En 2025, le chemin de fer moderne, performant, fiable, fêtera ses deux siècles d’existence. Tout commence avec l’ouverture de la ligne de Stockton à Darlington le 27 septembre 1825. Vieux de plusieurs siècles déjà pour ce qui est du roulement sur rails qui permet des charges lourdes pour un effort très faible, le chemin de fer abandonne les wagonnets poussés à bras d’homme ou tirés par un cheval. Il est sorti d’une longue période d’essais de divers types de traction par treuil et machines à vapeur et il devient, avec une locomotive, un moyen de transport techniquement au point et prêt à permettre la révolution industrielle en devenant son moyen de transport de masse. C’est le chef d’œuvre de George Stephenson, inventeur d’une locomotive à vapeur enfin devenue performante et fiable, constructeur de la première ligne de chemin de fer assurant un service avec des gares, des horaires, et un transport de qualité. Son fils, Robert Stephenson, se déplacera dans le monde entier, et non seulement en Europe, pour promouvoir le chemin de fer et construire des lignes et des locomotives.
Pour l’auteur de ce site-web qui est un peu anglais par son père, mais vigoureusement français car élevé en France où il fut réimporté à l’âge de six ans par une mère française convaincue, gaulliste et militante, la question de l’apport des Anglais en France en matière de chemins de fer l’intrigue beaucoup, et il se demande si c’est une réalité ou, comme on dirait très correctement aujourd’hui, des “fake news”.
Qu’ont donc fait les Anglais, en France, outre une Guerre de cent ans ?
Qu’ont donc fait les Anglais, en France, outre une Guerre de cent ans suivie d’une « Entente cordiale », outre une persistance monarchique très appréciée des Français qui vivent en république tout en admirant les « kings » et les « queens » qui se succèdent sous les dorures peu républicaines de Buckingham Palace, outre un entêtement britannique à habiter en Dordogne aussi fringante que celle des gaulois actuels habitant Londres ?
L’homme de la rue (un être souvent utile pour les auteurs) dira : et nos trains qui roulent à gauche, c’est bien à cause des Rosbifs, non ? Pas vraiment. À relire l’article qui est consacré à ce fait déjà paru sur ce site, on s’aperçoit que le bilan de la marche à gauche est loin d’être un succès total en Europe où, dans toute l’Europe centrale et nordique, on roule en train à droite, et que seuls les Suédois, les Suisses, les Belges, les Néerlandais (en partie) roulent à gauche comme les Français. Or toute l’Europe a été sous influence technique anglaise pour ses chemins de fer : rouler à gauche n’est donc pas significatif.

Il ne faut pas écouter les hommes d’État, du moins pas toujours.
Cette influence anglaise et l’apport de ces chemins de fer fut-elle facilement acceptée ? Incarnait-elle le progrès tant espéré ? Tout porte à croire, en relisant les documents de l’époque aujourd’hui, que ce fut accepté et même dans l’enthousiasme. Or, en 1834, Adolphe Thiers, avocat, journaliste, historien et homme d’État français, n’en jetez plus, déclare à la Chambre des Députés « cette invention est sans avenir pour notre pays et que si la France construisait cinq lieues par an ce serait beaucoup »…. Il dira plus tard « Messieurs, votre chemin de fer ne sera jamais qu’un jouet ». Or, en France, en 1836, le réseau ferré comprend 157 km et en 1866, trente ans plus tard, le réseau comprend 14.506 km. En Europe, le réseau atteint, en 1866, 52.414 km. Pas mal, pour un “jouet” … On n’a pas écouté Thiers. Heureusement…
L’apport britannique sera, pour ce qui concerne le réseau français comme pour les autres réseaux européens, surtout technique. L’organisation financière, le rôle de l’État, la notion de compagnie privée ou de réseau public national, voilà ces notions pour lesquelles les Anglais n’auront pas joué un grand rôle, ni donné l’exemple, sinon celui de montrer les limites d’un système entièrement privé et fondé sur le profit. Les réseaux européens seront pour la plupart insérés dans une conception politique et économique tout à fait différente de celle du Royaume-Uni, avec un rôle prépondérant accordé à l’État, une importante définition des charges allant dans le sens d’un service public avant toute chose et, à l’opposé du libéralisme britannique ou américain, c’est en France comme en Europe que l’État prend les devants, fixe les règles du jeu et distribue les cartes.
