l’usure du matériel et le manque de lubrifiants. Au 20 décembre 1918, l’Allemagne a purement et simplement supprimé la moitié des trains de voyageurs qui étaient encore en service.

Les chemins de fer, « vache à lait de l’Empire » comme on disait du temps de Bismarck, apportaient avant la guerre 600 millions de Marks de bénéfices. Pendant la guerre, ils ont un déficit de 2 milliards de Marks. Les seuls chemins de fer bavarois clôturaient leur exercice 1918 par un déficit de 90 millions de marks !

La décision est prise par les circonstances.

Dès les premiers jours de 1917, le Gouvernement allemand décide de créer une direction générale unique pour tous les chemins de fer allemands. Cette mainmise sur tous les réseaux n’amène aucune amélioration sensible et ne fait qu’accentuer les dissentiments entre les différents centres administratifs issus des anciens réseaux. Mais cet esprit centralisateur d’unification a persisté, et, à la fin de juin 1918, les ministres des chemins de fer des divers États, réunis à Wiesbaden, arrêtent les principes de l’unification administrative des réseaux.

Et c’est alors que l’on vit combien cette idée centralisatrice était puissante. Ce fut l’idée bismarckienne qui triompha. La presse d’époque écrit : « L’Allemagne, loin d’appliquer le système « nationalisateur » ou « socialisateur » au lendemain de la Révolution, ne fit que rendre plus étatiste, plus impérialiste que jamais l’organisation de son réseau. Que le côté « étatiste » du système ait soulevé d’âpres critiques, il va de soi. »

L’ingénieur Otto Buchsbaum déclare à l’Assemblée générale de l’Association des Ingénieurs allemands : « Le germe des difficultés actuelles a été semé, il y a quarante ans, lorsque les chemins de fer prussiens ont obtenu le monopole des transports. Comme conséquence, l’Administration des chemins de fer prussiens a vu sa situation empirer chaque année. Mais il n’est pas d’exemple qu’un État, quand il a mis la main sur un domaine, la retire ! ».

Mais par la force des circonstances, l’unification s’est faite et se poursuivra, et c’est ce que souligne le ministre des Communications Bauer dans une proclamation aux cheminots :  « Enfin, nous avons atteint le but poursuivi :  l’unité politique de tous les pays allemands, qui a trouvé sa plus haute expression dans la Constitution. L’Empire est affermi par l’unification du réseau des chemins de fer. »

Train allemand du début du XXe siècle. Le réseau est morcelé, le matériel est ancien et disparate. Les années 1920 et la création de la Deutsche Reichsbahn, avec la volonté de refonte du système avec Dorpmüller, vont rebattre les cartes.

Un matériel unifié et performant.

C’est en 1925 que la DRG, nouvellement créée, entreprend une standardisation exemplaire de l’ensemble du matériel moteur allemand et définit un programme de construction de locomotives unifiées. Les Pacific de la série 01 de 1925 sont les premières locomotives allemandes unifiées, et elles sont suivies de locomotives pour trains express ou marchandises. Toutes ont en commun une chaudière de fortes dimensions, un foyer large, un mécanisme et un mouvement très robustes, un châssis classique à longerons entretoisés, une cabine de conduite vaste et confortable.

Avec l’arrivée du régime national-socialiste, les chemins de fer allemands se trouvent, avec le réseau autoroutier, au centre de l’enjeu à la fois industriel et social, et ils auront à donner de l’Allemagne une image performante et moderne. Julius Dorpmüller, placé à la tête de la Deutsche Reichsbahn, crée en 1933 des relations entre Berlin et Hambourg avec les automotrices « Fliegender Hamburger » effectuant le parcours de 290 km en 138 mn et à 160 km/h en pointe : c’est un record mondial à l’époque et c’est le triomphe ferroviaire du moteur inventé par Rudolph Diesel. C’est aussi la naissance d’un type de chemin de fer nouveau, celui de la desserte rapide par automotrices à grande vitesse reliant des grandes villes avec un horaire très serré : c’est, en quelque sorte, la préfiguration du Shikansen japonais, des TGV français, de l’ICE allemand et autres HST britanniques d’aujourd’hui…

Mais aussi cette grande période est celle des électrifications intensives du réseau, car l’Allemagne met au point, avec des firmes remarquables comme AEG ou Siemens, les techniques de la traction électrique moderne des années 1930. De nouvelles locomotives électriques peuvent donner 3 000 kW et rouler à 150 km/h. En 1938, la vitesse de 180 km/h est prévue sur les planches des bureaux d’études pour les nouveaux modèles comme la E-19 qui pourra même rouler à 225 km/h, en tête de trains de plus de 600 tonnes, ce qu’aucune locomotive à vapeur européenne du moment ne peut espérer faire, et, surtout, ne pourra jamais faire. Seules quelques locomotives à vapeur américaines des années 1940 pourront parvenir à de telles performances, mais l’Allemagne a su miser, en pionnière, sur la traction électrique.

