De Courcelles-Ceinture au Champ de Mars : une grande ligne en plein Paris.

Cette ligne, que très peu d’amateurs de chemins de fer, parisiens ou non, connaissent, représente un exploit qui mérite d’être signalé : la concession d’une ligne entièrement située dans Paris, et conçue, administrativement, comme une vraie grande ligne de chemin de fer.

Souvent perçue comme faisant partie de la Petite Ceinture, ce qui n’est pas le cas, elle est déclarée d’utilité publique par la loi du 14 juin 1887, et elle est concédée à la compagnie des chemins de fer de l’ouest qui dessert la Normandie et la Bretagne, sans compter une bonne partie de l’Île-de-France et sa banlieue ouest.

Mais la concession comporte une clause : la compagnie de l’Ouest doit accepter, sur cette ligne, des trains de voyageurs d’autres compagnies moyennant un péage se montant à 60 % de la recette brute rapportée par ces trains.

Préparée dans le cadre de l’Exposition Universelle de 1900, à l’instar de rénovations ou de constructions de gares parisiennes, cette ligne est construite à grands frais, et comporte même de superbes bâtiments comme la station Boulainvilliers ou des ouvrages d’art hardis comme le viaduc en courbe sur la Seine. Une fois l’Exposition terminée, elle tombe quelque peu dans une léthargie pour plus d’un demi siècle, formant un raccordement en désuétude et exploité (très occasionnellement) après démontage de l’une des voies. Aujourd’hui tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, car le R.E.R. est passé par là et ce raccordement a été intégré à la ligne C du R.E.R. dont il forme une partie de la branche Montigny-Beauchamp – Argenteuil. C’est la renaissance de la Belle au bois dormant…

La carte de la partie sud est qualifiée d'”entièrement nouvelle” puisque n’étant pas sur la plateforme de la Petite Ceinture. Cette carte est parue dans la RGCF d’août 1899, et elle est mise en couleurs par nos soins. Sur la gauche, orientée vers le bas : la ligne Pont-Cardinet-Auteuil continue son trajet indépendant, restant sur la plateforme de la Petite Ceinture.
La passerelle de la station Courcelles-Ceinture, à l’origine de la ligne. La gare est très animée et les trains, composés de petites voitures à deux essieux, assurent un service cadencé serré.
Le genre de train de voyageurs ayant circulé sur la ligne primitive : une petite locomotive-tender Ouest type 030 dite “Boer” et des voitures à deux essieux et portières latérales multiples. Le métro aidant, ce genre de trafic disparaît avant 1920. Au centre de la plateforme : les deux voies de la Petite Ceinture et la ligne d’Auteuil. De part et d’autre : les voies de la ligne du Champ de Mars.

De l’origine de la ligne à la station du Trocadéro.

La première partie de la ligne relie la station de Courcelles-Ceinture (altitude : 31,60 m, soit dit en passant) à celle dite alors du Trocadéro (ultérieurement Ave Henri Martin). Elle se raccorde à la ligne dite d’Auteuil (Pont-Cardinet-Auteuil) au niveau du pont de la rue Alphonse de Neuville, dans le XVIIe arrondissement, et, tout en gardant ses deux voies propres, elle emprunte la tranchée de la ligne d’Auteuil, formant alors une ligne à quatre voies. La voie montante Courcelles-Champ de Mars est placée le long du mur de soutènement sud puis sud-ouest, tandis que la voie descendante Champ de Mars-Courcelles est placée contre le mur de soutènement nord-ouest puis nord (voir les cartes à la fin de cet article).

Entre les deux voies se trouvent les voies de la ligne d’Auteuil proprement dite. Les 4 voies passent sous la place Pereire par une tranchée couverte longue de 141 m comprenant un tunnel central à deux voies et deux tunnels latéraux en voie unique. Le passage sous l’avenue des Ternes se fait par un souterrain de 42 m et celui sous de la Grande Armée par un souterrain de 123 m. Les passages sous les avenues du Bois de Boulogne et Henri Martin se font par des souterrains de 168 et 64 m respectivement.

Les stations sont à cheval sur les voies, et ont donc deux quais en îlot, chacune se trouvant entre deux voies de même sens, ce qui donne un quai montant pour les trains Courcelles-Champ de Mars + Pont Cardinet-Auteuil, et un quai descendant pour les trains en sens inverse. Cette disposition est présentée, dans le N° d’août 1899 de la Revue Générale des Chemins de Fer comme devant éviter les erreurs pour les voyageurs.

