Etabli à Lyon, Berliet est le grand constructeur lyonnais de camions par excellence. Ses calandres s’ornent d’un avant de locomotive américaine avec son chasse-buffle. Cet emblème est resté vivant dans le souvenir de tous ceux qui l’ont connu, et qui regrettent sa disparition. Mais si la marque a du s’essayer au marché ferroviaire, c’est parce que celui de la route ne lui permettait pas de survivre.
Berliet fabricant d’autorails ? Oui, la marque qui crée de magnifiques camions n’est pas payée de retour dans les années qui suivent la Première Guerre mondiale, quand la crise frappe aussi le transport routier. Berliet a donc aussi essayé de percer dans le domaine ferroviaire, mais l’aventure a été relativement discrète : nous sommes loin des frasques retentissants d’un Bugatti ou de la production déferlante d’un Renault, la grande firme lyonnaise a bien construit de modestes locotracteurs et de rares autorails.

Né dans la soie, comme il convient pour tout Lyonnais.
Marius Berliet est né en 1866 à Lyon, dans le quartier populaire et industrialisé de la Croix-Rousse que nous connaissons déjà pour ses funiculaires. Ses ancêtres sont des laboureurs du Nord du Dauphiné et son grand-père est « parti à la ville » au début du XIXème siècle pour s’installer comme ouvrier-tulliste à Lyon.
Son père a créé un modeste atelier de tissu pour coiffes de chapeau et sept enfants naissent dans la foyer familial. Marius Berliet obtient son certificat d’études en 1881, à 15 ans, et il devient apprenti tisseur pour travailler ensuite dans l’atelier paternel. Il suit des cours du soir de la Société d’Enseignement Professionnel du Rhône en mécanique et en anglais et invente une machine à enrouler les rubans.
Passionné de mécanique automobile comme beaucoup de jeunes gens de son temps, il construit son premier moteur en 1894, sa première voiture en 1895. En 1899, il achète à Lyon, 56 rue Sully, un local de 90 m2 puis loue un atelier de 450 m2 en 1900, 1 rue Paul-Michel Perret. En 1899, Marius Berliet achète des ateliers de deux autres constructeurs d’automobiles lyonnais que sont Audibert et Lavirotte, ce qui lui donne une surface de 5000 m2 qui qui permettra d’installer l’usine Berliet de Monplaisir.
A partir de 1902 Berliet construit des automobiles très solides, à deux puis à quatre cylindres, toute la robustesse étant garantie par celle de ses châssis. Il s’engage, en suivant la mode d’alors, dans une escalade de la puissance avec des moteurs donnant 15, puis 22 chevaux, avant de mettre au catalogue des voitures à moteur de 36, 40, 60 et même de 80 chevaux, ce qui est un record pour l’époque.
Berliet constructeur ferroviaire.
En 1921, pour se diversifier en face de la crise qui ferme les entreprises de transports routiers par milliers, Berliet ouvre un petit atelier de construction ferroviaire et produit de petits autorails à essence ainsi que des petits locotracteurs destinés aux embranchements industriels. Le constructeur fait ce qu’il sait faire, transposant prudemment son savoir-faire de type routier dans le monde ferroviaire en se limitant à des engins légers, transposant les techniques des poids-lourds et des autobus routiers,
Avec Renault et Schneider, Berliet fournit au PLM la longue série des petits locotracteurs du type 40 EA à essence, ceci à partir des années 1920. En général ces petits engins ont deux essieux, un moteur peu puissant (de l’ordre de 30 à 40 kW), une transmission à chaînes, un réducteur à deux gammes de vitesses et une boîte de vitesses type camion, le tout avec un poids « plume » de moins de 20 tonnes. Héritant de surnoms pittoresques, ces engins, familiers pour les agents des gares et les hommes d’équipe, assurent un service sans gloire au jour le jour.




Le PLM sollicite Berliet.
Jusque qu’en 1932-1933 la firme lyonnaise Berliet n’a donc pas encore construit de véritable autorail lourd, à caisse métallique, sur bogies, capable d’aller vite et loin sur les lignes des grandes compagnies.
Or le PLM a un grand besoin d’autorails et, bien que possédant un parc déjà important, elle se tourne vers Berliet, situé sur son réseau et dont les qualités de sérieux sont reconnues, pour lui commander des autorails à moteur diesel et transmission électrique. Bien que n’ayant pas été sélectionné pour le concours d’autorails PLM de 1931, Berliet ne semble en garder aucune rancune et saisit même l’opportunité offerte car, désormais, il dispose d’un excellent moteur diesel 6 cylindres (licence ACRO) monté sur ses camions en grande série. Il propose rapidement un autorail, le type RBD 250 qui est un succès.



