Il aimait les automobiles et les autoroutes, ce grand visionnaire ensanglanté et borné et qui croyait que les chemins de fer étaient une survivance attardée d’un autre siècle que le sien. Le « Reich », son empire, sera moderne ou ne sera pas. Les Russes, pour un temps ses alliés, savent bien que les deux plus grands ennemis sont la distance et la neige, et que seul le chemin de fer gagne sur ces deux terrains-là, un terrain sur lequel Hitler n’avait pas intérêt à s’aventurer.
Le chemin de fer soviétique assurera la victoire lors de la décisive bataille de Stalingrad et l’armée nazie, embourbée sur les routes dans la « raspoutitsa » collante et gluante, sera irrévocablement battue parce que Hitler, aussi et surtout, ne connaissait pas la différence entre 1435 et 1524 mm – les écartements des voies européennes et russes. Pour 8 cm de plus, il aurait pu gagner la Seconde Guerre mondiale. Lorsqu’il se mettra enfin à construire plus de 7 000 locomotives « Kriegslok » (on ne sait pas le nombre exact), c’était déjà trop tard. Les dés étaient jetés.




Tout commence avec la « BR 44 »: la grande locomotive au service de la grande industrie.
La « Deutsche Reichsbahn » est créée en 1920, au lendemain de la défaite de l’Allemagne à la suite de la Première Guerre mondiale. Le pays désire tourner une page, se reconstruire, et se réorganiser. La création de la « Deutsche Reichsbahn », qui prend en charge le destin de l’ensemble du réseau allemand, se traduit par un courageux travail de refonte du parc de locomotives allemandes. C’est alors la mise au point d’une très innovante politique de standardisation des types. Le type 150 (dit « Decapod » en France), se fera remarquer en Allemagne avec la célèbre BR-44, (pour « Baureihe 44 » ou « série 44 ») puis la 50 et la 52, et deviendra par excellence la locomotive allemande puissante et robuste pour trains de marchandises lourds.



Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la série 44 n’est pas la première locomotive type 150 allemande, même si elle en est la représentation la plus connue et la plus emblématique. Ce type de locomotive, avec la G-12 sous ses diverses formes, est née pendant la Première Guerre mondiale, pour répondre aux besoins de l’armée allemande qui doit acheminer vers le front de très lourds trains de matériel et d’armes.
Cette première locomotive allemande de type 150 de grande diffusion est livrée par les fabricants Henschel et Schwartzkopff à un grand nombre de réseaux allemands, comme ceux de la Saxe, du Bade-Wurtemberg, et de l’Alsace-Lorraine alors encore allemande jusqu’au traité de Versailles. La G-12 arrive seulement en 1912 alors que, sans nul doute, elle eut été utile bien auparavant et aurait pu servir les besoins de l’industrie nationale. C’est d’ailleurs bien ce qu’elle fera, à partir du lendemain de la Première Guerre mondiale, puisque sa construction se poursuit jusqu’en 1924, pour former un parc marchandises comprenant 1.519 locomotives, immatriculées alors sous la série 58 de la « Deutsche Reichsbahn ». Mais ces locomotives, prisonnières à leur conception de la limite de charge par essieu de 16 tonnes pour leur permettre de circuler sur l’ensemble des lignes du pays, sont donc des locomotives relativement légères et elles manquent de puissance en dépit de leurs grandes qualités. Elles ne peuvent faire face à l’ensemble des lourdes tâches des années 1920, et il faut bien leur trouver un successeur.

La mise en place de l’unification du matériel moteur.
Le travail d’unification du matériel moteur est immense, et il faut mettre sur pied un organisme nouveau, dont le but consisterait à étudier les possibilités de l’unification envisagée. C’est pourquoi un bureau spécial est créé auprès des Établissements Borsig, à Tegel, près de Berlin, sous la dénomination du Bureau de l’Unification des Locomotives des Chemins de fer du Reich. Toutes les usines importantes de construction des locomotives y participent en détachant auprès de ce bureau leurs ingénieurs spécialistes et le personnel qualifié pour contribuer en commun aux études, et conjuguer alors toute l’expérience jusqu’alors acquise par les diverses firmes participantes.
