On ne sait plus ce qu’est un train, avec tous ces “trains” du futur, inventés ou réinventés depuis de nombreuses décennies et qui, littéralement et techniquement, ne sont pas des trains. Littéralement ils ne “traînent” rien, et techniquement, ils n’ont ni roues ni rails.
Leur inventeur confisque sans vergogne ni honte le mot de “train” pour leur donner les vertus apparentes du chemin de fer, histoire d’attirer les subventions publiques pour le projet, mais ces vertus n’existent pas sur ces dits “trains” qui sont très loin de les posséder, comme la facilité de roulement, la sécurité dans le guidage par les rails, la faible consommation d’énergie, le transport de plusieurs centaines ou milliers de personnes dans un seul train, et on en passe.



Une époque où l’on pensait, mais pas à la SNCF, que le chemin de fer c’était fini.
Les années 1950, 1960 et 1970, dites “Trente Glorieuses” sont celles des décideurs et technocrates, tous grand amoureux de ces enfers du tout pétrole, du tout automobile, du tout béton, des villes nouvelles et des “barres” à 3000 logements, et en outre ils détestent le chemin de fer. “Le train ?, disent-ils, c’est mort et c’est un monstre préhistorique qui a survécu par erreur, par immobilisme des états, par conservatisme, par subventions, par protection syndicale pour ces honteux “nantis” que sont les cheminots”. Les voilà, les cheminots, habillés pour un long hiver.
Mais chez ces derniers, à la SNCF, des ingénieurs pensent, après les records à 331 km/h en 1955 en France, que le chemin de fer classique, avec roue acier sur rail acier, a atteint ses limites en matière de vitesse, et qu’une vitesse en service de 160 à 180 km/h, tout au plus 200 km/h, sera le maximum possible. Or il faut aller encore plus vite: la concurrence aérienne est sévère. Jean Bertin, un ingénieur français, réussit à intéresser les pouvoirs publics à un tout nouveau système: l’Aérotrain.
Dans au milieu des années 1960, la SNCF développe son Service de la Recherche, et s’intéresse à la traction par turbines à gaz. Toutefois, alors que l’ensemble des réseaux mondiaux, les USA en tête, ont abandonné la traction par turbines à gaz, alors que même le réseau de l’Union Pacific retire sa série de 30 locomotives de 8 500 ch en 1970, la SNCF s’intéresse de nouveau à ce mode de traction.
Le Service de la Recherche de la SNCF : née en face de l'”Aérotrain” ?
Une nouvelle ère, pour la SNCF, commence en 1965-1966. C’est celle de la “traction nouvelle” avec des essais de moteurs synchrones et asynchrones, mais aussi d’un gel de l’évolution de la traction diesel de ligne, d’une apparition de la troisième génération d’autorails, d’une politique d’automotrices électriques. La naissance du Service de la Recherche en 1966, la commercialisation du chemin de fer à partir du début des années 1970, la naissance du système TGV avec les essais des débuts en 1970 jusqu’à la mise en service de la ligne Paris-Sud-Est en 1981, voilà tout ce qui marque bien une ère nouvelle pour le chemin de fer en France dans laquelle les politiques et les techniques de traction sont beaucoup plus intégrées dans l’offre et la demande économiques. Durant cette période s’éteignent les dernières séries d’engins du passé : traction vapeur, autorails de la première génération, anciennes séries de locomotives électriques à bogies porteurs. Le legs des anciennes compagnies a disparu.
La réponse de la SNCF à l'”Aérotrain” est l’apparition d’une politique décisive en matière de vitesse pour les voyageurs, et intégrée dans une politique commerciale. Cette nouvelle politique apparaît certes avec le lancement du train Paris-Toulouse dénommé Le Capitole, en 1967, roulant à 200 km/h sur une partie de son parcours, et rompant avec le 140 km/h de la doctrine des trains lourds, rares, et lents et à faible coût.
