Les signaux de direction, notamment sur l’ancien réseau du PLM, datent d’une époque du chemin de fer où l’on pensait qu’il était toujours utile, sinon bon, de savoir sur quelle voie l’on était dirigé et où l’on allait quand on affrontait une “bifur”. Il est vrai que le chemin de fer, en tant que seul système de véhicules guidés, n’a jamais eu besoin ni de la notion de “direction” ni de la vision du conducteur pour assurer sa sécurité et pour choisir la bonne voie. Le choix de la voie, c’est l’affaire de l’aiguilleur.
Si le conducteur d’une automobile, si le capitaine d’un navire, si le pilote d’un petit avion tout comme le commandant d’un avion de ligne est soumis en permanence et au risque de sa vie à une telle question, le mécanicien d’une locomotive tout comme le conducteur d’un TGV est, lui, le seul bienheureux à échapper à cette cruelle et lancinante question. Il est le seul à ne pas se la poser, car les aiguilleurs, par l’intermédiaire des rails, “savent” pour lui, et en permanence, quelle réponse donner. Le mécanicien de locomotive comme le conducteur de TGV sont, aujourd’hui, les seuls au monde à rouler, de nuit, sans se soucier de la question de voir ou de vérifier où l’on va, et si le pilote d’un avion peut, depuis plusieurs décennies, “naviguer aux instruments de bord”, il est toujours rassurant de voir, lors d’un atterrissage, où l’on va et même un atterrissage dans le brouillard ne se passe pas, malgré la précision des instruments, sans une petite dose de questionnement.
Dans l’aviation, on a beau parler d’ “aiguilleurs du ciel” pour créer une très relative impression de sécurité pour les passagers, mais dans le ciel, le vrai ciel, il n’y a pas d’aiguillage, pas plus que dans la mer, à Ouessant, il y a un “rail”.
Il n’en est pas de même pour le chemin de fer : le mécanicien de locomotive, jadis, tout comme le conducteur de TGV actuel sont totalement guidés par le rail et par les appareils de voie dont l’aiguilleur commande ce que l’on appelle l’aiguillage (les fines lames mobiles). La sécurité est totale, mécanique, enclenchée avec les indications des signaux mais il est important de doubler cette sécurité mécanique par une confirmation donnée au mécanicien ou au conducteur.
Le problème n’était pas facile pour les équipes de conduite des locomotives : comment se repérer, surtout la nuit, sur les appareils de voie multiples des grandes bifurcations et des gares, et comment être certain que l’on est bien aiguillé sur la bonne voie ? Les signaux de direction étaient une réponse, et, aujourd’hui toujours, ils existent, mais sous une forme totalement différente.