Les réseaux des pays industrialisés d’Europe et de l’Amérique du Nord, fondateurs du chemin de fer moderne, sont nés au sein de sociétés ayant axé leur développement sur une économie de type libéral, mais ont tous été soumis, dès leur origine et vu l’importance des enjeux économiques, à un contrôle de la part des pouvoirs publics. Il s’agissait de garantir une égalité de traitement des usagers, et non seulement les voyageurs mais surtout les grands fournisseurs de transport de marchandises. Cependant d’autres contraintes, génératrices de contrôles, sont venues s’ajouter : des contraintes d’ordre social, notamment pour ce qui concernait les cheminots, mais aussi militaires, du fait du rôle stratégique que pouvait jouer le chemin de fer, et économiques devant le quasi-monopole des chemins de fer dans le domaine des transports.

L’affaiblissement du modèle ferroviaire libéral.
C’est ainsi que le modèle britannique ne pouvait triompher en Europe, notamment en France. Vers la fin du XIXe siècle et dans de nombreux pays, cette situation s’est modifiée dans la mesure où les réseaux de chemins de fer se sont trouvés en difficulté. Le modèle libéral ferroviaire s’est trouvé affaibli par l’obligation d’avoir recours à des aides de plus en plus importantes de la part des pouvoirs publics quand ce n’est pas allé jusqu’à une nationalisation partielle ou complète – ce qui se fait dès le début du XXe siècle en Suisse (1902) ou en Italie (1905), et entre les deux guerres mondiales pour d’autres pays européens comme l’Allemagne (1920) ou la France (1938), l’Espagne (1939), ou enfin et seulement après la Seconde Guerre mondiale pour le Royaume-Uni (1948).
La tutelle des réseaux, dans les pays à économie libérale, est, bien entendu, celle du Ministère des Finances même si elle s’exerce, dans certains cas, par l’intermédiaire d’un Ministère des Transports (France, Italie, etc), voire d’un Ministère des Chemins de fer (Inde, etc). Tous les pays ont une relation de tutelle plus forte avec les chemins de fer, et laissent les autres moyens de transport plus libres, se bornant à en construire et gérer les infrastructures ou à déléguer cette activité à des entreprises concessionnaires. Pour les réseaux ferrés des pays en système libéral, la tutelle des pouvoirs publics impose un budget en équilibre et les comptes d’exploitation dont l’objet d’un rapport annuel détaillé.
Le permanence de l’exploitation, le grand nombre des installations et leur étendue sur l’ensemble du territoire national, le grand nombre de cheminots nécessaire pour assurer le fonctionnement de l’ensemble du réseau, voilà des données qui font du chemin de fer le plus grand employeur national dans un très grand nombre de pays : sans aller jusqu’au nombre de 2 millions de cheminots en Chine ou presque autant en Russie, le monde des cheminots reste un acteur social d’un poids important dans l’ensemble des pays européens – même en France où, il est vrai, ce nombre est passé de 600.000 en 1938 à moins de 200.000 aujourd’hui. Cette situation a demandé une organisation très hiérarchisée, de type militaire, avec des responsabilités et des contraintes fortes et a créé une mentalité spécifique chez les cheminots, avec de fortes valeurs communes. Il est certain que la « casse » des grands réseaux nationaux, comme au Royaume-Uni, a été perçue aussi comme une « casse » sociale, lui donnant alors une coloration politique libérale et emblématique qu’elle ne cherchait peut-être pas, et donnant alors à l’État britannique une image assez désastreuse devant une grande partie de l’opinion publique.
La réponse a été, dans les pays à économie libérale, que l’on a été conduit, par l’opinion publique et les votes, à considérer de plus en plus que le transport des voyageurs appartient au service public, notamment dans les transports urbains ou de banlieue. Certains pays étendent ce point du vue jusqu’aux relations régionales (cas des TER en France, par exemple) ou nationales (cas des États-Unis et du Canada pour la desserte, sur de longues distances, de grandes parties du pays faiblement peuplées).