L’âge du TGV est désormais possible et le projet C-03, dont il y aurait beaucoup à dire, prend les devants des activités de la Direction du Matériel avec la mise au premier plan d’ingénieurs techniciens (Fernand Nouvion, Marcel Garreau, Jean Dupuy), à la mise au premier plan des techniques, à l’âge d’or de la DETE (Direction des Etudes de Traction Electrique) avec l’arrivée des nouvelles électrifications, des nouvelles locomotives. Il est vrai que, à partir des années 1970, la SNCF met en avant la maintenance et les coûts et privilégie des techniques plus simples comme une électronique de puissance plus légère et plus performante, l’abandon de la bi-réduction et la recherche de la locomotive universelle monoréduction. C’est la fin de l’époque où l’on sacrifiait à la technique les considérations jugées mineures comme la facilité de maintenance, la réduction des coûts annexes, l’adaptation aux exigences de l’Exploitation. Toutes ces données sont, désormais, traitées à niveau égal avec les données techniques « nobles », même lors de l’avènement de la très grande vitesse.
C’est ainsi que l’on retrouve à la SNCF de cette époque les mêmes manières de procéder que celles du SECAM pour la télévision et du Concorde pour l’aviation, à ceci près que, sous les pavés il y a la plage disent les soixante-huitards, et sous l’invention il y a la « dictature des financiers » qui commence bien durant les années 1970 et devient absolue pour les années 1980. Une page est bel et bien tournée, et cette transition se lit aussi bien dans les politiques de traction et les techniques de traction de la SNCF (voir notre ouvrage “Cinquante ans de traction à la SNCF – Enjeux politiques, économiques et réponses techniques“, CNRS éditions, Paris, 1997).
Cette décennie des années 1970 est donc fertile dans la mesure où elle donne naissance au TGV. La “conversion intellectuelle de la SNCF” , terme cher au sociologue Jean-Michel Fourniau, s’est bien opérée et le Service de la Recherche, créé dès le 1er août 1966, inscrit bien dans ses activités, dès décembre, une « Etude du les possibilités ferroviaires à très grande vitesse sur infrastructures nouvelles ». En avril 1967 le projet, désormais dénommé C-03 (ce qui n’en fait pas un projet urgent, derrière les projets A ou B), et son sous-projet d’un train Paris-Lyon à grande vitesse, est adopté comme programme de travail tandis que le Turbotrain expérimental TGV commence ses essais en ligne.
L’action de Roger Guibert.
A l’époque même ou le grand ingénieur Fernand Nouvion estime peu rentable la grande vitesse sur les infrastructures existantes, Roger Guibert, Directeur Général de la SNCF, crée en 1966 le Service de la Recherche en lui assignant, entre autres objectifs, celui de la conception du nouveau réseau à grande vitesse. Ce service est constitué d’ingénieurs du plus haut niveau, jouissant d’une totale liberté d’action et de pensée, agissant plutôt comme des «prescripteurs» d’ailleurs, ou des conseillers. Sans centre d’essais, ne disposant que d’un budget correspondant à 0,6% des dépenses d’exploitation et 2,5% des investissements, formé de 75 personnes en 1967 et de seulement 120 en 1972, il disparaît en 1976 par intégration dans la Direction des Etudes Générales transformée alors en Direction des Etudes Générales et de la Recherche, avec, d’après Jean-Michel Fourniau, « un déplacement des priorités techniques vers l’innovation organisationnelle et commerciale ».
Pourtant Roger Guibert crée ce service dans la foulée de la grande pensée technologique des années 1960 qui fait vibrer un certain nombre d’hommes politiques ou de “décideurs” nationaux. Il raisonne en termes de système, pensant que toute étude sur le chemin de fer touche à toutes les branches du savoir, de l’économie, des techniques et que toute recherche est nécessairement pluridisciplinaire, ce qui est loin d’être faux pour ne pas dire totalement exact…
Il pense que les études prospectives sont urgentes, et qu’il est nécessaire, comme Louis Armand qui voulait jadis immerger le chemin de fer des années 1940-1950 dans l’industrie et l’électrotechnique internationales de l’époque (voilà une autre vision innovante), d’immerger celui des années l960-l970 dans l’électronique et l’informatique. Et sans nul doute l’évolution souhaitée s’est produite, le Service de la Recherche ayant porté ses fruits.
