Pour le PSG : le char à voile, certes, mais ferroviaire.

Prenons au sérieux, les historiens sont toujours des gens sérieux, la plaisanterie récente faite par une personne du PSG qui « a fait le buzz » en disant que cet honorable association étudiait une possibilité de faire tous ses déplacements en char à voile au lieu d’un avion privé. On peut,et l’on doit, dans la tradition qui fait l’originalité de ce site « Trainconsultant », dire qu’il y a eu mieux que le char à voile : le char à voile ferroviaire. En effet, roulant sur des rails donc demandeur d’une énergie en quantité dérisoire mais capable d’atteindre et de conserver des vitesses élevées, le char à voile ferroviaire a été utilisé et pratiqué en des temps lointains où l’on savait admettre que nécessité fasse loi.

Un des nombreux essais d’utilisation du vent comme force motrice, décuplée par la faible résistance au roulement de la voie ferrée. Cette photographie semble avoir été prise en Angleterre, vers la fin du XIXe siècle.

Le chemin de fer et le vent : un vieux problème.

Vents de l’histoire, vent de la célébrité, tout cela c’est du vent… mais les trains, eux, ont eu à affronter, dès les années 1830, de sérieux problèmes posés par les vents, les vrais, ceux qui soufflent, et si les vents traversiers viennent un peu chatouiller le nez et les flancs du TGV, comme il en est question dans ce numéro de la RGCF, ils ont réussi à arrêter, même à renverser, les trains de nos aïeux. Le problème est posé dès les premiers tours de roue des locomotives à vapeur.

Le vent est une force motrice très ancienne, et son utilisation se perd dans la nuit des temps, avec les moulins, d’une part, et, d’autre part,  la navigation. Le rendement est faible, et, surtout, inégal dans le temps puisque les vents sont irréguliers et changeants et, en matière de navigation, il faut parfois rester « en panne » et attendre le vent pendant des jours, ou même des semaines. Il n’était pas rare de voir un navire, même un beau voilier du XVIIIe siècle partant commercer aux Indes, quitter fièrement et majestueusement les quais, doubler la jetée, toutes voiles dehors, et passer, honteusement, quelques jours immobile à quelques encablures au large, faute de vent, sous les regards moqueurs ou désabusés des affréteurs postés sur la jetée du port avec des longues-vues.

La navigation à vapeur trouvera sa rentabilité surtout dans l’affranchissement par rapport aux caprices des vents, garantissant enfin des dates de départ et d’arrivées plus certaines, ne variant que de quelques jours tout au plus, faisant oublier les semaines et les mois d’incertitude du temps de la voile.

Le vent, logique pour la vitesse sur rail ? 

Les ingénieurs des chemins de fer utilisent sans autre choix la vapeur, au moins pour les mêmes raisons de certitude des horaires, même si la puissance de traction des premières locomotives est dérisoire, mais est grandement aidée par la facilité de roulement sur les rails. Fournissant à peine 10 ou 15 chevaux-vapeur, les premières locomotives de Stephenson, au début des années 1830, enlèvent des trains pesant la centaine de tonnes, chose absolument inespérée sur la route parce que le rail réduit considérablement les frottements, et cette qualité du chemin de fer restera sa grande force.

Mieux, même : l’augmentation de la vitesse n’engendre, sur le rail, qu’une augmentation très réduite des frottements, alors que sur la route, et pis encore sur l’eau, la vitesse se fait payer très cher. La grande vitesse du vent, sur la mer, n’augmente guère celle des navires, retenus par la viscosité de l’eau, et même brise les mâts si l’on n’a pas réduit à temps la voilure. C’est pourquoi certains ingénieurs des chemins de fer ont pensé à utiliser le vent pour permettre de rouler à grande vitesse sur les rails, alors que les navires ne peuvent en profiter.

Document paru dans l’ « Illustration » de 1935. Aux États-Unis, en 1829 et 1830, un wagon à voiles circule en roulant sur une voie classique entre Charleston et Hamburg, sur le South Carolina Railroad. Menés par d’éminents universitaires, ces essais se terminent plutôt mal – mais il faut risquer sa peau pour la science quand on veut gravir les durs escarpements du savoir. En effet, lancé à 24 km/h, le wagon perd son mât et la voile part dans les champs en entraînant plusieurs universitaires avec elle qui se retrouvent le nez dans l’herbe. Se reconvertiront-ils à la botanique ?

