
Le matériel moteur acceptant plusieurs types de courant a été la toute dernière grande évolution de la traction électrique, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La diversité des tensions et des intensités en matière d’électricité industrielle ou domestique a toujours été le talon d’Achille de la “fée électricité”, comme en témoignent les anciens catalogues d’électroménager ou de trains-jouets de jadis : avant tout achat, il fallait savoir si l’on était en 110 ou 220 volts, en alternatif ou en continu (Paris avait quelques centrales en 110 continu), s’il l’on était en 50 ou en 25 “périodes” (la Côte d’Azur était en 25).

Le chemin de fer réel, lui aussi, souffre de ces différences faisant des locomotives des prisonnières de leur réseau quand ce n’est pas de leur ligne, incapables de quitter leur “ghetto” électrique, alors que les locomotives à vapeur ou à moteur diesel vont partout, disait-on, et selon les besoins : il suffit que l’écartement des rails soit standardisé, tout comme certaines données comme le profil ou les rayons de courbure des lignes. La locomotive électrique reste donc mariée à sa caténaire et surtout au courant qui l’alimente, et le mariage, comme tout le monde le sait, c’est une vie rangée et la fin des escapades aventureuses : l’herbe ne sera plus du tout verte ailleurs.
Selon le mot de Marcel Garreau introduisant son article resté célèbre consacré à la traction électrique paru dans la Revue Générale des Chemins de fer de novembre 1963 : « L’électrification des chemins de fer n’est pas un modèle de normalisation.»
Pas un modèle de normalisation ? C’est le moins que l’on puisse dire quand on voit, par exemple, une carte tentant de montrer l’imbrication et la complexité des différents systèmes de courant de traction électrique en France et en Europe.
Effectivement chaque système porte avec lui les caractéristiques techniques de son époque de naissance, tout comme les réseaux urbains électriques qui avaient commencé avec des mentalités d’insulaires, chacun dans sa ville avec une “centrale” électrique placée au centre, comme son nom l’indique, avant de réaliser l’interconnexion nationale par la force des choses. Mais si l’interconnexion obligea les réseaux producteurs et distributeurs de courant à une réelle unification (disparition du « 25 périodes » méditerranéen, par exemple, ou disparition du courant continu 110 volts parisien), il se trouve que, dans le domaine ferroviaire, l’impossibilité technique d’utiliser le courant industriel normal contraignit les ingénieurs des différents réseaux à utiliser des courants spéciaux, en général du type continu à tensions abaissées successivement jusqu’à la caténaire, ou du type alternatif à basse fréquence, ou du type triphasé à fréquence spéciale.
Quand, enfin, le courant industriel fait ses preuves dans le domaine de la traction ferroviaire, notamment sur la ligne allemande du Hollenthal pendant la guerre et après, et aussi lors des essais de Savoie en France au début des années 1950, toute unification était désormais impossible. Les deux systèmes 1500 v continu et 25.000 v monophasé existent depuis longtemps, installations fixes et matériel moteur, et les changer pour les unifier était financièrement impensable (voir l’article très récemment paru consacré aux essais de Savoie).
Un nouveau type de frontière : la frontière électrique.
Il faut donc établir des dispositions spéciales au point de des systèmes entre eux, et, comme l’histoire des techniques le montre très souvent, c’est encore une fois les cas spéciaux qui jouent un rôle très important en matière d’évolution des techniques considérées comme générales. Un nouveau type de frontière, la frontière électrique, se crée lorsque les systèmes se rejoignent, ceci aussi bien à l’intérieur du réseau de la SNCF qu’aux frontières nationales, frontières infranchissables pour les locomotives monocourant et demandant la conception d’une locomotive nouvelle.

L’époque des gares “bitension”.
Si Dôle est une gare commutable et à ce titre exceptionnelle et unique, il y eut des « gares bicourant non commutables » à Aix-les-Bains (25 kV monophasé/50 Hz/1.5 kV continu), et aussi aux points frontières franco- suisses de Genève- Cornavin (15 kV – 16 2/3 Hz/1.5 kV continu), Pontarlier (15 kV – 16 2/3 Hz/25 kV monophasé/50 Hz), etc.
Des « jonctions bitension » (sans gare) pour leur part furent exploitées en France durant de longues années, principalement à l’Ouest sous la forme d’interpénétrations comme sur la section de Porchefontaine à Viroflay-RG (sous caténaire 1.5 kV continu et à celle dite « des Invalides », alimentée par troisième rail latéral sous tension 750 V) de 1937 jusqu’à la création du RER ligne C. On pourrait encore citer la section Paris-St-Lazare/Argenteuil avec des trains sous caténaire 25 kV monophasé/50 Hz et des trains alimentés par troisième rail 750 V jusqu’à la disparition de ce dernier.
Deux gares frontières franco-italiennes ont été aménagées ou réaménagées en «gares bitension». Il y a Vintimille, qui présente la surprenante particularité d’être alimentée par caténaire 1.5 kV continu, tandis qu’elle constitue le point de jonction entre l’artère des FS vers Gênes sous tension 3 kV, et celle de la SNCF vers Marseille sous tension 25 kV monophasé/50 Hz. Dans cette gare, les engins italiens à 3 kV entrent à Vintimille à demi-puissance (grâce à une limitation du couplage des moteurs de traction) et les locomotives françaises y circulent normalement, puisque tous les engins de traction SNCF engagés sur la Côte d’Azur, démarrant de Marseille sous caténaire 1.5 kV continu, sont des bicourant 1.5 kV continu/25 kV monophasé/50 Hz. L’autre gare “bitension” est celle de Modane qui, depuis le remplacement du 3e rail par une caténaire sur la ligne de Chambéry, est alimentée en courant 1.5 kV continu coté SNCF et 3 kV continu coté FS. Ajoutons que Modane a connu, en son temps, le fameux triphasé italien : voir l’article qui est consacré à ce système sur ce site “Trainconsultant” (tapez “lamming triphasé” directement sur “Google” par exemple).