N’ayant besoin que de 2% de ses dépenses totales pour son énergie, et n’ayant besoin que de 0,7% des combustibles liquides importés par la France comme nous l’avons vu, et ne dépendant du pétrole que pour environ 20% de son trafic, la SNCF est à l’abri des crises énergétiques d’origine pétrolière, et peut même en tirer une situation avantageuse si cette crise ne paralyse pas l’économie qui lui fournit ses voyageurs et ses marchandises à transporter. C’est bien le cas en 1973-1974 : l’économie continue à tourner, mais avec un certain bouleversement des données qui, notamment en matière de transports, donne un avantage réel à la SNCF.
Or le réseau de la SNCF est saturé, travaillant à la limite de ses possibilités sur beaucoup de lignes : l’offre de trafic qui lui est faite est très forte. Dans de telles conditions, elle joue presque sur le velours pour demander, en soulignant la saturation de la ligne Paris-Lyon, la construction de la nouvelle ligne Paris – Sud-Est.

Le pétrole décide que le ferroviaire sera la Grande Vitesse ou ne sera pas.
La crise pétrolière de 1973-1974 est bien ce déclencheur d’un changement de position de la SNCF vis à vis de la grande vitesse. Elle permet, par un retournement de la position des pouvoirs publics (et bientôt de l’opinion) vis à vis du chemin de fer, de faire que les membres de la Direction Générale ou de la Direction du Matériel favorables à la grande vitesse puissent « télécommander » (au sens ferroviaire du mot…), en passant par l’extérieur en quelque sorte, leur propre Maison et la convaincre, du haut jusqu’en bas de la hiérarchie, de la nouvelle donne accordée à une SNCF novatrice d’abord. C’est bien ce que Roger Guibert pense, et c’est clairement ainsi qu’il conclut sa lettre aux cadres de la SNCF :
« Les décisions gouvernementales du 6 mars dernier, l’avenant au contrat de programme, les perspectives économiques résultant de la crise de l’énergie, tout concourt à donner au chemin de fer de nouvelles chances, tout nous conduit à prévoir et à organiser l’expansion de nos activités » : voilà ce qu’écrit Roger Guibert dans une « Lettre aux cadres de la SNCF » (Archives de la Direction du Matériel de la SNCF).
Les dés sont jetés, et Jean Bertin aura perdu son pari.




L”Aérotrain” s’invite dans la cour des grands.
L’origine indirecte de ce revirement est donc bien l’”Aérotrain” de l’ingénieur Jean Bertin. Voulu comme étant un moyen de transport complémentaire au chemin de fer et à insérer marginalement dans le réseau ferré existant là où il était possible de créer des relations à grande vitesse de type nouveau, mais totalement étranger au chemin de fer, incompatible avec lui puisque ne pouvant circuler sur les voies ferrées existantes, offrant une capacité de transport très réduite, cet engin a pourtant, aux yeux des pouvoirs publics et des journalistes, tous les attraits de la nouveauté, et passe même pour être le nouveau chemin de fer de l’avenir.
Ce projet bénéficie de l’appui des pouvoirs publics, notamment du Comité interministériel à l’aménagement du territoire (CIAT) qui s’y intéresse et le retient en1967 en vue du transport de voyageurs sur des distances allant de 100 à 500 km et à des vitesses de 250 à 300 km/h. On ne pense pas, à l’époque, que le TGV remplira parfaitement une décennie plus tard ces objectifs et sur des distances beaucoup plus longues ! On pense même à installer des lignes “Aérotrain” sur le terreplein central séparant les deux voies des autoroutes…. Mais il restera le problème du manque de place pour insérer les lignes “Aérotrain” dans les villes et le plus près possible des gares SNCF, voire dans ces gares elles-mêmes, donnée qui ne sera jamais résolue.
