Bugatti : de l’automobile à l’autorail, le chic avant tout.

Bugatti ? Le talent pur, dit-on, le génie, et l’inspirateur des années folles et, en 2022, c’est, dans le même esprit du grand patron de Molsheim, le 417 km/h au volant d’une Bugatti-Chiron sur une autoroute allemande.

Même esprit ? Peut-être, à ceci près que la firme actuelle Bugatti-Chiron, techniquement héritière de l’ancienne, a refusé de cautionner une telle vitesse et sur une autoroute publique, tandis que Ettore Bugatti, en 1935, était inconditionnellement passionné par la grande vitesse et non seulement ses automobiles sportives et luxueuses, mais aussi ses autorails, précurseurs des TGV d’aujourd’hui, battaient record sur record. Des prises de conscience semblent donc s’être faites.

Publicité Bugatti datant de 1938. Il n’est question que de vitesse…

Bugatti : les pur-sang de luxe viennent sauver le chemin de fer.

Les autorails Bugatti sont une légende roulante, des engins mythiques. Ils portent la signature de l’un des inventeurs les plus géniaux du monde de l’automobile : Ettore Bugatti. Cet homme exceptionnel sut, durant les années 30, prévoir les trains à grande vitesse et l’autorail qu’il proposa aux réseaux ferrés français de l’époque n’était ni plus ni moins que le TGV du moment, et il connut le même succès.

Nous avons déjà donné sur ce site-web “Trainconsultant”, dans un article consacré aux autorails Bugatti jouets, quelques données techniques concernant les autorails réels. Nous les reprendrons ici, mais en les développant, pour donner un article complet et cohérent qui se suffit lui-même.

Lorsque l’automobile, tant sous la forme de la voiture particulière que des poids lourds, commença sa carrière industrielle et comme moyen de transport généralisé vers la fin des années 1910, les compagnies de chemin de fer ne s’inquiétèrent pas, tellement la suprématie du rail était évidente. Mais durant les années 1920 et surtout 1930, il fallut se rendre à l’évidence : l’automobile était en train de tuer le rail, et mettait surtout à mal les lignes secondaires, moins armées pour résister à la concurrence en face d’un trafic routier croissant, plus “souple” disait-on, et qui surtout répondait à la demande des particuliers ou des entreprises d’une manière plus commode et immédiate.

Les compagnies, dont surtout ceux du PLM et de l’État, se tournèrent alors vers les constructeurs d’automobiles pour leur demander de résoudre les problèmes du rail par la mise au point de véhicules rapides, confortables, mais à faible prix de revient. Si certains constructeurs proposèrent ce qui ne fut, dans les faits, que de médiocres adaptations d’autobus à la voie ferrée, d’autres, comme Renault, Berliet, De Dietrich, conçurent de véritables automotrices lourdes selon les lois de la technologie ferroviaire classique, et ces engins, nommés rapidement “auto-motrices” (avec un tiret pour commencer, puis sans tiret), et enfin “autorails”, sauvèrent bien des lignes secondaires.

Mais Bugatti ira plus loin qu’un simple sauvetage du chemin de fer.

Mais Bugatti, constructeur réputé de voitures de sport et de luxe, installé à Molsheim en Alsace, propose de véritables trains articulés, rapides et confortables, et destinés non à des lignes secondaires, mais à des relations entre grandes villes sur des lignes importantes. Mus par plusieurs moteurs à essence juxtaposés, ces autorails battent rapidement des records mondiaux de vitesse, comme 196 km/h entre Connérré et Le Mans en 1933. Le trajet Paris-Strasbourg, dès l’année 1935, se fait avec les fameux « couplages » (terme issu de la pratique PLM) comprenant une motrice et une remorque, qui le font en 3 h 30, à une vitesse moyenne de 144 km/h soutenue sur les 504 km du trajet. Ce temps reste un record qui n’est pas vraiment battu par les derniers trains “Corail” de l’époque, avant la construction de la ligne à grande vitesse. Seul le TGV Est, depuis les années 2000, change maintenant la donne, inchangée depuis le temps des Bugatti.

