Le train des Pignes : de Nice à Digne, l’immortelle ligne ne mourra pas.

La ligne à voie métrique de Nice à Digne est exceptionnelle par sa longueur, surtout si l’on se souvient que c’est une ligne en voie métrique, et pour sa beauté, car elle parcourt des sites exceptionnels. Souvent menacée de fermeture, ayant même perdu sa gare monumentale niçoise, mais troquée contre une petite gare moderne malgré tout, cette ligne a failli disparaître de nombreuses fois. La moindre inondation emportant un pont, la moindre chute de rochers emportant quelques mètres de voie était suivie d’une annonce de mise à mort immédiate de toute la ligne pour des raisons de manque de trafic et d’économies à faire au profit des transports routier alors loin au-dessus de tout soupçon de nuisance : bref, on veut bien que la ligne survive si elle ne coûte rien, ne mange pas et marche à l’ombre, ne se manifeste pas, et rapporte. Quelle ligne de chemin de fer régionale ou départementale n’est pas mangée à la même sauce ?

La naissance d’un empire en voie métrique.

En 1860, le Comté de Nice devient français. Le PLM, flairant la bonne affaire, prolonge immédiatement sa fameuse “ligne impériale » jusqu’à Nice, faisant peu de cas de l’arrière-pays auquel le PLM refuse de desservir avec, par exemple, des lignes directes pour aller de la côte à Grenoble ou en Savoie. Même la ville de Grasse se trouve fort loin de la ligne du bord de mer, tout comme les habitants du haut-Var qui sont délaissés au profit de Toulon et des villes côtières. Cannes, un petit village de pêcheurs inconnu, aura une gare rudimentaire.

En 1879, le Plan Freycinet prévoit, en France, la construction de milliers de kilomètres de voies ferrées sous la forme de nombreuses lignes d’intérêt local en voie normale. Ici, pour l’arrière-pays niçois, les projets Freycinet seront un réseau en voie normale avec une ligne de Digne à Draguignan, passant « par ou près » de Castellane avec une longueur totale de 115 km, une autre de Draguignan à Cagnes par Grasse avec 75 km, encore une autre de Draguignan à Mirabeau par Barjols avec  96 km, et puis, last but not least, notre chère ligne de Nice mais modérément limitée à Puget-Théniers avec 56 km.

En 1881, la ville de Nice obtient une promesse de ligne de Nice à Grasse par Vence et la poursuite de Puget-Théniers à Digne en remplacement du projet initial Digne-Draguignan. La grande compagne du PLM, qui avait entrepris timidement quelques travaux au départ de Digne, retire prudemment ses billes… et c’est à partir de là que bien des choses iront souvent de travers.

En 1894, un scandale pourrit l’ambiance dans les salons de la « jet société » niçoise et fait vouer aux gémonies les dirigeants de la compagnie du Sud-France. Le baron de Reinach, vice-président de la compagnie (la « SF » pour les intimes), a trempé (dans tous les sens du mot puisqu’il s’agit d’eau) dans l’affaire du canal de Panama qui mènera Ferdinand de Lesseps à passer quelques nuits au violon. Ce n’est pas ce qui arrivera au directeur du « SF », Félix Martin, mais il sera définitivement “grillé” aux yeux de l’opinion publique. La « faute à pas de chance » collera désormais à cet empire ferroviaire.

Mais, toujours pour l’empire du Sud, il n’est plus question d’écartement normal en cette fin du XIXe siècle Ce sera bel et bien la relégation à la voie métrique qui s’imposera pour réduire les travaux d’infrastructure, en jouant sur des courbes plus serrées collant au terrain provençal qui est, il faut le reconnaître, très accidenté.

Plombé, le grand projet initial se réduit à trois lignes en voie métrique : une de Nice à Digne par Puget-Théniers, soit 150 km, une deuxième de Nice à Meyrargues (Bouches-du-Rhône) par Grasse et Draguignan, soit 210 km, et une troisième de Toulon à Saint-Raphaël par la côte, soit 100 km, plus 10 km pour l’antenne Cogolin-Saint-Tropez. Il est étonnant que le tout fasse encore environ  450 km, sans compter plusieurs embranchements remontant  dans les vallées affluentes du Var et assurés par les tramways des Alpes-Maritimes (TAM) comme on peut le voir sur la carte ci-dessous.