La SNCF ne manque pas de s’y intéresser, et finance à 50% la piste d’essais située vers Orléans, mais ne voit nullement dans cet engin un possible train du futur qui n’a rien de ferroviaire, qui est totalement incompatible avec un réseau ferré national de plus de 40.000 km, qui offre de très faibles capacités, qui consomme beaucoup d’un pétrole dont on va bientôt parler, ce qui pourrait lui assurer un avenir de grand transporteur national et qui n’offre aucune possibilité de protection par des circuits de voie. Sans doute la SNCF ne veut pas laisser passer une occasion de diversifier ses activités et, qui sait, si le système proposé par Bertin se développe, autant être de la partie.
Une technique nouvelle, complètement étrangère au chemin de fer.
Il faut dire que l’”Aérotrain” de Bertin ne manque pas d’atouts tant qu’on est en rase campagne et hors des villes. Surtout il est très intéressant dans son principe technique. La vitesse élevée d’un avion est permise par l’absence de contact matériel avec des installations fixes au sol contrairement au cas d’un véhicule sur une route ou une voie ferrée. Il y a bien, cependant, un contact: le contact matériel entre l’avion et l’air, ce qui assure la portance. Si les limitations en matière de vitesse existent bien aussi pour ce contact comme le mur du son, par exemple, elles permettent, en dessous d’elles, des vitesses très élevées en service courant: les avions de ligne volent à 900 km/h sans problème.
C’est pourquoi, à l’époque, un certain nombre de chercheurs proposent des solutions différentes qui visent essentiellement à s’affranchir des problèmes du contact roue/rail et pantographe/caténaire. Il est bien connu, pour les historiens des techniques, que supprimer un problème technique consiste, en général, à supprimer l’organe qui en est à l’origine… sans espoir d’en trouver un remplaçant à la hauteur qui s’ennuie sur son banc de touche et attend un avenir efficace et brillant sur le terrain.
L’ingénieur français Jean Bertin propose aux pouvoirs publics français, en 1965, son « Aérotrain » et différentes voies d’essais permettent de tester des prototypes. Notons que le nom « Aérotrain » est bien une marque utilisée comme “nom” commercial en France, déposée initialement par la société de l’Aérotrain le 13 juillet 1962. La marque a expiré en 2017.
Deux voies sont implantées dans les environs de Gometz-le-Châtel, l’une en béton dont le tracé a été reconverti depuis en “promenade pédestre” ou “voie verte de l’aérotrain”, et l’autre plus éphémère en asphalte et aluminium. Une troisième voie d’essais en béton est construite entre Saran et Ruan, au nord d’Orléans, sous une forme surélevée, en viaduc, portant le nom de « voie d’essai de l’Aérotrain d’Orléans » longue de 18 km. Dans ces trois cas, on reste bien en rase campagne. Aucune municipalité, comme ce sera proposé en banlieue parisienne pour relier les aéroports de Roissy et d’Orly, n’acceptera ces piliers et ces pistes de béton envahissants sur son territoire, sans parler du bruit des réacteurs d’avion.
L’effet de sol : inventé collatéralement avec l'”Aérotrain”.
Louis Duthion, un ingénieur de la société Bertin, essayant des moteurs à réaction, met en évidence un phénomène inattendu mais connu : l’effet de sol. Cela se produit lors de tests que cet ingénieur réalisait sur des silencieux de moteur à réaction, utilisables en vol, et il trouve, contrairement à ce qui est attendu, une très forte augmentation de la poussée. Cependant, cet effet de sol était connu en aviation dès les années 1920. En 1921, le savant allemand Carl Wieselsberger a identifié le premier et donné une explication théorique de l’effet de sol. L’effet de sol a été décrit également par le Français Le Sueur en 1934 et 1942.
Les ingénieurs de Bertin, de leur côté, trouvent l’explication au phénomène constaté : la poussée du réacteur muni de silencieux était annulaire et non répartie de manière homogène sur un disque. La zone neutre centrale est prise au piège par les jets périphériques haute vitesse qui jouent le rôle de « jupe » et la pression au centre augmente considérablement. Bertin et Cie cherche immédiatement à exploiter cet effet et le 9 août 1957, un brevet de “Vérin fluide” utilisant cet effet est enregistré, mais c’est surtout sous la formule dite du “coussin d’air” et l’utilisation d’une piste spécialement adaptée, que Jean Bertin va développer son projet, ceci sous le nom d’ “Aérotrain”.