En se basant sur les éléments précédemment standardisés par I’A.L.N.A. (ou « Allgeimene Lokomotiv Normen Ausschluss ») et les documents de normalisation (ou « Lokomotiv-Normen-Blätter »), le Bureau de l’Unification procédé aux études de nouvelles séries des machines en collaborant avec les Bureaux d’études de l’Office Central des Chemins de fer Allemands (E.Z.A, ou « Eisenbahn-Zentral-Amt ») et de la Division des Machines à l’Administration centrale de la Reichsbahn.
Les études préliminaires des usines une fois terminées et en accord avec la Reichsbahn, seize séries nouvelles unifiées sont déterminées avec un poids de 20 tonnes par essieu :
- Type 231 : locomotive destinée au service des trains rapides, envisagée en deux sous-séries, l’une compound à quatre cylindres et une simple expansion à deux cylindres
- Type 141 : locomotive à trois cylindres pour les trains de voyageurs omnibus
- Type 230 : locomotive à deux cylindres pour les trains de voyageurs ou messageries rapides
- Type 150 : locomotive destinée aux trains de marchandises, envisagée soit à deux cylindres simple expansion, soit à trois cylindres simple expansion
- Type 140 : locomotive à deux cylindres pour les trains de marchandises moyens
- Type 130 : locomotive à deux cylindres pour les trains de marchandises légers
- Type 232 : locomotive-tender à deux cylindres pour les trains de voyageurs (omnibus);
- Type 131 : locomotive-tender à deux cylindres pour les trains de voyageurs (omnibus)
- Type 151 : locomotive-tender pour les trains de marchandises
- Type 141 : locomotive-tender à deux cylindres pour les trains de marchandises
Pour le service de triage, il y a trois séries de locomotives-tender des types 030, 040 et 050 avec le même poids par essieu. Enfin, un type 130 léger est choisi pour les petites lignes rurales, en service voyageurs, et deux types de locomotives-tender 130T et 141T en service marchandises, avec un poids par essieu réduit à 17 tonnes.




Une locomotive caractéristique de l’unification allemande.
En 1926, les firmes constructrices sollicitées par la « Deutsche Reichsbahn » proposent d’abord une série de dix prototypes ayant les uns un moteur à deux cylindres, et les autres un moteur à trois cylindres. Le châssis est du type dit en barres (section de 100 mm²). La chaudière est celle des Pacific de la série 01. La cabine de conduite est spacieuse, rationnelle, confortable. Le foyer est à ciel plat, du type Crampton, à grille débordante. L’échappement, pour simplifier encore les choses, est fixe.
L’essieu porteur avant et le premier essieu moteur sont réunis dans un bogie-bissel système Krauss-Helmholz favorisant l’inscription en courbe. Ce système consiste à réunir, sur un châssis commun indépendant du châssis de la locomotive, à la fois le bissel et le premier essieu moteur. Ce premier essieu moteur peut ainsi pivoter d’un angle faible, mais significatif pour l’inscription en courbe, et se déplacer latéralement de 15 mm pour faciliter encore plus cette inscription. Les cylindres extérieurs attaquent le troisième essieu couplé, et le cylindre intérieur unique attaque le deuxième essieu moteur en passant par-dessus le premier essieu. Les distributions, indépendantes, sont du type Heusinger (ou Walschaërts). La puissance est estimée à 2400 ch.
Ces locomotives restent en service jusqu’en 1976. La BR-44 est la première locomotive unifiée allemande pour trains de marchandises, et elle est construite à 1.989 exemplaires jusqu’en 1949, ceci par plus de 18 usines y compris en France pendant la Seconde Guerre mondiale.
En France aussi.
En France, des BR-44 sont construites (malgré elles) pendant la Seconde Guerre mondiale par les firmes Fives-Lille, Batignolles, Le Creusot, Cail et la Société Alsacienne de Constructions Mécaniques (SACM). À la libération, la SNCF récupère, ainsi, 226 locomotives en cours de construction en France. Elles forment la série 150-X, avec les numéros individuels de 1 à 226. Mais à la fin de la guerre, la SNCF récupère 239 locomotives en provenance de l’Allemagne à titre de paiement de dommages de guerre, et elles vont former une deuxième tranche de la série 150-X. Ces locomotives conservent, à l’intérieur de la série française, leurs numéros allemands qui se trouvent entre 819 et 1995.