Dans son article RGCF « Les locomotives polycourant ». RGCF paru en novembre 1963, Marcel Garreau nous rappelle d’ailleurs que le système triphasé italien fut le premier, historiquement, à toucher un autre système, le 16 2/3, dans la gare du Brenner tout comme le 3000 v continu italien dans la gare de Gênes. La locomotive polycourant n’étant techniquement pas possible à l’époque, ou trop complexe, la solution fut de faire des gares-frontières dans lesquelles, au prix de manœuvres et de pertes de temps, on changeait les locomotives au moyen d’engins de manœuvre autonomes quand il fallait dégager la locomotive qui se trouvait sous la caténaire inadéquate. Quant au cas des rames automotrices, il fallait purement et simplement les vider de leurs voyageurs pour les faire monter dans une autre .
La SNCF face au problème des différents courants de la traction électrique.
Avant la création de la SNCF, chaque compagnie avait ses politiques techniques, économiques, et humaines, en toute indépendance. Elles devaient respecter, on s’en doute, un certain nombre de lois et de normes générales s’appliquant à la nation française dans son ensemble. Sur un plan purement technique, les recherches en traction électrique, essais, et applications concrètes se font indépendamment pour chaque réseau, même si, en 1920, le courant continu à la tension de 1500v est recommandé par les pouvoirs publics à la suite d’une mission d’études faite aux USA. La SNCF héritera donc un réseau dont l’électrification a seulement été commencée, réseau par réseau, et reste peu étendue. En pleine guerre, elle prépare son avenir comme beaucoup d’entreprises françaises.
En pleine période de débarquement sur les plages normandes, puisque nous sommes au lendemain du fameux 6 juin 1944, une réunion se tient le 7 juin à la Direction Générale de la SNCF à laquelle assistent des personnes dont les noms reviennent souvent dans les articles de la RGCF et l’histoire de la SNCF : Fioc, Dugas (du service technique), Armand (pour la région Ouest de la SNCF : il n’est pas encore Directeur Général), et surtout Garreau de la Direction des Etudes de Traction Electrique de la SNCF (DETE).

De cette réunion du 7 juin, d’après le compte-rendu que les archives de la Direction du Matériel ont précieusement conservé, il ressort que la doctrine d’une électrification à deux systèmes complémentaires est née : d’une part le 1500 volts continu que l’on maintient pour les lignes à « trafic relativement élevé » et d’autre part une électrification « économique » pour les « nombreuses lignes à moyen ou à faible trafic qui assurent cependant des liaisons essentielles et doivent, à ce titre, être exploitées dans de meilleures conditions ».
En réponse, la SNCF invente la locomotive polycourant.
Le Directeur Général de la SNCF a demandé, donc, que l’on entreprenne une étude d’un système nouveau qui viendrait occuper les interstices de l’ancien qui, de son, coté, « donne entière satisfaction du point de vue technique ». Ce nouveau système doit répondre au cahier des charges en deux points suivant :
- Des installations fixes aussi réduites que possible ne nécessitant que peu de matière et d’un prix réduit.
- Un raccordement possible au système 1 500 volts existant déjà et permettant aux trains de passer de l’un à l’autre sans coupure de traction.
Il apparaît, et sans nul doute sur les incitations répétées de Louis Armand et de Marcel Garreau, que le courant monophasé 50 périodes (terme d’époque) et à tension de 20000 puis 25000 volts est à retenir, solution essayée mais non retenue par les Allemands sur leur ligne du Hollenthal en Forêt Noire (voir notre article récent sur les essais de Savoie). Utilisant la fréquence du réseau général, donc ne nécessitant pas de distribution particulière autre que de simples branchements là où passent les lignes à haute tension générales, cette électrification ne demande que de simples postes de transformation et de coupure réparties le long de la voie tous les 100 km environ.
Le moteur de traction et la locomotive qui va avec restent à trouver.
Le problème, toutefois, se pose encore pour ce qui est de la mise au point des moteurs de traction. Le classique moteur à courant continu et collecteur est, en effet, parfait pour le chemin de fer, mais ne peut consommer directement un courant alternatif, et les moteurs à courant alternatif de l’époque ne présentaient pas de caractéristiques favorables au démarrage des trains lourds avec un bon rendement dans une gamme étendue de vitesses.
Une solution intermédiaire avait été adoptée en Suisse, Allemagne et Autriche, consistant à alimenter des moteurs proches du type à courant continu avec un courant à fréquence faible : le 16 2/3 Hz. On peut donc dire que ce 16 2/3 Hz est un courant plus proche du courant continu que le 50 Hz du réseau général. La tension est 15000 volts, abaissée sur la locomotive à 600 volts. L’inconvénient majeur du système 16 2/3 Hz est l’utilisation exclusive d’appareillages inutilisables sur d’autres systèmes et la présence d’un coûteux réseau de transport et de distribution spécifique, à moins de “ne pomper qu’une phase” sur le réseau général qui se trouve alors déséquilibré.