Il s’agit bien d’un véritable autorail de type ferroviaire, roulant sur deux bogies à deux essieux, l’un étant moteur. Le châssis comporte deux longerons en tôle réunis par des traverses soudées. La caisse est rivée sur le châssis et comporte deux postes de conduite. Les châssis des bogies comportent deux longerons entretoisés par trois traverses de tôle d’acier. Des ressorts hélicoïdaux assurent la suspension.
Les moteurs diesel tournent à vitesse constante, gérés par des régulateurs les maintenant à un régime suffisant pour que la puissance demandée aux moteurs de traction ne soit pas supérieure à celle fournie par les génératrices. En somme, le conducteur agit directement sur les moteurs de traction électriques comme s’il conduisait une automotrice électrique, et le moteur diesel se comporte comme une centrale électrique fournissant automatiquement le courant demandé par les moteurs. La conduite est très facile, et permet une marche avec l’un ou l’autre des génératrices selon les besoins, et, surtout, le couplage des autorails.
Peu versé dans l’électricité industrielle, Marius Berliet fait appel à un grand spécialiste du genre qu’est “Als-Thom”, futur Alstom, pour la fourniture des génératrices électriques et des moteurs électriques de traction. Cette alliance entre deux grands noms de l’industrie française, au sérieux et à la réputation reconnus, ne pouvait que donner une réussite, et c’est bien ce qui se produit. Les deux prototypes se montrent si remarquables lors des essais qu’ils vont donner, moyennant des améliorations et un dessin nouveau des extrémité, une série de 12 autorails commandée dès de 30 août 1935, puis deux autres en août 1937, formant la série des RBD 300.

Peu de bruit à l’intérieur, une bonne tenue de voie, des démarrages en douceur, des performances supérieures à celles demandées, un entretien économique, voilà quelques-unes des qualités de ces autorails qui conduisent le PLM à en commander une autre série de douze qui sont livrés à partir de 1937. A ce parc s’ajoutent quatre autorails-fourgons pour des messageries rapides autour de Lyon et Grenoble, longs de 17, 4 m seulement. Ces autorails rouleront entre Lyon, Roanne, Tarare, St-Germain-des-Fossés, et jusqu’en 1951, année de la disparition des autorails Berliet du réseau SNCF.




Caractéristiques techniques de l’autorail Berliet RBD 250.
Type: autorail à bogies B2
Moteurs principaux: diesel 2 x 125 ch.
Transmission: électrique
Moteurs de traction: 2 x 77 kW
Capacité: 19 pl. 1re et 2e classes + 44 pl. 3e classe
Masse: 45, 5 t
Longueur: 20, 5 m
Vitesse: 120 km/h
Les autorails RBD 300.
Ce sont des autorails RBD 250 équipés d’un moteur diesel plus puissant, d’une caisse allongée de 0,50 m et ces autorails sont surtout beaucoup plus légers, puisque pesant 40,5 tonnes au lieu des 45 tonnes de leurs prédécesseurs. On les distingue des RBD 250 par leurs capots de radiateurs de toiture, et le nouveau dessin des fenêtres du poste de conduite. La série des RBD 300 comprend 14 autorails, livrés en 1937 et 1938 au PLM et à la SNCF qui les reçut avec des numéros PLM pour commencer. Leur carrière s’effectue au centre d’autorails de Roanne, et ils assurent un service vers Lyon, St-Etienne et Clermont-Ferrand, jusqu’en 1951.



Le succès des camions, jusqu’aux Amériques.
La renommée de qualité et de sérieux des voitures particulières Berliet traverse l’Atlantique, et les produits de la firme lyonnaise sont choisis dès 1905 pour être construits sous licence, dans une division automobile que l’”American Locomotive Company” (ALCO) vient de créer pour diversifier sa production. Les voitures Alco 4 et 6 cylindres sont ni plus ni moins que des Berliet américanisées, comme la 60CV, qui est l’une des plus vendues. Le destin de Berliet est donc, d’une certaine manière, déjà lié au chemin de fer.
Avec les énormes droits versés par l’ALCO, Berliet construit et à l’équipe une grande usine à Vénissieux, qui, pendant la Première Guerre mondiale, assure la production, en quantités énormes, et à côté de fabrications diverses, de camions pour l’armée comme Renault ou Latil, et qui deviennent célèbres pour leur participation aux héroïques convois de la « Voie Sacrée » comme le fameux Berliet de 1910 type M dont un exemplaire a été classé Monument Historique en 2013.
Les camions d’entre les deux guerres : innovation et expansion.
Une fois la paix revenue, Berliet ouvre une usine à Vénissieux, et produit des voitures d’une puissance allant jusqu’à 22 cv, mais, en 1921, Berliet est victime de la crise et la firme est placée temporairement sous administration judiciaire.
Mais l’entreprise n’a rien perdu de son dynamisme et de sa volonté d’aller de l’avant, et fait le choix du moteur diesel en 1930, lance les premières missions sahariennes entre 1926 et 1932 et passe au second plan la production de voitures particulières pour s’investir prioritairement dans celle des poids lourds. Après 1932, le lancement d’une importante gamme de camions et de tracteurs, dont certains équipés de moteurs à « huile lourde « (diesel), accapare de plus en plus la grande usine lyonnaise. Berliet se consacrera définitivement et exclusivement à la production des camions, tandis que celle des automobiles cesse en 1939.



