Economiques : ces petites lignes de chemins de fer l’étaient-elles ?

On les appelait souvent “les chemins de fer économiques” lorsque l’on les a construits en France, par milliers de kilomètres, à la fin du XIXe siècle. On le sait, et rappelons-le avant toute chose : les chemins de fer ont toujours été et le sont toujours écologiques, surtout par la qualité qu’ils sont les seuls à posséder : la très faible dépense d’énergie due à la très faible résistance au roulement assurée par les rails. La cause est démontrée et entendue depuis deux siècles. Nous savons que les émissions de CO2 d’un trajet en train, en zone urbaine, sont 20 fois moins importantes que celles d’un trajet en voiture (en moyenne, 6,2 grammes de CO2 par km en train, contre 161 grammes de CO2 par km en voiture).

Mais ce n’est pas pour autant que, dans leur long passé, les ingénieurs des chemins de fer et les préoccupations de leurs dirigeants aient, pour autant, placé les économies d’énergie en tête de leurs soucis. Pour commencer, parlons des plus modiques d’entre les chemins de fer. Décidés, conçus et construits sous le signe de l’économie, les chemins de fer en voie normale ou métrique ou en voie de 60 dits “économiques” ont-ils été autant que cela, eux qui, souvent, n’avaient d’”économique” que par la présence de ce terme dans la raison sociale de leur exploitant ? Ces petits réseaux ont-ils été économiques, comme leur nom l’annonçait ?

La France en voie métrique et en voie étroite (dite de 60) en 1939. On notera l’importance et l’étendue de ces petits réseaux secondaires dans l’Ouest et, dans une moindre mesure, en Picardie. Peu après la Seconde Guerre mondiale, plus aucune de ces lignes n’existe. Pour les lignes secondaires en voie normale, leur sort sera identique.

Une idée fausse mais persistante : les chemins de fer créent la richesse.

On a longtemps cru que les chemins de fer “créaient la richesse” et que, donc, les investissements financiers qu’ils représentaient seraient, de toutes manières transformés en bénéfices aussi énormes que durables, et qu’il suffisait de construire des lignes dans le Massif-central, par exemple (voir notre article sur le Grand-Central) pour que cette région soit “désenclavée” ou “industrialisée” (termes des technocrates du moment) et nage dans un océan de richesse. Les hommes politiques et les économistes de la Troisième République prônaient la construction de lignes de chemin de fer dans les régions “arriérées” (sic), promettaient des siècles de richesse à venir et pour tous, promettaient des citrouilles transformées en carrosses d’un coup de baguette magique dès que l’on entendrait siffler le train… mais quelques décennies plus tard, il fallut se rendre à l’évidence : le chemin de fer ne créait pas la richesse mais il la déplaçait, et, pour ce faire, il coûtait cher tout en ruinant les investisseurs.

Par exemple, les chemins de fer du Sud de la France (sur lesquels nous reviendrons dans un prochain article) promettent la richesse dans les départements du Var et des Basses Alpes, et une ville comme Grasse est dotée de pas moins de cinq gares dont une en voie normale pour le PLM. La richesse promise et l’industrialisation ne viendront jamais par le rail, et la manne du tourisme se développera bien le long de la Côte d’Azur et avec l’automobile.
Dans les années 1960, les dernières lignes “économiques” à voie normale ferment définitivement. Leur matériel roulant n’est pas adapté, le prix du charbon et la concurrence routière se chargent de les achever. Ici, une ligne des CFTA dans l’est de la France : la locomotive date de 1908, la voiture voyageurs est une “Armistice” allemande des premières années 1920, et le fourgon, tout aussi vieux, assume une présence réglementaire. Cliché Debano.
Même destin, même motif et même punition pour la petite ligne secondaire à voie normale de Chauny à St-Gobain moribonde dans les années 1970.
La situation des réseaux français entre 1897 et 1918 : l’âge d’or, si tant est qu’il ait commencé, est déjà fini. Tableau tiré de l’ouvrage de Dauzet “Un siècle de chemin de fer en France” paru en 1930.
Le trafic comparé des grandes compagnies entre 1884 et 1937 avec la “remontada” des années 1930 dans une France et un monde en pleine crise : le paradoxe apparent est bien connu des historiens de l’économie.

Petits, mais pas moins chers pour autant.

Procurant certes des économies à la construction des voies par le fait d’emprises moins étendues, et de tracés plus sinueux donc demandant moins d’ouvrages d’art, ces petites lignes de chemin de fer ont aussi offert des capacités de transport et des performances bien moindres par rapport à la voie normale, mais ils consommaient quand même du charbon, produit déjà hors de prix. L’affaire était-elle rentable ? Il semblerait surtout que l’absence de toute réponse à la question ait favorisé l’absence de débat effectif, et, donc, ait assuré aux métriques le bénéfice du doute.