La très belle station de l’avenue Foch, toujours là et active aujourd’hui, grâce au RER-C.
Les jolies gares de la ligne Courcelles-Ceinture-Champ de Mars, fièrement dotées de l’inscription “Chemin de fer de l’Ouest” comme celles des grandes lignes de cette compagnie. Ici, nous sommes à Courcelles-Levallois, à la Belle Époque.
Quelque part entre Courcelles et Henri Martin dans les années 1950. Les rames “Standard” Etat excellent sur cette ligne elles aussi. La station n’a plus qu’un seul quai en îlot.
La ligne vue boulevard Pereire, pas très loin de Pont-Cardinet. Sur la gauche, une des voies vers Courcelles-Ceinture est déjà déposée, ainsi qu’un des deux quais en îlot. Des immeubles des années 1950-60 seront rapidement construits sur cet embranchement entre les rues Verniquet et Delorme actuelles.

Du Trocadéro (Henri Martin) au Champ de Mars.

La deuxième partie de la ligne est très intéressante. En 1900, après la station du Trocadéro (devenue Ave Henri Martin) et la voie descendante se sépare de la ligne d’Auteuil et s’engage dans un tunnel de 223, 79 m, tandis que la voie montante suit la ligne d’Auteuil sur une longueur suffisante pour pouvoir passer sous elle et rejoindre sa voie descendante par un tunnel de 230, 26 m. Il n’y a donc pas de traversée à niveau des voies d’Auteuil, ce qui évitera des complications et des accidents.

Les deux voies se retrouvent à l’origine d’une tranchée à ciel ouvert longue de 47, 80 m, puis s’engouffrent dans un long tunnel de 662,30 m creusé sous les hauteurs de Passy et permettant de descendre jusqu’aux bords de la Seine. Ce tunnel est interrompu par une tranchée à ciel ouvert longue de 106, 95 m dévolue à la station Boulainvilliers.

La station Boulainvilliers et son BV au style très typique. Aujourd’hui, le site est intégralement préservé et actif, y compris les escaliers, les murs de soutènement et les quais qui ont été couverts cependant par une dalle.
Le site de la station Boulainvilliers, vu avant sa couverture faite dans les années 1990. Le pont a bénéficié d’une protection vitrée avant d’être intégré à la couverture des voies.

La voie débouche du tunnel dans la rue Raynouard pour continuer son parcours d’abord sur un remblai puis sur un viaduc menant au quai de Passy. C’est là que les difficultés se sont accumulées : il faut, en effet, raccorder les voies avec celles de la ligne Invalides-Versailles R.G. qui longe la Seine en face, presque au niveau de l’eau, sous le niveau des chaussées du quai de Grenelle. Sur le viaduc, nous sommes très hauts, au-dessus du niveau des chaussées, et perpendiculairement au fleuve, tandis qu’en face, il faudra être très bas et longer le fleuve. Le viaduc est construit en forte pente (10 pour mille) et en courbe à rayon serré (100, 150 et 175 m) : ces deux caractéristiques sont exactement ce que le chemin de fer déteste…

Le viaduc se compose de 7 ouvrages d’art juxtaposés, de différentes portées (20 m, 85 m, 7 m, etc), certains étant en biais sous des angles de 72,30° ou 67, 37°. Les services de la navigation fluviale interdisent tout pilier dans la Seine. Il faut donc à la fois enjamber large, descendre beaucoup, et « virer sec » ! Le résultat est un superbe ouvrage d’art que, aujourd’hui toujours, on peut admirer l’avenue du Pdt Kennedy, près de la Maison de la Radio. La meilleure façon de visiter cette 2e partie de la ligne est de prendre une rame du R.E.R., ligne C, et, grâce aux bienfaits du “pass” (Navigo, pas le sanitaire) de descendre à chaque station et d’en visiter les quais, les perspectives données aux extrémités des quais et les parties environnantes accessibles au public.

Le BV métallique de la gare du Champ de Mars vu en 1900.
La gare de marchandises et la petite station du Champ de Mars en 1937.
La petite station voyageurs du Champ de Mars vers 1914. La locomotive-tender est une petite 120 Ouest surnommée “Bicyclette”. Au fond, le pont de Bir-Hakeim et la ligne de métro alors “2-Sud”, puis 5, puis 6.