Toutefois, toujours dans les pays à économie libérale, le transport des marchandises a toujours été considéré comme relevant du secteur concurrentiel et le demeure, ce qui a apporté de graves insuffisances, ou même l’impossibilité technique de répondre aux demandes nées, ces dernières années, de la saturation des routes ou de la prise de conscience de problèmes d’environnement, notamment en Europe. D’une manière comme d’une autre, le chemin de fer, en France, en est à ne transporter que moins de 10% des personnes et des marchandises qui circulent : tout le reste est la propriété exclusive et plus que jamais, de la route, et, pour les grandes distances, de l’avion, ou du bateau pour le « fret » et ses très grands trajets mondiaux et intercontinentaux.
La parution d’un livre intéressant, pour les Français.
Revenons, puisqu’il s’agit de faire de l’histoire, à l’époque des débuts du chemin de fer. La parution, en France chez Plon et dès 1868, du livre « La vie des Stephenson comprenant l’histoire des chemins de fer et de la locomotive », écrit par Samuel Smiles et traduit en français par F.Landolphe, n’est pas un simple hasard, et correspond à une demande d’information et de mise au point.
L’auteur, Samuel Smiles, écrit son livre avec l’aide directe et très documentée de Robert Stephenson (fils de George) et répond à une question concernant l’utilité des chemins de fer, et montre bien que, à l’époque, en moins d’une vingtaine d’années, la longueur du réseau ferré européen a été triplée. Mais, surtout, ce livre nous permet de connaître par le détail la vie et l’œuvre des Stephenson père et fils, l’un étant l’inventeur technicien du chemin de fer et l’autre étant son promoteur au Royaume-Uni et dans le monde, se faisant entrepreneur, devenant un grand industriel, et un grand précurseur de ce que l’on appelait pas encore le « marketing » et le « lobbying ».
Avec ce livre nous apprenons (ou réapprenons) qu’il y eut le père, George Stephenson, et le fils Robert, tous deux impliqués dans la grande aventure naissante du chemin de fer au point d’en passer pour les fondateurs. Il est vrai que George Stephenson est bien le fondateur de l’industrie de la locomotive moderne, et il est le premier véritable entrepreneur capable de construire des lignes de chemin de fer commercialement exploitables et techniquement évoluées.
Une enfance dure pour un père fondateur.
George Stephenson naît, en 1781, au milieu d’une famille très pauvre. Il se retrouve apprenti à un âge très jeune, au lieu d’aller à l’école: il est employé à la surveillance et à l’entretien des machines à vapeur servant au pompage de l’eau dans les mines de Wylam, dans le Northumberland. Il apprend lui-même à lire et à écrire tout en travaillant, et il se passionne pour la mécanique. Les chemins de fer rudimentaires sur lesquels roulent des wagonnets de mine l’intéressent beaucoup et il songe, vers 1814, à construire un moyen de remorquage mécanique qui, selon lui, serait plus efficace que la traction par chevaux utilisée jusqu’alors.
Sa première locomotive à vapeur est construite rapidement de ses mains, et elle circule en 1815. Il dépose un brevet consistant à utiliser la vapeur d’échappement pour activer, par dépression, le tirage du foyer et ainsi augmenter la production de vapeur. Il dépose aussi un second brevet concernant une lampe de mineurs offrant une réelle sécurité.
Entre 1819 et 1822, George Stephenson est responsable de la construction de l’ensemble des voies de la mine de Hetton, et le succès de l’opération lui vaut d’être désigné comme ingénieur en chef chargé de la construction du chemin de fer de Stockton à Darlington, la première véritable ligne de chemin de fer construite à la surface du sol et sur une grande distance, utilisant des locomotives à vapeur, et destinée principalement au transport du charbon.
Le succès de l’opération est tel que Stephenson est désormais considéré comme indispensable partout où un projet de ligne est à l’ordre du jour. C’est lui qui réalisera la ligne de Liverpool à Manchester en 1830, la première ligne véritablement moderne et commerciale, dotée de gares, transportant des voyageurs et des marchandises avec des trains respectant des horaires.