La construction peut commencer. La belle gare terminus de Nice, dite « Gare du Sud » est située à 400 mètres de la grande gare du PLM. En 1899, un raccordement entre les deux gares est construit, ce qui fait circuler des trains de marchandises en pleine rue d’une belle grande ville très chic, quelque chose comme le fameux Arpajonnais du Quartier Latin parisien qui, désormais, a un cousin provençal. Chose incroyable : jamais aucun service de voyageurs ne sera prévu sur ce raccordement, laissant ces derniers pratiquer, valises et enfants en main, ce que l’on appelle aujourd’hui du « running » sur une distance de 400 m homologuée pour les jeux olympiques. Inutile de dire qu’une telle situation ubuesque ne servira pas la cause du Sud-France.

Une locomotive du Sud-France à ses débuts : une modeste 030 à tender séparé, et beaucoup de passionnés de la voie métrique posant pour l’édification de la postérité.
Type de voiture utilisée par les réseaux en voie métrique des années 1890.

Le 8 novembre 1890, la section Draguignan-Grasse est ouverte au public. En juin 1892, c’est la mise en service simultanée des sections Grasse-Nice et Nice-Digne qui se raccordent à Colomars.

Mais, une fois l’enthousiasme des banquets inauguraux retombé et les belles promesses officielles passées à la machine à oublier, on va vite s’apercevoir que la ligne de Nice à Digne est bien une ligne de montagne à profil difficile et à débit limité, et que cette ligne n’a rien d’une vraie transversale à grand débit espérée et susceptible de concurrencer la ligne PLM de la Maurienne existant déjà entre la vallée du Rhône et l’Italie… que le PLM tient à privilégier, car elle a déjà couté cher. La desserte de la ligne Nice-Digne restera sagement lente et locale avec des omnibus offerts en proie à l’automobile et aux autocars qui gambadent sur de belles routes que le département ne manquera pas de financer rondement.

Une société des Chemins de fer de Provence (CP) est créée en 1925 pour se substituer à la Compagnie des chemins de fer du Sud de la France qui sent trop l’argent qui n’a pas d’odeur, mais la CP disparaîtra à son tour, avec la fermeture de deux des trois lignes qui composaient son réseau. En juillet 1933, la compagnie renonce à l’exploitation des lignes du nord et du centre-Var, qui sont mises sous séquestre par l’État qui les confie aux Ponts et Chaussées.

Le réseau du Chemin de fer de Provence est, de fait, alors réduit à sa ligne du littoral. Toutefois, le nom de Chemins de fer de Provence reste attaché à la ligne Nice-Digne, la seule restant en activité, surnommée « Le Train des Pignes », ce dernier terme désignant, dans le sud, la pomme de pin dont les chauffeurs garnissaient les soutes à charbon et les tenders au cas où le charbon viendrait à manquer – ce qui s’est produit assez de fois pour justifier le surnom.

Mais, ne plaisantons pas, car le sort s’acharnera sur la ligne : en 1944, l’armée allemande fait sauter les principaux ponts situés dans les Alpes-Maritimes. Les moyens financiers de les faire reconstruire ne sont pas débloqués lors de la grande reconstruction du réseau ferré à la Libération et la ligne du central-Var est limitée à Tanneron, tandis que les autocars, que la compagnie aime depuis 1939, prennent peu à peu la place des valeureux autorails Billard et ABH. La ligne du littoral ferme en 1948-49, et celle du Central-Var au début des années 1950. Au début d’une décidément bien triste année 1950, la ligne du Nice-Digne est « définitivement » fermée dans une France qui a renoué avec le progrès, l’enthousiasme, et qui aborde avec joie et sérénité les “Trente Glorieuses”.

Les réseaux de la partie niçoise de la Côte d’Azur en 1925. Le réseau du « Sud France » est en vert. Les tramways départementaux, plus de Nice et de Cannes, jouent un précieux rôle de complément.
Carte postale ancienne de la gare du Pont de Gueydan, du temps héroïque de la vapeur avec de petites locomotives-tender et des « trains de ballast » sans doute pour la construction de la ligne. Cette gare est sur la partie nord de la ligne qui, aujourd’hui, remet en cause le maintien d’un service ferroviaire.

