Cinq gares Saint-Lazare se succèdent pour en faire une.

La gare Saint-Lazare est la plus ancienne gare de Paris, et, historiquement, la plus riche et la plus passionnante, car elle révèle beaucoup de mystères et d’exceptions, elle a eu une longue et mouvementée histoire dictée par la vitesse de l’évolution technique du chemin de fer des débuts. La gare actuelle n’est pas du tout celle qui était la tête de ligne Paris-St-Germain inaugurée en 1837, sous la forme de ce que l’on appelait alors un « embarcadère » – ce terme désignant, à l’époque, les quais de départ d’une gare, le « débarcadère » étant réservé à l’arrivée selon le principe d’une séparation très nette des bâtiments, quais et emplacements dédiés. Cette toute première gare, dotée seulement de six voies à quai, est une gare provisoire qui regroupant la ligne de Saint-Germain et celle de Versailles, chacune ayant deux quais et deux voies.

Elle devait occuper une position plus centrale dans Paris, et on pensait à la place de la Concorde, ou à celle de la Madeleine, mais le problème de l’accès, qui aurait envahi la belle rue de la Paix ou la tout aussi belle rue Tronchet avec un viaduc posé dans l’axe de la chaussée, fit que ce projet échoua. C’est ainsi que le quartier des affaires, des banques, des grands magasins, se réalisera dans l’espace actuel et en fera la fortune.

Mais la vie de cette gare sera loin, fort loin, d’être un fleuve au long cours tranquille. L’interminable processus de remaniement et d’agrandissement de cette gare commence dès 1843 lors de l’ouverture de la ligne de Paris à Rouen, et il faut bien loger tant bien que mal cette compagnie de Rouen dans une gare non encore terminée. Cette nouvelle venue, apparemment très procédurière, fait valoir ses droits par une action en justice pour obtenir un groupe de six voies indépendantes. La gare est à nouveau profondément remaniée entre 1852 et 1854 pour mieux loger la nouvelle compagnie de l’Ouest née de la fusion des compagnies de Saint-Germain, de Rouen, du Havre, de Cherbourg, et de l’Ouest primitif : on enlève 170 000 m3 de déblais pour agrandir la gare au détriment de la rue de Stockholm et au prix d’un second tunnel sous la place de l’Europe. La gare est, en ce milieu du XIXe siècle, la plus active du continent européen et elle est, on l’a oublié, la grande gare mythique parisienne de l’époque brillante du Second empire, temple reconnu du progrès et de la civilisation industrielle – autant de valeurs sûres aujourd’hui flétries.

A nouveau entre 1862 et 1867 on entame d’autres travaux, cette fois pour occuper tout l’intervalle entre la rue d’Amsterdam et la rue de Rome qui a été percée en 1856. Le bâtiment de la gare se compose alors d’une simple façade et d’une verrière, et comporte douze voies à quai grâce à l’espace disponible d’une rue à l’autre, et c’est bien cette gare-là que peint Monet en 1876. On perce, à l’époque, un troisième tunnel sous les Batignolles pour le passage des voies de la ligne d’Auteuil et la place de l’Europe, avec ses tabliers métalliques enjambant les voies, prend son visage que nous connaissons actuellement.

Mais ce n’est pas fini : à partir de 1885 et jusqu’en 1889 une très importante reconstruction est entreprise pour donner les grands bâtiments actuels formant une immense façade unique allant de la cour du Havre à la cour de Rome et englobant l’hôtel Terminus. Le nombre des quais est passé de dix-neuf à vingt-cinq.

En 1907 un projet de gare souterraine est mis au point, mais, en fin de compte, la solution du report de l’excédent de trafic sur les gares des Invalides et de Montparnasse est retenue, du fait de la gêne créée par la vapeur dans une gare souterraine et de l’incommodité de l’exploitation d’une gare à deux niveaux. Il faut aussi dire que, en 1909, la compagnie de l’Ouest, malgré sa grande étendue et son réseau desservant l’ouest de la France, est en faillite et que l’Etat rachète le réseau et l’ajoute à sa propre compagnie, la compagnie de l’Etat, déjà créée en 1878, desservant la Vendée et d’autres petites lignes isolées en France. L’Etat, jusqu’alors, souffrait de ne pas avoir de “tête” à Paris, mais le rachat de l’Ouest en 1909 lui apporte d’un seul coup les trois gares parisiennes de Saint-Lazare, des Invalides, et de Montparnasse. La gare St-Lazare reste donc dans un état définitif et au niveau du sol, sans gare souterraine, tandis qu’une répartition plus équilibrée du trafic vers l’ouest de la France se fera désormais entre les trois gares ex-Ouest.