Les 150-X sont les plus puissantes locomotives type 150 ayant circulé en France. Leur chaudière très volumineuse est une excellente productrice de vapeur, donnant une locomotive remarquable. Certaines 150-X ont pu remorquer des trains de plus de 1.100 tonnes en rampe de 16 pour mille, à 25 Km/h. Sur le banc d’essais de Vitry, une 150-X a pu développer 2.500 ch. à une vitesse de 60 Km/h. Certaines, à la fin de leur carrière en 1955, furent vendues aux chemins de fer turcs.

Les caractéristiques techniques des br-44
Type : 150
Moteur : 3 cylindres simple expansion
Cylindres : 550 × 660 mm
Diamètre des roues motrices : 1.400 mm
Pression de la chaudière : 16 kg/cm2
Surface de la grille du foyer : 4, 55 m2
Masse : 109 t
Longueur de la locomotive : 13 817 mm
Longueur du tender : 8.645 mm
Longueur totale : 22 462 m
Contenance du tender en charbon : 10 t
Contenance du tender en eau : 34 t
Masse : 72, 6 t
Masse totale : 181,6 t
Vitesse : 80 km/h
Les BR-50 prennent le relais.
Formant la série 50 à la « Deutsche Reichsbahn », avec les numéros 50-001 à 50-3171, ces locomotives sont une version simplifiée et plus légère des fameuses série 44 conçues en 1926. Elles sont construites par vingt constructeurs non seulement allemands mais aussi européens, notamment belges, comme Cockerill, Couillet, Haine-Saint-pierre, La Meuse, La Société Franco Belge et Tubize.
Ces locomotives faites pour les services marchandises ont les dispositions classiques que la « Deutsche Reichsbahn » réserve à la majorité de ses locomotives unifiées, comme en premier lieu la simple expansion et deux cylindres. Un surchauffeur Schmidt à 35 éléments apporte, néanmoins, une amélioration des performances qui a fait que les ingénieurs allemands préfèrent les locomotives avec surchauffe à celles qui sont des compound, ce qui leur épargne le coûteux entretien et la conduite délicate de ces dernières. Les distributions sont du type allemand Heusinger (équivalent du type inventé par l’ingénieur belge Egide Walschaërts). Les distributeurs sont des cylindriques Nicolat, admettant la vapeur par les arêtes intérieures et formant « by pass », sous l’action d’un ressort, lorsque le régulateur est fermé.
Conformément à la tradition allemande, la conduite est à droite, puisque les trains roulent à droite dans ce pays.
Le foyer est du type classique Crampton, et la chaudière est dotée de soupapes de sûreté Ackermann. Le régulateur est à soupapes. L’échappement est fixe, selon le type allemand conventionnel. L’alimentation en eau se fait par un injecteur aspirant Strube de 250 pouvant fournir jusqu’à 250 litres à la minute, et un ensemble alimentaire en eau chaude Knorr Tolkien pouvant assurer également 250 litres à la minute.
Le châssis est en tôles. Un bogie-bissel du système Krauss Helmholz, très répandu en Allemagne, autorise un déplacement latéral de 96 mm de l’essieu porteur avant de part et d’autre de l’axe de la locomotive, ce qui donne, pour le premier essieu moteur qui fait aussi partie du bogie-bissel, un déplacement latéral de 15 mm de part et d’autre, permettant un rayon minimum d’inscription en courbe minimal de 140 mètres. Leur charge par essieu de seulement 16 tonnes leur ouvre l’ensemble des lignes allemandes, et même européennes par suite des faits de guerre, et leur vitesse assez élevée de 80 km/h leur permet même d’assurer des trains de voyageurs quand les circonstances l’imposent.
Le système de freinage est à air comprimé, d’origine Knorr. Le compresseur est un bicompound Nielebock-Knorr. Le graisseur mécanique est un Bosch à 20 départs. L’éclairage électrique de la locomotive est assuré par un turbodynamo AEG de 500 watts.
Ces locomotives sont accouplés à des tenders à bogies et à caisse soudée fort proches des tenders des séries 44 et contenant 25 ou 26 m3 d’eau et 8 t de charbon selon les modèles.
Infatigable et performante, acceptant de tout faire et partout.