Affiche dessinée par le peintre ferroviaire Émile-André Schefer en 1935 : pour Bugatti, et contrairement aux autres constructeurs, l’autorail sera d’emblée au service des relations rapides et à grande distance. Le TGV, en quelque sorte.
Le réseau de l’Etat, fidèle client de Bugatti, se veut, lui aussi, le réseau de la vitesse. Publicité parue dans la revue “L’Etat notre réseau” vers 1937.
Les réseaux de l’Est et de l’Alsace-Lorraine utiliseront, eux aussi, des autorails Bugatti sur leur emblématique relation Paris-Strasbourg. Nous sommes en 1935. Rappelons que, depuis son retour en 1918, le réseau de l’A-L est indépendant de celui de l’Est dont il faisait partie avant 1871, et il est géré directement par l’État jusqu’en 1938, à la création de la SNCF.

L’autorail Bugatti est très soigné esthétiquement, contrairement au cas de bien des autorails d’époque très laids, et ses formes aérodynamiques lanceront de nouveaux canons en matière de design de trains rapides, cette forme étant même reprise par des stylistes anglais pour les fameuses locomotives du « Coronation Scot » reliant Londres à Édimbourg. Notons que Ettore Bugatti s’intéresse vraiment au chemin de fer, et en vient même à dessiner un train caréné fonctionnant avec des turbines à vapeur, mais qui restera à l’état de projet, aucune compagnie n’en voulant.

Le train caréné à vapeur, mu par des turbines, proposé par Ettore Bugatti en 1938.

La gamme des autorails Bugatti.

Elle comprend un véritable choix “modulaire” adaptable aux besoins de chaque réseau:

Type dit :CourtAllongéSurallongéCouplageTriplePrésidentielRemorque
Longueur (m)19,321,325,328,3461,7419,319,3 ou 22,3
Masse à vide(t)24,752631,5 72 à 803220,5 ou 22,2
Places36 à 7844 à 5268 à 99741424857 ou 62
Puissance (ch)400400400800800800*
Puiss/tonne1412,912,612,79,221*
V. max. (km/h)153132132155153172*

Les quantités produites sont tout à fait honorables pour du chemin de fer, mais restent loin derrière la production de masse de Renault, soit :

  • 9 simples dits “Présidentiel” pour le réseau de l’État
  • 3 doubles dits “Couplages” pour le réseau du PLM 
  • 7 triples répartis à raison de 2 pour l’État, 2 pour l’A-L et 3 pour la SNCF 
  • 13 courts répartis à raison de 5 pour l’État, 2 pour l’A-L et 6 pour le PLM
  • 28 allongés répartis à raison de 18 pour le PLM et 10 pour l’État
  • 28 dits “surallongés” répartis à raison de 15 pour l’État, 1 pour l’A-L, 10 pour le PLM et 2 pour la SNCF
  • 5 remorques simples pour l’État.
Autorail Bugatti à un élément. Doc. LR-Presse.
Autorail Bugatti à une caisse, 400 ch, dit “surallongé”, un des rares types parvenus jusqu’à la SNCF, une petite série de 8 appareils immatriculée XB-1001 à 1008, vu en 1958. Noter la traverse de tamponnement, inexistante sur les modèles d’origine.
Le modèle le plus connu : le “couplage”, ici du PLM, avec 800 ch et deux éléments : motrice et remorque.
Le Bulletin PLM de juillet 1934 montre que ce réseau a choisi le “couplage” Bugatti 800 ch comme emblème de sa modernité et de la vitesse de ses trains.
Fort agrandissement d’un petit détail d’une carte-postale de l’époque : le tableau de départ, en gare de Lyon, du “couplage” assurant la liaison quotidienne Paris-Lyon. Tableau de départ ou affiche publicitaire ? “100 km/h de vitesse commerciale, record mondial, record européen” … aujourd’hui la SNCF n’oserait pas le faire pour ses TGV qui le mériteraient cependant.
Finissons notre présentation des types, avec le “triple” Bugatti, 800 ch, dont seul le réseau de l’Etat fit usage sur la relation Paris-Le Havre.

Les raisons techniques d’un succès : puissance et légèreté.