Concrètement, il faudrait parler au pluriel « des » gares St-Lazare, car « la » gare Saint-Lazare est bien née de la juxtaposition de plusieurs têtes de réseaux très différents ayant chacun leurs pratiques, et, aujourd’hui toujours, des différences de hauteurs de quais (voir ci-dessous le paragraphe consacré aux différences techniques) qui témoignent de ce passé. Donc les cinq gares ont formé un ensemble qui s’est métamorphosé en cinq étapes. Voici l’histoire de cette aventure peu courante.

Monet, amateur de gares en général et de celle-ci en particulier.

Avant d’aborder cette histoire, il est important de souligner qu’elle est un mythe éternel grâce à Claude Monet, le grand peintre impressionniste et qui est un des voyageurs habituels de la gare Saint-Lazare : non seulement il y prend le train pour Giverny, où il retrouve sa maison et son merveilleux jardin, mais aussi il peint avec passion cette gare et aussi d’autres sites ferroviaires. Né à Paris en 1840, Claude Monet expose au Havre en 1855 et à Rouen en 1856. En 1857 Monet retrouve Paris où il fait la connaissance d’autres peintres comme Pissaro, Renoir, Sisley. Il forme rapidement avec ses amis un groupe qui choisit de peindre en plein air et de traduire la réalité par des couleurs et des « impressions » très subjectives. Les tableaux que Claude Monet envoie dans les grands salons sont refusés. Il organise avec ses amis, en 1874, un “Salon des refusés” dans lequel il expose un tableau intitulé « Impression, soleil levant » qui sera à l’origine du terme « impressionnisme » et fera sensation. Il continuera à peindre à Argenteuil, à Paris, à Belle-Ile avant de s’installer, en 1883, à Giverny, dans l’Eure, près de Paris. Le succès arrive enfin avec ses grandes « séries » comme Les Peupliers, Les Meules en 1891, ou La Cathédrale de Rouen en 1892, ou, surtout ses « Nymphéas » de 1900 à 1926. Il meurt à Giverny en 1926.

Si Monet a peint de nombreux tableaux à thème ferroviaire (Train dans la campagne (1870), Un train arrêté dans la neige (1875), Le Pont de l’Europe (1877), Pont du chemin de fer à Argenteuil (1878), etc.), il a peint plusieurs tableaux représentant la gare Saint-Lazare : on en compte jusqu’à huit. La « Vue de la Gare Saint-Lazare » est le plus connu, et il est exposé au Louvre, et correspondrait à l’état de la gare en 1876-1877 . Monet recherche particulièrement les effets de lumière crées par les panaches de vapeur ou les fumées, ou par les structures métalliques ajourées.

Le point exact où Monet a posé son chevalet dans la quatrième gare Saint-Lazare en 1876-1877. Le BV a fortement évolué et a reçu son aile hébergeant la salle des billets et donnant sur la cour en bas de la rue de Rome. L’ancienne entrée par la place du Havre est encore en service.
L’évolution de la gare vue en quatre étapes par les auteurs Lefèvre et Cerbelaud dans leur célèbre ouvrage “Les chemins de fer” (1888).. Ces dessins sont précis et exacts et permettent de bien délimiter les emprises et la nature de la gare difficilement insérée dans ce que l’on n’appelle pas encore “le tissu urbain”.

Alors : gare de banlieue ou grandes lignes ?

Un article sur la banlieue ouest et le rôle de la gare Saint-Lazare a déjà été publié sur ce site “Trainconsultant”. Retenons de cet article déjà ancien que cette gare est une gare de banlieue sans en être une, puisque ce terme n’existe pas encore à l’époque . On ne peut même pas dire qu’elle préfigure ce que seront les gares parisiennes desservant la banlieue : elle est certes la tête de la ligne de Paris à Saint-Germain, la première ligne ouverte au service public des voyageurs en France dès 1837, et qui sert beaucoup plus de « vitrine technologique » et de champ d’essais, mis en place par les fondateurs très avisés des premiers grands réseaux français. Beaucoup plus que la ligne de St-Germain, la réalité la plus profitable et la plus active est bien, comme toutes les gares parisiennes, un ensemble de grandes lignes partant en direction des grandes villes de la province, ici c’est le cas avec Rouen et Le Havre.