Les trois arguments de Jean Bertin.
L’idée de Jean Bertin utilise trois arguments fondamentaux et techniquement irréprochables.
- Le premier est qu’une sustentation sans contact matériel est moins sensible aux défauts de la voie, ce qui permet de faire circuler des véhicules à très grande vitesse sur une voie médiocre formée d’une simple piste de béton moulé et « brut de coffrage » comme on dit dans le bâtiment.
- Le deuxième argument est qu’une répartition des charges sur une grande surface permet une voie plus légère, donc moins chère à la construction et totalement à l’abri de toute usure, contrairement aux routes et aux voies ferrées qui sont continuellement mises à mal par la circulation et le poids des véhicules et qui occasionnent une maintenance aussi permanente que ruineuse.
- Le troisième argument est l’absence de toute liaison mécanique entre le sol et le véhicule, ce qui diminue ou supprime les vibrations, le bruit, l’usure du véhicule, les risques d’accident.

La spécificité de l’”Aérotrain”.
Propulsé par turbomoteur entraînant une hélice, l’engin ressemble à un avion sans ailes – ce qu’il est bien structurellement – et “évoluant” (pour ne pas dire “volant”) sur une piste en béton en forme de « T » renversé. Les essais sont concluants et d’autres prototypes, plus puissants, vont suivre, notamment un « Aérotrain » poussé par un réacteur Pratt & Whitney JT-8D qui atteint 428 km/h le 5 Mars 1974, faisant alors de l’ombre aux essais de la SNCF préparant alors le TGV.
D’autres pays comme le Japon, l’Allemagne (Krauss-Maffei) ou l’Italie (Université de Palerme) font des essais analogues, mais moins poussés parce que non aidés ou subventionnés par les pouvoirs publics, et relativement vite abandonnés. Aux Etats-Unis la société Grumman réalise un train sur coussin d’air et moteur électrique linéaire: des vitesses de 500 km/h sont prévues à Pueblo dans le Colorado, mais des problèmes de refroidissement par eau de moteurs très évolués font échouer le projet. Seul le projet de Jean Bertin a vraiment très près de déboucher sur une réalisation effective.


Un cousin éloigné et fort mal élevé que l’on n’invite pas.
On notera la lointaine parenté entre l’engin de Jean Bertin et les essais britanniques d’aéroglisseurs marins contemporains plus connus sous le nom de Hovercraft et utilisant le même principe de sustentation par coussin d’air chassé sous le véhicule pour le décoller du sol ou de la surface de la mer. IL n’y a donc pas de piste, mais une simple utilisation de la surface de la mer. Quand celle-ci est agitée, le voyage est infernal, comme s’en souvient l’auteur de ce site-web : dès qu’on est en pleine mer, on vomit tripes et boyaux tout en recevant de formidables claques secouant l’engin qui donne l’impression d’être proche de la désintégration. Les vitres ruisselants d’eau de mer abondante ne permettent pas de voir quoique ce soit, et la panne d’essuie-glace doit être redoutable pour le commandant de bord (ou capitaine ?). Les rares voitures transportées à bord sont ficelées comme des rôtis ou plutôt portent des ceintures de sécurité que leurs conducteurs, à l’époque, ignorent, et certaines ont fini comme sous-marins après un ou deux accidents peu commentés dans la presse.
Malgré ces angoissantes conditions dignes d’un mauvais ménage de la Foire du Trône, les « Hovercrafts » feront une carrière turbulente entre les années 1970 et 2000, inclassables car n’étant ni des bateaux ou des avions, faisant bande à part, reliant des “ports” aménagés près des vrais ports de mer anglais et français.

Le bon choix de Jean Bertin : un véhicule guidé.