Louis Armand veut que « la SNCF utilise le courant de tout le monde », comme nous l’avons vu dans l’article sur les essais de Savoie paru récemment sur ce site, et son désir est d’amener ce courant jusqu’à la locomotive même. Ceci lui vaudra d’ailleurs le reproche d’avoir amené jusqu’à la locomotive … les problèmes techniques !
Les essais allemands du Hollenthal n’ont pas abouti entièrement, et Louis Armand, avec Marcel Garreau et Fernand Nouvion, aura a cœur de les poursuivre sur place à la Libération (cette ligne étant, fort opportunément, dans la zone d’occupation française!) puis en Savoie au début des années 1950 pour les fameux essais de Savoir.
Pour le moment, lors de cette réunion du 7 juin 1944, il faut se déterminer en fonction de ce qui existe et prévoir l’après-guerre. La technique du 50 périodes est jugée « intéressante, en pleine évolution et susceptible d’un très grand avenir » et l’on pense qu’après la guerre le moteur 50 Hz « aura suffisamment progressé pour que l’on puisse envisager la construction de locomotives assez puissantes pour les besoins de la SNCF. »
La locomotive bicourant est dans les esprits sinon sous la caténaire.
0n envisage purement et simplement des locomotives bicourant, les moteurs monophasé « fonctionnant dans d’excellents conditions avec une alimentation en courant continu », ceci grâce à « un seul couplage prévu pour la marche sous courant continu à vitesse de circulation plus réduite ». La DETE s’engage à obtenir rapidement, en liaison avec des constructeurs français, des avant-projets de locomotives BB, CC ou BBB à courant monophasé 50 Hz.
Très vraisemblablement il s’en est fallu de très peu que Paris-Lyon ne soit électrifiée en courant monophasé : les ingénieurs connaissent déjà les avantages immenses en matière de coût que procure ce dernier système avec sa caténaire légère et ses sous-stations simples et très espacées. Mais il urge d’électrifier Paris-Lyon et attendre une année ou deux que les essais du nouveau système aient donné des résultats décisifs semble être trop long : à la Libération on commence immédiatement les travaux avec l’ancien système, lourd et coûteux en installations fixes, mais sûr et éprouvé au niveau des moteurs des locomotives. En 1952, quand Paris-Lyon est terminé, le nouveau système est à un stade d’essais suffisamment avancé pour que la SNCF envisage déjà ses nouvelles électrifications du Nord et de l’Est de la France avec lui.
A quatre ou cinq années près tout en aurait été autrement. Mais déjà cette électrification sera faite, à partir de 1946, avec 20 ans de retard sur ce que la logique économique aurait dicté dès les années 1930. D’ailleurs on peut lire dans la revue “Chemins de fer” de 1957 les lignes suivantes provoquées par l’affaire du canal de Suez : « Ce n’est pas en 1950 qu’il aurait fallu électrifier Paris-Lyon, mais en 1930, dès que l’expérience du PO sur Paris-Vierzon avait permis de vérifier l’exactitude des théories de Parodi sur l’électrification des lignes à fort trafic et l’intérêt qui s’attachait aux interconnections des réseaux à haute tension ».
Effectivement les années 1950, avec les problèmes posés par les crises internationales et le prix du pétrole, ne feront que donner raison aux partisans de l’électrification de Paris-Lyon-Marseille qui, dès les années 30, militaient pour cette réalisation, mais en vain.
L’opinion de Fernand Nouvion.
L’ingénieur Fernand Nouvion, grand “électricien” SNCF, est un partisan très convaincu de la locomotive monocourant pour des raisons de simplicité de schéma, de simplicité de conception générale, de tenue en service. S’il ne recule pas devant des solutions très mécaniciennes complexes comme la biréduction ou les commandes manuelles des graduateurs, le grand ingénieur se méfie des solutions très évoluées électriquement, ceci dans la grande tradition du chemin de fer, et le bicourant le motive peu à un point tel qu’il songe à des locomotives monocourant dotées de batteries pour des évolutions en gare sous l’autre système!.
Pour la gare de Marseille, il songe à des locomotives monocourant 1500 v capables d’évoluer sous une caténaire commutable recevant, pour l’occasion, du monophasé 1500 volts à très basse fréquence de 3 Hz, ceci à 30 km/h au maximum : 120 volts auraient suffi.
C’est dire à quel point la locomotive bicourant n’est pas encore au point au milieu des années 50, et comment se posent les problèmes de frontières électriques à la SNCF.
Marcel Garreau écrit ce qu’il pense dans ses fameux carnets personnels.
Marcel Garreau, dans ses carnets personnels, note l’objet de la réunion du 29 septembre 1955 à la DETE : les raisons d’électrifier Lyon – Nîmes en 1500 v continu, c’est-à-dire de prolonger l’ancien système sur la rive droite du Rhône.
Trois raisons militent en faveur de ce choix : une utilisation encore meilleure des locomotives 1500 v (la plus forte raison), l’utilisation d’automotrices 1500 v autour de Lyon d’une façon homogène, la difficulté de réaliser des locomotives bicourant « capables d’aller assez loin de Lyon en 1500 v et même de sortir du nœud ferroviaire de Lyon ». L’électrification Lyon-Nîmes (dite ligne de la rive droite du Rhône) fait économiser 24 locomotives en 1500 v, soit 2 milliards de francs, mais on perd 2,5 milliards de francs sur les installations fixes par rapport au monophasé. Il faudrait aller jusqu’à Marseille, et créer un grand réseau en 1500 v englobant Tarascon et Nîmes et d’autres villes pour vraiment utiliser les locomotives d’une manière extensive et ainsi gagner financièrement. Mais comme la Côte d’Azur sera électrifiée en monophasé, où fixer la frontière électrique ?