Ajoutons que la gare Saint-Lazare sera aussi une gare de grandes lignes, sans avoir, pour autant, des très grandes lignes à longue distance comme c’est le cas sur le PLM ou le PO. Pis encore : aujourd’hui toujours cette gare Saint-Lazare, qui semble tout avoir pour elle, souffre, dans son honneur, d’une grande frustration : c’est une gare sans TGV. Elle ne peut en espérer pour bientôt : c’est la gare des lignes courtes et denses, même pour les grandes lignes de Normandie dont elle est la tête. Pourtant elle a vu naître un train fabuleux qui préfigurait le TGV dès 1968-69: le très médiatique Turbotrain avec sa grande vitesse d’alors et ses horaires serrés réveillant la ligne de Caen et de Cherbourg et créant le chemin de fer rapide et efficace d’aujourd’hui.

Sans doute la plus ancienne photo de la gare Saint-Lazare, sinon prise sur le chemin de fer français; une Buddicom type 111 des années 1840 quitte la gare vers la fin de sa vie dans les années 1860 (la photographie n’étant pas encore une technique généralisée avant). On voit la composition du train faite avec des voitures archaïques, et aussi, en fond de décor, la gare de marchandises datant de 1854 alors placée en bas de la rue d’Amsterdam. Noter le charbon entreposé jusque parmi les voies de la gare, près des quais.

Toutefois, à partir des années 1880-1890, la gare Saint-Lazare voit se confirmer sa vocation de gare de banlieue car la hausse des loyers créée par la spéculation et les grands travaux de Haussmann se chargeront de chasser au-delà des fortifications l’ensemble de la population des ouvriers et des petits employés, et de les faire habiter dans des petits villages comme Argenteuil ou Nanterre, Gennevilliers ou Ermont, ou encore Maisons-Laffitte. C’est ainsi que, à partir des années 1910 et 1920, le réseau de l’Ouest et celui de l’Etat qui lui succède sont les champions de la banlieue parisienne et du transport de masse des travailleurs à visière et manches de lustrine qui, chaque jour, vont et viennent entre leur petit pavillon loi Loucheur et leur bureau où une carrière bien ordonnée se construit jour après jour.

Le banlieue ouest en 1908, à la veille du rachat par l’Etat. Les fameux “groupes” de Saint-Lazare sont représentés : I (vert), II (rouge), III (bleu), IV (vert pâle) En gris : les lignes des Invalides à Versailles R-G, et de Montparnasse. Voir notre article déjà paru sur ce site “Trainconsultant” et concernant la banlieue Ouest et Etat.

Comment cinq gares se succèdent, ou, plutôt, s’ajoutent les unes aux autres.

La première gare n’est pas construite à l’emplacement de l’actuelle, mais bien plus au nord, contre la place de l’Europe, occupant une grande partie de l’emplacement délimité par le haut de la rue de Londres, le haut de la rue de Rome, et la rue de Stockholm. Ouverte en 1838, connue sous le nom de « Gare de Saint-Germain », il ne reste plus rien d’elle aujourd’hui, et même les gravures représentant son BV de la rue de Stockholm sont rares tandis que le BV annexe de l’Europe est connu.

Ce que l’on sait de la première gare, dite “Gare de St-Germain”. Elle est en haut de la rue de Londres, sur la gauche, coincée entre la rue de Stockholm et la place de l’Europe.
Une intéressante vue montre le BV de la gare de Saint-Germain, rue de Stockholm, sur la droite, construit sur un ouvrage d’art permettant un petit prolongement des voies en direction de la rue Saint-Lazare. Sur la gauche, le bien connu mais provisoire BV annexe du pont de l’Europe en style “orangerie”. Au fond, la butte de Montmartre alors dans un aspect assez “sauvage”.

