Elles se ressemblent ces “Bruhat” et ces “Trois pattes” avec leur petit air “moderne”, leurs fenêtres à manivelles, leurs portières type autobus. Ces voitures sont typiques d’une époque et la SNCF les met en service peu après la libération avec ingéniosité et beaucoup d’économies.
Les “Trois pattes” du Sud-est : quand elles roulent, cela se fait sur un temps de valse. Avec leur musique à trois temps, ponctuée fortement par leurs trois essieux passant sur les appareils de voie et grinçant horriblement en courbe, ces voitures eurent ce que l’on peut appeler courtoisement un succès d’estime… Les “Bruhat”, mieux campées sur leurs bogies, roulaient plus doux, presque d’une manière normale. Mais ni les “Trois pattes” ni les “Bruhat” furent adorées des foules, car elles ne furent pas une réussite inoubliable en matière de confort, de douceur de roulement, de silence. Toutefois elles rendirent loyalement et sans défaillances les services que l’on attendait d’elles, assurant d’innombrables trains de grande banlieue ou omnibus, et faisant survivre de nombreuses lignes secondaires. La banlieue dormait sur les banquettes glaciales en simili vert sombre, à l’aube, et y dormait encore, le soir, dans une odeur de tabac refroidi. Non, vraiment, ce n’était pas l’”Orient-Express”, ou le “Train bleu”…

Le châssis perdure, mais pas la caisse…
D’abord : les “Trois Pattes”. Construites entre 1906 et 1911 pour les types courts ou entre 1910 et 1926 pour les types plus longs, ces voitures cachent mal un châssis à 3 essieux qui a déjà une longue carrière sous des voitures à caisse en bois quand, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la SNCF décide de les réutiliser pour en faire des voitures à caisse métallique.
Un châssis métallique bien construit est, en effet, pratiquement indestructible et la SNCF n’est pas la seule, en ces temps difficiles des années 1950 qui condamne le chemin de fer, à avoir recours à des solutions économiques pour offrir, à peu de frais, un matériel roulant à l’aspect « moderne ». Par contre le châssis, qui certes porte la caisse, porte aussi toujours en lui son âge, et le fait sentir au niveau d’un confort de suspension et d’une douceur de roulement qui datent… Très « up to date » à l’arrêt et à quai, ces voitures se révèlent comme étant des « has been » sur la première traversée de jonction double en sortie gare, les roues grinçant sur les pointes de coeur, les sollicitations latérales sur les lames d’aiguille se faisant sentir jusque dans les sièges!
Déjà on métallise les voitures durant les années 1920.
Ce que fait la SNCF à la libération est bien une ancienne solution de compromis, donc peu satisfaisante pour ce genre obligé, que la métallisation de voitures à caisse en bois. Cette opération a déjà été faite durant les années 1920 par beaucoup de compagnies européennes, avec une mise à jour plus apparente qu’effective de leur matériel pour les réseaux pingres ou peu riches, et dans le seul but de les rendre cohérentes avec les nouvelles voitures tout acier entrant dans la composition des trains rapides.
L’opinion publique européenne, de déraillement en catastrophe, finit bien par s’émouvoir au début du vingtième siècle : les voitures à caisse en bois se transforment en allumettes au moindre choc, et les locomotives, en acier elles, pénètrent dans des trains à l’arrêt quand elles les rattrapent par l’arrière à la suite d’une erreur d’aiguillage.
En cas de collision en pleine vitesse, les châssis métalliques des voitures restent entiers tandis que les caisses volent en éclats, et l’on voit même les châssis s’empiler les uns sur les autres, sous l’effet de la vitesse accumulée, sans, pour autant, se déformer ou perdre leurs organes de roulement. On n’ose pas imaginer le nombre de morts ou de blessés graves, et survivre à un accident de chemin de fer, à l’époque, relève du miracle – même si, rappelons-le, les accidents restent très rares en face des hécatombes routières qui commencent déjà.
Ne rien jeter, quand même…
La vie humaine n’a certes pas de prix, du moins moralement et politiquement, mais une fois les bonnes intentions mises de côté, ce « pas de prix » a des limites, celles du regret, pour les compagnies, de mettre au rebut au lendemain de la Première Guerre mondiale des milliers de voitures récentes, construites avec une caisse en bois. Le réseau du Paris, Lyon et Méditerranée, par exemple, refuse de réformer 562 voitures construites depuis 1900 et, en 1926, entreprend une vaste campagne de reconstruction de ces voitures avec récupération d’un maximum d’éléments des caisses anciennes.