Les recherches universitaires ne produisent pas que du vent…

Il semble que ce soit surtout aux États-Unis que l’on ait cherché, pendant les années 1830, à utiliser le vent comme mode de traction ferroviaire. La persistance de vents réguliers et puissants, orientés dans une direction dominante à longueur d’année encourage des « chercheurs » de l’université de Hays City, dans le Kansas, à équiper un wagon plat d’un mât et d’une voile. Un dessin d’époque, connu, montré en tête de cet article, permet de les voir en train de poser, condamnés à une pose plus longue que prévue par l’absence totale de vent en milieu de journée… on peut supposer qu’ils n’étaient pas soumis, d’une manière trop traumatisante, à l’obligation de résultats.

Mais les chercheurs de Hays City ont été précédés de tentatives, au moins envisagées sur le papier, par des ingénieurs du Pays de Galles visant à utiliser le monorail de Palmer en dotant tous les wagons de voiles. Quelques gravures d’époque attestent au moins l’idée, sinon le fait réel. En effet, le système Palmer, du nom d’un ingénieur anglais, se fait connaître, vers 1830, par son monorail apte à une installation économique et facile en terrain accidenté. Palmer propose de faire rouler des trains sur un rail unique au lieu de deux, ce qui donne une voie plus étroite, plus légère, donc plus facile et plus rapide à poser. Ce rail unique est surélevé, posé sur une succession de chevalets verticaux. Il suffit donc, en fonction des déclivités du terrain, de prévoir des chevalets de hauteurs différentes. Des chemins de fer Palmer sont utilisés notamment lors des travaux des fortifications de Paris ou de l’aménagement du Bois de Boulogne, ou pour les besoins d’une briqueterie en Angleterre.

Dessin primitif représentant le système anglais Palmer. Années 1830. Un « Aérotrain », mais vraiment à air, en somme ?

L’insuccès était forcément au rendez-vous, car si l’on pouvait escompter la vitesse, la force de traction restait minime. Les caprices de la météo rendaient fort improbable tout progrès. On était loin de progresser jusqu’à un TGV actuel à vingt mâts cinglant toutes voiles dehors, mais avec des retards dégageant toute responsabilité de la part de la SNCF et surtout de tout remboursement…

Le vent de face, ennemi déclaré du train.

Le vent de face, lui, se chargera bien de jouer aux trains les mêmes tours qu’il joue aux diligences, retardant et même paralysant le déplacement. Effectivement, si la puissance des locomotives augmente avec les progrès techniques considérables faits pendant les premières décennies des années 1830 à 1870, la demande de vitesse exercée auprès des compagnies entraîne la mise au point de locomotives de vitesse, des « coureuses » à très grandes roues comme les Crampton, qui se trouvent pratiquement dans la même position que les cyclistes contemporains, juchés sur leur « Grand Bi », et incapables de remonter le moindre vent. La vitesse, obtenue par les grands diamètres des roues, sans augmentation de la puissance et avec diminution du couple, devient très sensible à la moindre contrainte, comme une rampe même très faible, et surtout un petit vent de face.

C’est surtout la vallée du Rhône, avec son redoutable vent dénommé « Mistral », qui pose de graves problèmes pour les trains du PLM. Les trains peuvent même être arrêtés en pleine voie, et les ingénieurs du PLM mettent au point de véritables étraves disposées sur la porte de la boîte à fumée pour couper le vent comme l’étrave d’un navire fend les eaux : les locomotives deviendront très populaires sous le nom de « Coupe-vent », et l’ensemble des fabricants de trains-jouets de la Belle Epoque feront des « Coupe-Vent », même les marques allemandes, tellement la locomotive est mythique.

C’est le début de ce que l’on appelle l’aérodynamisme, et les ingénieurs apprendront à en respecter les lois. Les critères de l’aérodynamisme viendront même à habiller, sans que cela soit totalement utile, les trains carénés américains et européens des années 1930 pour des raisons de design et de publicité en faveur des compagnies.

Mais ces carénages, même s’ils permettent de réduire de 10% la consommation de charbon du fait de la réduction de l’effort de pénétration dans l’air, posent des problèmes d’accès difficile pendant la maintenance, et provoquent des chauffages (notamment dans le mécanisme) du fait de la suppression de la ventilation naturelle due à la course. Le vent n’était donc pas totalement un ennemi, du moins pour la locomotive à vapeur, puisqu’il contribuait à un équilibre thermique.