L’âge de la puissance.

L’époque d’entre les deux guerres est celle de l’apogée pour la DRG. Son réseau s’étend sur plus de 65 000 km, ce kilométrage faisant de lui le plus grand d’Europe occidentale à l’époque et l’annexion de l’Autriche en 1936 augmentera d’autant les dimensions du réseau allemand. Le réseau est capable de faire face aux plus fortes demandes de transport, et son organisation comme la compétence professionnelle des cheminots est citée en exemple. Les trains sont rapides, luxueux, et de puissantes locomotives carénées, comme la série 05, préfigurent un avenir de haute technicité. Le train « Rheingold » circule le long du Rhin et cherche à éclipser les trains de luxe européens. L’industrie allemande est capable de construire des milliers de locomotives en un temps record, et saura se mettre au service de son pays pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le train “Rheingold” est l’un des plus beaux trains allemands (voir l’article consacré à ce train sur le site-web “trainconsultant”) et rivalise avec le train “Edelweiss” de la CIWL.
Le train “Rheingold” et ses couleurs très réussies.
Les voitures tout métal type grandes lignes de la Deutsche Reichsbahn des années 1930.
La “Mittel Europa” avec la Deutsche Schlafwagen Gesellschaft (DSG) se veut la concurrente de la CIWL qui, aux yeux des Allemands, incarne l’humiliation du Traité de Versailles et l’arrogance victorieuse de l’Orient-Express.

Les « Fliegender » de la Deutsche Reichsbahn : le train à grande vitesse des années 1930.

La traction Diesel sur des relations rapides à grande distance est bien née en Allemagne, patrie du moteur Diesel. Dès les années 30, les chemins de fer allemands mettent en service ces rames rapides qui desservent à plus de 150 km/h les grandes villes du Reich, préfigurant les relations TEE d’après-guerre et la concurrence entre le train et l’avion.

Le moteur diesel n’était certes pas fait pour la traction ferroviaire qui demande tout ce que le moteur à combustion interne refuse : un très fort couple au démarrage, une aptitude à fournir des efforts importants à des régimes très variés, et une capacité à résister aux échauffements. Mais les progrès du moteur diesel durant les années 30, notamment dans la marine, font de lui un moteur très endurant, très fiable, très sûr. Les ingénieurs des chemins de fer s’intéressent à lui pour la motorisation d’engins de manœuvres qui doivent rester de longues heures en stationnement, ce qui est onéreux en traction vapeur. Puis les progrès du moteur diesel amènent naturellement les ingénieurs à l’appliquer à des rames rapides et légères, autorails et automotrices.

L’Allemagne des années 30 développe intensivement ses moyens de transport, et si elle crée des autoroutes, elle ne néglige pas pour autant les voies ferrées. Le Dr. Dorpmüller, le dirigeant de la Deutsche Reichsbahn, décèle l’existence d’une clientèle d’hommes d’affaires que l’avion pourrait bien ravir au chemin de fer et il anticipe sur cette concurrence possible en créant des relations entre Berlin et Hambourg avec les automotrices «Fliegender Hamburger» qui deviendront, en 1933, le service ferroviaire le plus rapide du monde avec un parcours effectué en seulement 138 minutes pour les 293 kilomètres séparant les deux villes, soit une moyenne commerciale de 126 km/h et des pointes à plus de 160 km/h.

Les résultats d’exploitation très favorables obtenus incitent les chemins de fer allemands à commander, dès 1934, treize autres automotrices rapides doubles qui reçurent la désignation type « Hambourg s, afin de pouvoir développer sensiblement l’exploitation par automotrices rapides. À des améliorations de détails près, que l’expérience avait suggérées, ces nouvelles automotrices ressemblent tout à fait au prototype, après leur livraison, au cours de l’été 1935, la Deutsche Reichsbahn peut étendre l’exploitation par automotrices rapides à des lignes plus longues que celle de Berlin à Hambourg comme la ligne de Berlin à Stuttgart (678 km).