Le problème est « reporté à des jours meilleurs qu’on n’apercevait d’ailleurs pas très bien ».
Or la locomotive bicourant est bien née, dans les faits et par la force des choses, lors des essais de Savoie. « Ce n’est pas par hasard si les deux lignes entre lesquels on balançait, Aix-les-Bains-Annecy et Nîmes-Langogne, étaient l’une et l’autre “accrochées” à une gare en 1500 v. Et comme les techniciens tenaient, pour la beauté du geste et “pour débarrasser le champ des objections” (sic!), à résoudre le problème de la façon la plus difficile pour eux et la moins gênante pour l’exploitant, on s’attaqua, dès le premier coup, à la locomotive bicourant. » écrit Marcel Garreau dans son article RGCF déjà cité. Il poursuit : « Parlant des difficultés, le moins qu’on puisse dire est que la technique du moment n’était pas particulièrement prédisposée au bicourant ».
Des quatre locomotives de Savoie, l’une est à redresseurs, ce qui fait qu’elle porte en elle le signe du bicourant – le « signe » pas plus, commente Marcel Garreau…. Les trois autres montrent une sorte de « coexistence sans affinités » des deux systèmes et le choix de l’électrification de Valenciennes-Thionville pour le monophasé soulage les ingénieurs, car cette ligne, isolée, ne posera pas de problème de frontière électrique. Du moins pour l’instant, le problème étant « reporté à des jours meilleurs qu’on n’apercevait d’ailleurs pas très bien » écrit Marcel Garreau.
Lorsque l’on est vraiment obligé d’apercevoir ces « jours meilleurs », lors de l’électrification Dijon-Neufchâteau et Marseille-Vintimille, il faut bien cesser de reporter le problème… Toutefois la SNCF ne perd pas son temps et prévoit un principe de classement des locomotives électriques avec une tranche de 0 à 9000 réservée aux monocourant 1500 v, une tranche de 10000 à 19000 pour les locomotives alimentées en monophasé, une de 20000 à 29000 pour les bicourant, une de 30000 à 39000 pour les très rares tricourant, et enfin une de 40000 à 49000 pour les tout aussi rares quadricourant. Les automotrices électriques existantes et anciennes pour la plupart à l’époque ne sont pas concernées tandis que les futures automotrices, notamment les remarquables TGV (dont on oublie qu’elles sont des automotrices devenues “Eléments automoteurs électriques” ou EAE) seront classées en catégorie “Z”.
La BB-20004 : “le bicourant sans luxe” ?
André Cossié propose alors des essais avec une BB-16500, la BB-16540, une locomotive pour courant monophasé donc, à qui l’on a adjoint un équipement rudimentaire lui permettant de fonctionner aussi sous le courant continu 1500 volts. Cette machine est numérotée BB-20004 et fait ses essais en Savoie en 1959, où elle montre des aptitudes à fonctionner sous les deux types de courant « sans luxe » toutefois d’après les termes mêmes de l’ingénieur.
Caractéristiques techniques de la BB-20004
Type: BB
Courant traction: 25 000 v 50 Hz et 1500 v continu
Moteurs: 2
Transmission: unilatérale Alsthom avec biréduction
Masse: 70 t
Longueur: 14, 4 m
Vitesse: 90 et 150 km/h (sous 1 500 v) selon le régime
La BB-20005 : mère des grandes bicourant.
Puis, en 1961, l’électrification de la ligne Dijon-Neufchâteau permet d’essayer la BB-16028 qui, récupérée après un déraillement puis reconstruite, devient la BB-20005 par transformation en locomotive bicourant aux ateliers d’Hellemmes. Les essais, menés sur la ligne Dôle-Vallorbe aussi, se révèlent très satisfaisants et font de cette locomotive une autre « mère des bicourant ».
Elle apporte une nouveauté technique décisive : elle autorise la pratique du passage, en pleine voie et en pleine vitesse, d’un type de courant à un autre grâce à une simple section de séparation hors tension, et, du coup, elle met fin à la pratique de la gare commutable dont Dôle a été le prototype.

L’ère du bicourant.
La locomotive bicourant est donc née, et elle ouvre une véritable ère spécifique. Non seulement cette pratique est, à l’époque, une spécificité de la traction SNCF par rapport aux autres réseaux ferrés du monde entier, mais aussi cette ère, qui est toujours actuelle, fera que pratiquement toutes les locomotives et tout le matériel moteur, y compris les TGV seront bicourant.
Comme cela s’est souvent produit dans l’histoire des techniques, on voit, avec la locomotive bicourant se terminer une « guerre des normes » amenant un matériel apte à admettre les deux normes, puis se profiter d’une recherche et de perfectionnements techniques tels que, finalement, il ne coûte pas plus cher que le matériel ancien à une norme et fonctionne avec des performances égales sous les deux normes. Non seulement la locomotive bicourant évoluera au point de ne pas devenir plus chère qu’une monocourant, mais aussi elle sera aussi performante qu’une monocourant sous l’un et l’autre courant, et, enfin, elle fera évoluer techniquement les monocourant qui seront encore construites ultérieurement. La BB-26000 d’André Cossié sera, entre 1988 et 1998, au sommet de cette ère : André Cossié ne voulait pas, d’ailleurs, du surnom de “Sybic” (synchrone-bicourant) donné à cette brillante locomotive pour une raison que l’auteur de ce site-web avoue n’avoir jamais clairement comprise.