En 1894, le débat commence à poindre dans les revues des ingénieurs des chemins de fer, et il semble que, si les chemins de fer à voie d’un mètre aient pris en France une grande extension depuis une vingtaine d’années, on ne possède sur la consommation de combustible de leurs locomotives que des renseignements assez rares et insuffisamment précis et l’on commence à se demander si on n’a pas construit ces chemins de fer en ayant pour seul éclaircissement les économies à la construction.

Le réseau de l’Hérault, par exemple, est construit à grands frais, en voie normale et avec des installations modèles, dès 1872 et relie, entre autres, Montpellier à Palavas. Immortalisée par le dessinateur Dubout, la ligne est populaire et active. Mais l’automobile la videra de ses voyageurs dans les années 1950 et la tuera définitivement en 1968.
Dessin de Dubout paru en 1938, et inspiré par le fameux “petit train” de Palavas-les-Flots. Le talent du grand caricaturiste, hélas, n’a pas aidé la cause des chemins de fer secondaires et en a fait un objet de moquerie !
Abondance de personnel et aussi, pour un temps, de voyageurs pour les tramways de Royan ouverts vers 1898 en voie de 60 et vus ici en 1910. Hélas, dans les années 1930, beaucoup de lignes sont déjà fermées.
Du personnel en quantité, des voyageurs peu nombreux, un trafic marchandises déjà déclinant : nous sommes à Aigrefeuille en 1908. Devenue Loire-Atlantique en 1957, la Loire Inférieure a déjà perdu, entre 1935 et 1947, toutes ses petites lignes en voie métrique.

Il ne faut pas s’étonner de la mise de cette question sur le tapis. Après les premières lignes construites, on s’est préoccupé surtout d’aborder des régions de plus en plus accidentées, puis de faciliter le passage dans les courbes de faible rayon – car c’est à ces courbes que l’on doit le plus clair des économies réalisées dans l’établissement de la voie. Vers 1880 on en était aux rampes de 15 pour mille et aux courbes serrées à seulement 150 mètres de rayon en pleine voie. Dans les années 1930, on emploie couramment la rampe de 30 pour mille et la courbe de 100 mètres, ce qui est très peu. « On est même allé un peu vite dans ce sens, puisqu’on a établi ces rampes avant d’avoir des machines en état d’y remorquer des trains de quelque importance » écrit un ingénieur des Arts et Manufactures. C’est en effet depuis peu de temps, et longtemps après la construction des lignes, que l’on a trouvé… la locomotive qui allait avec,  avec les machines compound articulées d’Anatole Mallet qui ont permis de résoudre cette difficulté.


Le charbon ? La nature permettait, pensait-on, d’en user et d’en abuser.

A fortiori, ne s’est-on pas soucié de la consommation du combustible, et cela pour une raison péremptoire : on n’avait alors aucun moyen pratique de l’évaluer. Vers la fin du XIXe siècle on commence à pouvoir faire des comparaisons. Les machines consomment du combustible d’abord pour ce qu’on peut appeler les services accessoires : les allumages, les stationnements, les manœuvres, et ensuite elles consomment pour le parcours proprement dit, en raison du tonnage remorqué, ce qui est l’activité principale, bien entendu, et la plus remarquée.

Les consommations accessoires, déterminées par des essais. On a considéré une machine comme allumée, lorsqu’elle se trouve avec une pression et une hauteur de feu sur la grille la plaçant dans les mêmes conditions que lors de sa rentrée au dépôt. Le combustible ajouté ensuite pour mettre la machine en état de prendre la tête du train n’est pas brûlé au moment du départ et, en réalité, fait partie de la consommation de route. En faisant quelques allumages d’abord dans les conditions normales, c’est-à-dire avec la machine encore tiède de la veille, puis avec la machine froide après lavage, on obtient, en tenant compte du nombre de lavages par mois, la consommation moyenne pour un allumage.

Il est clair que la consommation par heure de stationnement varie suivant la durée du stationnement. Elle n’est, par exemple, que d’une heure et oblige à maintenir une pression élevée, ou elle est de cinq à six heures, ce qui permet de laisser baisser la pression. Il convient donc de prendre directement les consommations pour des stationnements d’abord à haute, puis à moyenne et à faible pression. On a ainsi des bases certaines pour fixer le chiffre moyen à adopter d’après la durée moyenne des stationnements sur une ligne donnée.