La fameuse locomotive dite « Coupe-Vent » du PLM est mise en service à la fin du XIXe siècle pour lutter contre le mistral qui parvenait à ralentir et même arrêter les trains remontant la vallée du Rhône entre Marseille et Lyon. Les surfaces modifiées sont l’avant de la boîte à fumée et des dômes du corps cylindrique, et l’avant de l’abri de conduite.

Le vent traversier : ennemi plus discret mais plus sournois ?

Les ouvrages techniques anciens et les articles de la RGCF du passé ne font pas allusion à des problèmes posés par des vents traversiers : il semble que les vents traversiers n’ont pas exercé des effets tels que les ingénieurs aient eu à s’en occuper. Et  pourtant les cas de trains renversés par des vents traversiers sont relatés dans la presse, notamment à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe, quand on construisit partout des lignes à voie étroite pour la desserte des campagnes. Ces trains ont un gabarit qui peut atteindre 2,50 mètres en largeur en voie métrique, et 1,60 mètres en voie de 60, tandis que la voie de 760 mm que l’on trouve surtout en Europe centrale autorise un gabarit pouvant atteindre 2 mètres en largeur. Pratiquement, ces trains ont une largeur qui est deux à trois fois supérieure à celle de l’écartement. Cette surlargeur ne pose guère de problème en service courant, car les vitesses sont modérées, mais s’il y a un affaissement de la voie créant un dévers accusé ou un coup de vent violent, le versement est assuré.

Les trains grandes lignes, roulant jusque pendant les années 1950, à un sage 120 à 140 km/h, formés de matériel très lourd, ont rarement à craindre les effets du vent traversier, et les cas d’accident rapportés semblent être rares. Toutefois il est intéressant de constater que la pratique du « double stack » aux Etats-Unis, consistant à superposer deux conteneurs sur des wagons spécialement aménagés, a entraîné des versements dus aux vents traversiers, même à l’arrêt.

Les effets d’un vent traversier sur un train circulant paisiblement en Allemagne, dans les années 1950, et en voie de 750 mm. La synchronisation du mouvement de versement des voitures est parfaite : en Allemagne on fait les choses avec ordre et méthode.

Du vent pour les voiles, mais pas pour la ponctualité.

Le vent n’a jamais été employé comme mode de traction, du moins couramment, dans le monde des chemins de fer. Certes, il offre, comme on le voit avec les chariots à voile, de grandes possibilités de vitesse. Mais il est irrégulier, capricieux, et il demande de trop grandes surfaces pour le capter, les voiles ne pouvant, déployées, entrer dans le gabarit ferroviaire, risquant d’accrocher les signaux, les tunnels (où le vent ne souffle guère), ou les verrières des gares.

On imagine mal des dizaines de TGV attendant, toutes voiles dehors, qu’un vent favorable daigne se lever et souffler, avec assez de puissance, et dans le bon sens, pour que l’on puisse démarrer… Il est vrai, pourtant, que le vent est la plus ancienne source d’énergie mécanique directement utilisée par l’homme car elle se présente spontanément, d’une manière directement utilisable et avec peu de moyens, comme une peau ou un tissu tendus. L’eau est ancienne mais demande, pour produire un effort mécanique, l’existence de la roue du moulin, des arbres de transmission, et des engrenages de démultiplication. La voile est une application encore plus ancienne liée à l’énergie directement apportée par le vent et les origines de la voile se perdent dans la nuit des temps.

En conclusion : tout espoir n’est pas perdu pour le PSG puisque des essais récents ont été faits dans le Cantal. Doc. La Montagne.

Nous remercions Patrick Laval qui nous signale et nous permet d’ajouter ce que nous ignorions : qu’il a existé un chemin de ce genre, sur voie étroite, dans les îles Malouines (ou Falklands) qui aurait fonctionné entre 1915 et 1922.

Le “Camber Railway” des îles Malouines, en service entre 1915 et 1922. Les voyageurs, dignes, raides et britanniques et dont les pieds reposent sur le sol à l’arrêt, doivent être invités à lever leurs jambes, au moins pour faire contrepoids !

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