La série 50 qui est aussi l’un des chefs d’œuvre de la « Deutsche Reichsbahn ». Conçue manifestement comme une locomotive pour trains de marchandises, elle est condamnée, dans les faits, à être une véritable locomotive universelle, capable de tout faire – ceci dans de bien dures circonstances qui, souvent, ne laissent guère le choix : ses cinq essieux moteurs font d’elle une incomparable locomotive capable d’arracher de lourds trains de marchandises sur les grandes lignes du réseau allemand, mais sa vitesse de 80km/h lui permet de faire bonne figure en tête de trains de voyageurs sur les lignes secondaires ou locales. Même le train personnel de Hitler est, parfois, remorqué par deux locomotives de ce type, tellement elles sont sûres.
Durant les années 1960 la « Deutsche Reichsbahn » modifie 730 tenders en les dotant de cabines pour chef de train, ce qui réduit la contenance des soutes à charbon, mais économise la traction d’un fourgon. De son côté, la « Deutsche Reichsbahn » est-allemande modifie 208 locomotives de la même série avec une nouvelle chaudière et un réchauffeur Knorr. En 1966, apparaît, toujours sur le réseau de la RDA, la première locomotive de la série 50 équipée de la chauffe au fuel. Enfin, ce réseau, toujours fidèle à la traction vapeur par obligation plus que par conviction, construit 88 nouvelles locomotives sur le même type (série 50-4) mais à châssis en tôles soudées. En 1968, plus de 1000 locomotives série 50 sont en activité, et elles sont les dernières locomotives à vapeur à circuler sur le réseau de la « Deutsche Reichsbahn », à la grande joie des amateurs venus de toute l’Europe et même des Etats-Unis pour les photographier et les admirer.
Une locomotive préservée et toujours sous pression.
Les dernières locomotives série 50 en activité sont retirées du service en 1976. En avril 1976, l’une d’elles, la 50-622 remorque un train spécial entre Cologne et Aix-la-Chapelle, et, en 1984, elle se trouve au dépôt d’Offenburg ce qui lui permet d’être remise en service et de faire son premier train le 7 juillet lors d’une journée portes ouvertes. La surprise est de taille et le coup parfaitement monté : la « Deutsche Reichsbahn » se trouve être propriétaire d’une locomotive à vapeur en état de marche et dont l’état est digne d’un modèle de musée. La locomotive est actuellement entretenue par le dépôt de Nuremberg.
Il est à noter que 23 locomotives ont été récupérées en 1945 par la SNCF. Restées hors inventaire et donc non immatriculées officiellement dans le parc moteur du réseau national français, elles sont attribuées à la Région Est, sous l’appellation 150-Z, tout en conservant leurs numéros individuels de la série 50 de la « Deutsche Reichsbahn » d’avant la Seconde Guerre mondiale. Elles font toute leur carrière en Alsace, mais ne dépasseront pas l’année 1956.
Caractéristiques techniques des BR-50
Type : 150
Année de début de construction : 1939
Moteur : 2 cylindres simple expansion
Cylindres : 600 × 660 mm
Diamètre des roues motrices : 1499 mm
Surface de la grille du foyer : 3,89 m2
Pression de la chaudière : 15,7 kg/cm2
Masse : 86,9 t
Longueur totale tender compris : 22,94 m
Vitesse : 80 km/h


Enfin la « Kriegslok » : née de l’effort total pour la guerre.
Sans doute une locomotive peu banale sur bien des points, cette locomotive est née de l’effort de guerre allemand qui ne pouvait recourir à des méthodes de conception classiques devant l’urgence des besoins. Construite à environ 6 400 exemplaires en quelques mois pour atteindre un total dépassant 7 000, elle reste la série la plus nombreuse pour un type de locomotive, battant un record de production européen, sinon mondial.
En 1942, l’Allemagne est au cœur de la tourmente. La « guerre totale » est à l’ordre du jour et toutes les ressources, toutes les forces de production sont mises à la disposition de l’armée. La guerre exige des moyens de transport militaires inconnus jusque-là : il faut déplacer des millions d’hommes, des millions de tonnes d’équipements et d’armes. Il faut des milliers de locomotives, or les machines ayant survécu aux dures lois de la guerre sont fatiguées, inaptes à ce service intense. Il faut des locomotives neuves, mais il faut les construire avec moins de matières premières, moins de main d’œuvre, moins d’heures de travail. Il faut donc faire preuve d’imagination et de courage. La production des locomotives n’échappe pas à cette loi.