Sans relever la vitesse maximum de 160 km/h, on a pu atteindre des vitesses commerciales encore plus élevées : ainsi l’automotrice rapide Berlin – Cologne réalise 131,4 km/h de vitesse commerciale sur le parcours de 254 km., tandis que la rame de Berlin à Hanovre atteint une vitesse de 132,3 km/h sur le parcours d’Hanovre à Hamm, long de 176 km.

Bien que ces véhicules n’aient pas été conçus pour l’exploitation sur des lignes à profil difficile, la forte rampe, du Thüringer Wald est franchie sans difficulté, malgré sa longueur de 12 km, ce qui permet de réaliser les liaisons par automotrices rapides entre Berlin et Munich ou entre Berlin et Stuttgart. En 1936, ces automotrices sont en service sans interruption et ont déjà dépassé largement, chacune, le demi million de kilomètres.

Automotrice série 137 à deux caisses, dite “type Hambourg”.

L’arrivée du type « Leipzig ».

Pour satisfaire au besoin de véhicules de plus grande capacité, le réseau allemand commande, en 1934, quatre automotrices rapides triples, du type dit « Leipzig ». La puissance des moteurs de 400 CV des automotrices doubles étant insuffisante, ces moteurs reçoivent, sur les automotrices triples, un dispositif de suralimentation, par turbine soufflante à gaz d’échappement, qui porte leur puissance à 600 CV. Deux des automotrices triples reçoivent une transmission électrique, les deux autres une transmission hydraulique.

Au point de vue de la construction, les automotrices triples se différencient des automotrices doubles par l’aménagement intérieur à compartiments séparés en deuxième classe, la troisième classe restant à compartiment unique. Les bogies communs type Jacobs sont conservés. L’une de ces voitures, lors d’un parcours d’essai en 1936, roule à la vitesse record de 205 km/h.

Automotrice dite “type Leipzig” avec ces trois caisses, vue en 1933.
Automotrice “type Köln”, trois caisses mais plus longue, vue en service vers 1938.

Les enseignements de l’expérience.

La mise en service de ces automotrices rapides, permettant la création de relations accélérées entre la capitale et les grands centres économiques allemands et entre ces centres eux-mêmes, est un succès complet avec un coefficient de remplissage de 70 % en 1937. À cet égard, il convient d’observer qu’à côté de la faveur dont jouissent ces relations rapides, entre aussi en jeu leur place dans l’horaire. On constate que les relations de soirée qui permettent un retour chez soi après une journée de travail à Berlin ont le plus de succès.

Tant sur le plan de la sécurité que du confort, les automotrices rapides ne sont pas inférieures aux autres trains, bilan établi après un parcours global d’environ 10 millions de kilomètres au 1er décembre 1938. L’installation des moteurs sur les bogies n’a donné lieu à aucune difficulté, contrairement aux craintes exprimées par certains ingénieurs. Les moteurs Diesel, qui étaient encore à leurs débuts au moment de la construction de la première automotrice rapide, ont été perfectionnés d’une façon continue. Leur parcours dans les automotrices rapides dépasse toujours les parcours des mêmes moteurs dans les automotrices de vitesse moindre. Les parcours des moteurs Diesel dépassent 100 000 km. entre deux visites générales. La transmission électrique s’était également bien comportée dans sa disposition d’origine, dynamo accouplée avec le moteur diesel sur un bogie, et les moteurs de traction électriques étant disposés en suspension par le nez sur les bogies Jacobs.

Pour des véhicules circulant à des vitesses aussi élevées, le dispositif de freinage doit être l’objet d’un soin particulier. Pour obtenir un coefficient de frottement aussi constant que possible à toutes les vitesses, les premières automotrices rapides sont munies de freins à tambours. Comme on n’avait encore aucune expérience sur les freins de ce genre, il fallut pas mal de perfectionnements en service pour arriver à des durées acceptables d’environ 200 000 km. pour les tambours et de 20 000 à 50 000 km. pour les garnitures suivant la nature de l’exploitation. L’avantage du frein à tambour, outre son coefficient de frottement constant, réside dans son faible poids. De plus, il ne produit aucune poussière susceptible de provoquer des difficultés dans les moteurs. Malgré ces avantages, on préféra, pour les automotrices suivantes, revenir au frein à sabots, car on pensait que par sa construction plus simple, il nécessitait moins de travaux d’entretien. Les freins électromagnétiques se sont très bien comportés, de petits perfectionnements aux soupapes de commande et aux dispositifs de relevage en ont fait des appareils de secours indispensables pour les véhicules rapides.