Puis, en 1832, c’est la ligne de Leicester à Swannington, en 1839, celle de Birmingham à Derby, et l’ensemble du North Midland & York l’année suivante, puis, en 1841, le Manchester & Leeds. Pour toutes ces lignes il fournit le matériel roulant et, bien sûr, les locomotives qui sortent des ateliers de la « Robert Stephenson & C° ». Sa réputation devient telle qu’il fournira bientôt des locomotives pour les réseaux du monde entier, en particulier le célèbre type « Patentee » de 1833 à disposition d’essieux type 111 qui sera la première locomotive de bien des réseaux européens. Il continuera à diriger la firme Stephenson, et construira non seulement des locomotives mais aussi des lignes (Londres à Birmingham, Manchester à Leeds, etc.), des grands ponts, notamment celui de Newcastle, ou d’autres, même au Canada avec le pont Victoria à Montréal. Il voyagera en Belgique et sera un des créateurs du réseau ferré de ce pays alors déjà très tourné vers l’Europe, et en Espagne. George Stephenson meurt en 1848, riche et considéré.


Un fils qui prend la relève.
Si son père George ne reçoit aucune éducation et ne fait pas d’études, Robert a la chance d’avoir un père qui se soucie de lui et qui veuille faire de lui son successeur. Né en 1803, dans une Europe tourmentée par les campagnes napoléoniennes, il apprend auprès de George la conviction que l’avenir est à la révolution industrielle qui naît alors. Son père lui inculque la science de la mécanique qui est encore très empirique, et il devient rapidement un expert dans ce domaine. À l’âge de 20 ans, en 1823, il est déjà au travail aux côtés de son père et dirige la société familiale qui a pris son nom « Robert Stephenson & C° ».
Mais, peu après, sa santé qui est très fragile (il mourra jeune en 1859) l’oblige à un séjour sous des cieux plus chauds et plus cléments que ceux de l’Angleterre: le voyage est, à l’époque, une des rares solutions offertes pour certaines maladies chroniques. Il revient d’Amérique du Sud (la Colombie) en 1827, juste à temps pour prendre une part importante dans le débat sur la présence ou non de locomotives sur les chemins de fer, et il participe activement à la conception de la fameuse locomotive « La Fusée » qui gagnera la concours de Rainhill en 1829, étant alors la première locomotive moderne et performante. En 1844 sa célébrité et telle qu’il dirige jusqu’à 33 nouveaux projets de lignes de chemin de fer dans le Royaume-Uni. La seule ligne de Newcastle à Berwick, qui fera partie de la célèbre ligne de Londres à Edimbourg par la côte est, comporte 110 ponts à construire dont de vertigineux viaducs. Un de ses chefs d’œuvre sera le fameux pont tubulaire “Britannia” jeté par-dessus le détroit de Menai et l’embouchure de la Conway sur la côte ouest de l’Angleterre, face à l’Irlande.






Les premières locomotives anglaises en France.
S’il est vrai que les britanniques ont inventé le chemin de fer moderne à vapeur et l’industrie de la locomotive, ils ont su aussi exporter des façons de vivre, des modèles politiques, des voitures, des vêtements, des souliers, des banques et des assurances, sans compter mille jeux sportifs et hobbies, mais, en matière de locomotives, « le continent est resté isolé »… selon la célèbre formule. Et pourtant, lors des débuts du chemin de fer, l’industrie anglaise fournit le monde entier en locomotives pour la simple raison qu’elle est la seule du genre, et les innombrables « Patentee » de Stephenson, par exemple, prolifèrent sur l’ensemble des réseaux européens des années 1830 à 1850.
Mais, peu à peu, ce que les ingénieurs britanniques savent si bien faire est copié, puis dépassé: prisonniers du petit gabarit anglais qui impose des petites locomotives, les ingénieurs du Royaume-Uni voient se développer sur le continent ou aux États-Unis des engins bien plus grands, donc bien plus performants. Et la tentative du génial Isambard Kingdom Brunel d’imposer, en Angleterre, une voie large de 2100 mm et un gabarit très grand se solde par un échec : il est trop tard, l’ensemble du réseau britannique est déjà construit et ne peut être transformé aussi profondément.
La locomotive britannique reste donc, à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, un produit « home made » qui se consomme sur place, et seules sont exportées les très nombreuses séries conçues et construites pour les réseaux de l’Empire Britannique, et quelques rares séries de conception étrangère, mais réalisées par l’industrie britannique et livrées directement aux réseaux concernés.