La nécessite de raccorder les lignes entre elles.
Dès sa création, le chemin de fer ne peut se contenter d’établir des lignes indépendantes, et il est obligé d’établir de se constituer en réseaux complets, acceptant donc des bifurcations ou des jonctions. La bifurcation est le cas où, pour le point de vue du mécanicien d’un train, deux lignes se séparent. La jonction est le cas dans lequel deux lignes fusionnent.
Par principe, et contrairement au cas de tous les autres moyens de transport sur les routes, dans les airs ou sur l’eau, le chemin de fer se passe de la surveillance visuelle du chemin à parcourir : le mécanicien et son chauffeur, du temps de la vapeur, passent le plus clair de leur temps à conduire le feu pour en tirer, en fonction du profil de la ligne et de la vitesse voulue, le plus d’énergie possible pour la moindre dépense de combustible. Bien entendu, le mécanicien a aussi la charge de surveiller la marche de la locomotive, du train, et de prendre toutes les décisions en cas de besoin. Le conducteur électricien ou diesel n’a plus la charge de produire de l’énergie car elle lui est fournie, ce qui lui vaut d’être seul à bord de la machine, et il lui reste un rôle de surveillance générale de la marche de la locomotive et du train et de prise de décision en cas d’incident.
C’est bien dans cette optique qu’il a paru important, pour un certain nombre de compagnies, d’instaurer des signaux de direction pouvant confirmer au mécanicien que la direction qu’il doit prendre, à la bifurcation suivante, lui est effectivement donnée, faute de quoi il peut prendre ses dispositions pour s’arrêter. Par ailleurs, un certain nombre de compagnies ont pratiqué une politique de signaux systématiquement fermés pour la protection des gares et des bifurcations, ce qui impliquait que le mécanicien d’un train survenant devait signaler sa présence en sifflant et demander la voie, et la direction. Les signaux indicateurs de direction sont donc nés de cette nécessité : confirmer au mécanicien que la voie, qui lui est donnée, est bien celle qu’il doit prendre.
Le Paris, Lyon et Méditerranée prend les devants.
Sur le PLM, dès 1846, une ordonnance prescrit d’implanter des sémaphores précédant les bifurcations et donnant les indications des directions données. Ce sont des sémaphores doubles à ailes dont la moitié gauche est rouge et l’autre moitié blanche, très proches, techniquement, des sémaphores ordinaires à aile unique intégralement rouges.
Le PLM n’est pas seul à le faire : il est rejoint par les réseau de l’Ouest et du Nord, qui utilisent des bras mobiles sur de petits signaux, puis des disques verts, solidaires des commandes des appareils de voie, et qui indiquent si la voie donnée à la bifurcation est déviée. Le réseau de l’Etat utilise ultérieurement, lui aussi, des disques verts. La nuit, ces signaux donnent un feu vert, ce qui fera que cette couleur sera associée à la notion de ralentissement ou d’avertissement. L’évolution ultérieure, pour la signalisation de jour, sera le damier vert et blanc qui donnera l’avertissement.
Le Nord, l’Ouest et le PLM implantent un tableau « BIFUR » avant les bifurcations commandant le ralentissement. Le PLM demande aussi au mécanicien de siffler (non pas lui-même, mais en actionnant le sifflet de la locomotive !) au droit de ce tableau pour faire une demande d’ouverture de la bifurcation. Voilà où l’on en est à la fin des années 1870, avant que le code de 1885 vienne instaurer un début d’unification.

Les indications du code de 1885 : le vert pour avertir, le blanc pour la voie libre.
Le code de 1885 est le premier, en France, à introduire une standardisation et une cohérence dans le système de signalisation des différentes compagnies qui ont déjà amorcé, depuis leur création sous le Second empire, une dangereuse dérive vers un excès de complexité. Ce code confirme le disque vert pour permettre ou interdire, selon sa position ouverte ou fermée, le passage en vitesse sur une bifurcation, ce qui implique que, s’il y a une restriction de la vitesse, c’est bien parce que le mécanicien va engager son train sur une direction déviée. La position du disque, si elle est fermée (donc faisant face à la voie, et présentant un cercle vert), indique que l’appareil de voie de la bifurcation donne une direction déviée, donc une direction autre que celle de la voie directe. Le cas pour les bifurcations simples à deux directions possibles est réglé.
Les anciens indicateurs de direction à ailes ne disparaissent pas pour autant, mais viennent, en complément de l’indication de ralentissement du disque vert, dire, dans le cas de plusieurs directions possibles en voie déviée, quelle direction est donnée. Le disque vert suffit pour tenir lieu d’indicateur de direction dans les cas où il n’y a de choix qu’entre une direction déviée et une direction directe, ce qui est la majorité des cas.
Les réseaux Est et PLM conservent donc leurs sémaphores indicateurs de direction, le nombre des ailes pouvant atteindre jusqu’à cinq, ce qui prouve que le tracé des bifurcations sur ces réseaux pouvait comprendre autant de directions déviées possibles en un point. Les feux correspondants sont violets dans le cas d’une voie fermée (direction non donnée) et blancs dans le cas d’une voie donnée directe avec passage en vitesse, et verts dans le cas d’une voie donnée déviée avec ralentissement. Comme il est de tradition à l’époque, et à la grande joie des riverains, la demande pour le franchissement de ces signaux se fait à grands et nombreux coups de sifflet dont le code est donné parmi les planches ci-dessous.
Voici, ci-dessous donc, quelques-unes des fameuses planches du cours de signalisation de Roger Gallouédec de 1932 comportant donc toutes les indications, bien complexes d’ailleurs, du code de 1885 alors à son apogée. Ce code est à deux doigts de sa mort qui se fera avec l’apparition du code de 1935 dit “code Verlant” :