Pour une heure de manœuvre, on déduit la consommation de combustible de la dépense d’eau observée au tube de niveau. Il va de soi que ce relevé doit être fait dans les conditions moyennes que présentent les manœuvres sur la ligne dont il s’agit.

On obtient ainsi, pour des machines sont la surface de grille varie de 0,8 à 0,99 m2, et avec des quantités d’eau dans la chaudière variant de 1,4 à 1,95 m3, des consommations à l’allumage de 45 à 60 kg, de 5 à 6 kg par heure de stationnement, et de 20 à 35 kg par heure de manœuvre.

Parc à charbon sur le réseau Est, à Vaires, en 1934. L’ère de l’abondance charbonnière bat son plein.
Le règne absolu du charbon, jusque sur le moindre réseau à voie métrique : ici une locomotive-tender 030 Tubize datant de 1886 et vue à Reims, au dépôt Jacquard, vers1910. On notera l’abondance et la motivation du personnel de ce dépôt. La pose est soigneusement mise en scène.

Les consommations lors des parcours.


Des mesures ont été faites sur dix profils de lignes à voie métrique. Ces consommations sont le résultat des relevés journaliers pendant une période de 3 à 5 mois, dans l’été de l’année 1892.
Les rampes sont comptabilisées à l’aller et au retour. L’avantage de considérer ainsi un profil comprenant l’ensemble de l’aller et du retour est d’abord que les consommations pour un parcours sont alors celles déduites du service courant, tandis que en ne prenant que l’aller, il faudrait faire des relevés spéciaux. De plus, deux profils peuvent donner, à l’aller seulement, une déclivité moyenne identique et même une résistance totale identique, si la pente est telle que le train la descende de lui-même sous l’action de la gravité. Cependant, pour l’aller et le retour, leurs résistances totales, et par suite les consommations finales de combustible seront différentes.

D’après les déclivités moyennes, on peut déjà classer les diverses lignes d’une façon sommaire, mais qui est insuffisante lorsqu’on se propose de déterminer la consommation de combustible en palier. Il faut alors calculer véritablement la rampe moyenne, toujours pour l’ensemble de l’aller et du retour, en tenant compte non seulement des déclivités, mais aussi des résistances au roulement en palier et en courbes.

Les bases des consommations accessoires étant fixées comme il a été dit précédemment, il suffit d’avoir noté pendant un certain temps les nombres d’allumages, d’heures de stationnement et de manœuvres pour pouvoir faire la somme de ces accessoires, la déduire de la consommation totale en service et obtenir par différence la consommation brute pour le parcours seulement. On la rapporte alors au kilomètre parcouru, en tenant compte du tonnage remorqué.

La consommation nette peut se situer, pour donner une idée, entre 200 et 300 kg par kilomètre parcouru pour 30 tonnes de train moyen remorqué, plus le poids de la machine, et à plus de 4 kg pour 50 tonnes de train moyen remorqué, plus – ne l’oublions pas – le poids de la machine. La consommation de la machine est égale ici à la consommation pour 47 tonnes de train remorqué. Dans cet exemple, 47 tonnes représentent donc ce que nous appellerons l’équivalence de la machine en tonnes de train, en sorte que le déplacement de l’ensemble est de 50 + 47 = 97 tonnes. Le poids de la machine se trouve éliminé, et les consommations de parcours deviennent proportionnelles avec une seule variable : le tonnage remorqué augmenté de l’équivalence de la machine. C’est la forme la plus simple et la plus viable du calcul. Mais que vaut-elle ?

Dans la pratique, ce n’est pas aussi simple.

On pense bien que, dans la pratique, les choses né se présentent pas toujours aussi simplement parce, lorsqu’il s’agit d’une ligne nouvellement exploitée, où il faut précisément étudier les consommations, car elles varient tellement d’un mécanicien à l’autre que des moyennes seraient illusoires et qu’il devient difficile de tracer, mème approximativement, la « ligne de consommation » sur un graphique.
Pour y parvenir, le premier moyen est de relever directement la consommation propre de la machine en lui faisant effectuer sur toute la longueur de ligne, en aller et retour, deux parcours haut-le-pied, et prenant la moyenne des deux consommations. De cette façon, on détermine non pas exactement la dépense mais une limite supérieure de cette dépense. En effet, une machine remorquant un train fonctionne plus économiquement que lorsqu’elle circule isolée, puisque, dans ce dernier cas, il faut ou se tenir à faible pression, ou étrangler considérablement l’arrivée de vapeur. La différence entre les deux fonctionnements est d’autant plus grande que la rampe est plus faible. C’est seulement sur de très fortes rampes, où le mécanicien, pour déplacer la locomotive seule elle-même, devrait admettre la vapeur avec une ouverture de régulateur à 15 ou 20% par exemple, pour être sûr qu’elle ne dépenserait pas plus que si elle était attelée à un train.