Dotée d’un excellent réseau de canaux que la monarchie de Juillet a laissé, la France reste un peu en retard pour ce qui est de la construction de son réseau ferré et les lignes de chemin de fer ne sont, pour elle, que « des canaux secs » jouant le rôle d’affluent des innombrables voies navigables dont elle est richement dotée. Toutefois, pour ses premières lignes de chemin de fer, elle utilisera, d’une manière massive, les excellentes locomotives produites en Angleterre par les firmes Stephenson avec, par exemple dès 1838 sur la ligne de Paris à Saint-Germain, des locomotives type « Patentee » Stephenson construites par la firme anglaise Tayleur. En 1843, c’est la mise en service, par la compagnie de Rouen, de locomotives type 111 construites par Buddicom et dont certaines vont durer 70 années. L’ensemble des compagnies de l’ouest en France est dotée, lors des premières années 1840, de nombreuses locomotives type 111 ou 120 construites par les firmes anglaises Fenton, Bury, Murray & Jackson, Haigh Foundry, Scharp Roberts, etc. L’industrie française de la locomotive à vapeur ne commence à s’imposer que vers le milieu de cette décennie, notamment avec les constructions alsaciennes. N’oublions pas que la locomotive la plus célèbre, sous le Second Empire, véritable pionnière de la grande vitesse ferroviaire et TGV de l’époque, la fameuse Crampton, certes construite en France, est bien une locomotive anglaise conçue par l’ingénieur anglais Thomas Crampton qui ne fut pas prophète en son pays et qui fit une réussite remarquable en France.





La compagnie de l’« Ouest » commande des locomotives de vitesse type 220 anglaises.
En 1884, la compagnie de l’Ouest, dont le réseau est très étendu et couvre surtout la Normandie et la Bretagne, passe une commande auprès de l’ingénieur anglais Webb, grand directeur du matériel du prestigieux « London & North Western Railway », d’une locomotive pour trains express type 120 dont la particularité est d’avoir deux essieux moteurs actionnés séparément par un cylindre intérieur basse pression unique pour l’essieu avant, et de deux cylindres extérieurs haute pression pour l’essieu arrière, et ceci sans bielles d’accouplement entre les deux essieux. Déjà déconsidérée par son échec retentissant sur le réseau britannique, cette locomotive le sera tout autant sur le réseau de l’Ouest en France, ses deux essieux indépendants se perdant dans des patinages chroniques au démarrage ou, même, allant jusqu’à offrir le spectacle d’une locomotive faisant du surplace au lieu de démarrer, ses roues motrices de son premier essieu et de son deuxième essieu tournant dans des sens différents !

Ce qui est surprenant est que cet échec ne compromettra pas l’admiration et la fidélité du réseau de l’Ouest français pour les locomotives anglaises et que, ensuite et à partir de 1888, le réseau construira lui-même ses « anglaises » dans ses propres ateliers, sous la forme de très élégantes 220 formant la série 939 à 988, dont l’une fut même présentée à l’Exposition Universelle de 1889, celle de la tour Eiffel. En 1891 les numéros 953 à 962 sont mises en service, puis entre 1892 et 1896, ce sont les numéros 963 à 988, plus puissantes et plus rapides. Ces machines seront excellentes en service, assurant un grand nombre de trains express ou rapides, notamment entre Paris et Le Havre. L’une d’elles, la 952, participe aux essais du PLM en 1889-1990 et roule à 138 km/h (avec une voiture de 17 tonnes seulement…) tout en montrant une étonnante stabilité due, à n’en pas douter, à la présence de cylindres seulement intérieurs, placés entre les longerons du châssis, ce qui évite les mouvements parasites de lacet engendrés par les cylindres extérieurs et leurs embiellages extérieurs. Ces machines vont durer jusqu’en 1938, année de la création de la SNCF, mais elles seront peu à peu éclipsées par la présence massive des puissantes Pacific Etat.
A cette série, il faut ajouter deux autres locomotives « anglaises » type 220, des prototypes numérotés 501 et 502, qui seront construites par la « Société Alsacienne de Constructions Mécaniques » (SACM, future Alsthom puis Alstom), mais à double expansion avec cylindres extérieurs et intérieurs type compound. Elles se montreront plus économiques que les 220 précédentes. Elles seront suivies des numéros 503 à 562, et marqueront l’apogée du type 220 “anglais” sur le réseau de l’Ouest en France.