L’échec des interpénétrations européennes en bicourant.
Le succès de la formule bicourant sur le réseau SNCF et le très faible nombre d’engins tricourant ou quadricourant montre l’échec, du moins jusqu’à présent et amorcé dès les années 60, d’une politique européenne de la traction. Si le matériel remorqué franchit bien les frontières, ceci depuis des décennies déjà, par contre le matériel moteur pratique très rarement ce que l’on appelle à la SNCF des interpénétrations, c’est-à-dire des circulations de locomotives ou d’automotrices françaises sur les réseaux voisins ou étrangères sur le nôtre.
Prisonnier de systèmes d’alimentation pour ce qui est de la traction électrique, prisonnier aussi d’habitudes et de contraintes humaines diverses pour l’ensemble des modes de traction, le matériel moteur reste fortement national. Toutefois le succès des TGV, qui sont des automotrices et doivent continuer leur route telles quelles aux frontières électriques, obligera les réseaux à accepter de plus en plus un matériel non seulement bicourant mais aussi tricourant dans le cadre d’une extension à l’Europe des parcours directs TGV.
Des “petites bicourant” quand même …
Si les essais de Savoie ont bien eu pour objet des locomotives bicourant, il s’agit de locomotives dites “petit bicourant” (voir ci-dessous), c’est-à-dire fonctionnant en courant continu sous puissance réduite. En 1950, lorsque ces essais sont menés, il ne s’agit pas encore de réaliser des locomotives réellement du type bicourant donnant leur pleine puissance sous les deux systèmes, mais seulement de démontrer les avantages du monophasé, d’une part, et, d’autre part, de montrer que les locomotives monophasé peuvent éventuellement évoluer à vitesse réduite sous une caténaire en continu là où ce serait nécessaire.
Cela veut dire que toute nouvelle électrification en courant monophasé posera le problème du passage d’un système à l’autre en termes de traction avec, soit la nécessité de changer de locomotive si elle est monocourant, soit la nécessité de construire des locomotives bicourant.
De la “petite bicourant” à la “grande bicourant”.
Si la BB-16540, transformée par André Cossié donnant la BB-20004, est bien que plus performante que les bicourant de Savoie, elle reste encore une “petite bicourant” bien que donnant 2 600 kW en monophasé, elle ne donne guère que 1 500 kW en continu du fait de ses deux moteurs 1500 v qui doivent fonctionner en série et ne disposer donc que de 750 v.
La première vraie bicourant, ou “grande bicourant”, sera donc la BB-20005 réalisée à partir de la BB-16028 accidentée, nous le savons. La totalité de son équipement monophasé reste tel quel, mais l’ensemble des auxiliaires sont équipés de moteurs 1500 v alimentés par des redresseurs au silicium, et le redresseur principal (moteurs de traction) est à ignitrons, solution qui cédera la place à des redresseurs à diodes au silicium ultérieurement.
Place aux BB-25100 et 25200, donc.
Cette locomotive donnera naissance à deux grandes séries : les BB 25100 et 25200 roulant respectivement à des vitesses maximales de 130 et 160 km/h, et construites à partir de 1964-1965.
Reprenant la silhouette très réussie esthétiquement des BB-16000, ces machines pèsent 84 tonnes et sont équipées de 4 moteurs, donc deux par bogie : il ne s’agit pas de bogies monomoteurs. Le réglage de la tension des moteurs se fait par le classique rhéostat en courant continu, et par graduateur en courant alternatif. Elles disposent de 3400 kW sous le courant continu et de 4130 kW sous le courant monophasé, le tout donnant un effort de traction leur permettant de remorquer environ 1000 tonnes à 130 ou 140 km/h et encore 800 tonnes à 160 km/h (pour les BB-25200), ceci en palier. En rampe de 8 pour mille, on peut encore obtenir de déplacer 800 tonnes à 105 ou 110 km/h, pour les voyageurs, et plus de 2000 tonnes en service marchandises en rampe de 5 mm par mètre et sous alimentation en monophasé.
Ces machines sont engagées sur des lignes où, bien sûr, se pose d’emblée le passage d’un système d’électrification à un autre, et notamment Paris-Rennes où, dès Le Mans, il faut passer du continu au monophasé. On les trouve aussi sur la liaison Marseille-Toulon et au-delà, au fur et à mesure que l’électrification progresse sur la Côte d’Azur. Ces machines se révèlent très aptes à tous les services possibles, des voyageurs rapides aux marchandises lourds, et ceci sans biréduction .
Les progrès de l’électronique expliquent ce fait : le réglage au plus fin des moteurs de traction permet une conduite dans laquelle l’effort de traction peut être finement adapté à la charge remorquée et au profil de la ligne, ceci à la limite continuellement de l’adhérence. Mais sans amorce de patinages. Il est possible que, avec les BB-25100 et 25200, le bogie à biréduction ait commencé à marquer les limites de son hégémonie technique des années 1960.


Les “équipuissantes” de 1964.
Le BB-16500, la première petite bicourant dont nous avons brièvement fait état ci-dessus, est, quant à elle, à l’origine d’une immense famille de locomotives qui sont réellement les premières locomotives dites “équipuissantes”, c’est-à-dire offrant exactement le même effort de traction sous les deux systèmes de courant. Notons que André Cossié nous a dit ne pas aimer ce terme et même l’interdire (du moins dans son entourage), car une locomotive n’a pas de “puissance”. La puissance ? C’est la centrale électrique qui la possède. La locomotive électrique, elle, fournit non une puissance mais un effort de traction.