La caractéristique dominante des autorails Bugatti est leur grande puissance spécifique qui ne descend pas au-dessous de 9 CV par tonne en charge sur l’autorail triple et qui varie entre 12 et 21 CV par tonne en charge sur tous les autres autorails Bugatti. À titre de comparaison, notons qu’en 1934, lors de la mise en service des premiers autorails Bugatti, la puissance spécifique des autres autorails en circulation ne dépassait pas 8 CV par tonne et descendait souvent à 5 CV par tonne.

Cette puissance élevée a permis de réaliser de très grandes vitesses, mais il n’y a pas que cela, car les qualités premières d’un matériel ferroviaire doivent être la régularité de fonctionnement et l’endurance. Un large excédent de puissance permet toutefois, à cet égard, de ne pas fatiguer exagérément les organes en service courant, et de leur assurer ainsi une tenue satisfaisante.

Sur les autorails Bugatti, l’augmentation de la puissance spécifique a été obtenue par un souci constant de l’allégement maximum des organes, problème d’autant plus difficile à résoudre que des réductions de poids réalisées sans précaution ont, surtout sur les engins rapides, une fâcheuse répercussion sur le confort. S’il est, en effet, relativement facile d’obtenir avec un autorail léger, sur des voies en excellent état, une tenue comparable à celle des véhicules lourds, il n’en est plus de même au passage des défauts que beaucoup de voies comportent.

La réalisation d’un autorail à la fois léger et très rapide exige donc une construction particulièrement soignée dans tous ses détails, excluant surtout les jeux, si néfastes à la bonne tenue sur la voie, et les usinages approchés, sources de vibrations funestes au confort et même à la sécurité. L’expérience acquise à cet égard dans le domaine de l’automobile par les Usines Bugatti de Molsheim devait être précieuse.

L’histoire d’une course à la puissance.

La première réalisation ferroviaire de Bugatti est un autorail de 800 CV, à deux bogies et quatre moteurs de 200 ch “Royale”, dit type Présidentiel pour avoir accompli un record de vitesse avec le Président de la République à bord, livré au printemps 1933 au Réseau de l’État, et prototype d’une série de neuf unités.

Les premiers de ces autorails sont mis en service sur la relation de Paris à Deauville en juin 1933, où ils accomplissent le trajet de 221 km en deux heures. Leur grande réserve de puissance permet de leur adjoindre, en cas d’affluence, une remorque de même construction.

Trois “Couplages” de 800 CV, commandés par le PLM en 1933, dérivent directement des autorails type “Présidentiel” et comportent une motrice et une remorque montées chacune sur deux bogies, attelées en permanence, l’ensemble du couplage pouvant circuler indifféremment dans un sens ou dans l’autre. Ces autorails mis en service en juillet 1934 assurent un service rapide entre Paris et Lyon, soit une distance de 512 km, à la vitesse commerciale de 100 puis de 110 km/h.

Les autres autorails, livrés depuis cette époque par Bugatti aux réseaux de l’État, du PLM et de l’Alsace-Lorraine, sont d’une construction plus légère que les précédents et ne comportent que deux moteurs de 200 CV. En 1936, trente-sept de ces appareils sont en service et douze en construction.

Enfin, deux autorails triples de 800 CV à quatre moteurs de 200 ch et six bogies (une motrice encadrée par deux remorques) sont livrés en 1936 au Réseau de l’État.

Il est intéressant de constater, comme le prouvent des courriers adressés par Ettore Bugatti aux compagnies, que ces autorails sont construits à une période où les temps sont durs pour l’automobile de luxe, elle-même victime de la crise économique des années 1930. Bugatti cherche désespérément des commandes ou des “niches” nouvelles, et supplie ses clients de payer rapidement leurs commandes.

La conception générale des autorails Bugatti.

Dans tous les autorails Bugatti, les moteurs sont disposés au centre du véhicule, dans un compartiment qui sert également de poste de conduite et qui comporte à cet effet, au-dessus du pavillon, un « kiosque-vigie » selon les termes d’époque, qui est occupé par le conducteur. Ce dernier peut ainsi surveiller le mécanisme en permanence, tout en étant entouré d’un nombre de décibels et de vibrations qui, aujourd’hui, ferait scandale…

Sur les couplages du PLM et les triples de l’État, et pour pallier l’insuffisance de visibilité depuis ce kiosque au cours des manœuvres ou dans certaines circonstances défavorables, un poste d’observation disposé aux extrémités du couplage est occupé par le chef de train ou par un « homme-pétard » (ainsi surnommé, car il peut entendre les pétards, le conducteur étant assourdi par le bruit des moteurs !) : celui-ci peut correspondre avec le conducteur par des signaux optiques et acoustiques et même provoquer directement l’arrêt du véhicule.