Cette gare primitive est complétée par un « embarcadère » complémentaire, construit à l’autre extrémité des quais, place de l’Europe, et qui est très connu aujourd’hui toujours grâce aux nombreuses gravures anciennes publiées dans les livres pour le grand public et qui en font volontiers le type de la première gare, avec son architecture à colonnades et grandes fenêtres inspirée des « orangeries » des châteaux : nous en donnons une illustration. Cet « embarcadère » de l’Europe n’a pas duré longtemps, et il semble que lors de l’installation de la gare Saint-Lazare à son emplacement actuel, en 1843, elle n’existe déjà plus.

Le BV annexe du pont de l’Europe. Son éphémère style “orangerie” sera repris pour la première gare du Nord à Paris, ainsi que pour les gares de Versailles.
Rare peinture montrant le BV du pont de l’Europe vu depuis l’intérieur du BV de la rue de Stockholm qui lui fait face.
L’extension de la première gare, dite de Saint-Germain, se fait d’une manière décisive en direction de la rue Saint-Lazare en 1843 en y mettant les moyens. Le BV de Saint-Germain disparaît, ainsi que celui du pont de l’Europe. La rue de Stockholm se transforme en pont passant par-dessus les voies. Doc. L’Illustration.

La deuxième gare est totalement différente : elle est construite ailleurs, plus près du centre de Paris, le long de la rue Saint-Lazare à l’époque de l’ouverture de la ligne de Rouen en 1843. Il faut bien loger tant bien que mal cette compagnie de Rouen dans une gare non encore terminée, mais elle est pratiquement oubliée, aujourd’hui, et rares sont les documents montrant son étroite façade et sa cour très resserrée entre les immeubles d’habitation.

Plan général de la deuxième gare Saint-Lazare, et première à se retrouver dans la rue Saint-Lazare. Les BV de la place de l’Europe et de la rue de Stockholm ont complètement disparu. La rue de Stockholm est devenue un pont qui ne durera pas.
Très rare photographie du BV de la deuxième gare, première à être dans la rue Saint-Lazare et donnant sur la place du Havre, avec sa très étroite et fort malcommode cour. Sur la gauche, l’impasse Bony, fermée par une grille, qui, logiquement pourra servir à désengorger la cour du BV sur laquelle elle donnera ultérieurement lors de l’extension créant la troisième gare.

La troisième gare nait d’un profond remaniement effectué entre 1852 et 1854 pour loger la nouvelle compagnie de l’Ouest née de la fusion des six compagnies de St-Germain, Rouen, du Havre, de Cherbourg, et de l’Ouest primitif: on enlève 170 000 m3 de déblais pour agrandir la gare au détriment de la rue de Stockholm et au prix d’un second tunnel sous la place de l’Europe. La gare est, en ce milieu du XIXe siècle, la plus active du continent européen.

La troisième gare reçoit sa salle des pas perdus et des guichets, et sa grande cour située en bas de la rue de Rome. L’impasse Bony est “débouchée” et sert d’accès, y compris par une rampe jusqu’à une cour débouchant aussi dans ce qui reste de la rue de Stockholm. Le tunnel sous la place de Rome est dédoublé. La rue de Stockholm est coupée en deux, donnant deux impasses. La rue de Rome traversera une des impasses, lui donnant donc une ouverture. L’autre impasse prendra le nom d’impasse d’Amsterdam.

La quatrième gare est une évolution, pour ne pas dire une reconstruction, de la précédente. A nouveau entre 1862 et 1867, on repart dans les travaux et les chantiers, cette fois pour occuper tout l’intervalle entre la rue d’Amsterdam et la rue de Rome qui a été prolongée en 1856 jusqu’à la rue Saint-Lazare, en direction du centre de Paris. Le bâtiment se compose alors d’une simple façade et d’une verrière, et comporte douze voies à quai grâce à l’espace disponible d’une rue à l’autre, et c’est bien cette gare-là que peint Monet en 1876. On perce, à l’époque, un troisième tunnel sous les Batignolles pour le passage des voies de la ligne d’Auteuil et la place de l’Europe, avec ses tabliers métalliques enjambant les voies, prend son visage que nous connaissons actuellement.

Enfin la quatrième gare occupe pleinement le polygone formé par les rues Saint-Lazare, de Rom, de Londres et d’Amsterdam. L’avant-gare est très fonctionnelle avec ses abondantes aiguilles et les plaques tournantes battent en retraite.