La « 52 », locomotive si différente des autres ?
Les besoins militaires font état d’une locomotive capable de remorquer des trains pesant jusqu’à 1200 tonnes, ceci en palier et à une vitesse de 65 km/h. La locomotive est une 150, conformément à une tradition allemande de la locomotive à marchandises, mais cette locomotive remorquera tout ce qui se présentera… Ces locomotives sont appelées « Ubergangs-Kriegslokomotiven », ou locomotives de guerre à caractère transitoire. Formant la série 52, ces locomotives en sont l’exemple le plus marquant.
Toutes les pièces non indispensables sont supprimées : les échelles d’accès, ce qui condamnera les équipes de conduite à faire de l’acrobatie. Les systèmes perfectionnés comme des servomoteurs sont supprimés, ce qui fera des séances de musculation pour les mécaniciens. Les surchauffeurs disparaissent, ce qui simplifiera la maintenance, mais réduira les performances. Certains indicateurs divers dans la cabine sont aux abonnés absents, ce qui développera plus rapidement le sens de l’intuition et de la divination nécessaires pour une meilleure conduite… Les bielles sont faites de deux profilés en « T » soudés ensemble sur toute leur longueur pour donner un « H », une audace simplificatrice qui aurait donné des sueurs froides aux ingénieurs des temps normaux. Le châssis est en tôle soudée : on oublie les longerons en barres d’acier ou le châssis en acier moulé qui ont, jusque là, servi de base et de fondement à l’architecture et à la solidité de la locomotive. La « Kriegslok » apparaît ainsi très dépouillée d’aspect, simple, nette, impressionnante dans sa froide nudité de métal, agressive, presque annonciatrice de malheurs.
Certes, ces locomotives sont tellement simples qu’elles peuvent être assemblées par n’importe quelle firme non spécialisée, car les entreprises officielles sont débordées par l’importance de la commande : ce fait, très important, montre une très grande maîtrise dans la conception, et, tout compte fait, beaucoup d’autres séries de locomotives en temps de paix auraient pu procéder du même état d’esprit – sans aller jusqu’à ce dénuement systématique, certes.
Plus qu’une locomotive : un symbole.
Contrairement au cas d’autres réalisations techniques du Reich, toujours entourées de mystère et de secrets d’états, la «52» est présentée officiellement à la presse en 1942, quand la firme Borsig en produit les premiers exemplaires.
Il faut frapper les esprits et montrer que l’Allemagne est en train de gagner la guerre par l’effort industriel et militaire conjugués. La «52» représente symboliquement, pour des millions d’Allemands, cette symbiose. Elle sera, pour eux, la locomotive de la victoire, comme, par un retour du destin, la « Jeep » américaine sera l’automobile de la victoire deux ans plus tard – mais d’une toute autre victoire qui sera un désastre pour l’Allemagne.
Cette locomotive, en dépit de ses simplifications, de sa conception très pragmatique, et d’une fabrication souvent improvisée, est une excellente locomotive. Elle confirme que, souvent, trop de perfectionnement et de complexité sont les ennemis du rendement et de la performance.

La deuxième « Kriegslok » : la série 42.
Avec la série 42 qui vient s’ajouter à la série 50, ce sont bien plus de huit mille unités produites en deux ans et demi, représentent le plus grand résultat obtenu par l’industrie ferroviaire mondiale en cent cinquante ans d’histoire, d’après certains historiens du chemin de fer. Le projet de base de la série 52 dérivait étroitement de celui de la série 50, conçue en 1938 et qui avait obtenu un plein succès.
Ne coûtant que 90 000 marks environ contre 178 000 marks pour une série 44, ces locomotives dites « dures à la peine » étaient adaptées à des efforts prolongés, dépourvues de toute recherche esthétique, simples d’entretien. leur vitesse maximale, prévue pour 65 km/h, peut être de 80 km/h, et leur poids en ordre de service de 85 t conjugué avec un poids par essieu limité à 15,3 tonnes permet, comme les Allemands vont le voir avec l’avance de leurs armées, la circulation de ces locomotives sur les réseaux, alors mis à mal, de la plupart des pays européens occupés, ceci sans aucun problème technique. Là où bien des locomotives classiques auraient renoncé sur les petites lignes secondaires en état hasardeux des pays occupés, les « Kriegslok » passent immédiatement !