Cette famille de locomotives s’étend, à partir de 1964, avec les BB-8500 construites par Alsthom, machines biréduction (100/140 km/h) et capables de donner 2940 kW sous une caténaire alimentée en 1500 v. Ce sont donc des monocourant. En 1965 sortent les BB 17000 qui sont des machines de la même famille (même poids : 79 tonnes), même disposition générale, mêmes petits bogies monomoteurs à biréduction, etc… Mais les 17000 sont des locomotives pour courant monophasé.
Enfin, toujours en 1964, sortent les BB-25500. Ce sont des bicourant comportant les mêmes caractéristiques générales que les BB-8500 et 17000 dont elles sont directement issues. Mais, contrairement aux locomotives bicourant BB 25100 et 25200, elles sont équipées de moteurs 1500 v. D’autre part les dispositions internes permettent de placer à part de l’équipement bicourant tout ce qui est relève soit du continu soit du monophasé, ce qui permet d’obtenir facilement, lors du montage en usine, une locomotive monocourant pour l’un ou l’autre système ou une bicourant.
Du point de vue du schéma ce sont donc des monocourant dérivées en fait d’une bicourant, c’est-à-dire une conception inverse des bicourant précédentes qui étaient plutôt la juxtaposition, tant bien que mal, de deux systèmes différents à bord d’une seule machine. On dispose d’une même puissance pour chaque type de courant : 2 580 kW au régime continu de 82 km/h ou 49 km/h selon le régime de réduction mécanique choisi.
Destinées initialement aux lignes Le Mans-Rennes ou Marseille-Vintimille, ces locomotives assurent un véritable service bicourant, répondant à une demande que les services de l’Exploitation avaient formulé avec insistance. En 1965, au moment où la SNCF termine cette période que nous appellerions « la recherche de l’unification », le problème de la locomotive bicourant est donc résolu. Ce que Marcel Garreau avait appelé « un mariage de raison qui tourne bien » dans son article RGCF déjà cité se trouve être plus que cela dans les faits qui suivront, puisque, pratiquement, l’ensemble du matériel moteur futur, y compris le TGV, sera bicourant.



La locomotive tricourant (1961)
« Quand vous demandez à une personne ayant suffisamment de culture pour avoir tout oublié, quelles sont les différentes sortes de courants qu’elle peut citer, elle hésite à s’engager, se demandant d’abord combien il peut y en avoir. Mais si vous lui demandez quelles sont les deux sortes de courants qu’elle connaît, la réponse est immédiate : le continu et l’alternatif. En foi de quoi on dira que, pour s’appeler bicourant, une locomotive doit être à la fois apte au monophasé et au continu. On ajoutera que cela pouvait se passer de démonstration. Et pourtant, quand on parlera de locomotive tricourant, s’il n’y a que deux courants en tout, quel pourra être le troisième ? »
Marcel Garreau introduit, avec son humour bien connu, le problème de la locomotive bicourant dans son célèbre article de la Revue Générale des Chemins de fer en montrant qu’à l’évidence une bicourant ne pouvaient être qu’en courants continu et monophasé, alors qu’il n’en est rien a priori. C’est parce que la France s’est dotée de deux systèmes ayant ce type de courant que la majorité des locomotives polycourant sont des bicourant continu + monophasé, mais on aurait pu très bien avoir deux types de courants différents comme, par exemple, deux tensions en courant continu avec des locomotives 1500/3000 v si Paris-Lyon avait été électrifié en 3000 v continu comme prévu.
Mais il est vrai que, si ce cas avait existé, le 1500 v peut être considéré comme un sous produit du 3000 v ne demandant qu’une possibilité de mise en série de moteurs 1500 v pour le fonctionnement sous 3000 v. Il n’y aurait pas eu les difficultés techniques de l’existence à la fois du monophasé et du continu demandant un redresseur.
La pénétration d’engins moteurs français sur le réseau belge en tête de trains rapides Paris-Bruxelles, ou Paris-Bruxelles – Amsterdam est rendue nécessaire par l’accroissement très rapide du nombre des déplacements d’hommes d’affaires et de fonctionnaires sur ces relations durant les années 1960 quand l’Europe commence à se mettre en place effectivement.
En 1961 la SNCF met en service deux locomotives, les BB-20004 et 20005, qui deviendront les BB-26001 et 26002 avant d’être plus logiquement numérotées BB-3000l et 30002, le «3» initial désignant la formule tricourant. Dérivées des BB-9400, dotées de deux moteurs 3000 v, et ne pesant que 68 tonnes, ces deux locomotives s’avèrent insuffisantes devant le succès des trains : elles ne peuvent guère remorquer que 400 tonnes, pas plus. Leur remplacement devient nécessaire, mais en les remplaçant, la SNCF, très ouverte, à l’époque déjà, sur l’Europe et ses potentialités de trafic en service voyageurs, songe à beaucoup plus qu’une nouvelle tricourant, et met à l’étude une quadricourant de haut niveau de performances. N’oublions pas que cette catégorie relativement invisible des tricourant a été, récemment, remise à l’ordre du jour par les BB-37000 apparues en 2004, mais qui sont bicourant et tri-tension, donc assez difficiles à situer….