Le succès de la ligne : ce que durent les roses.

À l’époque, la compagnie de l’Ouest, alors déjà en très mauvaise posture financière (elle sera rachetée par l’État en 1909) fonde ses espoirs sur cette magnifique ligne qui lui a couté cher. Elle agrandit considérablement la gare de marchandises du Champ de Mars, située au pied de la tour Eiffel, pour en faire aussi une importante gare de voyageurs comprenant pas moins de 10 quais et 20 voies d’arrivée et de départ : 6 pour St-Lazare, 4 pour la gare du Nord, 2 pour la Petite Ceinture RD et 2 pour la Petite Ceinture RG, 4 pour Les Moulineaux, 2 pour Versailles.

Les trains pour St-Lazare, le Nord, la Ceinture RD emprunteront la nouvelle ligne Courcelles-Champ de Mars. Les autres suivront la ligne des Moulineaux et bifurqueront à Javel pour la Ceinture RG et à Issy pour Versailles en utilisant alors la nouvelle ligne Invalides-Versailles RG. En outre, un passage couvert reliera la gare du Champ de Mars à celle des Invalides.

La compagnie de l’Ouest sait que, une fois l’Exposition Universelle de 1900 fermée, la gare du Champ de Mars n’aura pratiquement plus aucun service voyageurs et elle a prévu d’en faire une gare de marchandises, et même de démonter son magnifique BV signé Juste Lisch, ce qui sera fait, ce BV finissant sa vie à Colombes sous le nom de “gare électrique”.

Effectivement, la ligne de Courcelles-Ceinture au Champ de Mars ne pouvait avoir que de maigres espoirs de survie par un trafic voyageurs, ceci pour plusieurs raisons. La première est la vigueur des transports de voyageurs sur la Seine qui est florissant depuis l’exposition de 1867, et même a redoublé d’efforts pour celles de 1878 et encore plus pour celle de 1889. En 1900, les bateaux sont prêts pour le service. La deuxième raison est que le métro sera un redoutable concurrent du “grand” chemin de fer pour le transport des voyageurs dans Paris, même s’il manque de peu le ratage de l’Exposition avec la mise en service de la ligne 1 et de son embranchement jusqu’à Passy qui se fait de justesse. La troisième raison est que la Compagnie Générale des Omnibus (CGO) a magnifiquement organisé son réseau et met en service ses premiers “omnibus automobiles” Schneider dès 1905.

Aujourd’hui : une superbe excursion pour un billet de métro.

Partie intégrante du RER, l’ancienne ligne du Champ de Mars offre aujourd’hui une possibilité d’excursion passionnante pour le prix d’un billet de métro. Pour rester dans les emprises parisiennes et la zone 2, il faut prendre le métro ligne 13 direction Asnières-Gennevilliers (attention au « coup de la Fourche » !) et descendre à Porte de Clichy. On gagne, par le couloir de correspondance, la ligne C du RER et on prend le premier train venu en direction de Dourdan, ou Etampes, ou Massy.

Le parcours se fait en tunnel jusqu’à Kennedy-Radio France, mais, pour l’œil habitué à l’observation ferroviaire (s’asseoir à gauche sans le sens de la marche du train), on voit beaucoup de choses : les murs de soutènement anciens, les emplacements des voies, neutralisées, la station Boulainvilliers et son superbe escalier intérieur donnant sur les quais, le beau viaduc en courbe sur la Seine. Ne pas manquer la vue sur la Seine et la Tour Eiffel après Kennedy-Radio France, et, sur le reste du parcours, les aperçus sur la Seine et sur les quais de Paris jusqu’à Invalides, et continuer jusqu’à Austerlitz. On peut terminer le voyage et descendre à Boulevard Masséna pour revenir vers le centre de Paris.

La Petite Ceinture et la ligne Courcelles-Ceinture-Champ de Mars en 1935. La voie double existe encore et jusqu’au Champ de Mars.
La situation en 1959 d’après le Carnet des profils et schémas SNCF région Ouest en 1957. La ligne Courcelles-Champ de Mars est réduite à une voie unique jusqu’à la bifurcation des Batignolles. La petite ceinture est interrompue entre Auteuil et Grenelle et elle est en voie unique entre Grenelle et La Rapée. La section Pont-Cardinet-Auteuil-Boulogne, électrifiée en 3e rail, assure un trafic voyageurs.
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