Un reste oublié : la remise à locomotives à vapeur de Nice-Sud.
Un autre reste des temps primitifs : quelques châteaux d’eau encore présents sur la ligne.

En 1952, l’État autorise la reprise de la ligne Nice-Digne par une « administration provisoire » des C.P. Mais dès 1959, l’État, qui n’aime décidément pas les métriques, menace de fermer la ligne si une modernisation drastique n’est pas entreprise.

Carte postale couleurs bien connue de la gare d’Annot dans les années 1970 : autorails « SY », Renault ABH et remorque Billard. Au premier plan : une rame voyageurs.

En 1967 et 1968, l’État menace à nouveau de tout fermer, ce qui alarme la région, les deux départements, les villes de Digne et de Nice qui, du coup, s’associent en un « Syndicat mixte Méditerranée-Alpes » (SYMA), qui obtient la concession de la ligne de la part de l’État par décret ministériel du 19 décembre 1972. Le SYMA confie l’exploitation en 1974 délégation de service public (DSP) à la Compagnie Ferroviaire du Sud de la France (CFSF), filiale de CFTA (groupe Transdev). Ce montage en cascade, typique de notre époque actuelle, vaut ce qu’il vaut…

Un service de banlieue entre Nice et Colomars est lancé. En 1980, un « Groupement d’études pour le Chemin de fer de Provence » (GECP) crée des trains touristiques avec de courageux passionnés comme José Banaudo, brillant historien des chemins de fer et tout aussi brillant vice-président du GECP.

Les premières années du train touristique sur la ligne, dans les années 1980. La 230-E-327 bretonne, datant de 1904, se plaît sous le soleil méditerranéen

En 1981, la liaison « Alpazur » Genève – Nice avec transbordement pédestre de quai à quai de la voie normale à la voie métrique en gare de Digne, montre, aux optimistes, que la SNCF commence à s’intéresser à l’arrière-pays. En 1987, le parc Zygofolis ouvre sa petite gare sur la ligne et veut la faire découvrir au grand public.

Mais la SNCF ferme la ligne de Saint-Auban à Digne, ce qui rassure les pessimistes et les adeptes du « je vous l’avais bien dit ». Cette fermeture rend désormais impossible la relation Nice-Grenoble, et la SNCF refuse, comme elle le fait depuis les années 1930, de céder ou d’affermer cette ligne aux C.P.

La mairie de Nice échange finalement le maintien de la ligne des CP contre la cession par les CP de la magnifique gare du Sud située à Nice même. La ligne n’est pas, alors, dans un état prometteur et satisfaisant : elle a beaucoup souffert des inondations de l’hiver 1994 et certaines sections sont provisoirement fermées, avec une sérieuse menace, une fois encore, de fermeture définitive de la totalité du réseau.

Un effort commun des pouvoirs publics permet d’éviter ce désastre. La concession de la ligne de Nice à Digne est cédée à la région Provence-Alpes-Côte d’Azur depuis le 1ᵉʳ janvier 2007, et l’exploitation est assurée par la Régie Régionale des Transports de Provence-Alpes-Côte d’Azur (RRT) depuis le 1er janvier 2014. Elle fait partie intégrante du réseau « Zou ! » depuis 2018. et, aujourd’hui, la ligne est toujours active, mais à nouveau menacée de fermeture entre Annot et Digne (sa magnifique et audacieuse partie nord au tracé type haute montagne) pour cause de manque de trafic : on dénombre seulement une moyenne de 6 voyageurs par train sur cette section !… Elle n’est donc pas encore tirée d’affaire, loin s’en faut.

Sur les ruines de l’empire du Sud-France, donc.

Revenons au passé : personne n’est parfait et l’auteur de ce texte est historien. Cette ligne est la bien, nous l’avons compris, la dernière survivante d’un véritable empire ferroviaire en voie métrique que fut le grand Sud-France construit à la fin du XIXe siècle en Provence. Entre les années 1910 et 1940, en partant de la gare terminus des Chemins de fer de Provence, à la façade imposante située à Nice, le voyageur heureux de l’époque n’avait que l’embarras du choix : il pouvait gagner Grasse, Draguignan, et aller jusqu’à Meyrargues à 211 km de là. Il pouvait choisir une autre ligne, celle de Digne, et partir par les montagnes pour effectuer un spectaculaire parcours de 151 km par Puget-Théniers, Annot et St-André des Alpes, et en passant par le Col St-Michel à 1072 m d’altitude. D’autres lignes, comme celle de Nice à Vence, ou de St-Raphael à Toulon, s’embranchaient ou non sur ces lignes ou rayonnaient dans toute la région niçoise.