Pour les lignes à voie d’un mètre testées lors des essais de 1894, la consommation de la machine attelée variait, suivant la rampe, entre 0,80 et 0,92 de la consommation haut-le-pied. De ces nombreux essais il en est résulté que la consommation moyenne en palier était d’environ 23 grammes par kilomètre et par tonne. En palier, pour des vitesses de 20 à 30 kilomètres à l’heure, la résistance au roulement du matériel à voie d’un mètre peut être estimée entre 7 et 8 kg par tonne pour les machines et entre 2,5 et 3 kg pour les véhicules, de sorte que, comme résistance, une tonne de machine vaut moyennement 2,75 tonnes de train. Mais pour des rampes de 5, 10, 15, 20 pour mille, le rapport des résistances décroît très rapidement de 2,75 vers l’unité et devient respectivement 1,6 1,35 1,25 1,20. La dépense de combustible croît avec la rampe, mais la progression est difficile à trouver. Cela devient donc très difficile d’établir le tracé d’une voie avant de la construire et en tenant compte de ce que les locomotives pourraient consommer. Or ces dépenses sont déterminantes dans l’adoption ou pas d’un projet de ligne.

La qualité du charbon, et son prix, entrent aussi en ligne de compte. Les excellentes briquettes ont souvent été refusées aux locomotives en voie métrique, pour des raisons d’économie (puisque ces chemins de fer étaient … économiques !), et les locomotives roulaient presque exclusivement avec des charbons menus, la proportion de briquettes n’atteignant pas 15%, et se situant souvent en-dessous de 10%. Parfois on a pu voir du « menu de mines » de Cardiff, ou des « fines » demi-grasses donnant environ 17% de matières volatiles, et 8% de cendres.

Et par rapport à la voie normale ?

La comparaison est tout aussi difficile, puisqu’en voie normale les vitesses sont de très loin supérieures, les tonnages plus forts, les distances plus longues. Une locomotive pour trains de marchandises ayant consomme 5 tonnes de charbon pour remorquer un train de 600 tonnes sur 250 km, aura donc consommé environ 8 kg de charbon par tonne sur le trajet, et environ 30 grammes par tonne et par kilomètre : guère plus que la machine en voie métrique, et en roulant beaucoup plus vite… Mais si l’on compare ce qui est comparable, en prenant l’exemple d’une ligne d’intérêt local à voie normale, où circulent de petites locomotives-tender à moins de 50 km/h, en tête de trains d’une centaine de tonnes, on dépense encore moins par tonne au kilomètre. Mais il est vrai qu’il faut avoir de quoi transporter, et c’est bien là le problème des voies métriques : le manque de trafic. Elles ne pouvaient donc pas être “économiques” puisqu’elles n’avait pas assez de travail pour le devenir. 

Scène habituelle sur un secondaire français des années 1910 dans la gare de Vaudoy : peu de trains chaque jour, peu de voyageurs, donc peu de rentabilité, mais un réel enthousiasme pour le progrès et la présence du photographe qui permet de poser pour la postérité.

Quand on commence à trouver (enfin) que le charbon doit être économisé.

Vers la fin du XIXe siècle, on commence à trouver que le charbon coûte cher. Souci écologique ? Que non !!! Pur souci comptable, certes. Il est surtout cher pour les pays qui n’en ont pas, et qui doivent donc en payer l’achet et le transport parfois sur de longues distances.

La locomotive à vapeur, c’est, fondamentalement, une marche au charbon et à l’eau. Mais d’autres techniques de chauffe ont toujours été essayées à diverses époques, soit devant la rareté du charbon dans certains pays, soit pour éviter les inconvénients propres à la chauffe au charbon qui demande des nettoyages fastidieux et une conduite du feu très délicate. La chauffe au bois n’a jamais été satisfaisante, comme démontré sur le Transsibérien ou en Amérique du sud. Mais le mazout a donné d’excellents résultats, surtout vers la fin de la traction vapeur.

« Fuel », « fuel-oil », “fioule”, “mazout”,  “gas-oil”, “gazole” ? Mais comment donc appeler ce produit issu du raffinage du pétrole et qui fait tant parler de lui, actuellement, avec les moteurs diesel de nos automobiles, poids-lourds et navires ou le chauffage de nos maisons ?