L’industrie anglaise sera ensuite sollicitée par les anciennes compagnies pour construire des locomotives de type français, avec des plans français, ceci pour pallier les impossibilités de répondre aux demandes de la part des constructeurs français dont les usines sont détruites pendant la Première Guerre mondiale. Successeur de l’Ouest par rachat en 1909, le réseau de l’Etat pour ses Pacific et aussi ses 140 (futures 140-C SNCF) fera ainsi appel à l’industrie britannique comme les établissements Nasmyth ou North British en 1916-1918 et durant les premières années 1920. De son côté, le PLM fera appel à l’industrie américaine pour ses puissantes 141-C, et le PO confiera des commandes aux industries américaines ou suisses.




Les locomotives à vapeur anglaises en France pendant les Guerres mondiales.
Le fait est peu connu : des locomotives anglaises ont traversé la Manche pour venir rouler sur le réseau français pendant la Première Guerre mondiale en 1917 et 1918, et, à nouveau sur un réseau SNCF alors en ruines pendant la Seconde Guerre mondiale, et les Britanniques sont, pendant cette Seconde Guerre mondiale, les seuls à oser faire face au monstre nazi en attendant que les États-Unis se joignent à eux en 1942.
La locomotive dite « 140 Austerity » est la plus connue parmi ces locomotives anglaises venues, pour une partie d’entre elles, lors du débarquement de 1944. Cette locomotive est, en quelque sorte, l’équivalent sur rails du fameux « Liberty Ship » du débarquement de Juin 1944 : elle aussi a été fabriquée en grande série, très rapidement, et avec des moyens minimaux, ceci dans le cadre d’une très stricte programmation de type militaire.
La fin de la guerre approche, espère-t-on, en 1943 et le débarquement est l’objet d’une opération dont l’envergure est sans équivalent dans l’histoire de l’humanité. La guerre a demandé, pour le Royaume-Uni, une mobilisation totale de ses chemins de fer : songeons qu’un raid de bombardiers sur l’Allemagne exige 650 wagons-citernes de carburant amenés par 28 trains, et que, durant les premiers mois de 1943, environ 1 700 trains anglais durent transporter 750 000 tonnes de bombes.
La préparation du débarquement demande la présence de centaines de milliers de soldats américains dans la campagne anglaise, et le moindre village devient une ville : la gare de Dinton, près de Salisbury, par exemple, ne voyait passer que 1000 voyageurs et traite 1318 wagons en 1938, et elle a affaire à 32 000 voyageurs et traite 10 000 wagons en 1943 ! À Honiton, la gare voisine, les chiffres passent de 48 000 voyageurs à plus de 250 000… (Chiffres donnés par l’historien Ernest F. Carter dans « Railways in wartime »). Le 26 Mars 1944 quelques 25 000 trains dénommés « invasion specials » sont mis en marche, sans que les civils anglais ou les autorités allemandes ne se doutent de quoi que ce soit.




Pour remorquer l’ « Armada des Bâches ».
L’ « Armada des Bâches » est le surnom donné par les cheminots anglais à ces innombrables trains militaires circulant dans le sud de leur pays : tous sont bâchés pour éviter les indiscrétions ou même les regards d’éventuels espions. Mais le manque de locomotives se fait sentir.
Le « War Department » britannique commande à l’industrie de son pays un ensemble de locomotives de types 030, 140 et 150 qui prendront le nom d’« Austerity » dans la mesure où l’économie en moyens est la règle prioritaire : l’austérité est à l’ordre du jour. Aujourd’hui, c’est l sobriété. Ces machines sont livrées à peine une année après la commande.
La 140 « Austerity », quant à elle, est conçue par l’ingénieur Riddles et fabriquée par la North British C° et la Vulcan Foundry, ces locomotives de type 140 forment une très importante série de 732 locomotives. Le type mixte 140 est choisi pour la diversité des tâches à accomplir: trains militaires lourds et lents, trains sanitaires légers, et trains « civils » autres de tous types.