Le choix (en rouge, trait continu) offert à un voyageur au départ de la gare de Nice en 1947. En rouge, pointillé, les lignes non construites ou déclassées. En noir, le réseau en voie normale de la SNCF.

Même une ville comme Grasse, qui, aujourd’hui, vient de mettre fin à des décennies sans chemin de fer, disposait, à l’époque du « Sud », de pas moins de cinq gares de chemin de fer : celle du Paris, Lyon et Méditerranée en direction de Cannes et en voie normale, celle des « Chemins de fer du Sud de la France » en voie métrique, celle du tramway en voie métrique de Grasse à Cannes, celle du funiculaire desservant la gare P.L.M. et celle du tramway effectuant, de son côté, la même liaison… C’est dire la densité de ce réseau ferroviaire de la Provence qui comprend des trains et des tramways en tous sens, assurant une desserte de qualité.

Grasse et toutes ses gares à l’époque du « Sud », des funiculaires, et même d’une gare PLM que, malgré tout, elle a récemment retrouvée.

Cet empire se disloqua peu à peu parce qu’il ne fut jamais très rentable, desservant des régions d’accès difficile et peu peuplées, donc coûteuses en frais d’établissement des lignes et en frais de traction et peu payantes en trafic. Comme pour beaucoup de réseaux français nés à la fin du XIXe siècle, celui du Sud-France trouva son coup de grâce dans l’expansion de l’automobile et de l’autocar durant les années 20 et 30.

La magnifique gare de Nice-Sud vue à l’époque de sa gloire.
Vue quelque peu inquiétante du BV de Nice-Sud avant sa rénovation en 2014 pour en faire une bibliothèque puis un restaurant. Plus aucun train ne s’y arrête, car une nouvelle gare, plus « moderne » et plus petite, a été construite à quelques centaines de mètres en amont de cette ancienne gare.
L’arrière de l’ancienne gare. La hauteur de l’élégante verrière était indispensable pour répondre à l’envahissement des fumées des locomotives à vapeur.
Faisons un demi-tour et voici la nouvelle gare de Nice-Sud, vue en 2002.
Les quais de la nouvelle gare de Nice-Sud en 2002. Les autorails « SY » de 1977 ont été repeints avec un effet d’agrandissement des baies avant. A droite, une remorque d’autorail, ex-voiture des temps heureux, elle aussi repeinte au goût du jour.

La ligne de Nice à Digne, seul témoin de ce brillant passé.

Longue de 151 km, la ligne de Nice à Digne a été entièrement terminée en 1911 après une ouverture par sections depuis 1892, et surtout une construction très difficile dans les gorges du Var.

Le premier tronçon de 13 km est ouvert entre Digne-les-Bains et Mézel, le 14 août 1891. A l’autre extrémité de la ligne, les tronçons Nice-Colomars (13 km), Colomars-Puget-Théniers (45 km) et Saint-André-de-Méouilles (aujourd’hui Saint-André-les-Alpes) – Mézel (31 km) sont mis en service en 1892. En 1907, le tronçon Puget-Théniers-Pont-de-Gueydan (Saint-Benoît) soit seulement 12 km, est ouvert. En 1908, le tronçon Pont-de-Gueydan – Annot (8 km) est ouvert.

Le 24 juin 1911, le tronçon Annot-Saint-André est en service. Enfin le ministre des Travaux Publics, Victor Augagneur, est présent le 6 août 1911 pour l’inauguration de la dernière portion construite, entre Saint-André et Annot.

La « Compagnie des Chemins de fer de Provence », constituée en 1925 après la chute des Chemins de fer du Sud de la France, parvint à sauver cette ligne jusqu’à aujourd’hui et à la moderniser en renouvelant le parc d’autorails. Un fait majeur est que cette compagnie a pu prouver que cette ligne faisait partie intégrante de la liaison Grenoble-Nice, et qu’elle desservait des régions qui, sans elle, auraient très rapidement périclité, surtout lors des difficiles conditions de la circulation en hiver. En outre, la ligne assure un véritable service de banlieue pour Nice et jusqu’à La Vésubie d’où, jadis, partait une ligne de tramway électrique des Tramways des Alpes Maritimes.