L’ « Aérotrain » de Bertin est un véhicule guidé, il en a toute la force et il « circule », pour ne pas dire qu’il « vole », sur une voie dont, par ailleurs, il n’a aucune utilisation en matière de protection, de sécurité et d’espacement des “trains”. C’est bien ce qui à la fois lui a apporté son succès et son efficacité, mais ce qui aussi l’a condamné: le fait de demander une voie a immédiatement posé le problème de la création d’un réseau de lignes qui auraient envahi le terrain déjà saturé des grandes villes, et qui auraient entraîné des dépenses considérables en matière de construction.
N’oublions pas que le TGV est un train, authentique, utilisant les voies de la SNCF et pénétrant sur elles jusqu’au cœur des villes par un itinéraire historique, et utilisant même des lignes datant de 1833 quand il s’agit d’aller de Lyon à St-Etienne. Le TGV n’a coûté, en infrastructures nouvelles, que ses LGV, soit quelques milliers de kilomètres ajoutés à un réseau qui en comprenait environ 30.000 km et que le TGV utilise aussi pour accéder à ses parcours sur LGV ou pour les prolonger.

L’ “Aérotrain” : avec, hélas, tout un réseau à construire.
Mais surtout la dépense de la construction d’un réseau intégralement nouveau ignorant l’existence du réseau SNCF semble, et à juste titre, incohérente. C’est bien cette incompatibilité totale avec le réseau ferré classique, y compris pour la pénétration dans les villes; ajoutée à une faible capacité de transport qui a condamné l’invention de Jean Bertin. Après une succession de remises en question et de quasi-abandons, l’« Aérotrain » est définitivement abandonné en 1976, une année après la mort de son créateur.
Le calendrier de la mort annoncée de l'”Aérotrain”.
- 17 juillet 1974 : le seul projet d’Aérotrain signé, celui de Cergy-La Défense est abandonné.
- 21 décembre 1975 : décès de Jean Bertin du à une tumeur au cerveau.
- 27 décembre 1977 : le prototype I80 HV effectue est essayé pour la dernière fois.
- 17 juillet 1991 : le prototype S44 brûle dans le hangar de l’ancienne base d’essais de Gometz-la-Ville.
- 22 mars 1992 : destruction par incendie criminel du prototype de l’Aérotrain 180 dans le hangar de la plateforme de Chevilly, Fin février 1997: le hangar de Chevilly et l’épave du 180 sont officiellement détruits et ferraillés.
- 22 septembre 2006 : 23 personnes sont tuées et 10 autres blessées dans l’accident d’un train à sustentation magnétique “Transrapid” circulant à 200 km/h et heurtant un engin de chantier (à roues avec pneumatiques donc indétectable par circuits de voie), ceci sur une voie d’essai dans le nord-ouest de l’Allemagne. Ce sera la fin des essais de ce genre de “train” en Europe.


Ce qu’un voyage en “Aérotrain” et en train classique aurait pu être.
Imaginons un voyage en “Aérotrain”, non pas utilisé seul (sans aucun problème : le véhicule est d’un confort parfait) mais dans le cas le plus fréquent qui est combiné avec un train classique. Imaginons le problème de l’emplacement des gares résolu dans un certain nombre de grandes villes, notamment à Paris. Un Paris-Nice, par le TGV, demande environ 5 heures aujourd’hui, dont un peu plus de 3 heures pour Marseille, et le reste par la ligne classique de la Côte d’Azur. L’accès à la gare de Lyon est facile (métro, bus, taxi) et on reste assis à sa place jusqu’à Nice, où l’on trouvera tout ce que l’on veut pour faire le dernier kilomètre.
Si nous disposions d’une une ligne “Aérotrain” construite de Paris à Marseille, en attendant son prolongement jusqu’à Nice, admettons qu’elle ait pu trouver sa place et un quai dédié dans l’inextricable encombrement du sol des la gares de Lyon à Paris et Saint-Charles à Marseille. A Marseille, il faudra quitter l’ “Aérotrain” pour utiliser un train classique de la SNCF. Les voyageurs ont toujours détesté les changements de train en cours de route – et ils ont raison. Pour eux c’est l’horreur, et “transvaser” leur modeste personne et l’attaché-case, ou accompagnés d’une famille, d’enfants, d’armes et de bagages en descendant sur un quai, voilà qui les rebute et les fera voyager dans leur fidèle voiture par la route, même si, pour le chemin de fer, cette rude épreuve est adoucie par la formule “la correspondance est donnée sur le même quai en face”.