La construction est très simple et tout ce qui n’est pas totalement indispensable est banni : certains appareils de mesure, certains servomoteurs, les écrans pare-fumée, etc… Le moteur est le plus simple possible : deux cylindres à simple expansion, tiroirs cylindriques. Le foyer seul est en cuivre. Deux injecteurs alimentent la chaudière. Les roues sont « monobloc » en acier moulé, et la suspension ne comprend pas de balanciers.
Elles font un excellent et obscur travail, tirant d’innombrables trains de chars d’assaut et de munitions, la nuit, dans les banlieues de Londres et passant, au petit matin, dans les villages endormis du Sussex. La guerre terminée, on les oublie. En 1947, le réseau du « London & North Eastern Railway » en rachète 200, tandis que les 500 autres sont louées par le gouvernement à différentes compagnies anglaises, et à la SNCF en France pour celles qui ont effectivement débarqué avec les troupes. Les « British railways, nées de la nationalisation en 1948, les intégreront à leur parc sous la série 90000-90732. Toutes sont démolies entre 1959 et 1967. Aucune n’a été préservée.


Quelques locomotives purement françaises, mais nées au Royaume-Uni.
Peu nombreuses en France, elles sont peu connues comme telles, mais bien connues des amateurs. Sans prétendre à l’exhaustivité sur le sujet, nous donnons ci-dessous quelques exemples.


Mais, aussi, les cabines d’aiguillage anglaises excellent en France
C’est, certainement, l’apport britannique le plus important sur le réseau français. Leur haute stature élégante, translucide, abondamment vitrée, domine toujours les gares et les bifurcations et fait d’eux le symbole même du chemin de fer, le bâtiment le plus typique, celui que l’on ne peut retrouver ailleurs et que les architectes et les ingénieurs du XIXe siècle durent inventer intégralement puisque rien de ressemblant n’existait déjà auparavant. La tour de contrôle aérienne, elle, pourra s’en inspirer et y mettre ses « aiguilleurs du ciel »…
Les premiers signaux et les premiers appareils de voie sont manœuvrés à pied d’œuvre par des aiguilleurs qui se déplacent pour aller « faire l’aiguille » et « ouvrir le signal » en traversant les voies, et en les longeant sur de grandes distances. Dire qu’il fallait pratiquement autant d’hommes qu’il y avait de leviers dispersés dans une gare ou une bifurcation serait exact si les hommes n’avaient pas à aller d’un levier à un autre, ce qui pouvait être le cas des grandes gares ou des bifurcations importantes. Dans les petites gares ou les petites bifurcations, un aiguilleur s’occupait des quelques appareils de voie et signaux, quand ce n’était pas le chef de gare lui-même dans de très petites gares sur une paisible ligne à voie unique.
Mais, on s’en doute, ce système d’hommes dispersés engendre des erreurs tragiques et des catastrophes. Par ailleurs, les mécaniciens doivent annoncer leur approche en sifflant, faute d’autre moyen de communication, et demander, selon un code, la voie qui les concerne car il n’est pas possible d’identifier un train à distance, sinon que par l’horaire, mais les trains peuvent être en avance ou en retard… et d’autres se présenter à leur place. Il faut rapidement solidariser mécaniquement les signaux et les appareils de voie qu’ils protègent, et, donc, procéder à des regroupements et des concentrations de leviers. Bref, on crée des « postes » destinés à aiguiller les trains, ou « postes d’aiguillage » comme il y a des postes de travail dans les usines. Ces postes permettent d’actionner des appareils à une distance maximale de 400 mètres, la force humaine ne permettant d’aller au-delà. Mais ils permettent aussi la création d’appareils de voie complexes comme les traversées de jonction simples ou doubles, les embranchements triples, etc.
La cabine d’aiguillage permet de grouper les leviers de façon alignée, rationnelle, commode, et cet alignement fait que les barres et les tringleries soient disposés sur le sol de la cabine, côte à côte, parallèlement les uns par rapport aux autres. Il était inéluctable que bien des aiguilleurs, en voyant ces tiges coulisser les unes à côté des autres pensent à les munir de taquets et de pênes, d’encoches, ou d’autres systèmes mécaniques faisant qu’une tringle aurait empêché le mouvement d’une autre tringle en cas d’incompatibilité d’itinéraire sur le terrain.
