La rame TGV spéciale “Iris 320” est consacrée aux mesures concernant la voie et les installations fixes de sécurité, tout comme la voiture Mélusine qui l’a précédée à partir de 1988 et que l’on incorporait dans des rames TGV en service courant, est la descendante d’une lignée de voitures de mesures anciennes surtout destinées à faire des mesures concernant la voie, mais aussi sur le matériel moteur. Elle a été précédée, en France, par les célèbres voitures Mauzin dont le souvenir est très présent pour beaucoup de cheminots aujourd’hui toujours. Or la voiture de mesures remonte à la fin du XIXe siècle. Ces premières voitures sont, à notre connaissance, sont aussi bien destinées aux mesures concernant la traction et que celles de la voie, mais elles ont un équipement différent selon leur vocation.

La science ferroviaire a besoin de sa salle de TP.
Vers la fin du XIXe siècle, les ingénieurs du chemin de fer sont à une époque où la science ferroviaire est bien constituée en ce qui concerne les principes généraux, mais demande à être affinée par des expérimentations menées avec rigueur. En particulier, la locomotive à vapeur pose de nombreux problèmes d’ordre thermodynamique, des problèmes de manque de rendement, de manque de stabilité sur les voies, de tenue de ses organes dans le temps. Une approche désormais scientifique demande des mesures précises, et surtout des mesures en série, enregistrées rapidement, et conservées d’une manière stable dans le temps. C’est la fin de l’époque des intuitions d’ingénieur déduisant, à partir des expériences et des constatations très empiriques, des directions possibles que l’on prend avec prudence…

Le problème : transmettre les mesures des appareils capteurs aux indicateurs.
Pour mesurer avec précision et en grande série des données fournies par une locomotive, il est nécessaire soit de l’équiper d’appareils capteurs – indicateurs directs posés çà et là sur elle, soit, mieux, de poser des appareils capteurs sur la locomotive et de regrouper des indicateurs dans un véhicule l’accompagnant et offrant toutes les commodités pour une observation, des comparaisons, des études et un enregistrement efficaces. Toutefois, ceci pose le problème de la transmission des données entre les appareils capteurs et les appareils indicateurs. À une époque où l’électricité n’est encore qu’un phénomène de laboratoire, la seule solution est d’ordre mécanique, ou encore hydraulique. C’est pourquoi la voiture de mesures se fait attendre.


Avant les voitures de mesures : de dangereuses acrobaties pour les techniciens.
Il suffit d’ouvrir, par exemple, le numéro de janvier de la RGCF pour l’année 1904 pour découvrir, en « direct », les conditions dans lesquelles se passaient les mesures effectuées en marche à l’époque. Il s’agit d’une locomotive compound à deux cylindres type 130 du réseau du Midi, et les essais ont eu lieu en 1902 et 1903.
« Outre le mécanicien et le chauffeur, trois opérateurs sont nécessaires. Deux d’entre eux, placés sur le tablier à hauteur des cylindres, sont chargés de la surveillance des indicateurs et de la prise des diagrammes, le troisième, qui se tient à côté du mécanicien, relève toutes les circonstances de la prise des diagrammes ».
On pousse un soupir de soulagement pour le troisième opérateur, installé sur la plate-forme de conduite de la locomotive. Mais les deux autres, eux, sont dans une position dangereuse. Postés sur le tablier au-dessus des cylindres, ils ne disposent donc que d’une étroite plateforme en tôle striée, large d’une trentaine de centimètres, coincés entre un corps cylindrique brûlant et le vide donnant directement sur un ballast défilant à vive allure. Secoués par les mouvements parasites de la locomotive (ces mouvements sont très violents à l’époque de la vapeur, ne l’oublions pas), ne pouvant que difficilement se cramponner à une chaudière brûlante dont la main courante est souvent haut placée pour des hommes travaillant accroupis près des appareils de mesure, ils doivent leur survie à la construction d’un poste rudimentaire en bois qui les protège des risques de chute certaine.
Lors de ces essais du Midi en 1904, les diagrammes sont pris de nombreuses fois pendant 15 mois, avec des marches à diverses vitesses s’étageant jusqu’à 90 km/h. Plus de 4000 diagrammes sont relevés. L’opérateur doit enclencher l’appareil après y avoir introduit une planchette garnie de papier sur lequel un stylet effectuera une trace. Il lui revient aussi de surveiller de très près le système additionnel de bielles de prise de mouvement ajouté au mécanisme de la locomotive et qui ne manque pas de poser les problèmes que l’on devine.
Dès que les progrès techniques dans la transmission mécanique ou hydraulique des données le permettront, on choisit, on le comprend aisément, la voiture de mesures. Mais la transmission des données à distance par ces moyens ne manque pas de poser de sérieux problèmes techniques, y compris ceux de la correction de ces données en fonction des imperfections du système.