Les autorails de la première génération ont été fournis de 1936 à 1945 par Renault : ce sont de ces excellents types ABH qui sont, à l’époque, le nec plus ultra en matière d’autorails parce qu’ils sont inspirés des célèbres autorails à voie normale que la firme fournit aux grands réseaux français. Équipés d’un moteur diesel ils ont une puissance de 300 ch, et assurent des circulations dont la vitesse moyenne, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, est de 43 km/h, mais les nombreux arrêts donnent un temps de trajet de 5 heures 30 minutes, ce qui reste compétitif par rapport aux performances des automobiles ou des autocars de l’époque qui évoluent sur des routes étroites et sinueuses.

La traction des trains (marchandises, voyageurs, ou mixtes) est assurée par des locomotives à vapeur, en général du type 030 ou 130. Mais, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, depuis mai 1951, elle est assurée par quatre locotracteurs diesel électriques de 600 ch. fournis par Brissonneau & Lotz pouvant assumer une charge totale de 100 tonnes, remorquant aussi des voitures à bogies « modernes » reconstruites sur des châssis anciens. Tout ceci n’est guère performant, et la ligne du Nice-Digne ne connaîtra de belles performances qu’une fois les autorails apparus.

Train de marchandises tiré, dans les années 1950,par une BB construite à Montmirail par les CFD. Les 200 ch. de l’engin suffisent à assurer la remorque de trains qui ne seront jamais lourds.

Les autorails : ce sont eux qui feront vivre la ligne.

C’est bien la ligne du littoral varois qui inaugure cette très abondante et relativement heureuse période qu’est celle des autorails. Tout commence le 5 janvier 1934 avec une décision prise par les CP et le Conseil général du Var consistant, comme on dit à l’époque, à « dieseliser » les lignes. Des rames doubles composées d’une motrice diesel et d’une remorque est faite par les établissements Brissonneau et Lotz de Creil, suivie d’une commande de dix exemplaires le 16 février 1934.

Pour la ligne Nice-Digne, les CP choisissent l’autorail ABH1 de Renault, un classique de la voie métrique, dérivé du type VH pour les grands réseaux. Un parc de six ABH1 est commandé le 8 octobre 1934, et les deux premières unités sont livrées dès février 1935 par un Louis Renault qui est fermement décidé à ne pas perdre son temps et à ne pas laisser passer un marché ferroviaire prometteur. Louis Renault se prépare à devenir le plus grand constructeur d’autorails au monde.

Ces autorails sont puissants, avec leurs moteurs Renault type 517 donnant 265 ch. et ils ont une tare de 26,8 t, soit une charge en service de 32,15 t. La longueur totale est de 20,6 m, ce qui, fait notoire, dépasse la version à voie normale qui mesure 19,5 m. La largeur est de 2,7 m, soit 17 cm de moins que celle des VH, voie métrique oblige. Ces autorails ABH1 donnent une pleine satisfaction.

Une deuxième série ABH5 est livrée en 1942 et en 1945. Ces ABH assurent la quasi-totalité du service voyageurs sur la ligne Nice-Digne des années 1940 jusqu’en 1970.

En 1969, ce sont 4 autorails Billard d’avant-guerre qui arrivent tardivement sur une ligne qui les ignorait jusque-là, deux étant du type A 150 D également construit pour la Corse, et deux autres au type A 150 D2 formés de deux éléments indissociables en service, et qui s’ajoutent aux trois remorques Billard R 210 que la ligne utilise déjà. Ces autorails seront retirés du service un par un entre 1971 et 1974, sauf le no 212 qui est modifié en 1983 en engin de dépannage.

Toujours férus de l’autorail, les CP vont commander de nouveaux appareils dits « SY »auprès des ateliers CFD de Montmirail qui conçoivent, en partie avec des pièces d’autobus SAVIEM, des véhicules simples et légers montés sur bogies. La motorisation, de deux fois 165 ch, est un peu plus forte que celle des ABH5, et un seul essieu par bogie est moteur. Sans compartiment à bagages et sans cabines de conduite séparées, ces autorails ont une salle unique de 48 places assises, avec WC central. Ils sont livrés en 1972, et se font remarquer par leur jaune canari, et ils peuvent tracter les petites remorques Billard ou circuler en unité multiple.