L’installation des moteurs au centre de l’autorail permet de libérer les extrémités de la caisse et d’offrir ainsi aux voyageurs une excellente visibilité vers l’avant et l’arrière, les sièges faisant face à la voie étant très convoités.

Affectés aux services directs rapides, les autorails Bugatti comportent généralement des compartiments à bagages de dimensions réduites ; dans ceux de 400 CV, il n’existe que deux emplacements pour les bagages à main, à chacune des extrémités. Les couplages PLM sont dotés d’un local permettant de servir des repas froids et des tables mobiles peuvent être montées devant les sièges.

La conception de la caisse.

Le châssis des autorails du type présidentiel est formé de deux longerons en tôle emboutie, renforcés vers leur milieu et entretoisés par des traverses et diagonales rivées. Un plancher en chêne, de 38 millimètres d’épaisseur, repose sur le châssis par des rotules latérales qui s’appuient dans des crapaudines garnies de caoutchouc, et par des blocs de caoutchouc liés aux entretoises en diagonale du châssis.

La caisse est formée de cinq éléments distincts assemblés entre eux bout à bout par des boulons, avec interposition de bandes de caoutchouc qui assurent l’étanchéité. Ces éléments reposent sur le plancher, sauf l’élément de caisse qui abrite le compartiment des moteurs et qui est directement fixé au châssis. Cette construction permet aux divers éléments de la caisse de jouer légèrement les uns par rapport aux autres, d’une part, et de réduire les vibrations en provenance du châssis, d’autre part.

Le plancher est protégé par une tôle à sa partie inférieure et recouvert d’un caoutchouc mousse de 15 millimètres qui supporte lui-même une moquette. La charpente des éléments est constituée avec des fers double T entièrement soudés, qui une ossature. Les tôles d’acier de 2 mm sont soudées par points sur l’extérieur de cette charpente. L’intérieur des éléments est garni d’une tôle d’aluminium sur le pavillon et les faces, au-dessus de la ceinture, d’un contreplaqué avec similicuir au-dessous.

L’isolement thermique est assuré par un feutre collé sur la face interne des tôles extérieures auquel est adjoint, dans le pavillon, un garnissage en « Cellotex ». Les cloisons intérieures sont en contreplaqué recouvert de tôle sur les deux faces. Toutes les glaces sont fixes, mais munies d’aérateurs à volets à leur partie supérieure.

Les formes aérodynamiques de la caisse ont été particulièrement étudiées et la disposition spéciale des surfaces extrêmes, qui contribuent à réduire les remous au croisement des trains et des obstacles fixes et à charger le bogie avant aux vitesses élevées, donne aux autorails Bugatti un aspect caractéristique. Les attelages sont du type ordinaire, à tampons latéraux, mais les organes ont été notablement allégés, et les disques des tampons sont amovibles de façon à ne pas augmenter inutilement la résistance de l’air en service normal.

La conception des caisses d’autorails Bugatti posées sur du caoutchouc. Document RGCF paru en 1933.
Le confort était assez poussé : les sièges y sont pour beaucoup, outre leur particularité de basculer, au choix du voyageur, dans un sens ou l’autre.
Confort en première classe. Devant les baies d’extrémité, un espace libre, et deux places pour les “veinards” qui s’y retrouvaient.
La cuisine d’un Bugatti triple.

Les bogies, point très particulier de ces autorails.

Les bogies Bugatti sont d’une conception très particulière et constituent une des caractéristiques les plus intéressantes de ces autorails. Ils comportent quatre essieux à roues élastiques reliés directement au châssis par les ressorts de suspension, sans plaques de garde : ils s’apparentent donc beaucoup plus à la construction automobile qu’aux dispositions classiques du matériel de chemins de fer.