Le GDR est bien le camion mythique des années 1930 à 1950, celui qui promène sur les routes et dans les villes de France son museau aux formes nettes et sa cabine aux angles vifs. Portant fièrement la marque « Berliet » sur son radiateur, il associe le célèbre nom lyonnais soit à « Diesel » soit à « Gazobois ».


Car Berliet est un pionnier du « gazobois » (ou plus couramment, le gazogène) en France. Dès les années vingt, certains modèles Berliet commencent à être équipés pour le fonctionnement au gaz de bois, parmi lesquels le célèbre CBA et ses dérivés. Au cours des années 1930 et 1940 ce sont plusieurs dizaines de types différents qui voient le jour, tous munis d’appareils fabriqués par Berliet sous licence Imbert. Le GDRAG apparaît dès la fin des années trente. Il s’agit de la version gazogène du diesel GDR, aussi décliné en version diesel ou essence, en plusieurs types différents selon leur moteur, leur puissance fiscale et leur poids en charge.
Sur le plan technique, le GDRAG reste très classique avec son châssis qui dérive directement des premiers modèles, son moteur issu du camion GDR22 et adapté pour la marche au gaz de bois. Il conserve l’alésage et la course du moteur diesel MDB (120 x 160 mm), ce qui permet la standardisation des pièces détachées avec un bloc-moteur commun et l’adaptation de groupes essence ou diesel pour la marche au gaz de bois.
La Seconde Guerre mondiale et les années 1950-1980.
Pendant la seconde guerre mondiale, la fabrication de camions « gazobois » pour la zone sud est possible jusque vers la fin de 1942 : au-delà, le gouvernement de Vichy prend le relais de la demande allemande qui a besoin de camions et oblige la firme lyonnaise à fournir une part de sa production en zone occupée. À la libération, la société Berliet est placée sous séquestre pour avoir ainsi, malgré elle, travaillé pour l’occupant, et une gestion ouvrière des usines est mise en place sous le nom d’ «Expérience Berliet».
Après 1945, Berliet continue à se consacrer uniquement aux véhicules lourds, y compris les autobus et les autocars. L’entreprise se retrouve de nouveau entre les mains de ses créateurs en 1949, année de la mort de Marius Berliet qui avait désigné le chef de famille qui lui succédera. Son choix s’est porté sur Paul, né en 1918, son avant-dernier enfant. Celui-ci est à la tête de l’entreprise à partir de 1950 avec le Président d’Automobiles Marius Berliet, Emile Parfait. Après avoir racheté Rochet-Schneider et d’autres petites firmes lyonnaises, la firme Berliet s’associe avec Citroën en 1957, et passe un accord avec le Groupe Michelin en 1967 aboutit au transfert de la fabrication des camions Citroën chez Berliet.
La firme multiplie les sites de production autour de Lyon comme à Bourg-en-Bresse en 1964, où s’ouvre une usine de montage, ou encore à Saint-Priest en 1970 dans le département du Rhône pour la production de ponts-essieux, ou encore la même année à Andrézieux-Bouthéon dans le département de l’Ain pour celle des boîtes de vitesses. D’autres sites sont ouverts dans les années 1970 à Chambéry, pour la production du matériel incendie et à l’Arbresle dans le département du Rhône pour la petite mécanique.
En 1975, la société des « Automobiles Marius Berliet » compte alors un effectif de 24.000 personnes. L’Etat décide du rattachement de Berliet à la Régie Renault. En 1978, Berliet devient Renault V.I. après absorption de Saviem. En 1980 disparaissent les marques Berliet et Saviem au profit de la marque Renault. On ne lira plus le fascinant Berliet, anagramme de “liberté” parait-il, sur les capots.
Le GLR, star des stars chez Berliet.
D’après le spécialiste du camion qu’est Jean-François Colombet, écrivant dans la revue « Charge Utile », le lancement du GLR au salon de l’automobile de 1949 est un grand événement dans le monde du transport routier. L’apparition du GLR est le signe que l’époque du renouveau est enfin là, avec le camion « moderne » des années cinquante, un véhicule en rupture technique et esthétique complète avec les poids lourds dont la conception remonte à l’avant-guerre.