Vers les types « Cologne » et « Berlin »

Les premières rames à deux caisses se révèlent rapidement comme ayant une capacité insuffisante. Tandis que la première automotrice rapide ne possède qu’un attelage de secours, les treize rames suivantes sont équipées de l’attelage automatique Scharfenberg, qui, toutefois, n’assure pas les connexions électriques. Les automotrices peuvent ainsi circuler en couplage, mais avec des pertes de temps du fait des branchements électriques à faire à la main. Ceci mena à équiper les nouvelles automotrices de l’accouplement électrique automatique. La possibilité de coupler des automotrices sur un trajet commun se fait, par exemple, sur le trajet Berlin – Nuremberg avec séparation des deux rames, l’une vers Munich, l’autre vers Stuttgart.

Mais il faut passer au type « Cologne” (ou “Köln”)  à trois caisses et longueur totale de 70 mètres, tandis que l’automotrice triple, type « Leipzig « n’a qu’une longueur totale de 60 mètres environ. Son poids est naturellement plus élevé avec 166 tonnes à vide, ainsi que sa résistance à l’avancement. Néanmoins, avec deux moteurs Maybach suralimentés de 600 CV, elle peut atteindre la vitesse maximum de 160 km/h. avec une accélération encore suffisante, bien qu’inférieure à celle des automotrices type « Leipzig ». Une série de 14 unités du type « Cologne » est commandée en 1936.

Le succès est tel, cependant, qu’il faut songer à la rame à quatre caisses offrant 160 places. Il aurait été nécessaire d’employer trois moteurs Diesel et, par conséquent, d’aménager trois bogies moteurs ou de placer trois moteurs rapides dans la caisse, ce qui aurait conduit à des complications et à un accroissement des frais de premier établissement comme des dépenses d’entretien. Il fallut donc s’engager sur une voie tout à fait différente et choisir un moteur Diesel de grandes dimensions.

On fut ainsi conduit à aménager un élément de la rame quadruple comme un compartiment de machines et à utiliser la place restante disponible pour le service des bagages et de la poste. Quatre moteurs de traction sont répartis symétriquement sur l’ensemble de la rame, deux sur chaque bogie extrême. Deux automotrices rapides quadruples, type « Berlin » et une motrice de réserve, sont commandées en 1936.

Peu avant la Seconde Guerre mondiale, des automotrices quadruples type « Munich » sont en projet et offriront un grand confort, y compris sous la forme d’une voiture restaurant. Mais une dernière série de 14 rames à trois éléments type «Cologne» est commandée en 1938 et clôt la grande aventure de ces magnifiques rames « Fliegender ».

Les locomotives à vapeur et à grande vitesse série 05.

Le milieu des années 30 est l’époque d’un apogée pour les chemins de fer allemands : le pouvoir national-socialiste est un partisan convaincu du développement des moyens de transport, et le chemin de fer est, avec les autoroutes, un élément important de cette politique à forte image de marque.

La vitesse ferroviaire est à l’ordre du jour, avec Julius Dorpmüller, dès le début des années 1930, et les pouvoirs publics encouragent la Deutsche Reichsbahn à accélérer la marche de ses trains. La mise en marche d’autorails Diesel très rapides comme le « Fliegender Hamburger » (voir cette fiche) roulant à 160 km/h et réalisant des moyennes de plus de 120 km/h entre Hambourg et Berlin, certes, est un progrès marquant et remarqué dans le monde entier à l’époque. Mais il faut aussi songer aux trains classiques, et des moyennes de 120 km/h peuvent aussi être tenues par des « Pacific » unifiées (voir cette fiche) en tête de trains légers, et montrent que la traction vapeur, sous certaines conditions de qualité de voie et de qualité de roulement du matériel remorqué, est tout à fait apte aux grandes vitesses.

