Les “Superpacific” Nord : plus Pacific qu’elle tu meurs…

Connue sous le nom de 3-1200 Nord puis de 231 C après la création de la SNCF, la “Superpacific” du réseau du Nord fut, durant les années 1920, une des locomotives les plus extraordinaires de son temps: c’était une petite Pacific, mais nerveuse au démarrage et puissante à la traction, et elle surpassait, et de très loin, les autres, plus grandes et plus lourdes. Et, surtout, elle était très belle, très pure dans son aspect sobre et équilibré. Ajoutons que la plupart des photographies illustrant cet article proviennent de l’immense collection HM Petiet qui pourrait nous permettre d’illustrer presque toutes les locomotives des réseaux français une par une !

La fierté, légitime, des équipes de conduite de la compagnie du Nord : les locomotives étaient continuellement astiquées lors de chaque arrêt prolongé en gare, et pas seulement dans les dépôts.
La “Superpacific” Nord, première de la série avec le numéro 3.1201. L’évolution, certes nécessaire, de la locomotive lui fera perdre sa grande pureté de lignes avec une accumulation d’accessoires et de tuyauteries envahissant le corps cylindrique.
Voilà comment on garait les “Pacific” à La Chapelle : alignées au centimètre près, et parfaitement propres. La 3.1163, comme les autres…

Le Nord a besoin d’une Pacific.

Vers 1908, alors que le réseau du PO a déjà une “Pacific” et que le PLM se prépare à en construire pas moins de 462 “Pacific”, le réseau du Nord hésite encore et se lance dans une recherche assez surprenante en s’intéressant à une locomotive à vapeur construite pour la Compagnie des chemins de fer du Nord en 1905 par la Société Alsacienne de Constructions Mécaniques (SACM). Elle avait une disposition d’essieux de type 230. Cette locomotive a eu, pour le moins, une gestation mouvementée et elle commence sa carrière sous la forme d’une “Atlantic” de disposition d’essieux de type 221, immatriculée 2.741.

La recherche des performances motiva le rapprochement de la Compagnie des chemins de fer du Nord en la personne de M. Du Bousquet et la société Schneider pour l’adaptation d’une chaudière à tubes d’eau. La locomotive, une fois construite, commence ses essais, mais l’inscription en courbe est médiocre et le poids sur l’essieu arrière est jugé trop important avec ses 17,4 t. La locomotive revient donc très vite aux ateliers de la compagnie à La Chapelle pour y subir des modifications. Il fut donc pratiqué une échancrure à l’arrière du châssis et réalisé un pivot pour la mise en place d’un bogie supplémentaire qui est le même que celui de l’avant et provenant du stock de pièces pour les 221 Nord 2.641 à 2.675.

La locomotive 2.741 avec sa disposition d’essieux type 222, lors de ses premiers essais.

La locomotive ressort des ateliers en septembre 1907 et reprend ses essais, mais la chaudière tubulaire, cette fois, commence à poser des problèmes incessants. En septembre 1909 la machine ressort des ateliers et après quelques mises au point elle entre en service dans le roulement des 221 Nord 2.641 à 2.675 qui comprend de nombreux trains rapides.

La locomotive est triomphalement présentée à l’exposition de Bruxelles, puis reprend son service mais recommence à accumuler les incidents : le service Matériel et Traction du Nord, vu le décès de M. Du Bousquet, décide d’arrêter les frais, et de reconstruire à nouveau la locomotive plus simplement avec le remplacement du bogie arrière par un essieu moteur, et le remplacement du foyer aquatubulaire par un foyer classique de type « Belpaire », plus la mise en place d’un surchauffeur de type « Schmidt » et le remplacement des tiroirs plans des cylindres Haute Pression par des tiroirs cylindriques. La locomotive, enfin, est redevenue bien sage et bien classique…

Elle est immatriculée 3.999 – le premier chiffre suivi d’un point, sur le Nord, indiquant le nombre d’essieux moteurs. Elle sort des ateliers fin 1913. Toujours affectée au dépôt de La Chapelle elle est engagée sur les roulements nobles. Lors de la création de la SNCF, en 1938, la locomotive est réimmatriculée : 2-230 B 1. Elle prend sa retraite en mai 1946 au dépôt de Hirson où elle est découpée. Elle a de la chance, puisqu’elle prend sa retraite après 40 années de cotisations.