Alors, puisque l’armée allemande passe partout, il faut la locomotive qui suivra ses déplacements et assurera tous les besoins de transport dans les pays occupés. Quant aux habitants des occupés, non seulement ils répareront les voies, mais aussi ils fabriqueront la locomotive de leur nouvelle situation !
C’est ainsi qu’en 1943 naît la série 42, qui reprend le schéma des « 52 » mais avec un poids par essieu plus élevé et porté à 18 tonnes, puisque la circulation se fera sur des voies remises en état. Les deux premières machines de la nouvelle série 42 sortent des ateliers de Florisdorf, en Autriche, en août 1943 : il ne reste plus qu’à faire construire, partout où c’est possible, les 3 500 locomotives prévues – un objectif que les circonstances ne permettront pas d’atteindre.
Par rapport à la série 52, la série 42 comporte quelques différences comme des cylindres plus forts avec un diamètre porté à 630 mm, une surface de grille portée à 4,7 m², une surface de chauffe totale portée à 275 m², et en conséquence une puissance passée de 1620 à 1800 ch estimés. Le poids en ordre de marche est augmenté et se situe à 97 tonnes. La cabine de ces machines est complètement fermée, à l’exception d’une ouverture circulaire ménagée à l’arrière pour permettre à l’équipe de conduite de passer dans le tender : les ingénieurs ont songé aux rigueurs du climat sur le front de l’est ! Les série 42 ont un tender baignoire avec bogies offrant une capacité en eau variant entre 26 et 32 m³ selon les séries. Les 837 locomotives de la série 42 sont produites non seulement en Allemagne, mais aussi dans presque toute l’Europe occupée, notamment en Belgique qui en produisit une grande quantité, mais aussi en Autriche, en Pologne, en Hongrie, en Tchécoslovaquie.
Ce qui reste des types 150 allemandes en Europe.
En dehors de l’Allemagne qui a eu des locomotives type 150 par milliers d’exemplaires, les autres pays européens et la Russie se retrouvent, après la Seconde Guerre mondiale, avec un certain nombre de ces locomotives :
– France : « 150Y » de la SNCF avec 42 exemplaires.
– Pologne : les « Ty2 »des PKP sont environ 1000 exemplaires plus environ 200 autres achetés à l’URSS au début des années 1960.
– Pologne : la série « Ty42 » avec 150 locomotives construites après la guerre, entre1945 et
1956
– Belgique : le « type 26 » de la SNCB (200 unités commandées par les Allemands ;
aucune livrée avant la défaite). 100 locomotives construites après la guerre
dont certains exemplaires furent revendus au Grand duché du Luxembourg. Citons donc :
– Autriche : les séries 52 et 152 des ÖBB avec environ 700 exemplaires.
– Luxembourg : la série 56 des CFL avec 20 exemplaires.
– URSS : les « Т3 » des chemins de fer soviétiques avec environ 2100 exemplaires.
– Tchécoslovaquie : la série 555 des ČSD (185 exemplaires.
– Norvège : la série « 63a » des NSB avec 74 exemplaires.
– Yougoslavie : la série 33 des JZ.
– Hongrie : la série 520 des MAV avec environ 100 exemplaires rachetés à l’URSS.
– Roumanie : la série 150-1000 des CFR avec 100 exemplaires construits par la Roumanie elle-même pendant la guerre.
– Bosnie-Herzégovine : la série 15 des BDŽ avec environ 150 exemplaires.
– Turquie : la série 56501 des TCDD avec 53 exemplaires, vendues ou louées par
l’Allemagne durant la guerre.
Ajoutons qu’en Allemagne après-guerre il restera en RFA sur le réseau de la Deutsche Bundesbahn (DB) environ 700 exemplaires, et sur celui de la RDA qui a conservé le nom Deutsche Reischsbahn (DR) environ 1150 exemplaires.
Caractéristiques techniques de la “kriegslok”.
Type : 150
Année de début de construction : 1942
Diamètre des cylindres : 600 mm.
Course des pistons : 660 mm.
Diamètre des roues motrices : 1400 mm.
Diamètre des roues porteuses : 850 mm
Pression de la chaudière : 16 kg/cm2
Surface de la grille du foyer : 3,90 m2.
Poids : 84,1 t.
Longueur totale : 22,47 m.
Vitesse : 65 km/h.

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