La cinquième gare est donc l’actuelle, ce qui ne veut pas dire qu’elle ait été stabilisée pour autant, car elle est l’objet de travaux et de remaniements constants pendant toute son existence et jusqu’à aujourd’hui. Et ce n’est pas fini…

A partir de 1885 et jusqu’en 1889, une très importante reconstruction est entreprise pour donner les grands bâtiments actuels formant une immense façade unique allant de la cour du Havre à la cour de Rome et comprenant aussi l’hôtel Terminus. Le nombre des quais est passé de 19 (13 banlieue + 6 grandes lignes) à 25 (16 banlieue + 9 grandes lignes) et 7 voies de service.

Enfin la cinquième gare clôt l’évolution avec la disparition des plaques tournantes notamment. Nous sommes à la fin du XIXe siècle et il s’agit surtout d’un habillage en pierre de taille donnant une façade monumentale dont le Paris des Expositions universelles a grand besoin. L’hôtel terminus, très contesté à l’époque, vient occuper un espace disponible devant la façade, entre les deux cours de Rome et du Havre. Les noms des rues changent : Berlin cède la place à Liège et St-Pétersbourg à Pétrograd, tandis que Budapest apparaît…..Doc. L’Illustration.
La gare du Havre, achevée, vue dans les années 1935-1936..
L’hôtel Terminus vu dans les années 1910, masquant en grande partie la façade de la gare. Paris inaugure ses autobus à plate-forme.
La salle des pas perdus en 1934. Les guichets sont sur la droite et des couloirs donnent un passage direct jusqu’aux quais. Dominant le tout, les fameuses fermes Polonceau, toujours en service aujourd’hui, rigidifient la toiture.

La gare des différences techniques.

Faut-il dire « la » gare Saint-Lazare ou « les » gares Saint-Lazare ? Techniquement, elle est bien plusieurs gares en une, née de la juxtaposition de six têtes de réseaux très différents, ayant chacun leurs pratiques. Aujourd’hui toujours, des différences de hauteurs de quais témoignent de ce passé: les voies dites du « Groupe II » aboutissent à Versailles et Marly et ont des quais hauts, par exemple, tandis que les voies dites du « Groupe III » aboutissent à Poissy et ont des quais bas. Il a donc toujours fallu prévoir des rames comportant un emmarchement adapté aux hauteurs des quais, et même les longueurs des voitures actuelles doivent être celles des anciennes rames Etat pour ne pas engager le gabarit en courbe, surtout avec les quais hauts.

On imagine la difficulté des travaux, car il ne peut être question d’interrompre un seul instant un trafic de banlieue aussi intense : il faut donc faire coexister les deux systèmes pendant un temps transitoire. Mais aussi, pour l’électrification par caténaire, il faut dégager ce que l’on appelle le « gabarit électrification », c’est-à-dire surélever l’ensemble des ponts et passages supérieurs, mais aussi abaisser la plate-forme de la voie dans les tunnels.

C’est aussi la gare des différences en ce qui concerne les modes de traction qui, souvent, cohabitent pendant des décennies : traction vapeur en grandes lignes et en banlieue, traction électrique en banlieue par troisième rail, puis traction électrique par caténaire, mais aussi la traction diesel vient affirmer sa différence et, mieux encore, la traction par turbines à gaz fait de cette gare sa première vitrine innovante.

La gare des différences avec son troisième rail sur certaines lignes et pas d’autres, mais aussi la traction vapeur en son temps, puis le diesel et la turbine, la gare Saint-Lazare a toujours accepté la diversité.

La tranchée des Batignolles : temple de la passion ferroviaire parisienne.

Le plus célèbre point de vue ferroviaire parisien, le passage obligé, le lieu des vocations naissantes, le chemin des illuminations divines et des conversions définitives, bref…la tranchée des Batignolles croule sous les qualifications élogieuses et s’il avait été omis dans cet article, l’auteur aurait été, à jamais, banni du milieu des amateurs de chemins de fer…

Après l’ouverture de la ligne Paris-Saint Germain en 1837 et l’établissement d’un terminus provisoire place de l’Europe, la gare Saint Lazare est établie comme terminus définitif de la ligne en 1842 sur un site déjà très urbanisé qui limite la place des emprises ferroviaires et interdit tout agrandissement ultérieur. Le faisceau de voies doit fusionner, dès la sortie de la gare, pour s’engager sous la place de l’Europe en tunnel: quatre voies seulement peuvent passer sous la place de l’Europe en deux tunnels parallèles. C’est la naissance du fameux goulot de Saint Lazare.