Avec l’ “Aérotrain”, d’une manière transitoire pendant les longues décennies nécessaires à la construction intégrale d’un nouveau réseau spécifique, presque tous les voyages n’auraient été que cela : un changement de place en cours de route et finalement des pertes de temps accumulées rendant les voyages plus lents que ceux en TGV actuels, même si les TGV roulent à la vitesse des trains ordinaires lors des parcours hors LGV.
Sans aucun doute cet handicap de l’incompatibilité (on ne disait pas encore le manque d’interopérabilité) a du être clairement perçu à l’époque. Mais l’effet collatéral (comme on dit aujourd’hui) positif a été, volontairement ou non, que l’ “Aérotrain” impose à la SNCF de réagir et de proposer au gouvernement, en réponse au projet Bertin, son projet de trains à grande vitesse sur des infrastructures classiques, ou TGV.
Et, contrairement au TGV, l’aérotrain de Bertin ne fera pas partie du paysage du troisième millénaire : les restes encore visibles de sa voie en béton sont envahis par les « tags » du côté d’Orléans et un des derniers véhicules préservés vient d’être détruit il y a quelques années dans un inexplicable incendie.

En 2000, un « Aérotrain » nouveau au Japon ?
Comme dans les tragédies classiques, de Shakespeare à Corneille, les héros n’en finissent pas de mourir et reparaissent au cinquième acte. C’est le cas des trains à coussin d’air. Vers la fin des années 1990, on recommence tout, puisque l’on a tout oublié. En effet il est sérieusement question, au Japon, d’utiliser la technologie de l’ « Aérotrain » pour équiper un nouveau réseau à grande vitesse dont ce pays a besoin et qui ne craint pas d’innover dans le domaine ferroviaire. Le Japon possède déjà plusieurs lignes commerciales courtes utilisant la technique de la sustentation électromagnétique, mais qui demandent un renouvellement, notamment au niveau des véhicules et souffrent toutes de leur rupture de charge ou de voyageurs.
On se souvient que l’« Aérotrain » a pour avantage essentiel, avec le coussin d’air, de demander quatre fois moins d’énergie que les trains à sustentation magnétique. Les ingénieurs japonais pensent aussi, et à fort juste titre en cette période de crise énergétique … durable, que cette énergie de sustentation pourrait très bien être fournie par des panneaux solaires qui tapisseraient la surface considérable représentée par la piste en béton : en quelque sorte, on utiliserait cette surface d’une manière double et très rentable.
Les chercheurs de l’Institut des Sciences des Fluides de l’université de Tohoku réalisent alors un prototype de 8 mètres de long capable de prouver, lors d’essais à 50 km/h, qu’il peut parfaitement se sustenter avec des moteurs électriques utilisant l’énergie fournie par les panneaux solaires et actionnant les pompes nécessaires pour créer le coussin d’air sous l’appareil.
Les ingénieurs japonais, en outre, disposent sous l’appareil, des ailerons améliorant la sustentation. Un nouveau prototype est en construction pendant l’été 2000, et comporte trois paires d’ailerons et six hélices. Il circule à 150 km/h. On promet, à ce moment, que le modèle de série sortira « pour l’horizon 2020 » et circulera à 500 km/h. Mais, pour le moment, nul ne sait ce qu’il en est, et si les recherches et les essais se poursuivent. Ajoutons que pour ce qui est de l’ “l’horizon 2020”, nous sommes en 2022… L’horizon est donc derrière nous, et il faut se retourner pour chercher un “train miracle” de plus, mort-né comme les autres, à la manière de l’Hyperloop.

1 réflexion sur « L’aérotrain de Jean Bertin : un “train” ? Non, Sire : une révolution, mais pour la SNCF. »
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