Précurseur de ce que sera la production Berliet dans la nouvelle décennie, le GLR est presque trop moderne pour un milieu professionnel aussi traditionnaliste qu’est celui des transporteurs routiers. Berliet, en fin connaisseur de ce milieu, a pris ses précautions et présente, en même temps que le GLR, un bon vieux GDR, le 7 W, celui que le GLR est censé remplacer, et c’est ainsi qu’un archaïque GDR subsiste au catalogue… Une autre raison en ce qui concerne la prudence de Berliet est que le nouveau camion coûte cher, très cher, car les études et l’outillage de fabrication ont poussé le prix du GLR8 hors du raisonnable avec un prix de vente de plus de « trois millions » (comme on s’exprime à l’époque) soit 410 000 F de plus qu’un GDR.
Le démarrage commercial de ce nouveau fer de lance de la gamme Berliet est normal, sans plus, mais sa bonne bouille bien rondouillarde va, peu à peu, apparaître partout sur les nationales et dans les rues commerçantes des villes, et ce camion saura donner entière satisfaction. les transporteurs. En juillet 1951, le GLR8 2e série est lancé, avec un poids total en charge qui passe de 13 500 kg à 14 500 kg, tandis que, peu après, un nouveau moteur muni d’un compresseur intégré rend plus fiable le circuit de freinage.
Il lui manque un « grand frère » et celui-ci naît en 1953, avec son « gros nez » qui cache un gris diesel de 6 cylindres de 9,5 litres de cylindrée. Le « mythe du poids lourd français », selon le terme même de Jean-François Colombet, prend le nom de GLM et il est équipé d’un nouveau moteur diesel à six cylindres type MDZ qui remplace un moteur six cylindres datant de 1933 et équipant jusque là les gros camions Berliet. origines remontaient à 1933. Ce nouveau moteur délivre une puissance de 145 ch. SAE, soit 20 de plus que son prédécesseur malgré une cylindrée inférieure de plus d’un litre.
La cabine reprend la cellule du GLR, et le capot est d’un dessin quasi identique à celui du GLR, mais plus long, et comporte toujours la locomotive américaine Berliet, bien entendu. La boîte de vitesses du GLM est à cinq rapports, doublés par un démultiplicateur. Le pont arrière est à double réduction. Le camion est équipé d’une direction à vis et écrou, et elle est à assistance pneumatique. Le poids total en charge est de 19 tonnes, quel que soit l’empattement, et la « charge totale remorquée » est de 12,5 tonnes, ce qui donne un bon 31,5 tonnes de poids total roulant possible, ce qui est conforme, à l’’époque, à la nouvelle législation qui autorise, à partir de janvier 1954, un poids total remorqué de 32 tonnes. L’ère des gros camions s’annonce…


Berliet, aussi, conquiert le monde.
Avec une production de plus de 120 camions par jour en 1974, Berliet est un des plus grands constructeurs mondiaux, et la firme s’implante solidement sur le marché international. porte ses efforts à l’exportation en Europe et au développement d’une politique d’industrialisation dans les pays en voie de développement pour les propres besoins de ces pays à partir de 1958. Parmi les opérations les plus importantes il y a la création de Berliet-Algérie en 1957 et l’inauguration de la première ligne d’assemblage en 1958, ou encore la création de Berliet Maroc en 1958, le transfert de technologie en Chine portant sur la fabrication de quatre types de véhicules lourds en 1965, le contrat produits en mains d’une usine d’autobus à Cuba en 1969, contrat d’industrialisation d’une gamme de 7 véhicules et construction du complexe industriel produits en mains en Algérie en 1970 (sur 300 ha avec 10 000 personnes), contrat d’industrialisation de l’autobus PR 100 en Pologne et construction de l’usine de 25 unités par jour en 1972, s’accompagnent d’une politique très large de formation.
La Fondation Marius Berliet.
Créée en décembre 1981 par les descendants de Marius Berliet, en particulier du président Paul Berliet avec le puissant concours de Renault Véhicules Industriels, la Fondation de l’automobile Marius Berliet, (39, avenue Esquirol, à Lyon), a deux objectifs : d’une part, la sauvegarde et la valorisation du patrimoine automobile représenté par la fabrication Berliet et Alco-Berliet, ainsi que par les fabrications des 110 firmes de la région lyonnaise, grandes et petites, qui ont construit des véhicules automobiles, et, d’autre part, a sauvegarde et la valorisation du patrimoine français de véhicules industriels de toutes marques camions, autocars et autobus. Une très importante documentation historique a été réunie et constitue, pour les historiens et les chercheurs, une inépuisable et très précieuse source d’information sur l’histoire de l’automobile.
Petit album des autobus et autocars Berliet.




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