Deux autres appareils sont livrés en 1977 avec une carrosserie modifiée et, pour la première fois, arborant la livrée Arzens « Grand Confort » désormais présente en Corse comme en Provence. Ces engins numérotés SY-05 et SY-06 sont similaires par ailleurs aux X-2000 livrés aux chemins de fer de la Corse. Vingt ans plus tard les six autorails « SY » sont reconstruits, en conservant leur ossature métallique, leurs bogies, leurs organes de choc et pupitres de conduite.

En 1984 les vieux Renault ABH prennent leur retraite, et la jolie rame double Soulé X 351 / XR 1351 arrive sur les CP avec son aménagement intérieur plus confortable qui lui vaut notamment d’assurer le service de l’Alpazur en été. Mais cette acquisition ne manquera pas de poser de nombreux problèmes techniques que, de 1992 à 1994, les ateliers CP de Lingostière essaient d’éliminer, mais en vain. En 2008, un incendie détruit l’autorail et sa remorque, mais sa reconstruction est décidée, et elle est confiée à SAFRA, un carrossier industriel d’Albi, pour une remise en service au début de 2012.

Notons qu’après le garage du dernier autorail ABH, le manque de matériel incite la direction des CP à acheter deux voitures anciennes en Suisse pour en faire une rame réversible. Cette infidélité à l’autorail n’est pas payante : limitées à 60 km/h avec des horaires prévus à 75 km/h, ces voitures ne seront pas utilisées d’une manière suivie. L’arrivée triomphale et très remarquée de quatre nouveaux autorails AMP-800 à la fin de 2006 résout finalement la question en beauté et donne satisfaction actuellement.

Autorails ABH Renault datant des années 1935 à 1946, vus dans les années 1980. L’un d’eux porte le label « Alpes-Azur »

Enfin un parc très moderne d’autorails a été engagé sur la ligne depuis la fin des années 70 : autorails CFD Montmirail construits en 1977, ou de très beaux autorails articulés à deux caisses construits par Soulé en 1984.

Un autorail « SY » en gare de Puget-Théniers, dans les années 1980. La remorque Billard est toujours dans la livrée jaune et verte que les autorails « SY » ont porté, eux aussi, lors de leurs débuts.

Le tracé et le profil de la ligne.

La voie en écartement métrique est construite, à l’origine, avec des rails à patins d’un poids de 25 kg.au mètre courant. En plan, le tracé présente des courbes dont le rayon minimum est, de 150 mètres au minimum. Le profil en long de la ligne est assez tourmenté, les déclivités atteignent 30 pour mille. S’agissant d’une ligne de montagne, les ouvrages d’art sont nombreux. Les tunnels alternent avec des viaducs métalliques ou en maçonnerie.

Dès le départ de la gare des Chemins de fer de Provence, à Nice, la ligne s’élève et domine la ville, et rejoint la vallée du Var, après avoir traversé en tunnel les collines qui bordent cette vallée à l’Ouest de la ville.  De St-Isidore, distante de Nice de 7 km, la voie ferrée longe la vallée du Var jusqu’à Pont-de-Gueydan. Les stations de La Vésubie de la Mescla, aux confluents de La Vésubie et de la Tinée, affluents de la rive gauche du Var, délimitent des sections aux caractéristiques différentes.

La gare de Villars-sur-Var, typique de la ligne avec son quai couvert accolé au BV.
Sur la ligne, le long de la Tinée, vers 1920. La traction vapeur règne sans partage.
L’ancienne gare des CP à Digne. Une voie métrique permet, longtemps après la construction de cette gare, la pénétration directe des autorails CP en gare SNCF.
Un autorail « SY » des CP en gare SNCF de Digne. Années 1980. Sur la droite du cliché : les voies SNCF en écartement standard de 1435 mm.

De Saint-Isidore à La Vésubie, les eaux du Var peuvent ont un lit très large dont les berges sont en partie endiguées, avec une largeur uniforme du lit de 300 mètres au droit des endiguements. Sur la rive droite, les villages de Castagniers, de Carros, du Broc et de Bonson apparaissent sur des pitons rocheux.