La locomotive type 222 est enfin passée au type 230, avec trois essieux moteurs. Voici, donc, la 3.999 Nord : une “presque Pacific”.
La 3.999 en ligne sur le réseau du Nord. La locomotive a de l’allure et aussi, une “grande liberté d’allures” selon les termes des ingénieurs de l’époque désignant une facilité de roulement.
La 3.999 dans son environnement de l’époque, près de la gare du Nord. Dans ce chemin de fer soigné et triomphant, tout est beau, même les passerelles de signaux mécaniques ou les grands poteaux électriques traités comme des objets d’art.

Cette aventure montre que le réseau du Nord a bien peiné pour se rendre à l’évidence : le passage à la locomotive de vitesse à 3 essieux moteurs est nécessaire pour maintenir la politique de trains rapides et prestigieux qui a fait honneur à la compagnie jusque là. Il est vrai qu’il existe d’excellentes 230, mais la puissance, en face de trains de 400 tonnes qu’il faut remorquer à 90 ou 100 km/h, commence à faire défaut. Il faut songer à une locomotive nouvelle, allongée vers l’arrière pour agrandir le foyer et produire plus de vapeur: le type 230 cèdera donc la place au type 231. Mais quel type 231 adopter ?

Les bureaux d’études du réseau dessinent une Pacific à foyer allongé, profond et étroit, doté d’une grille de 3,22 m2, traitée dans le style Nord caractérisant déjà les 230. Mais pour une raison encore inconnue aujourd’hui, la compagnie du Nord choisit une locomotive déjà prête, étudiée par la Société Alsacienne de Constructions Mécaniques (SACM) et déjà livrée au réseau d’Alsace-Lorraine. Le Nord reçoit 20 locomotives de ce type, série 3.1151 à 3.1170 et ces machines donnent de bons résultats malgré leur petitesse relative, ceci sans nul doute à la présence d’une surchauffe plus élevée, de tubes de chaudière plus courts perdant moins de chaleur, et de roues motrices d’un bon diamètre.

Une locomotive type S12, série 1301 à 1308, du réseau d’Alsace-Lorraine. Les premières “Pacific” Nord sont de ce type.

Les Pacific 3-1200.

En 1913-1914 il faut aller encore plus loin en matière de performances: les trains sont plus confortables, donc beaucoup plus lourds, et, surtout, ils sont plus rapides. Le Nord reprend le projet type 3.1100 datant de 1911 dont il agrandit la surface de grille, le diamètre du corps cylindrique, les dimensions des cylindres. Mais la Première Guerre mondiale remet la sortie effective de la locomotive à un temps meilleur, et ce n’est qu’en 1923 que les 40 locomotives type 3-1200, numéros 3-1201 à 3-1240 sortent des ateliers.

Puis ce sont les locomotives 3-1241 à 3-1250 qui ont reçu, à leur tour, d’autres perfectionnements, et, enfin, en 1931, ce sont les locomotives 3-1251 à 3-1290 qui sortent des ateliers, munies d’autres perfectionnements comme un châssis plus fort, des tiroirs mieux dimensionnés, un échappement Lemaître, etc. ceci sous la direction de l’ingénieur Marc de Caso. Ces locomotives se révèlent particulièrement performantes et sont vite surnommées Superpacific par les cheminots du réseau du Nord.

La 3-1290 est capable de fournir plus de 2.000 ch. lors d’essais et roule à 164 km/h en tête d’un train de 300 t. Les autres machines de la série accomplissent journellement des exploits correspondant à des puissances de 2 500 et même 2.700 ch, remorquant des trains de 500 à 650 t à plus de 120 km/h en palier, notamment le fameux train de luxe «Flèche d’Or » Paris-Calais. Les “Superpacific”, devenues 231 C à la création de la SNCF en 1938, font une excellente carrière jusqu’à l’électrification du réseau Nord amorcée en 1958.

La 3.1165 en tête d’un train formé de voitures “Trains Rapides Nord”, le meilleur matériel de la compagnie pour la Belle époque, mais à caisses en bois : cela leur vaudra leur remplacement par les fameuses voitures métalliques Nord tubulaires des années 1930 dites “Torpilles”.
La 3.1162 fait une “remonte”, haut-le-pied et tender en avant, comme le montre le disque rouge accroché à la traverse de tamponnement. La netteté des lignes de la locomotive, très dépouillées, montrent que nous sommes au début de la carrière de ces belles machines.
Le “Nord-Express” prestigieux de la CIWL à Compiègne, dans les années 1920. Une “Super” est en tête, bien sûr. La signalisation est encore celle du code de 1885.
La 3.1205 a reçu tous les perfectionnements d’usage dans les années 1920 : turbodynamo, pompes, surchauffeurs… n’en jetez plus, le tablier est plein !
Les 3.1200 s’alourdissent : deux d’entre elles reçoivent une distribution Caprotti peu satisfaisante, qu’il faudra remplacer par une distribution Cossart. On notera la multiplication des équipements sur le corps cylindrique : surchauffeurs, enveloppes de sablières. Le servo-moteur de la commande de relevage de la distribution occupe le tablier gauche.