Lors des grandes révisions des années 1930, les ateliers de Villeneuve-St-Georges démontent donc entièrement les voitures et retirent tous les éléments de charpente en bois qu’ils remplacent par des éléments identiques en tôle. Les panneautages extérieurs en tôle et les entourages des fenêtres d’origine sont conservés et remis en place: la voiture conserve donc strictement le même aspect et la même disposition que celle d’origine.
Les aménagements intérieurs et le système de chauffage sont conservés et remontés, ainsi que les organes de roulement et de freinage. Les bogies proprement dits sont soit conservés, soit mutés d’une série à une autre, soit remplacés par des types nouveaux.
La métallisation des voitures Sud-Est.
Dans les années 1950, ce n’est qu’un « remake » de ces opérations des années 1930, mais, cette fois, appliqué aux voitures qui, jusque-là, étaient restées à l’écart des trains grandes lignes et dont la métallisation, vu la modestie des services assurés, passait pour peu urgente.
Cette opération-ci est très importante par le nombre de voitures concernées, et l’important parc de voitures à trois essieux et portières latérales multiples, d’origine PLM, est l’objet d’une refonte complète entreprise sous la direction de l’ingénieur Louis Bruhat. Deux prototypes sont réalisés par les ateliers de Villeneuve-St-Georges en 1951, avec une véritable coque intégralement en tôle, toiture comprise, posée sur un châssis non modifié, avec une portière centrale par face (à commande pneumatique par bouton à disposition des voyageurs) et un compartiment toilette au centre de la voiture.
Après une période d’essais satisfaisante, la décision d’étendre cette transformation à l’ensemble des voitures ex-PLM, est entreprise entre 1953 et 1961, soit huit années de travaux ininterrompus. Si certaines voitures conservent leurs austères banquettes en bois (troisième classe), d’autres reçoivent des sièges rembourrés type autorail avec un simili vert sombre bien froid en hiver et bien collant en été… Les baies sont du type « semi – ouvrant » avec commande par manivelle centrale.
Le succès des « Trois pattes ».
Surnommées « Trois pattes » par les cheminots, ces voitures forment un parc important de 1.392 voitures, et elles sont affectées à des relations omnibus sur l’ensemble du territoire national. On les voit sur certaines relations de type grande banlieue. Elles circulent en traction vapeur, en traction diesel, en traction électrique, mais aussi en trains complets ou intégrées dans des compositions les plus diverses incluant même des trains mixtes marchandises – voyageurs. Ces voitures sont robustes, endurantes, très souples d’utilisation : bref, elles conviennent parfaitement à la SNCF qui en fait un usage intensif.
Toutefois leur inconfort et leur sonorité leur valent d’être très modérément appréciées par les voyageurs et il faut bien les retirer du service à partir des années 1970 : aucune d’elles, en principe, n’est encore en service commercial au début des années 1980.
Mais les vaillantes « Trois pattes », comme les héros des opéras wagnériens, ne meurent pas aussi facilement et elles renaissent de leurs cendres: on peut toujours les voir aujourd’hui, sous la forme de voitures du parc de service SNCF ou louées à des entreprises de travaux ferroviaires.




Les “trois pattes” et leurs données techniques.
Type: voiture à 3 essieux
Date de construction origine :1906 à 1926
Date de reconstruction ; 1953 à 1961
Capacité: 48 à 74 selon les classes
Masse: 18 à 22 t selon les types
Longueur: 13,85 m à 14,91 m selon les types
Vitesse: 120 km/h
Les Bruhat : des citrouilles transformées en carrosses d’un coup de baguette magique ?
Ce série de 318 voitures est obtenue, à partir de 1956, par la transformation de voitures anciennes datant principalement des années 1921 à 1929, mais, aussi pour un petit nombre d’entre elles, de 1895 ! L’art de faire du neuf avec du vieux est appliqué par la SNCF ici avec beaucoup de discernement et donne un excellent parc de voitures polyvalentes pour services intérieurs et pour un coût modique.
La SNCF des années 1950 a encore, dans son parc de voitures, des exemplaires très anciens dont certains remontent au début du siècle. Mais si les caisses accusent leur âge par leur esthétique, leur conception, leur matériau (le bois), leur manque de sécurité, leur disposition, en revanche les châssis et les bogies ont conservé les atouts de leur construction d’origine avec leur grande robustesse et leur endurance exceptionnelle en service.
Dans la mesure où seules les caisses datent, mais aussi où les caisses sont le seul élément d’une voiture qu’un voyageur voit et utilise, la SNCF songe naturellement à ne reconstruire que les caisses et à utiliser un maximum d’éléments d’origine au niveau du châssis et des organes de roulement. Environ 370 voitures peuvent être ainsi reconstruites, et l’opération, en fin de compte, en donnera exactement 318. L’ingénieur Louis Bruhat est à l’origine du projet, et son nom sera donné à ces voitures par les cheminots.
La métallisation des « Ty » Est a, par exemple, été traitée au moindre coût et dans le but d’obtenir des voitures genre banlieue destinées à assurer des services locaux, à vitesse limitée au mieux à 120 km/h et toujours affectées au parc omnibus des régions. La métallisation Sud-Est qui donnera les « Bruhat », au contraire, permet de construire une véritable voiture polyvalente pour services intérieurs, à intercirculation permettant de les inclure dans les trains express, et capable d’assurer aussi bien des express à longs parcours, permanents ou temporaires que des express régionaux ou des trains à arrêts fréquents.