Le raffinage du pétrole permet d’obtenir de très nombreux produits spécifiques, grâce à la séparation des mélanges d’hydrocarbures, l’élimination des éléments indésirables, et la synthèse de corps nouveaux. L’opération fondamentale est la distillation fractionnée continue qui permet de séparer les produits légers, distillés en tête de tour et puis condensés, les produits intermédiaires soutirés latéralement, et les produits lourds ou résidus, extraits en fond de tour.

Tous ces produits doivent être traités et ne peut être utilisés directement. On obtiendra des gaz liquéfiés (butane, propane) à partir de l’essence directe qui est à transformer par catalyse pour donner des carburants de type automobile ou aviation, le kérosène utilisé pour les réacteurs d’avion, et le gazole utilisé pour les moteurs diesel. Le fioul est un produit lourd (huile combustible) appelé encore mazout. Enfin les paraffines et bitumes sont des produits lourds, eux aussi, mais obtenus par distillation sous vide des résidus.

Le terme de “fuel-oil” (ou encore abrégé en “fuel”) est anglais, et a récemment été francisé en “fioule”, synonyme donc de “mazout”. Celui de “gas-oil” est devenu, pour les mêmes raisons, “gazole”.

Des essais ont commencé en 1887 en Roumanie, pays manquant de charbon, et à la suite du succès de ces essais, l’emploi du mazout s’est répandu en Russie, en Asie, mais sous la forme de la chauffe mixte avec projection de mazout sur le charbon. Le Royaume-Uni fait ses propres essais dès 1888.

Bien entendu la présence de champs pétrolifères aux Etats-Unis a conduit ce pays à équiper un très grand nombre de ses locomotives à vapeur avec cette chauffe. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les réseaux des Etats-Unis  consomment 17 000 000 t de mazout et 124 000 000 t de charbon, soit 14% du mazout et 20% du charbon produit sur place.

Premiers essais, discrets et timides, de chauffe au pétrole (ou “huile minérale”) en 1888 au Royaume-Uni, effectués par le petit réseau du Great Central Railway, dans doute avec le désir d’échapper aux contraintes imposées par les grèves organisées par les puissants syndicats miniers.
Essais en Malaisie en 1889 sur le réseau en voie de 1067 mm : ici la motivation est le manque total de charbon dans ce pays.
Premiers essais, en 1932, de la traction diesel sur le réseau PLM qui sera un des précurseurs de ce mode de traction en France et sur son réseau algérien.
Le pétrole ce sera aussi l’immense foi en l’autorail qui fait ses débuts sous la forme de ce qu’il est vraiment : un autobus sur rails. Ici nous sommes en 1922 et il s’agit d’un autorail De Dion. en voie métrique. La foi du jeune conducteur fait plaisir à voir.
Quand le chemin de fer est accusé d’être ruineux il se défend en imitant son accusateur qui est, paraît-il, un modèle de sobriété et de désintéressement : l’automobile. En 1947 un autocar Floirat sur rails est l’aïeul des “solutions miraculeuses” imaginées actuellement pour le sauvetage des petites lignes dites LDFT. On prend les mêmes erreurs et on recommence et on réinvente l’eau chaude. Faisons du chemin de fer un vrai service public, payé par tous, comme l’éducation, la santé, la justice, la sécurité, etc… et cessons de lui demander des comptes puisqu’il est socialement et économiquement tellement utile, dit-on.

La France s’intéresse un peu à la chauffe au mazout, mais timidement pour commencer.

La France s’intéresse à cette chauffe au mazout au lendemain de la Première Guerre mondiale, le charbon étant devenu très cher, mais déséquipe ses locomotives une fois la crise passée. Elle ne renouera avec le mazout que lors de l’importation massive des 141 R américaines au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et encore que…. l’intérêt de l’opération est que, avec la 141-R on dispose d’une locomotive déjà existante et capable d’utiliser du pétrole moyennant une simple transformation, et donc en faisant l’économie de la construction intégrale de locomotives diesel qui sont très chères car il faut “installer deux fois la puissance” avec le moteur diesel, d’une part, et, d’autre part, la génératrice et les moteurs de traction électrique. La locomotive diesel est, à la construction, de très loin la locomotive la plus complexe et la plus chère.

Le Royaume-Uni en fait de même, transformant des locomotives et voulant abandonner le charbon durant les grèves minières de 1912, 1921 et 1926, puis abandonne cette technique pour la retrouver, comme en France, au lendemain de la guerre.