La Worsdell : la plus ancienne voiture de mesures, peut-être ?
Il nous semble que, à notre connaissance, l’une des plus anciennes voitures de mesures soit celle du North Eastern Railway britannique, construite en 1908, impression confirmée par le fait que le Midi français, par exemple, n’en ait pas encore à sa disposition en 1902 et que le PO-Midi semble avoir construit la première du genre en France en 1937. Cette première voiture est due à l’ingénieur Wilson Worsdell. Constituée d’une caisse en bois à panneaux, bien dans la tradition anglaise de l’époque, elle est d’une élégance toute victorienne, et son intérieur a tout d’un manoir : lambris, tapis, rideaux lourds, laiton… Montée sur un châssis classique à bogies, elle ne surprendrait guère si elle n’était dotée de quatre roues d’un côté et de cinq de l’autre, donnant l’impression, si on la regarde de ce dernier coté, qu’elle a un bogie à deux essieux et un autre à trois essieux.
L’organe essentiel de la voiture est une longue barre de traction, montée sur rouleaux pour diminuer le frottement engendré par ses déplacements longitudinaux. Elle mesure l’effort de traction et enregistre ses variations. Elle contribue aux mesures de l’effort de freinage. Elle peut aussi mesurer la résistance au roulement et ses variations pour ce qui est du train qui est placé derrière la voiture de mesures.
Des capteurs sont néanmoins placés sur la locomotive pour transmettre aux indicateurs de la voiture des données thermodynamiques comme les températures ou la pression de la vapeur en divers points de l’appareil de production ou du circuit de distribution, les pressions dans le système de freinage, la position des commandes de la locomotive (régulateur, crans, frein, etc.)
La roue indépendante supplémentaire est portée par un châssis spécial pesant deux tonnes, et pouvant être lesté, jusqu’à 15 tonnes, par des poids supplémentaires que l’on ajoute à volonté. La roue est dotée d’une jante sans mentonnet de guidage, et faite dans un acier très dur pour réduire les frottements. Elle roule sur l’un des rails de la voie et sert au recueillement d’un certain nombre de données liées au déplacement : la vitesse et ses variations, la distance parcourue.
Toutes ces données sont transmises mécaniquement, ceci par un système qui ferait l’admiration des horlogers les plus exigeants : nous voilà dans un univers d’engrenages de précision en laiton, logés dans des coffrets en bois précieux équipés de vitrines, de stylets traçant à l’encre fine des traits sur des rouleaux de papier déroulés millimètre par millimètre sur des tambours en laiton, d’axes montés sur rubis, de bâtis en laiton poli : bref, une ambiance plus proche de celle du Musée des Arts et métiers que de Mélusine… Dans une époque où l’électricité est loin d’être généralisée, y compris dans les laboratoires de mesures scientifiques, cette profusion de techniques horlogères n’a rien de surprenant, et l’apparition très timide de l’électricité se fait bien dans cette voiture de mesures Worsdell qui se veut d’avant-garde : elle actionne quelques relais servant au pointage, à la plume encrée, des minutes et des secondes sur le bord des rouleaux de papier.




Quelques aspects d’une voiture de mesures du réseau de l’Est, en France, en 1925, d’après la RGCF.