Sur les premiers autorails, le châssis de bogie est en acier forgé. Quatre groupes de deux ressorts à lames sont fixés aux angles, et ils peuvent tourner en ces points autour d’un axe vertical. Aux extrémités de ces ressorts sont fixés les boites à roulements des essieux moteurs, constitués par un axe sur lesquels les roues sont clavetées, ou les axes des essieux porteurs, lesquels sont fixes et portent des roues folles montées sur fusées.

Les deux groupes de deux essieux reliés par les ressorts forment ainsi avec ceux-ci deux parallélogrammes articulés, qui se déforment dans les courbes, avec un déplacement de deux à trois millimètres seulement dans le sens latéral, par rapport au châssis. Ce déplacement suffit néanmoins pour amortir les chocs latéraux des boudins sur les rails.

Bogie d’autorail Bugatti. Les deux essieux extrêmes non moteurs sont uniquement guidés par le ressort à lames, sans plaques de garde : solution purement automobile. Ici les deux essieux centraux seulement sont moteurs.

Les roues.

Les roues sont à bandages métalliques en acier, au profil habituel des normes ferroviaires, mais, pour amortir les vibrations, ces bandages sont fixés sur les centres par des boulons avec plusieurs intermédiaires élastiques constitués par des bandes et des bagues en caoutchouc. Des connexions électriques assurent une liaison conductrice entre les centres et les bandages, pour permettre le fonctionnement des circuits de voie. La construction de ces roues a nécessité des essais poussés en raison des vitesses de rotation élevées auxquelles elles sont soumises avec un régime de 1120 tours-minute à 150 km/h.

La caisse repose sur chaque bogie par l’intermédiaire de deux grands ressorts à lames longitudinaux, disposés le long des longerons. La bride de ces ressorts est reliée à la caisse par des crapaudines et des rotules à sa partie supérieure, et, à sa partie inférieure, par un axe vertical coulissant dans une glissière parallèle à l’axe de la voiture.

Les extrémités des ressorts portent des patins qui reposent sur des glissières en bronze fixées au châssis de bogie. Des blocs de caoutchouc sont interposés entre les ressorts et les patins.

Le pivot de bogie ne sert qu’au guidage de celui-ci et ne supporte pas le poids de la caisse. Il est à bain d’huile. D’autres amortisseurs freinent les mouvements de rotation du bogie autour de son pivot et les oscillations verticales de la caisse par rapport au bogie.

Les roues d’un autorail Bugatti. Document datant de 1933. Contrairement aux Michelines, les roues ne roulent pas sur des pneumatiques avec jante de guidage séparée : les roues sont à jante classique en métal, mais avec interposition de bagues en caoutchouc dans les voiles des roues.

Les moteurs et leurs accessoires.

Tous les autorails sont équipés avec quatre ou deux moteurs type « Royale” (du nom de l’automobile haut de gamme et légendaire tiré à 7 exemplaires par Bugatti, développant normalement 200 CV à 2000 tours-minute). Ces moteurs à explosion, de 12,8 litres de cylindrée, comportent huit cylindres en ligne, de 125 × 130 mm et pèsent 400 kilos. Leur unique bloc cylindres, non chemisé, est en fonte, un carter en aluminium, et un vilebrequin à neuf paliers régulés. Il y a trois soupapes par cylindre, deux d’admission et une d’échappement, commandées par culbuteurs et arbre à cames en tête. Le carburant est un mélange d’essence, de benzol et d’alcool.

Sur les autorails type présidentiel et sur les autorails triples, le refroidissement des moteurs est assuré par des radiateurs disposés au droit de ceux-ci, sur une des faces latérales de l’autorail ; des ventilateurs entraînés par courroies provoquent la circulation de l’air. Sur les autorails de 400 CV, les radiateurs, à ventilation naturelle, sont disposés aux extrémités de l’autorail, sous les baies.

La récupération des moteurs type “Royale”.