Le réseau français du PLM décide de faire l’essai de la chauffe au mazout dès 1919 sur des petites locomotives de manœuvres. La transformation de 35 locomotives dans les ateliers de Villeneuve-St-Georges coûte environ 450 000 Fr., mais permet une économie annuelle de 300 000 fr. car le charbon, au lendemain de la Première Guerre mondiale, est devenu très cher. Devant les excellents résultats obtenus, la compagnie transforme ensuite 90 locomotives pour les dépôts de Villeneuve, Paris, et Lyon.

La pression de marche est atteinte en 1h30 au lieu de 2h30 à 3h par le charbon. La conduite du feu est très simple, et permet même, pour les machines de manœuvres, de se passer de chauffeur, le mécanicien assurant seul le tout.

Avec la 141-R, la France se met sérieusement au mazout.

Construite pour la SNCF aux USA et au Canada au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la 141-R est une locomotive dite «mixte», ni rapide ni lente, d’une puissance moyenne, de performances moyennes, mais apte à tout faire. Et on la verra absolument tout faire sur le réseau français: trains de marchandises, manœuvres, trains de travaux, trains de voyageurs omnibus ou même express. Limitée à 105 km/h, capable de parcourir toutes les lignes, elle est la locomotive universelle par excellence dont la SNCF a besoin immédiatement une fois la paix revenue.

C’est donc une locomotive robuste, très simple mécaniquement, issue d’un modèle américain mis au point pour la guerre de 1914-18, peu évoluée techniquement par rapport aux  locomotives «compound» très perfectionnées dont la France fait traditionnellement grand usage. Cette robustesse fait d’elle la première locomotive française a être conduite en «banalité», c’est-à-dire avec des équipes qui se relayent. C’est la fin de l’époque des équipes «titulaires», fidèles à la même locomotive dont ils sont responsables. Le confort d’une vaste cabine bien fermée, où l’on conduit assis, joint à la facilité de conduite fait que ces locomotives sont rapidement adoptées par les cheminots.

Elles atteignent des parcours journaliers record, utilisées en majorité sur des grandes lignes. Par rapport à une moyenne nationale de 75 km/jour pour les locomotives classiques de la SNCF, les « R » assurent une moyenne de 200 km/jour dès leur mise en service, et atteignent 500 ou même exceptionnellement 800 km/jour en 1949 sur la région Ouest. Durant les années 50 les 141 R effectuent 44,8% du tonnage total de la SNCF a elles seules : presque la moitié du trafic ferroviaire français !

Une 141-R dans une de ses tâches habituelles vers la fin des années 1940 : un train “RO” (Régime Ordinaire) de la SNCF. La diversité des wagons composant le train est typique de l’époque et du Régime Ordinaire.
La “R” : locomotive bien aimée par les équipes de conduite qui apprécient sa simplicité, sa fiabilité, et le confort de la cabine de conduite : les premières locomotives en France où l’on conduit assis.

Les « R » sont capables de fournir 2.150 kW (2.920 ch.) à 80 km/h, pouvant remorquer ainsi des trains pesant jusqu’à 1 000 tonnes à 95 km/h sur des lignes faciles ou des trains de 800 à 900 tonnes en rampe de 9 pour 1 000 à plus de 80 km/h. Mais surtout les 141-R pouvaient avoir une moyenne de moins de 16 heures de « bricole » (petites réparations) aux 1 000 km, c’est-à-dire moins que les locomotives à vapeur de puissance équivalente, ou que les machines électriques ou diesel les plus sûres.

Et, des trains de minerai en double traction aux trains express ou même rapides du service voyageurs, on a vu les  « R » absolument partout, du Nord à la Côte d’Azur. Elles termineront l’ère de la traction vapeur, étant retirées du service durant les années 70.

L’arrivée de la 141-R est l’aboutissement d’une grande réflexion en matière de politiques de traction pour la SNCF des dernières années 1940. Il ressort que la grande tradition française de locomotives perfectionnées, « poussées » , conduites en finesse par des équipes titulaires et hautement qualifiées, était, tout compte fait, une politique chère et une grave erreur financière. Avec la 141 R une autre politique s’est mise en place par la force des choses, avec des machines simples à moteur à simple expansion, un graissage automatique, des rattrapages de jeu automatiques.

Le charbon coûte moins cher que la main d’œuvre.

La SNCF est forcée, comme l’ensemble des réseaux européens,  à découvrir que le charbon, malgré son prix élevé, coûte moins cher que la main d’œuvre, et qu’il vaut mieux lutter sur le front des économies de maintenance et de conduite que sur celui du charbon seul, en attendant de résoudre le problème du charbon par la pure et simple suppression de la traction à vapeur. La conversion d’une moitié des 141-R à la chauffe au fuel sera une solution, en attendant surtout la reprise des les grandes électrifications ou l’arrivée de la traction diesel.

