Sujet de dissertation : « Le marchandises-voyageurs, sa vie, son œuvre », vous avez quatre heures… Commençons la dissertation par une introduction type plaidoirie pour dénoncer la misère dans les chaumières…
C’était vraiment le train du pauvre, sur un grand nombre de réseaux pauvres parce que d’intérêt local, en voie unique et même métrique, et bien avant le temps heureux où, par la magie des mots et de la langue de bois, on fera de ces lignes des « lignes de desserte fine du territoire » (LDFT pour les intimes) sur lesquels rouleront, promis juré, des trains du futur.


Un fonctionnaire accompli s’interroge.
A l’occasion de la rédaction de l’ordonnance du 18 juin 1846, un fonctionnaire chargé de rédiger une circulaire, ayant bien nettoyé sa plume, s’interroge sur la définition du « train mixte » et se pose la question hautement philosophique de savoir si “un train mixte est un train de voyageurs auquel on a adjoint quelques wagons de marchandises, ou un train de marchandises accompagné exceptionnellement de quelques voitures à voyageurs”…
Ah ! Mais, cher Monsieur, gouverner, c’est prévoir et prévoir, c’est distinguer. Mais le fonctionnaire en question n’a pas prévu de distinguer, et n’a distingué aucune prévision possible permettant d’apporter sa contribution au bonheur de ses administrés.
En 1858 une enquête de la part d’un État qui va, parfois, regarder ce qui se passe sur le terrain des réalités, constate que les trains mixtes n’ont pas d’autre spécificité que les trains de voyageurs dont ils suivent les mêmes règles de sécurité, mais aussi constate que, pratiquement, tous les trains mixtes ont leurs voitures à voyageurs placées en queue du train, et les wagons à marchandises en tête.
Une circulaire ministérielle du 5 septembre 1855 précise que, dans les trains mixtes, on devra exclure le transport de toutes les marchandises « dangereuses ou infectes ». Bref, le tas de fumier sur un wagon plat, ou un troupeau de cochons, ne sera pas admis dans les trains mixtes, pas plus que le baril de poudre destiné à une carrière, ou les canons destinés à l’usage stratégique d’un général.
Un assouplissement de cette règle fera l’objet d’une circulaire ministérielle du 23 juillet 1863 permettant de placer en tête ou en queue du train des wagons transportant des animaux « sous réserve qu’ils ne transportent pas des animaux d’une odeur insupportable ». Il ne reste plus qu’à donner les caractéristiques exactes d’une odeur supportable ou pas et l’ “insupportablomètre” qui va avec… C’est pourquoi cette circulaire, apparemment, ne sera jamais promulguée. Nous voilà rassurés. Finalement sait-on ce qui voyage dans les conteneurs si fermés et si discrets de la SNCF d’aujourd’hui et est-ce que cela dégage une odeur supportable ou pas ?
En 1887, le « Dictionnaire législatif et réglementaire des chemins de fer » de Palaa tranche enfin la question en reconnaissant que « dans la pratique » il n’y a plus, sur les lignes, que « des trains mixtes qui ne sont ni l’un, ni l’autre », pour la simple raison que chaque compagnie fait ce qu’elle veut en fonction des services des voyageurs et des marchandises.
Voilà qui a, pour le moins, l’avantage de reconnaître clairement et publiquement que l’art de gouverner trouve son accomplissement et son efficacité dans l’art de s’abstenir de gouverner – cette grande avancée intellectuelle et politique persistant à retrouver, aujourd’hui toujours, toute sa richesse et sa fécondité.
L’art de prendre ou de déposer des wagons de marchandises et les manœuvres qui vont avec.
De tels trains vont donc rouler, et en abondance, sur un réseau ferré national qui commence a regretter d’avoir ouvert, dans le cadre du Plan Freycinet, tant de petites lignes perdues dans des régions peu peuplées que l’on n’appelle pas encore « enclavées ». Ces trains sont nombreux, mais lents. On peut facilement imaginer les pertes de temps occasionnées, dans chaque gare, pour les voyageurs qui doivent attendre que l’on ait retiré ou ajouté un ou deux wagons de marchandises. En queue du train, ils ruminent, pestent « contre la compagnie », et se penchent à la fenêtre pour voir, au loin et en tête du train, la locomotive démarrer avec un ou deux wagons, laissant le reste du train immobile, et s’éclipsant à l’autre extrémité de la gare, disparaissant derrière la silhouette frêle d’un quai couvert appelé couramment « halle à marchandises ».
Il est vrai que les vitesses moyennes sont inférieures aux 15 km/h prévues par la pratique dite des “trois quinze” pour les lignes d’intérêt local en voie métrique de l’époque : rails de 15 kg/m, locomotives de 15 tonnes, vitesse moyenne 15 km/h. Les lignes d’intérêt local en voie normale ne font guère mieux, question vitesse, avec des arrêts prolongés dans l’ensemble des gares d’un parcours. Tant qu’il ne s’agit que de prendre ou de déposer des colis, sans toucher à la composition du train, tout va à peu près bien.
Mais quand il s’agit de ” couper ” derrière un wagon que la locomotive devra ensuite « tirer » jusqu’à l’aiguille de la voie de service, puis ” refouler ” sur cette voie jusqu’au quai couvert ou jusqu’à la grue à main de six tonnes installée un peu plus loin, c’est une tout autre affaire, car la manœuvre du levier de l’aiguille se fait à pied et sans oublier de prendre la clé de sécurité dans l’armoire du bureau du chef de gare, d’une part, et, d’autre part, le wagon à décharger doit souvent attendre qu’un autre wagon, déjà chargé ou déchargé, soit dégagé de la voie de service. Le train MV ne pourra repartir qu’après plusieurs manœuvres permettant sa recomposition.
Si le train MV circule sur une ligne à double voie, par exemple sur la voie paire, et si l’accès à la cour de débord de la gare se fait en « cisaillant » aussi la voie impaire, et si un train est annoncé sur la voie impaire, les pertes de temps s’accumulent.










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