Des constructeurs comme Borsig, de Berlin, étudient des locomotives à vapeur à grande vitesse capables de rouler à plus de 150 m/h, et font des essais de locomotives à turbines à vapeur, ou de chaudières à haute pression. La firme Henschel prévoit une 232 carénée à 3 cylindres, à cabine avant, étudiée pour rouler à 250 km/h en tête de rames légères aérodynamiques. Des projets de locomotives-tender carénées du type 221, en tête d’une rame articulée comprenant 2 voitures sur 3 bogies, prévoient des vitesses de 160 km/h. Enfin, la firme Henschel fait rouler une locomotive-tender carénée type 232 à 187 km/h en tête d’une rame articulée pesant 125 tonnes, ceci en 1935. C’est dire l’intensité des recherches allemandes en matière de vitesse sur rails à l’époque et l’avance considérable prise dans ce domaine.

La série des « 05 » : le 200 km/h enfin atteint en traction vapeur.

La Deustche Reichsbahn, en 1934, commande au constructeur Borsig une locomotive à disposition d’essieux type 232 destinée à supplanter les « Pacific » selon une évolution très en vogue à l’époque sur l’ensemble des grands réseaux, notamment américains.

La machine est capable d’atteindre 175 km/h avec un train de 250 tonnes. Elle est dotée d’un foyer débordant, donc très large, comportant une grande grille de 4,7 m². Le faisceau tubulaire de la chaudière a une longueur exceptionnelle de 7 m. La pression de la vapeur (ou « timbre » en termes de métier) est élevée, avec 20 kg/cm². Un surchauffeur, un réchauffeur viennent augmenter le rendement. Les roues motrices ont un diamètre très important avec 2300 mm. Trois locomotives sont construites.

La 05 001, essayée en juin 1935, atteint 200,7 km/h avec un train de 205 tonnes, sur la ligne Hambourg-Berlin. L’auteur Lucien-Maurice Vilain estime que la puissance atteinte a été de 3 137 ch aux cylindres et environ 1605 ch au crochet du tender. Le rendement aux grandes vitesses est très faible, car l’ensemble locomotive + tender absorbe à 200 km/h la presque totalité de la puissance au crochet avec 1532 ch. Cet intéressant essai montre que la pratique des grandes vitesses demande beaucoup d’énergie et se pose en termes de rendement et d’opportunité.

Le carénage des locomotives type « 05 » sera d’ailleurs démonté ultérieurement, et ces superbes machines feront une carrière classique dans le roulement normal des « Pacific ». Seule la 05 001 a été sauvée de la destruction et, recarénée comme à l’origine, elle est exposée au Musée de Nuremberg.

Les essais de la locomotive carénée 05001. La réussite esthétique compte autant que les performances atteintes.
Affiche pour le centenaire des chemins de fer allemands en 1935. La 05001 est à l’honneur, mais on ne la verra que très peu en tête de trains rapides ou non.
Locomotives type 05001 à vapeur et type E-17 électrique exposées au musée national des chemins de fer allemands à Nuremberg.
D’autres recherches sont faites comme le train léger caréné Wegmann avec sa locomotive-tender carénée vue ici en 1936.
De même le problème du manque de charbon et de son prix encourage des recherches sur la traction au charbon pulvérisé, mais les résultats ne sont pas convaincants, ce charbon étant à faible pouvoir calorifique.
La Deutsche Reichsbahn projette de construire des locomotives carénées type 242 avec cabine de conduite à l’avant, qui resteront sans lendemain, avec l’entrée en guerre en 1939.

Caractéristiques techniques des 232 série 05 :

Moteur: simple expansion 3 cylindres.

Cylindres: 550 x 660.

Diamètre des roues motrices: 2300 mm.

Surface de la grille du foyer: 4,7 m2.

Pression de la chaudière: 20 kg/cm2.

Contenance du tender en charbon: 10 t.

De la E-17 à la E-19 : les fameuses 1D1 allemandes électriques montrent la voie.

L’Allemagne est un pays pionnier en matière de traction électrique et développe intensivement, à partir des années 20, un grand programme en courant monophasé 15 000 V à fréquence spéciale 16 2/3 Hz. Mais ce pays met au point des locomotives remarquables, notamment les 1D1 de vitesse qui sont une réussite technique et esthétique sous les deux formes successives E-17 et E-18.