Comme la France manque de charbon au lendemain de la guerre, le gouvernement décide de transformer massivement les 141-R pour la chauffe au mazout, dans la mesure où le pétrole abonde et à bas prix. Les machines 701 à 1200, et 1236 à 1340, soit 603 locomotives sont transformées. Surnommées «goudronneuses» par les équipes, ces machines sont d’une conduite facile et elles réalisent d’importantes économies de charbon. C’est aussi une raison de plus pour expliquer leur succès. Beaucoup d’entre elles sont utilisées sur la Côte d’Azur où l’on espère que les dégâts faits sur l’environnement, les façades des belles villas ou le bronzage des premiers vacanciers sur les plages, seront moindres qu’avec des locomotives à charbon.

Sur le réseau SNCF des années 1950 : une 141-R, la N°1338, avec son tender à fuel caractéristique. Une des dernières locomotives produites, et, ici, au Canada.
Le tableau des 141-R : charbon ou mazout ?

On notera, dans ce tableau, qu’une même locomotive peut être traitée sur plusieurs lignes, selon les nombreuses  combinaisons de variantes.

N°s des machinesCombustibleChâssisBissel arrièreRouesConstructeur
1 à 700CharbonClassiqueDeltaRayons partout 
701 à 1200FuelClassique Boxpok au 3ème essieu 
701 à 1100 ClassiqueColeBoxpok au 3ème essieu 
1101 à 1200 Moulé monoblocDeltaBoxpok partout 
1241 à 1340 Moulé monoblocDeltaBoxpok partout 
1201 à 1240 ClassiqueColeBoxpok au 3ème essieuMontréal
1236 à 1240FuelMoulé monoblocColeBoxpok partout 
1242 à 1340FuelMoulé monobloc Boxpok partout 
1201 à 1219CharbonClassiqueColeBoxpok partout 
181 à 440CharbonClassiqueDeltaRayons partoutAlco
861 à 1020FuelClassiqueColeBoxpok au 3ème essieuAlco
1121 à 1160FuelMoulé monoblocDeltaBoxpok partoutAlco
441 à 700CharbonClassiqueDeltaRayons partoutBaldwin
701 à 860FuelClassique Boxpok au 3ème essieuBaldwin
1161 à 1200FuelMoulé monoblocDeltaBoxpok partoutBaldwin
1301 à 1340FuelMoulé monoblocColeBoxpox partoutCanadian
1 à 180CharbonClassiqueDeltaRayons partoutLima
1021 à 1100 ClassiqueColeBoxpok partoutLima
1101 à 1120 Moulé monoblocDeltaBoxpok partoutLima
1270 à 1300FuelMoulé monobloc Boxpok partoutMontréal

La traction électrique : chère et même trop chère.

La traction électrique a triomphé sur les réseaux européens, et pourtant, aux Etats-Unis elle a coûté si cher que l’on a même « désélectrifié » des lignes ! Est-elle vraiment une aussi excellente affaire, techniquement et économiquement ?

Malgré les incidents et les détresses: la traction électrique est perçue aujourd’hui comme sûre.

Les mécaniciens de route de la SNCF connaissent bien ces deux termes, l’un désignant une avarie grave qui toutefois permettra de reprendre la route avec certaines précautions, l’autre désignant une avarie telle que seul un secours de la part d’une autre locomotive est possible. Les incidents et détresses coûtent très cher dans les chemins de fer avec l’immobilisation du trafic entier d’une ligne derrière un train arrêté, et des pertes de temps immenses occasionnés en garages, dégarages, manœuvres, etc…. En Février 1951, le Bulletin d’Informations Techniques Matériel et Traction  fait le bilan de l’année 1950 : les détresses en traction vapeur sont de 3,1 et les demandes de réserve de 3,2 par 1 000 000 km. En traction électrique, les chiffres sont de 5,7 et de 7,6.

Il est dommage que, à l’époque, la traction diesel ne soit pas assez développée pour figurer sur ce tableau, car elle connaîtra des incidents très nombreux à ses débuts.

Notons que les BB 15000 électriques en sont à 1 incident maximum pour 1 000 000 km, soit 13 fois mieux que les locomotives électriques des années 1950, et 6 fois mieux que la vapeur.