La crise des années 30 laisse sur les bras de Bugatti la voiture “Royale” invendue. Cette voiture exceptionnelle, une des plus belles du monde à l’époque, est équipée d’un moteur de 8 cylindres en ligne donnant 200 ch à 2000 tr/mn, une merveille technique. La cylindrée de ce moteur est de 12,8 litres, et il ne pèse que 400 kg. Un stock de 25 moteurs est disponible à l’usine de Molsheim, et Ettore Bugatti les installe purement et simplement dans les premiers autorails, créant des modèles de 200, 400 ou même 800 ch selon le nombre de moteurs par engin. Le génie de celui que l’on appelait “le sorcier de Molsheim” avait aussi sa dimension opportuniste.

La magnifique “Royale” de Bugatti, voiture destinée aux grands de ce monde qui la boudèrent, et dont le moteur fut aussi – sinon surtout – utilisé sur les autorails.
Moteur 8 cylindres type “Royale” (avec un “e”) provenant de la voiture automobile très haut de gamme Bugatti.
Les sorties d’échappement libre, sur le coté de l’autorail Bugatti “Présidentiel” de la Cité du Train-Patrmoine SNCF de Mulhouse.
L’autorail Bugatti Etat de la Cité du Train-Patrimoine SNCF de Mulhouse.

Les transmissions.

Il n’y a pas de boîte de vitesses, la démultiplication entre moteurs et essieux étant invariable, ou réduite à deux valeurs seulement (cas des autorails triples). Cette solution, qui permet de simplifier le mécanisme de transmission, est rendue possible par le gros excédent de puissance disponible, la souplesse des moteurs utilisés, l’emploi d’un embrayage hydraulique et l’affectation des autorails à des services rapides sur lignes à profil facile.

L’embrayage hydraulique, type Daimler-Coventry. placé à la sortie du vilebrequin et formant volant, est relié aux essieux par des arbres à cardans et une boîte de changement de sens de marche à couples coniques.

Sur les autorails de 800 CV du type “Présidentiel”, les quatre moteurs sont disposés transversalement, sous le plancher du poste de conduite. Ils sont couplés deux à deux par les boîtes de changement de marche et chaque groupe attaque les deux essieux médians du bogie voisin, les essieux extrêmes étant simplement porteurs.

Les deux moteurs des autorails simples de 400 CV sont placés latéralement, d’un même côté de l’autorail, contre la face interne du longeron. Ils attaquent respectivement l’essieu extrême du bogie voisin par l’intermédiaire de la boîte de changement de marche qui est montée sur l’extrémité de l’essieu. Sur ces autorails, deux essieux seulement sur huit sont donc moteurs.

Une telle disposition, qui facilite beaucoup les démontages, a été également adoptée sur les deux autorails triples de 800 ch., dont la motrice centrale est équipée avec quatre moteurs disposés longitudinalement (deux de chaque côté), chaque moteur attaquant un essieu. Comme la puissance spécifique de ces autorails est moins élevée que celle des autres types, une boîte électromagnétique Cotal à deux démultiplications (donnant 80 et 150 km/h) a été adjointe à chaque embrayage, de façon à faciliter les démarrages.

Notons que les moteurs fonctionnaient avec un curieux mélange spécial assez détonnant, et que l’échappement était libre, et se faisait par quatre tuyères latérales donnant sur le quai : quand il y avait des ratés, ce qui était fréquent, un jet de flammes pouvait sortir. La légende, vraie ou non, disait qu’un stand de marchande de journaux avait pris feu !

Dans le cas des autorails simples à deux bogies, la conduite de ces engins était particulièrement simple, puisque le conducteur n’avait qu’à agir sur l’accélérateur et sur les freins. Il n’y avait aucune boîte de vitesses : les moteurs fonctionnaient en “prise directe”, les embrayages hydrauliques assurant la progressivité de l’effort de traction.

Dispositions des moteurs et des transmissions. Document paru dans la revue “Traction nouvelle” en 1933.

Les freins : directement issu des techniques de la voile…

Chaque roue est munie d’un frein à tambour analogue à ceux utilisés sur les voitures automobiles. Les premiers modèles ont une gigantesque barre à roue actionnant l’ensemble des freins par des câbles en acier et des chaînes, formant des palans et une cascade de palonniers d’équilibrage des efforts sur les divers câbles, dignes d’un voilier… La mise en place d’un équipement moins rudimentaire a été nécessaires, les leviers de tous les freins d’un autorail étant reliés à un piston du cylindre de frein manœuvré à l’air comprimé. D’une manière comme d’une autre, tous les câbles passent au voisinage des pivots de bogies, de façon à ne pas être influencés par la rotation des bogies.