En ce qui concerne les “tricourant” (qu’il nomme des “tri-tension”) Alain Jeunesse nous fait remarquer d’une manière très intéressante et documentée qu’il faut évoquer “la BB36000 (qui n’est pas une machine Cossié, mais une machine Alstom) qui répond au même cahier des charges que la BB26000 sauf qu’elle doit aussi admettre le 3000 V Belge d’abord, puis le 3000 V italien en suite. Les belges et les luxembourgeois en ont déduit les T13 et la série 3000. Aujourd’hui les schémas de puissance pour un engin multi-tension sont simples. La plus grande difficulté réside dans la multiplication des équipements de sécurité exigés par les différentes administrations. Les Belges ont été capables d’accepter la TVM430 franco-française et d’ans modifier les usages sur Bruxelles-Lièges. Les italiens changent les fréquences de travail de leur transmission voie-machine. Pour le TGV M, alors qu’il est mis en rame donc construit, ils viennent d’imposer l’utilisation d’un seul pantographe en 3000V“.

La locomotive quadricourant et le 240 km/h annoncé (1964).
Si la locomotive tricourant fait un passage assez discret dans l’histoire de la traction électrique de la SNCF (en attendant, sous une toute autre forme, l’existence de rames TCV tricourant destinées à un autre usage), la très remarquée et médiatisée locomotive quadricourant type CC-40100, que la SNCF lance en 1964, mérite une étude plus approfondie dans la mesure où elle a concrétisé un espoir de traction européenne qui fut déçu.

Construites par Alsthom, ces 4 magnifiques locomotives type CC (la série sera ultérieurement complétée de 6 autres) pèsent l08 tonnes et disposent de 3150 kW, puis de 4480 kW pour les suivantes, cette puissance remarquable leur autorisant une vitesse de 160 km/h ou de 240 km/h selon le rapport de réduction choisi. De ligne résolument futuriste avec leurs baies avant inclinées inaugurant un nouveau « design » SNCF qui aura une longue descendance, et de performances impressionnantes avec ce 240 km/h annoncé, ces locomotives sont très populaires et leur image devient très vite un symbole de vitesse et de renouveau du chemin de fer sur fond d’Europe en cours de construction.
« C’est la formule universelle. On n’en construira pas des quantités, écrit Marcel Garreau, mais il faudra bien y avoir recours pour réaliser certaines relations internationales sans pertes de temps aux frontières ou sans transbordements. » On notera que Marcel Garreau utilise le terme “universel” pour une locomotive polycourant, alors qu’en principe il avait demandé l’inscription de ce terme pour des locomotives aptes aussi bien au service voyageurs qu’au service marchandises.
Toutefois c’est bien la définition même du service attendu de ces locomotives, et, effectivement, leur nombre ne dépassera pas la dizaine. L’exemple de la locomotive quadricourant vient de la Suisse où circule, depuis 1961, une rame automotrice capable d’accepter 4 natures de courant : le 3000 v italien, le 15000 v monophasé 16 2/3 Hz suisse, le 25000 v monophasé 50 Hz français, et le 1500 v continu français ou hollandais.
La DETE de la SNCF étudie, avec Alstom, une locomotive quadricourant de préférence à une rame automotrice dans la mesure où le train classique tracté offre plus de confort pour ces relations à clientèle de haut niveau, et où l’expérience de rames auparavant s’est prouvée comme peu prisée par cette clientèle avide d’autre chose qu’un confort spartiate type aviation.
Ces locomotives sont conçues, schématiquement, sous forme d’une locomotive à courant continu comportant seulement une sous-station de conversion monophasé/continu pour la circulation sous une caténaire alimentée en courant monophasé. Sous une caténaire alimentée en 3000 v continu, les moteurs, qui sont conçus pour le 1500 v continu, fonctionnent en série par paires. Longues de 22,03 m, pesant 107 t, ces locomotives donnent 3 670 kW, pour les 4 premières, puis 4480 kW pour les 6 suivantes. La caisse est en acier soudé, et le poids par mètre est inférieur à celui de la caisse des CC-7100 (710 kg contre 906 kg). Les bogies n’ont qu’un moteur de traction entièrement suspendu, disposé transversalement au dessus. L’effort moteur est transmis aux trois essieux moteurs par une chaîne de 12 engrenages. Le changement de rapport de réduction est effectué à l’arrêt, mais permet aussi, en cas de besoin, d’isoler mécaniquement un moteur même en marche. La transmission aux roues se fait par un système de biellettes et de Silentblocs Alsthom. La locomotive est munie de tous les appareils de sécurité correspondant à ceux des réseaux traversés : français, belge, allemand et suisse, ces deux derniers utilisant un système par capteurs magnétiques Indusi ou Integra. Le freinage, pour terminer la sommaire description de la partie mécanique, se compose d’un système sans timonerie comportant des blocs-freins à cylindre, levier amplificateur, rattrapage d’usure et porte semelle intégrés.