Rare document montrant le premier tunnel sous la place de l’Europe. Au fond: le tunnel des Batignolles. Sur la gauche : le poste télégraphique est déjà installer. Le plus grand progrès en matière de signalisation et de sécurité est enfin possible grâce à l’électricité.

De l’autre côté du tunnel, le goulot se prolonge dans la tranchée dite des Batignolles, et cette tranchée ne peut s’élargir qu’au-delà du Pont Cardinet où la place permet l’établissement du dépôt des Batignolles, les remises de Clichy. Le va et vient des locomotives quittant ou regagnant le dépôt se fait aussi dans la tranchée, sur les voies principales grandes lignes, et vient s’ajouter à un trafic banlieue et grandes lignes déjà très important à la fin du XIXe siècle.

En 1867 le tunnel de la place de l’Europe disparaît au profit du pont en « étoile » à 6 branches actuel, et il est possible d’élargir le faisceau de sortie de la gare sous le pont. Mais il reste, sous la rue de Rome, un autre tunnel double. On perce alors un troisième tunnel double sous la rue de Rome, et il est possible, désormais, de faire passer 6 voies dans la tranchée.

L’évolution de l’avant gare, avec le très intéressant site des Batignolles, vu par la SNCF en 1938. Les gares grandissent surtout par leurs avant-gares car les problèmes d’encombrement ou de saturation se jouent plutôt que sur les voies à quai.

Dès 1885 la gare Saint Lazare est, de très loin, la plus importante de Paris par son trafic de l’ordre de 24 000 000 de voyageurs en totalité pour l’année, dont 20 000 000 pour la banlieue. A titre de comparaison, la gare du Nord et celle de l’Est totalisent chacune  7 000 000, la gare Montparnasse 4 000 000, tandis que la gare de Lyon est à 3 000 000 et celle d’Orléans à seulement 2 500 000. Le problème est: comment faire passer ce fleuve par l’étroite tranchée qui n’a que 6 voies ?

Le résultat est que, à la grande joie des enfants (réellement enfants, ou tout aussi prolongés comme l’auteur de ces lignes….), la tranchée des Batignolles offre, depuis les années 1880, le plus fantastique spectacle ferroviaire du monde avec des trains grandes lignes ou banlieue se succédant en permanence, avec, en prime, des locomotives à vapeur en train de manœuvrer: à chaque seconde, du petit matin jusqu’à très tard le soir, il se passe quelque chose!

Les travaux de 1909 dans la tranchée.

La tranchée est saturée: les trains se bousculent, se retardent les uns les autres. Les aiguilleurs courent d’un levier à un autre dans la cabine d’aiguillage, tirant de toutes leurs forces sur les leviers d’aiguille tandis que les sonnettes tintent. Il faut ajouter des voies complémentaires.

La compagnie de l’Ouest devenue réseau de l’Etat avait pour projet d’établir deux voies nouvelles entre Paris et Bécon-les-Bruyères, ce qui permettra de séparer complètement le trafic banlieue Paris-Saint Germain de celui de la grande ligne Paris-Le Havre. En outre deux voies de service seront créées entre le tunnel des Batignolles et les remises de Clichy, complétées par un passage souterrain sous les voies principales les réunissant au dépôt des Batignolles, ce qui dégagera les voies principales de tous les allers et retours de matériel vide et de locomotives.

La réalisation se fait d’une manière assez audacieuse en élargissant la tranchée sous la rue de Rome: celle-ci est donc conservée, mais se retrouve en encorbellement grâce à des supports en béton armé faisant saillie en porte-à-faux par-dessus les voies, ceci sur environ 7 mètres.

On voit, au fond, le creusement sous la rue de Rome qui, de ce fait, se retrouve en “encorbellement” surplombant les voies. Doc. RGCF.