Les autorails qui circulent toujours isolément comportent un équipement de frein direct Westinghouse à air comprimé, manœuvré par un robinet disposé dans le poste de conduite. Un frein automatique de secours complète le précédent sur les couplages et les autorails appelés à circuler avec une remorque.

Commande du freinage d’un autorail Bugatti par “roue à barre” type marine et transmission à câbles. Noter le siège du conducteur sans dossier. En général les conducteurs conduisent debout.
Une vue du poste de conduite placé dans le kiosque surélevé d’un “couplage”. Noter le type automobile pour les compte-tours.
Dans un autorail triple : le poste dit de l’ “homme-pétard” préposé à la surveillance et à l’écoute d’éventuels pétards sur la voie, chose que le conducteur, placé en hauteur au centre de la rame et dans un kiosque saturé en bruits assourdissants, ne pouvait entendre.
Photo “officielle” d’un conducteur Bugatti sur le réseau de l’Etat, en grande tenue, et nullement assourdi, semble-t-il, par le vacarme des moteurs qui sont placés sous lui.
Photo de conducteurs Bugatti sur le réseau du PLM. Le béret semble être de rigueur, et la fierté aussi.
“Remise à autorails” ou, pour la SNCF, “Centre d’autorails” : ici à Bercy, pour le PLM. Les autorails ne seront jamais admis dans les dépôts classiques : les conducteurs d’autorails ne seront pas considérés par les syndicats, car ils travaillent seuls et font faire des économies de salaire, et l’entretien est assuré par les techniciens envoyés par les constructeurs.
Dans la remise autorails de Bercy : les opérations d’entretien. On ne disait pas encore “maintenance”.
“Nid” de Bugatti dans la remise circulaire de Nice dans les années 1930.

Ettore Bugatti eut, un jour, à se servir des freins d’un de ses autorails, lors d’essais, et constata que le freinage était, disons, dans la catégorie du “peut mieux faire”. Conduisant lui-même un autorail (ce qui n’était pas courant), il voit, au loin devant lui, un tunnel dont il s’approche à grande vitesse ; la tache noire, sur le rocher, lui fait peur et, réflexe d’automobiliste, il se refuse à conduire dans le noir, ne faisant pas confiance aux rails et à leur guidage. Il freine d’urgence, mais pénètre quand même à bonne vitesse dans le tunnel, mort de peur. On ne le reprendra plus à faire des essais d’autorails…

En service jusqu’en 1958.

Ces magnifiques autorails, au comportement parfois capricieux et demandant des talents d’artiste de la part du conducteur, marquent leur époque. On se déplaçait pour aller les voir, et leur forme fascinait les foules, dont l’auteur de ce site-web, alors enfant en 1948, posté, couché sur les bagages occupant l’espace libre à chaque extrémité des caisses, pour voir directement la voie et les signaux par les vitres inclinées de l’avant.

Un simple voyage dans l’autorail était un privilège et dire, d’un air snob, « Je suis venu en Bugatti » faisait impression, même si l’expression laissait un doute : automobile ou autorail… La Seconde Guerre mondiale les range au dépôt, mais un certain nombre reprendront du service à la libération. Les derniers exemplaires roulent en 1957, sur la relation Strasbourg – Lyon, et sur la Côte d’Azur en 1958, victimes du coût de leur carburant, de leur consommation, et d’un entretien assez onéreux, mais vénérés et inoubliables.

Magnifique passage en vitesse d’un “Couplage” Bugatti, à voir cette belle photo, ceux qui ont connu ces autorails entendent le vrombissement sourd et puissant de leurs quatre moteurs tournant à plein régime avec un échappement libre. L’échappement libre, dites-vous ? Cela ne se fait plus, maintenant, sauf dans les “quartiers” et la nuit.

2 réflexions sur « Bugatti : de l’automobile à l’autorail, le chic avant tout. »

  1. Un dimanche de rêve, lire voir sentir et toucher un Bugatti Rail et une Bugatti Route. Merci et encore merci.

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