Pour la partie électrique, les pantographes méritent une description dans la mesure où ils montrent à quel point les frontières électriques sont difficiles à franchir, car même pour eux, il y a des normes précises pour ce qui est des archets : archets unifiés SNCF, et les 4 types unifiés utilisables sur les réseaux suisse, italien, allemand, autrichien, belge et hollandais. Quatre pantographes sont montés sur la toiture, et pour en simplifier l’utilisation, un commutateur tournant est placé devant le conducteur. Ce commutateur comprend 4 positions correspondant aux 4 natures de courant et avec les indications des réseaux les utilisant. Une fois le réseau et le courant sélectionné, le pantographe correspondant est présélectionné. Ce dernier ne s’élèvera qu’après le report de la manette de commande sur le commutateur proprement dit du pantographe et sa manœuvre , et si le disjoncteur monophasé est ouvert. Dès que le pantographe touche la caténaire, une dispositif dit de palpage agit sur les relais contrôlant les divers commutateurs de la locomotive. Une fois ceux-ci occupant une position correcte correspondant à la nature du courant palpé sur la caténaire, le conducteur peut fermer le disjoncteur monophasé ou continu (d’après l’article d’André Cossié et Roland Leberrigaud : « Les locomotives quadricourant CC-40101 à 40104 » RGCF. novembre 1964).
Un transformateur-redresseur d’un poids de 10,95 t assure, avec un gain de poids sur les équipements habituellement très lourds en 16 2/3, l’alimentation des deux moteurs de la locomotive tout en respectant le poids total par essieu admissible. Le redresseur principal comprend 336 diodes au silicium couplées. Les moteurs de traction sont du type dit double avec deux induits accouplés et deux inducteurs logés ensemble dans une carcasse unique. Chaque moteur double peut fournir 1835 kW en régime continu et accepter jusqu’à 1930 kW en régime unipolaire. La totalité de l’équipement est, en fait, à courant continu.
Véritable « locomotive de l’Europe » avant l’ère, cette locomotive est bien conçue pour son rôle, et les futurs TGV quadricourant qui parcourront l’Europe du Nord vers la fin des années 1990 ne seront, avec 35 années de retard sur la CC-40100, que la concrétisation de la visée européenne qui, déjà, motivait les ingénieurs ayant étudié cette locomotive.



L’échec inattendu et tant regretté des CC-40100.
Et pourtant cette locomotive, pour l’ingénieur général André Cossié, n’a pas eu le succès qu’elle aurait du trouver, ceci pour deux raisons, l’un d’ordre technique, l’autre d’ordre humain.
La raison technique était un schéma d’inspiration BB-9200 pour le 3000 v (au lieu du 1500 v) avec un transformateur ayant toujours posé des problèmes de refroidissement (utilisation de l’hexafluorure de soufre, etc.), une partie mécanique trop complexe avec sa biréduction et ses crabots fragiles, et enfin un mauvais comportement en ligne. Mais ceci, comme tout problème technique, aurait pu être surmonté avec l’habitude des longues mises au point et des modifications dont les ingénieurs de la SNCF sont capables s’il le faut.
Il y eut aussi un problème humain : si les chemins de fer belges adoptèrent d’emblée la CC-40100 et même en construisirent d’identiques pour leur propre réseau en l’appelant série 18, les autres réseaux européens, hollandais, allemand et suisse, n’acceptèrent jamais vraiment cette locomotive avec tout ce qu’elle comportait de suprématie française affichée. Et le plus fort refus, le plus net même, fut le fait des chemins de fer allemands, toujours en très forte concurrence avec les chemins de fer français sur le plan mondial pour ce qui est de la vente de matériel européen. Le refus allemand a certainement entravé l’essor ferroviaire de cette série de locomotives qui se limitera toujours à des Paris-Bruxelles en tête de trains rapides en 1995, et vit là ses derniers roulements. Une d’entre elles a été préservée et se trouve à la Cité du Train-Patrimoine SNCF de Mulhouse.
Toutefois, notons, avec Alain Jeunesse qui est un éminent spécialiste de la traction électrique, que, à cette époque, les frontières électriques ont bien été franchies en Europe et que “quelques engins bi-fréquence passent de France vers l’Allemagne et vers la Suisse (BB20100, BB20200, E181), mais aussi quelques machines polycourant traversent la frontière franco-belge ( BB30000, CC40100, série 15, 16 et 18 par exemple).




Le grand retour des automotrices électriques polycourant.
Tout autant que celui des locomotives, le monde des automotrices fait, lui aussi, sa révolution en faveur du polycourant. L’électrification de la banlieue nord en courant monophasé, effectuée dès 1958, est l’événement qui crée la rame automotrice en courant monophasé, et prépare implicitement la question de l’automotrice bicourant. L’interconnexion Nord-Sud du RER-B demande un matériel bicourant Z-8800 construit à partir de 1983.
Les anciennes séries monocourant des Z-1400, 1500, 3700, 4100, 5100, 7100, ou les plus récentes 8800 disparaissent pendant les années 1990-2000 et laissent la place aux nouvelles générations comme les Z2 qui apparaissent dès les années 1980 avec les Z-9600 et Z-20500 qui apportent, avec elles, la facilité et la souplesse du système bicourant.
Le TGV, qui est, ne l’oublions pas, une automotrice, apporte avec son extension de dimension nationale à partir des années 1980 la nécessité du matériel polycourant, toutes les rames TGV étant pour le moins bicourant et devant, dans un très grand nombre de cas, passer du courant continu au monophasé en cours de route. Mais aussi le TGV génère, pour ses nombreux parcours de prolongement en correspondance, la présence d’automotrices d’un nouveau type capables d’assurer ces parcours avec un même niveau de confort : ce sont les Z à deux caisses Z+ZRx 7300, 7500, 9500, 9600 et 11500. Les régions se dotent de Z-23500 puis 21500 à trois caisses. L’automotrice aura ainsi, pour le 21e siècle, marqué sa domination dans le domaine du transport des voyageurs.



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