La locomotive électrique surpasse rapidement ses concurrentes. Techniquement, et aussi en matière d’exigences d’exploitation ferroviaires, la locomotive électrique distance complètement ses deux concurrentes. Infiniment plus performante, capable d’efforts (et même de surcharges) laissant loin, derrière elle les deux autres modes, légère (puisque la seule à ne pas avoir le «sac à dos» de ses réserves de combustible), totalement disponible, facile à conduire et avec un seul homme aux commandes, facile a entretenir, elle offre un plateau d’avantages incontestable même pour l’ingénieur le plus réfractaire à l’électrification du réseau.

On diéselise là où il y a incertitude.

Mais il lui faut un trafic intense : existe-t-il des trafics correspondants permettant d’utiliser aussi pleinement le parc de locomotives électriques d’un réseau national ? Il est certain qu’une électrification n’est rentable que si le trafic permettant d’utiliser à plein les possibilités est offert et est maintenu. Donc calculer des prix de revient comparatifs entre les différents modes de traction, ceci en termes de performances en tête d’un train, n’a aucun sens économique si le temps d’utilisation d’une locomotive électrique reste faible. Dans les périodes d’incertitude quant au trafic escompté, donc de faibles investissements en faveur du chemin de fer, la locomotive diesel, qui ne demande que des installations fixes sommaires, qui ne coûte pratiquement rien quand elle ne travaille pas, et est immédiatement disponible, et offre, sur le plan financier, des arguments incomparables. Son succès sur les réseaux du continent américain, ou des autres continents, notamment en Afrique et en Asie s’explique ainsi: on diéselise là où il y a incertitude.

Les prix les plus bas, mais trop tard pour les petites lignes déjà disparues.

Le prix en traction électrique reste très bas, presque cinq fois moins que celui de la traction vapeur et montre que, dans les cas les plus difficiles, la locomotive électrique utilise au mieux son énergie, laissant à la machine à vapeur  d’en gaspiller un maximum, ou à la locomotive diesel de ne pas se sortir de la situation avec efficacité, malgré un prix dérisoire du combustible. Et les possibilités de la locomotive électrique sont loin d’être épuisées, comme l’ont montré les records avec une rame TGV. Et pourtant la SNCF, qui est la plus grande consommatrice de courant électrique en France, trouve que la note à payer est très élevée, et de plus en plus élevée.

Le grand essor de la traction électrique se fera surtout après la Seconde Guerre mondiale, et beaucoup trop tard pour sauver les petites lignes et les “chemins de fer économiques” qui, pour la quasi totalité, ont disparu, vidées de leurs voyageurs et de leurs marchandises par le transport routier.

Des petits réseaux locaux comme celui du Libournais passent à la traction électrique vers la fin du XIXe siècle, mais leur trop faible nombre de voyageurs n’empêchera pas leur fermeture à la fin des années 1930. Contrairement à une idée répandue, la traction électrique n’aura pas permis de sauver ces réseaux, et si en Suisse ils ont prospéré, ce n’est pas parce qu’ils étaient électriques, mais c’est parce que les Suisses prennent le train.
Même chose pour le réseau en voie métrique d’Annemasse à Sixt : ouvert dès son origine en traction électrique en 1891il fermera définitivement en 1959.
Un autre exemple d’un réseau en traction électrique qui a compté sur la manne touristique : la ligne de Gérardmer au col de la Schlucht dans les Vosges. Entièrement ouverte en 1904, elle ferme un demi-siècle plus tard en 1959, faute de trafic.
La ligne de Savoie, de St-Gervais à Vallorcine, en voie métrique et traction électrique, est construite dès 1908. Desservant Chamonix et bénéficiant d’un important trafic, elle est prospère et le restera.
Aujourd’hui la ligne de Savoie, avec son fameux “Montblanc Express”, fierté de la SNCF, est toujours active et prospère. Comme en Suisse, dans la vallée de Chamonix, on prend le train.

Aujourd’hui le débat du coût de l’énergie se renforce au sein de celui du changement climatique, arrivé d’une manière imprévue et puissante. Si le chemin de fer perd toute raison d’être parce que l’énergie devient hors de prix et tue la rentabilité même du chemin de fer, la route, l’air et la mer ne pourront, en aucun cas, jouer les remplaçants et resteront condamnés au banc de touche, sinon à leur propre disparition. Le chemin de fer est la dernière chance avant que naisse, par la force des choses et de la prise de conscience de la destruction de la planète, une civilisation de l’immobilité, du refus des déplacements, du “vivre là où l’on travaille ou du travailler là où l’on vit”, de l’abandon du rêve pavillonnaire et de l’habitant dispersé, du télétravail obligatoire, de la dématérialisation militante. Bref, de la fin de la vie sur la planète terre ?

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