Pendant la deuxième moitié du XIXe siècle, parmi les nombreuses firmes britanniques travaillant pour leur chemin de fer, Stevens, d’une part, et Saxby & Farmer, d’autre part, dominent le marché national et exportent en Europe, y compris sur le réseau français.
Stevens, le précurseur.
Stevens est la plus ancienne firme spécialisée dans la signalisation ferroviaire et fabrique des sémaphores dès 1843, année durant laquelle elle songe à regrouper les leviers de commande des appareils de voie et des signaux sur les bifurcations : il faut dire que le réseau britannique, qui commence déjà à être très dense, est déjà très riche en bifurcations où les lignes fusionnent, se séparent, se recoupent. Mais la firme ne songe pas d’emblée aux enclenchements, estimant que le regroupement des leviers est déjà un grand progrès. Cette idée appartient à un ingénieur nommé Chambers qui l’applique à des postes Stevens en créant ce qu’il appelle des « locking bars » entre les leviers ayant des positions incompatibles. Les firmes Stevens et Saxby, chacune de leur coté, appliquent les idées de Chambers, et un des ingénieurs de Stevens, en perfectionnant le système, crée le fameux système d’enclenchements Stevens qui, breveté en 1870, sera construit à plus d’un millier d’exemplaires jusqu’en 1928 et équipe alors un grand nombre de postes d’aiguillage britanniques, donnant à ce pays une avance considérable dans le domaine de la sécurité ferroviaire. Le renom de Stevens parvient jusqu’en France et dans d’autres pays européens.
Messieurs Saxby et Farmer, de l’ébénisterie au chemin de fer.
John Saxby (1821-1913) est un ébéniste et il entre au « London, Brighton & South Coast Railway » où il est chargé de la construction des signaux qui, à l’époque, utilisent beaucoup le bois. Il est au courant des travaux de Vignier en France, et il cherche, lui aussi, à concevoir un système combinant la manœuvre des signaux et des appareils de voie. Il prend un premier brevet en 1856 et construit une quinzaine d’appareils pour le réseau qui l’emploie. En 1860 Saxby s’inspire aussi des idées de Chambers et dépose, en 1860, un brevet pour un système d’enclenchement à crochets qui sera installé dans environ 400 cabines d’aiguillage anglaises.
En 1863 il s’associe avec John Stinton Farmer qui est directeur commercial dans la compagnie du « London, Brighton & South Coast Railway » et ils produiront désormais ensemble des équipements de signalisation dans leur usine de Kilburn, située dans la banlieue de Londres. En 1867 Saxby, tout comme le Français Vignier, reçoit une médaille d’or à l’Exposition Universelle de Paris, et en 1878 Saxby ouvre son usine de Creil en France, qu’il dirige lui-même jusqu’en 1901.
Les grandes avancées techniques seront le verrou de levier avec sa manette logée contre la poignée et que l’on presse avec la paume de la main en saisissant le levier. Cette manette donnera un aspect très caractéristique aux leviers Saxby, et permettra aussi de faire des enclenchements empêchant, en cas de danger, l’utilisation du levier par blocage de la manette. Le brevet est pris en 1869. De nombreux perfectionnements sont apportés aux mécanismes des enclenchements, dont, surtout, le système à grils et barres, avec des taquets fixés sur les barres et arrêtant ou permettant le coulissement de barres transversales. Dans les années 1880, plus de 2500 cabines sont ainsi équipées au Royaume-Uni et plus de 3000 dans le monde entier.
En France, c’est le réseau du Paris, Lyon et Méditerranée qui est le premier grand utilisateur du système Saxby en équipant, dès 1867, sa bifurcation de Moret-sur-Loing, puis installant à Villeneuve-St-Georges en 1870 et à Nîmes en 1874 des cabines comportant de 10 à 25 leviers. Le Paris-Orléans et l’Est s’équiperont pendant les années 1870 avec des postes installés à Paris, à la bifurcation de Brétigny, et à Gretz.
Vers la fin du XIXe siècle, la puissante firme américaine installée aussi en France qu’est Westinghouse regroupe plusieurs firmes de signalisation britanniques, dont Saxby et l’usine de Kilburn est fermée en 1903. Il est à noter qu’en France, l’usine de Creil continue et l’entreprise devient les Etablissements Saxby en 1934.





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