Sur le New-York, Chicago & St-Louis.
Nous avons trouvé trace d’une autre voiture de mesures d’un réseau américain, le New-York, Chicago & St-Louis RR. Nous sommes en 1925. Elle est intéressante, car elle représente une étape transitoire entre la voiture de Worsdell, très XIXe siècle, et ayant quelque chose de notre “Mélusine” des années 1980, dont elle a déjà les formes générales et la vigie formant poste d’observation surélevé.
Prenant le nom de « voiture dynamométrique », elle est tout en acier et pèse une quarantaine de tonnes. Si elle offre un confort très poussé avec des « Pullman sections » (compartiments Pullman avec literie), cuisine, toilettes, et tout ce qu’il faut pour faire vivre une équipe pendant plusieurs jours, les techniques, en revanche, semblent être proches de celles de toutes les voitures de mesures avec une barre de traction centrale, des systèmes de captage et de mesures entièrement mécaniques.


Les voitures Mauzin.
En 1931, sur le réseau du PO, l’ingénieur Mauzin met au point un très modeste appareil d’auscultation des voies. Il décrit cet appareil dans le numéro de janvier 1933 de la RGCF, et Mauzin est au point de départ d’un tout nouveau champ pour les voitures de mesure : la voie. La préoccupation scientifique est la connaissance et la mesure du mouvement de lacet des voitures des trains lors des parcours à grande vitesse (100 à 120 km/h) : les phénomènes sont complexes, et particulièrement peu explorés par la science ferroviaire jusqu’alors. L’appareil enregistreur est d’abord installé dans un véhicule à titre expérimental et transitoire, puis Mauzin parvient, peu avant la création de la SNCF, à concevoir pour le réseau PO-Midi la première des fameuses voitures qui portent son nom et dont la caractéristique la plus marquante est la présence d’un bogie à quatre essieux et roues folles, placé entre les deux bogies classiques de la voiture, et dont les déplacements relatifs permettront de mesurer avec précision les gauches et autres déformations des voies. Toutefois, la voiture Mauzin restera fidèle, même dans ses versions les plus évoluées des années d’après la Seconde Guerre mondiale, au système mécanique de la transmission des données, avec des câbles actionnant des stylets enregistreurs sur papier.









Les hommes des Mauzin.
Nous en avons rencontré un, un retraité de la SNCF qui racontait volontiers ses folles nuits de voyage : “on partait à toute heure, prévenu à la dernière minute et avec juste le temps de “faire son bagage”, c’est-à-dire seulement de quoi assurer un “découcher”, et sans savoir où on allait et pour quelle durée. Il était capable de dormir, assis en équilibre sur un tabouret, pendant quelques minutes, quand la “Mauzin” roulait à pleine vitesse. Il ne tombait pas, il était assis les jambes écartées, les pieds à plat sur le plancher de la voiture, et les bras croisés. Il a adoré cette vie.
Et aujourd’hui ?
En 2003, la SNCF prélève la rame TGV Réseau 4530 et elle est mise à la disposition du Technicentre TGV d’Hellemmes pour d’importants travaux de modification qui vont durer jusqu’en 2006. La rame IRIS 320 peut parcourir une ligne à la vitesse d’exploitation commerciale de la ligne, donc elle s’insère normalement dans un sillon horaire du trafic sans créer aucune perturbation. IRIS 320 circule parfois la nuit, lors de parcours à contre-sens ou pour tester les échangeurs en ligne.
Les mesures sont prélevées à l’avant, au centre, et à l’arrière de la rame et, par exemple, la localisation d’un défaut de voie se fait à moins de cinq mètres près.
Tous les paramètres de l’infrastructure sont relevés comme la géométrie de la voie, les interactions voie / train, la signalisation et les communications embarquées, la continuité du courant d’alimentation, l’usure et tension de la caténaire, et la pressurisation intérieure du train lors des croisements et des tunnels. Les données recueillies sont traitées à bord en temps réel et toute valeur anormale est transmise aux services dits de “l’Infra” immédiatement pour le classement des alertes et les décisions de travaux immédiats ou à prévoir, ou aussi les décisions immédiates des réductions de vitesse.

Bonsoir Clive, Là encore je suis étonné de la richesse documentaire, qui semble difficilement accessible. Pour ma gouverne , ces cliches peuvent m’aider pour le maquetage de modèles réduit. Cdt, André
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