Le cahier des charges.
La SNCF ne désire nullement obtenir des voitures omnibus ou de banlieue destinées à des trajets courts, mais, au contraire, a besoin d’un parc de voitures pour des parcours régionaux et offrant un réel confort. Les transformations subies par les “Ty Sud-Est” sont étudiées par la Division des Etudes de Voitures et Wagons du Sud-Est. L’étude prévoit un véhicule à dix travées, avec des caissons de protection aux deux extrémités où seules les toilettes pouvaient être tolérées, et un emmarchement donnant un accès facile et aisé. Pour ne pas rendre excessif le prix et l’augmentation de la masse pour pouvoir conserver les bogies d’origine, l’aménagement sans compartiments a été retenu, mais à quatre voyageurs de front seulement, installés sur des banquettes confortables en vis-à-vis, avec dossiers hauts et accoudoirs, et avec séparation complète entre les compartiments voyageurs et la plate-forme par des cloisons comportant une porte.
Pour la transformation de ces voitures anciennes, un certain nombre d’innovations astucieuses ont mises en œuvre, la plus intéressante étant la confection d un «anneau» central neuf. Cet anneau est, en fait, une tranche de caisse placée au centre de la voiture et permettant d’obtenir une voiture plus longue que celle d’origine. Le dit « anneau » comporte son tronçon de châssis propre qui vient s intégrer dans le châssis d’origine sectionné pour le recevoir et surtout ses deux grandes portes (une de chaque côté) de type pliant et à commande pneumatique. L’anneau comprend une plateforme intérieure centrale située au centre de la voiture et facilitant l’entrée et la sortie des voyageurs. On obtient ainsi, à peu de frais une voiture non seulement plus longue mais plus facile d’utilisation.


Le style général de ces voitures.
Une porte pliante à commande pneumatique locale, analogue à celle des voitures métallisées Sud-Est à trois essieux dites “Trois pattes”, et des baies mi-ouvrantes à montage par l’extérieur créent le style de cette voiture. La construction de la caisse métallique sur le châssis allongé dans sa partie centrale comporte une charpente à base de profilés dérivée en droite ligne de celle mise en oeuvre pour la modernisation des voitures à trois essieux du PLM dites « Trois pattes » à la SNCF, ce qui explique la similitude d’aspect des caisses.
Les bogies du type « wagons-lits », dits type C du PLM, ont été en principe conservés au départ, mais avec une adaptation des essieux, du freinage et de la suspension aux nouvelles conditions d’utilisation. Mais certaines voitures d’origine DR, de disposition générale analogue à celle des « Ty » PLM et qui ont servi à poursuivre la série, comportaient déjà, au moment de la transformation, des bogies Pennsylvania : elles les ont, évidemment, conservés.
Depuis, de nombreuses autres voitures « Bruhat » ont été équipées de bogies Pennsylvania de diverses origines provenant de voitures retirées du service, comme des bogies du type Y 16, du type D PLM, ou du type Y2 OCEM, etc., et aucune ne possède plus à l’heure actuelle de bogies « wagons-lits ».



Renaud.
La carrière des Bruhat.
Le prototype est réalisé en 1956 et la série est construite en plusieurs tranches successives entre 1958 et 1962.
Au total ce sont 318 voitures qui ont été transformées, dont 118 provenant des 178 voitures C10 PLM et 200 provenant de voitures d’origine allemande à caisse en bois appartenant aux réseaux de l’Est et du Midi. Certaines de ces voitures avaient été équipées par le Midi, dans les années 20, de caisses en bois ayant une ressemblance avec les voitures métalliques, avec accès par les extrémités. Les ex-PLM ont été transformées d’abord en 1958/59 et les ex-DR ensuite de 1960 à 1962.
Comme les « Ty » Est, les « Bruhat » ont été réparties entre toutes les régions SNCF à l’exception de la Méditerranée. Les 318 voitures transformées étaient toujours en service au début des années 1980 et seules quelques unités accidentées ont disparu au cours des années suivantes puisque le parc comptait encore plus de 300 voitures en 1987, avant que, à partir de cette année, peu à peu les « Bruhat » disparaissent du parc commercial pour être complètement radiées vers 1995
Il est à noter que quelques unes de ces voitures “Bruhat” ont été vendues aux Chemins de fer albanais et embarquées à Marseille en 1987, tandis que quelques autres sont expédiées au Sénégal où elles sont adaptées à la voie métrique par réduction des traverses des bogies.


Caractéristiques techniques des “BRUHAT”
Type: voiture a bogies
Dates de construction : 1921 à 1929 (PLM)
Dates de construction : 1885 à 1918 (armistice)
Dates de reconstruction : 1956 à 1959 (PLM)
Dates de reconstruction : 1960 à 1962 (armistice)
Nombre construit à l’origine : 170 (PLM) et 200 (armistice)
Nombre reconstruit : 118 (PLM) et 200 (armistice)
Capacité : 80 places assises
Masse: 38 (armistice) ou 42 t (PLM)
Longueur: 22,3 m
Vitesse limite : 140 km/h
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