Après la Première Guerre mondiale, un grand mouvement d’électrification en monophasé est entrepris dans les pays du centre de l’Europe : Suisse, pour commencer, mais aussi l’Allemagne (avec Julius Dorpmüller) et l’Autriche. Ce mouvement gagne rapidement le nord de l’Europe avec la Suède et la Norvège. La cherté du charbon, sa difficulté d’importation, des politiques énergétiques nationales et indépendantes, les faibles performances de la locomotive à vapeur ne sont pas les seules explications pour cet engouement. Il y a surtout le très faible coût des installations électriques en courant monophasé, une caténaire simple et légère, la possibilité très facile de prolonger les électrifications ou de les raccorder entre elles sans modification des installations déjà existantes, notamment au niveau des sous-stations. Par raccordements, jonctions, maillages de plus en plus serrés, les lignes électriques se rejoignent rapidement les unes et les autres, et le tout finit par former, dès les années 1930, un ensemble cohérent, surtout en Allemagne.

L’évolution des locomotives de vitesse allemandes.

La création de la Deutsche Reichsbahn regroupe les réseaux prussiens, badois, wurtembergeois, bavarois, déjà électrifiés partiellement ou non, et les électrifications se poursuivent dans le but de relier ces réseaux par les grandes artères de Salzbourg à Munich et à Ulm, d’une part, et, d’autre part, de Munich à Leipzig. Mais il faut des locomotives à la hauteur du programme.

Or, d’après l’ingénieur Yves Machefert-Tassin, historien de la traction électrique et co-auteur du fameux “Histoire de la traction électrique” (La Vie du Rail), les locomotives électriques de l’époque évoluent lentement, notamment sur le plan mécanique, dans le monde comme en Allemagne. Les années 1920 à 1925 voient le recours à des transmissions à bielles, puis à faux essieu commandé par engrenage et renvoi du mouvement par bielles aux essieux moteurs, le faux essieu étant disposé entre les essieux moteurs ou, plus rarement, devant eux, à l’extrémité du châssis. Le stade suivant est la commande directe des essieux moteurs par les moteurs électriques au moyen de transmissions du type suisse Büchli en 1926, solution appliquée à des locomotives bavaroises du type 1D1 ou 1ABA1 construites par BBC-Krauss. Après quelques essais dans succès de moteurs suspendus par le nez, solution de type tramway, sur une locomotive prototype 1BB1 E18 Siemens devenue E1601 en 1934, le stade ultime est la transmission à engrenages, permettant la commande dite individuelle avec un moteur par essieu.

L’essor du type 1D1.

L’Allemagne met au point, sous l’égide des firmes AEG et Siemens, des locomotives du type 1D1 ou 1C1. Les premières sont engagées sur les lignes plus difficiles, et le type de locomotive 1D1 reste, vu sa réussite en service quotidien, le type même de la locomotive allemande de vitesse des années 1930 et 1940. Les E-17 de 1929 ont des transmissions élastiques très perfectionnées et des moteurs doubles : certaines roulaient encore au début des années 1980. Les E-18 de 1935, par exemple, peuvent donner 3 000 kW et rouler à 150 km/h. En 1938, les E-19 sont l’accomplissement de l’évolution du type 1D1, et elles ont été prévues pour rouler à 180 km/h.

Le choix de bissels au lieu de bogies est audacieux pour des locomotives de vitesse et se fait contre le préjugé solidement établi que seul un bogie peut guider correctement une locomotive, comme l’expérience de la traction vapeur l’a démontré. Toutefois, il s’agit de bogies-bissels du système Krauss-Helmholtz, l’essieu porteur étant lié au premier essieu moteur dont il assure le guidage et le déplacement latéral.  Mais, justement, les ingénieurs allemands de l’époque maîtrisent les problèmes de stabilité et ont compris qu’une locomotive électrique n’est pas sujette aux mouvements parasites que connaissent les locomotives à vapeur du fait de l’absence de pièces en mouvement alterné. Toutefois, un très astucieux système de blocage du jeu latéral des bissels intervient aux grandes vitesses en utilisant l’air comprimé du freinage.

La E-18 démontre les possibilités du type 1D1.