Les indications du code de 1935 dit Code Verlant : le blanc disparaît au profit du jaune.
Le blanc disparaît ? Au profit du jaune ? Que l’on se rassure : il ne s’agit pas d’hommes mais de signaux. La disposition actuelle des signaux de direction SNCF est conforme au code de 1935, dit Code Verlant. Notons que ce code a pour principale caractéristique de supprimer le feu blanc provenant du code de 1885 qui pouvait prêter à des confusions avec des lampes du voisinage de la voie, de donner au feu vert l’indication voie libre, et de faire apparaître un feu jaune pour l’avertissement.
En ce qui concerne la direction donnée par les aiguilles, ce code prévoit, pour les trains abordant les appareils de voie par la pointe bien sûr, des ailes sémaphoriques peintes en blanc, et terminées à leur extrémité par une double pointe.
Ces ailes peuvent être commandées directement par les leviers des postes d’aiguillages, et ne sont donc pas solidaires des appareils de voie, mais elles sont cependant enclenchées avec les aiguilles, et sont placées sur un mât, à des hauteurs différentes, et en nombre égal aux directions pouvant être données par le poste.
L’aile la plus élevée correspond à la direction la plus à gauche du mécanicien les apercevant, la moins élevée à la direction la plus à droite, ceci dans l’ordre successif des directions de gauche à droite et de haut en bas. Les ailes ne peuvent prendre que deux positions : horizontale pour dire que la direction n’est pas donnée, inclinée pour dire que la direction est donnée. La nuit la position horizontale est donnée par un feu violet, et la position inclinée par un feu vert indiquant le passage avec ralentissement, ou blanc permettant le passage en vitesse normale.
Si ces ailes sont commandées avec l’appareil de voie, un mât, posé près de l’aiguille, présente un bras apparent soit d’un côté soit d’un autre d’un boîtier, et correspondant à la direction donnée à gauche, ou à droite.

Le code actuel: TIDD et ID.
Le code de 1935 révise celui de 1855 qui reste valable dans ses principes mais qui a été complété. Pour ce qui est des signaux de direction, il existe des tableaux indicateurs de direction à distance (TIDD) groupés, en principe, avec le signal d’avertissement (ou feu jaune clignotant) annonçant le carré précédant l’aiguille, et éteints lorsque le carré est fermé ou lorsqu’un train se trouve entre le TIDD et la bifurcation.
Ce tableau est carré, et il peut présenter, en blanc sur fond noir, la lettre « Y » lumineuse partiellement allumée (une des deux branches du haut, et jamais les deux, plus la partie inférieure). On voit soit la partie inférieure et la branche supérieure gauche de la lettre « Y » si la direction donnée est la première à partir de la gauche, soit la partie inférieure et la branche supérieure droite de la lettre « Y » lorsque la direction donnée est la deuxième à partir de la gauche.
Ou bien il existe des indicateurs de direction (ID) groupés avec le carré qui précède l’aiguille ou les aiguilles. De jour comme de nuit, il se présente sous la forme d’une cible allongée à l’horizontale et comportant des feux blancs disposés horizontalement. Le nombre de ces feux allumés depuis la gauche correspond au numéro d’ordre, à partir de la gauche, de la direction donnée, soit, par exemple: un feu (à gauche de la cible) = première direction à gauche, deux feux (à partir de la gauche de la cible) = deuxième direction, etc.