La tranchée des Batignolles prend donc, dès la veille de la Première Guerre mondiale, son aspect actuel. En direction de la province, on compte, de gauche à droite:

  • Deux voies groupe I direction Auteuil, voies qui se séparent des autres à la sortie de la tranchée au niveau de la station Pont Cardinet.
  • Deux voies groupe II direction Versailles (banlieue) et la Bretagne (grandes lignes)
  • Deux voies groupe III direction Saint-Germain (banlieue)
  • Deux voies groupe IV direction Normandie (grandes lignes)

Les groupes II et III restent parallèles jusqu’à Bécon-les-Bruyères, et, en ce point, le groupe II se raccorde avec les voies existantes de la direction de Versailles tandis que le groupe III se prolongent vers les Vallées et la Garenne-Bezons. Les voies du groupe auxiliaire prennent naissance sur celles du groupe IV à la sortie du tunnel des Batignolles pour assurer la « remonte » du matériel vide en direction des remises de Clichy et le mouvement des locomotives concernées par le dépôt. La tranchée comprise entre le tunnel et le pont Cardinet contiendra désormais cinq groupes de deux voies (au lieu de trois groupes), ce qui oblige à creuser aussi sous le square des Batignolles pour le mettre en encorbellement comme la rue de Rome.

Si 7,5 millions de voyageurs passent dans la tranchée au milieu du XIXe siècle, durant l’année 1931 ce sont 114 millions de voyageurs, ce qui représente l’apogée, puisque ce chiffre retombera à « seulement » 103 millions pour 1938, soit environ 800 trains par jour en moyenne en 1930, et 1100 en 1938.

L’entrée de la tranchée des Batignolles vue depuis le pont de l’Europe dans les années 1920. L’ancienne gare des marchandises (avec ses ascenseurs “mont-wagon”) domine les voies avant de devenir une salle d’exposition Citroën puis, en partie, la cantine réputée des “chefs” SNCF. La cabine d’aiguillage a disparu au profit d’une cabine en forme de champignon d’arbre collé sous l’ancienne gare des marchandises et toujours très active, dominant l’avant gare. Ici les locomotives d’époque, 141T ou Pacific Etat sont les reines du moment.

La tranchée des Batignolles aujourd’hui.

Elle existe toujours, cette tranchée, Dieu merci, et elle se porte bien. La traction électrique a tout envahi, éclaircissant, au grand bonheur des riverains, une atmosphère devenue bien enfumée. La vapeur, le 3e rail électrique latéral, les rames électriques Standard ont disparu, mais “the show must go on” (le spectacle doit continuer) comme on dirait chez Once Upon A Train.

A la fin du XXe siècle, on trouvera le chiffre fantastique de plus de 1400 trains par jour, avec le matériel le plus performant de la SNCF: rames Z 6400 bleu et inox qui marquent un tournant dans l’histoire de la traction en banlieue ouest à partir de 1976, rames à deux niveaux orange et blanches tractées et poussées en réversibilité par des BB 17000 depuis 1965, rames turbotrain en train de finir une brillante carrière commencée en 1972 sur la ligne de Caen et Cherbourg, trains grandes lignes pour Rouen et Le Havre remorqués par des BB 16000.

Aujourd’hui la chorégraphie est devenue plus répétitive, et les danseurs sont moins variés, puisque l’automotrice électrique ou diesel est devenue le train par excellence. Mais ne boudons pas notre plaisir. Il est intéressant de marcher le long des célèbres grilles, en partant de du boulevard des Batignolles (métro Rome) et en suivant la rue de Rome jusqu’à la rue Cardinet. Il faut emprunter les ponts traversant la tranchée et « exploiter » les observatoires offerts par l’extrémité de la rue Boursault, le square des Batignolles, le pont Cardinet lui-même.

La tranchée des Batignolles, vue pendant un hiver des années 1970.
La traction diesel commence à supplanter la traction vapeur dans les années 1970. Sur la gauche : une Pacific Etat en tête d’une rame de voitures de banlieue dites “Talbot”. On voyait vraiment de tout….

Visiter la gare Saint-Lazare : « lève-toi et marche ».

La vieille parole biblique est toujours vraie pour Saint-Lazare (mais, ici, il s’agit de la gare) qui est la gare des longues marches. La visite de la gare est difficile car, d’abord, il est pratiquement impossible de la percevoir sans son ensemble, faute d’espace environnant et d’une grande place parisienne desservie par de larges avenues aboutissant devant la gare.