Avec les firmes AEG et Siemens, de nouvelles locomotives du type 1D1 sont étudiées pour la traction des trains lourds rapides sur les grandes lignes allemandes, ceci pour avoir de meilleures performances que celles offertes par les E-17 existant déjà. Il faut dire que les fameuses rames automotrices Diesel du type Fliegender Hamburger ont montré que la vitesse de 150 km/h est chose faisable quotidiennement, et le programme imposé à ces locomotives est d’en faire autant, la vitesse de 150 km/h devenant désormais la norme de la Deutsche Reichsbahn. Mais les 150 km/h ici sont à faire en tête de trains de 700 tonnes ! Il faut une puissance considérable, et il est prévu qu’une puissance de 3800 ch (ou 2840 kW) soit installée à bord des locomotives pour parvenir à respecter un tel cahier des charges.

La série E-18 est la principale série de locomotives allemandes de vitesse des années 1930. Elle est réalisée à partir de 1934 par AEG, donnant un effort de traction correspondant à 3000 kW et destinée à rouler à 150 km/h. Construites avec des techniques de pointe, comme le châssis en tôle soudée, ces locomotives sont estimées, à l’époque, comme étant les plus modernes qui soient, et l’une d’elles est très admirée pendant l’exposition de 1937 à Paris. Lors d’essais, une E-18 pourra atteindre 170 km/h en tête d’un train de 300 tonnes.

Les années 1936 à 1939 sont un âge d’or pour ces locomotives et le réseau ferroviaire allemand. Les E-18 ont de telles qualités qu’une série de 92 exemplaires est commandée, mais, hélas, la construction est interrompue par la guerre après une livraison de 53 machines. L’Autriche construira des E-18, fournissant un effort de traction plus grand, mais, en contrepartie, ayant une vitesse de pointe limitée à 130 km/h.

La gloire crépusculaire de la E-19.

Les dirigeants de la Reichsbahn voient loin et grand à l’époque, et songent à des vitesses qui ne seront réalisées que durant ces dernières décennies sur les réseaux européens : les E-19, développées à partir des E-18, sont prévues pour 180 km/h et les quatre prototypes construits en 1940 roulent à plus de 225 km/h. Deux de ces locomotives sont des prototypes Siemens et deux autres sont des prototypes AEG. Si les AEG restent voisines des locomotives E-18, les Siemens utilisent des moteurs dits « doubles » avec des induits en série et sont équipés de transformateurs à enroulements en aluminium. Elles roulent à 180 km/h en palier, en remorquant des trains de plus de 630 tonnes. Elles atteignent des vitesses en pointe de 225 km/h, en tête de trains de plus de 600 tonnes, ce qu’aucune locomotive à vapeur du moment ne peut espérer faire, et peuvent fournir 4000 kW et même 5800 kW en vitesse de pointe. Un système de freinage très étudié permet l’arrêt d’un train roulant à 180 km/h sur seulement 1000 mètres.

Malheureusement, ces locomotives exceptionnelles ne trouveront pas sous leurs roues le réseau à grande vitesse qu’elles méritaient, ni de lourds trains rapides dont le matériel peut rouler à 180 km/h. Et, de toutes manières, la guerre ruinera tous ces beaux projets et espoirs.

Traction électrique allemande des débuts des années 1930 avec des 1C1.
En 1938 : la locomotive électrique type 1D1 série E-19 peut atteindre 225 km/h en tête de trains de 600 tonnes, fournissant alors 5800 kW.

Caractéristiques techniques des 1D1.

Type: 1D1 (E17)

Année de construction : 1934

Courant: monophasé 15000 V – 16 2/3 Hz

Moteurs: 4

Puissance: 2700 kW

Masse:103 t

Longueur: 16,92 m

Vitesse: 110 km/h

Type: 1D1 (E18)

Année de construction : 1935

Courant: monophasé 15000 V – 16 2/3 Hz

Puissance: 2 840 kW

Moteurs: 4

Masse: 108,5 t

Longueur: 16, 92 m

Vitesse: 150 km/h

Type : 1D1 (E19)

Année de construction : 1940

Courant: monophasé 15000 V – 16 2/3 Hz

Puissance: 4000 kW

Moteurs: 4

Masse: 111 t

Longueur: 16, 92 m

Vitesse: 180 km/h

Julius Dorpmüller n’oubliera pas la dimension sociale du chemin de fer, et l’offre sera faite aux familles ou aux groupes, notamment pour les vacances, comme dans un certain nombre de pays européens à l’époque. En Allemagne, le national-socialisme sera, au moins, “socialiste…”
Le réseau allemand en 1937.

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