De La Vésubie à la Mescla, sur une longueur de 8 km., la voie ferrée côtoie la route des Alpes, s’insère dans les gorges profondes de La Mescla, dont les parois abruptes sont entaillées en encorbellement par la route et traversées par de nombreux tunnels par la voie ferrée. Dans les gorges. de La Mescla, la voie ferrée qui, depuis St-Isidore, remontait le Var sur sa rive gauche, traverse le fleuve sur un viaduc métallique et se développe alternativement sur la rive droite et la rive gauche jusqu’à Pont-de-Gueydan après avoir traversé Puget-Theniers, l’ancienne sous-préfecture du département, qui est une gare importante de laquelle partent, en été, les circulations en traction vapeur.

La voie ferrée quitte la vallée du Varet et la route Nationale 202 qu’elle longeait depuis St- Isidore, pour remonter le long de la vallée du Coulomb, affluent de la rive droite du Var, sur une longueur de 8km jusqu’à Annot à 700 mètres d’altitude. Au départ d’Annot, la voie ferrée remonte la vallée de La Vaire jusqu’à Meailles, dont l’altitude est de 946 mètres, au prix d’un tracé hélicoïdal qui permet au voyageur, au fur et à mesure qu’il s’élève au flanc de la montagne, de découvrir au-dessous de lui des sections de voie déjà parcourues.

Après Meailles, la voie ferrée abandonne la vallée de La Vaire pour celle de la Vallée du Verdon, après avoir traversé le massif montagneux de La Colle Saint-Michel par un tunnel de  3500 mètres de longueur dont l’entrée marque le point culminant de la ligne à 1018 mètres.

La voie ferrée se développe dans le bassin versant du Verdon depuis Thorame-Haute jusqu’à St-André les-Alpes sur une longueur de 12 km. St-André-les-Alpes à 106 km de Nice, à une altitude voisine de 900 mètres. Peu après Saint-André-les-Alpes, la voie ferrée quitte la vallée du Verdon pour rejoindre à Moriez la valléé de l’Asse de Moriez, après avoir traversé en tunnel le col des Robines. Elle longe cette vallée jusqu’à Barreme distante de Nice de 119 km., et descend le long de la vallée de l’Asse, jusqu à Mezel, distante de Nice de 137 km. A Mezel, la voie ferrée remonte vers le Nord pour atteindre Digne.

L’inventaire du matériel roulant de la ligne de Nice à Digne.

Les Chemins de fer de Provence disposent d’un important  parc de matériel roulant composé de :

  • six autorails CFD de type SY à 48 places chacun (quatre mis en service en 1972 et deux en 1977)
  • une rame Soulé-Garnéro de 120 places mise en service en octobre 1984, qui a atteint la vitesse de 115 km/h le 26 octobre 1984 (record de vitesse sur voie métrique en France métropolitaine)
  • une rame réversible de 120 places rénovée dans les ateliers du CP en septembre 2006
  • quatre autorails AMP 801/802, 803/804, 805/806 et 807/808 (AMP : Autorail Métrique de Provence) livrés en 2010, réalisés par la société CFD de Bagnières de Bigorre, aujourd’hui reprise par CAF.
  • deux locomotives Brissonneau & Lotz datant de 1951
  • une locomotive BB Diesel-hydraulique  560 kW construite en 2019 par Socofer
  • une locomotive Henschel (BB 1200
  • trois locomotives à vapeur pour le train touristique
  • quatre voitures métalliques reconstruites en 1949 sur le châssis d’anciennes voitures à caisse en bois
  • deux voitures suisses Appenzell datant de 1948, acquises et rénovées par les CP en juillet 2004
  • une remorque-pilote « Grey », remorque-pilote voyageurs à bogies de marque Soulé-Garnéro et acquise d’occasion en avril 2005.
  • deux draisines Matisa pour l’entretien des voies Matisa
  • deux remorques à messagerie Billard, dont l’une recarrossée Garnéro
  • des wagons couverts, plats, tombereaux et des wagons de service

Un dernier conseil : servez-vous-en de ce matériel roulant ! Le voyage intégral, pour le plaisir, peut-être fait au départ de Nice le matin avec un retour dans l’après-midi. C’est merveilleux.

Un autorail AMP-800 en gare de Nice-Sud : un aspect réussi, rassurant et actuel du « Train des Pignes » : mais est-ce un gage de pérennité ?
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