Le style général du bâtiment est conforme aux canons architecturaux de la Belle Epoque: livré en 1889, il est destiné à recevoir les visiteurs de l’exposition de cette année. La grande verrière avec son horloge dominant les voies est un bel exemple des constructions métalliques de cette fin de siècle, et représente, à notre avis, l’élément architectural le plus intéressant de la gare (le meilleur point de vue étant celui offert depuis le pont de l’Europe). La verrière de la salle des pas perdus est un des derniers restes de la quatrième gare de 1867 qui est entourée du bâtiment de 1889 formant une façade. Notons que les entassements d’horloges et de valises du sculpteur Arman, l’un dans la cour du Havre et l’autre dans la cour de Rome respectivement, apportent un peu de joie et d’ironie dans une gare sévère, tout comme l’ « escargot » ou la « coquille » surmontant l’entrée du métro et du RER-E dans la cour de Rome.

L’architecte des façades haussmanniennes de la gare Saint-Lazare actuelle n’est autre que Juste Lisch (1828-1910) qui a déjà dessiné et construit plusieurs gares parisiennes comme celles du Champ-de-Mars, des Invalides, du Bois-de-Boulogne et du quai de Javel. Mais la question se pose de savoir si c’est lui qui a prévu cet hôtel Terminus qui semble avoir poussé, sans y être invité, sur la place devant la façade ? 

Il se trouve qu’un certain architecte Emile Lavezzari a joué un rôle important dans ce qui pourrait bien avoir été un rajout au projet de Lisch :  envoyé en 1881 en Angleterre par la Compagnie de l’Ouest pour étudier les hôtels de gare, il en revient avec des idées de rentabilisation des espaces des gares que la compagnie de l’Ouest est prête à appliquer, car la nouvelle gare St-Lazare a vidé les caisses… . Un projet est arrêté en 1887 en accord avec la Société du Louvre, mais le décès, de Lavezzari, en juillet de cette année-là, fait que les travaux de l’hôtel sont finalement exécutés sous la direction de Juste Lisch. Ce dernier, cependant, ne manque pas une occasion d’exprimer son mécontentement concernant l’emplacement de l’hôtel et rappelle que c’est un choix fait par la compagnie de l’Ouest elle-même.

De nombreuses protestations, comme celle de Charles Garnier président de la « Société des amis des monuments parisiens » et architecte de l’opéra, viennent démontrer que cette disposition de l’hôtel devant la façade de la gare est absurde, et contrairement aux critères de la beauté architecturale. Cette opinion n’est toutefois pas partagée par toute la presse, et il suffit d’ouvrir l’Illustration, par exemple, pour y lire que Paris a enfin un grand hôtel dans une gare comme d’autres grandes villes européennes.  L’hôtel Terminus St-Lazare  est ouvert le 7 mai 1899, au moment de l’inauguration de l’Exposition universelle qui voit aussi la naissance de la Tour Eiffel, et, comme cette dernière, il a été construit en un temps record, le chantier ayant seulement duré 15 mois

L’hôtel Terminus. Doc.RGCF datant de 1886.
La fameuse et mystérieuse passerelle reliant les premiers étages de la gare et de l’Hôtel terminus, ici vus en 2005. La vue sur la façade cachée par l’hôtel fait-elle regretter ce choix ?

La fameuse vue parue dans l’Illustration en 1885.

Le pont de l’Europe, en 1865. Aujourd’hui toujours le pont de l’Europe est un des plus beaux observatoires ferroviaires de Paris, le plus agréablement aéré, et surtout le plus animé..
Une vue “raccourcie” datant des années 1870, montrant d’une manière précise les installations de la gare dont les nombreuses verrières juxtaposées traduisent, pour le moins, une histoire architecturale mouvementée.

Le pont de l’Europe dans les années 1920 : c’est l’âge d’or des Pacific Etat.
Les magnifiques 241″Mountain” Etat des années 1930, type Est, règnent sur le trafic grandes lignes de la gare, en direction de Caen-Cherbourg ou du Havre. Les voitures sont des OCEM à rivets apparents ou faces lisses des plus classiques.
Gare Saint-Lazare et innovation. Une locomotive Etat type 230.800.(série (230.781 à 230.800) vue au départ de la gare Saint-Lazare en 1938, remorquant un train composé des fameuses voitures légères carénées Etat surnommées “saucisson”. Prévues pour être remorquées par ces locomotives, elles le seront rarement, et ce sont des Pacific Etat qui les prendront en charge. La signalisation lumineuse Etat participe aussi à la modernité de l’événement. Document Etat.
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