Les Britanniques, inventeurs du chemin de fer et de la signalisation.
Pour eux, le problème est clairement posé dès les débuts du chemin de fer, et ils auront recours à un système qui, pour une fois dans leur histoire, est simple, dépourvu de toute complexité et surtout de l’éternelle ambiguïté bien anglaise. Leur signalisation repose sur un type de signal fixe : le sémaphore, ou “arm signal” de couleur rouge avec une extrémité droite pour l’arrêt dit “home signal”, ou jaune avec une extrémité en queue de poisson pour l’avertissement à distance dit “distant signal”. L’extrémité droite ou en queue de poisson est censé pallier le manque de visibilité par temps de brouillard ou à contre-jour.
Ce type de signal est implanté sur l’ensemble des réseaux européens vers la moitié du XIXème siècle, mais au Royaume-Uni il prend une très grande extension sous la forme très commode et très simple d’un signal à aile rouge ou jaune donnant trois indications essentielles.
Quand l’aile est à l’horizontale (signal fermé), elle indique l’arrêt immédiat. Quand elle est en position oblique (partiellement levée ou abaissée, selon les compagnies), elle indique le ralentissement. Quand elle est en position verticale (signal ouvert), elle indique la voie libre. La nuit trois verres de couleur (vert, jaune, rouge) solidaires de l’aile, donnent des indications lumineuses en se positionnant devant une lanterne. Pour les gares et bifurcations, les mêmes signaux sont employés pour la protection des trains à l’arrêt ou en train de manœuvrer, et pour donner le départ.
Les ingénieurs anglais mettent rapidement au point la technique du regroupement des signaux dans des cabines permettant leur commande à partir d’un même point, et aussi leur commande conjuguée avec les appareils de voie pour assurer la protection des itinéraires. Mais aussi, dans les grandes gares ou sur les bifurcations importantes, il apparut nécessaire de regrouper les signaux eux-mêmes sur d’immenses potences – le fameux « gantry » anglais – donnant, par la position des signaux sur la potence, l’ensemble des indications complémentaires.
C’est ainsi que le conducteur d’un train, à l’approche d’une gare, pouvait trouver devant lui un véritable plan schématique des voies, les supports les plus élevés correspondant aux voies principales, et savoir immédiatement les positions des signaux sur ces voies et vers quelle voie il était dirigé. Le signal de direction n’est donc pas exigé en tant que tel : les signaux sur les mâts les plus élevés donnent ou ferment les voies directes, tandis que les signaux sur des mâts plus bas donnent ou ferment les voies déviées, et leur position sur la potence, à droite ou à gauche du signal surélevé, permet aux mécaniciens de comprendre et d’anticiper.




Les Allemands et l’Europe centrale : une signalisation claire et simple au sol.
On pourra se reporter aux planches données ci-dessus concernant la signalisation du réseau d’Alsace-Lorraine qui, avant 1931 et avant l’application du code Verlant, apportent des modifications à la signalisation du réseau de l’Alsace-Lorraine. A l’époque la signalisation française dépend du code de 1885. En 1885 la signalisation AL est donc encore allemande, et dépend du Eisenbahn-Signalordnung du 24 juin 1907, entré en vigueur le 1er avril 1907.
Le système allemand utilise des sémaphores et des signaux d’avertissement (“Vorsignal”) qui font, comme au Royaume Uni, l’ensemble du travail avec leurs deux positions. Pour ce qui est des indications de direction, tout repose sur des grandes lanternes pivotantes installées directement sur les appareils de voie et très bien éclairées la nuit.
Il est à noter que l’on retrouve ce principe des lanternes d’appareils de voie dans un grand nombre de pays d’Europe centrale dont les réseaux ferrés ont été construits, pendant le XIXe siècle, par des ingénieurs allemands. L’Allemagne, à l’époque, a une influence technique et scientifique considérable sur l’ensemble de l’Europe centrale, dite « Mittel Europa » et on peut mesurer l’étendue de cette influence non seulement avec l’organisation des universités ou des systèmes économiques, mais aussi à la présence des lanternes des appareils de voie dans les gares ! C’est ainsi que non seulement l’Allemagne pratique ce système des lanternes, mais aussi la Suisse, l’Autriche, la Hongrie bien sûr dans la mesure où il a existé un empire austro-hongrois, la république Tchèque et la Slovaquie, mais aussi le Luxembourg, ou encore les pays scandinaves comme la Finlande, la Norvège, la Suède, et aussi la Russie. Toutefois d’autres pays, plutôt sous influence française en matière de signalisation, ont cependant adopté ce système des lanternes d’appareils de voie comme l’Espagne pour certains réseaux, ou le Portugal. On en retrouve trace aussi dans les Balkans et en Turquie.

Un dernier conseil pour les passionnés de l’histoire de la signalisation (et il y en a…) : trois ouvrages à lire sur la question, deux historiques et un actuel :
“Histoire de la signalisation ferroviaire française” du regretté Alain Gernigon que nous avons bien connu, éditions La Vie du Rail, 1998.
“Signaux mécaniques” de Daniel Wurmser, une étonnante série de quatre tomes, très abondamment illustrée avec de rares documents d’époque, parue chez Presse et Editions Ferroviaires, entre 2007 et 2009
“Technologie et systèmes de sécurité ferroviaire” de Didier Jansoone, paru en 2021 aux éditions La Vie du Rail, un nécessaire ouvrage professionnel SNCF mais que tous peuvent se procurer.
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