La 3-1280 : une exception esthétique.

La locomotive 3-1280 reçoit, à titre d’essai, un carénage, car les ingénieurs de l’époque cèdent à cette mode du « design » voulue par les compagnies, mais se posent la question de son opportunité technique. Une fois carénée, la locomotive prouve une économie de combustible du fait d’une meilleure pénétration dans l’air, mais ne manque pas de poser des problèmes de manque d’accessibilité aux organes mécaniques en atelier : il faut démonter cette enveloppe de tôle qui cache le mécanisme.

Sous cette forme, la 3-1280 remorque, en Octobre 1936, un train spécial lors l’inauguration du nouveau Ferry-Boat Dunkerque-Douvres, puis un autre train en Septembre 1938 transportant les Souverains Britanniques lors de leur voyage en France. Pour donner au train royal un aspect entièrement homogène, la peinture extérieure de la locomotive et du train de 1938 est bleu nuit avec des filets or, avec des panneaux peints stylisant les armoiries britanniques et françaises, et des pavillons des deux pays peints sur les faces et à l’avant de la locomotive. Elle conservera son carénage à la création de la SNCF, cette fois repeinte en vert sombre, mais ce carénage sera démonté peu après la Seconde Guerre mondiale.

La 3.1280 telle qu’elle fut carénée, en 1936, pour la visite des souverains britanniques en France. La couleur était le “royal blue”, évidemment !
La 3.1280, vue en 1950, et encore munie de son carénage (sans doute peint en vert), remorquant ce qui pourrait être un Bruxelles-Paris, le long de l’Oise, près de Compiègne.

Les “Superpacific” Nord des 2e et 3e types.

Aujourd’hui, on appelle « Superpacific » l’ensemble de ces locomotives type 231 du Nord, qu’il s’agisse du premier type de 1911, du deuxième type de 1913, ou du troisième type de 1923.  Or les premières 231 de ces séries, construites en 1911, ne sont pas encore surnommées « Superpacific ». Formant la série 3-1151 à 3-1170, elles se caractérisent par une ligne très dépouillée, un tablier d’une seule pièce et assez bas laissant la place à de grands couvre-roues, l’absence d’écrans pare-fumée (elles en recevront ultérieurement, sous la forme d’écrans assez petits et droits). (Voir photo 5 par exemple)

La deuxième série, les 3-1201 à 3.1240, 3-1241 à 3-1248 et 3-1251 à 1290, est produite en 1923-1924. Elle diffère des précédentes par un tablier surélevé passant au-dessus des roues motrices (donc sans couvre-roues) et avec un décrochement devant les cylindres pour laisser place à un petit tablier inférieur placé à l’avant au dessus du bogie. Le tablier est donc bien en deux parties. Ici aussi, il n’y a pas d’écrans pare-fumées, mais ceux-ci seront posés ultérieurement. (Voir photos 1 ou 4 par exemple) Ces locomotives sont plus puissantes que les précédentes et répondent à l’accroissement du poids des trains dès les années 1913-1914. Etudiées à ce moment-là, elles ne seront produites qu’après la Première Guerre mondiale. La série des 3-1251 à 1290 est la première à recevoir les nouveaux tenders à bogies Nord, très remarquables, et dont la SNCF, ultérieurement, reprendra le dessin.

Ce sont bien les locomotives de cette série 3-1251 à 3-1290 qui méritent le surnom de « Superpacific » sur le réseau du Nord, au point qu’il faut, pour être cohérent, les distinguer des précédentes, et considérer qu’elles forment, dans les faits, un troisième type. Elles se caractérisent par une forme très complexe du tablier qui est toujours place au-dessus des roues motrices, comme dans le deuxième type, mais, à partir des cylindres extérieurs, est fortement surhaussé pour passer au dessus du niveau des cylindres intérieurs pour en faciliter l’accès, et plonge ensuite obliquement vers la traverse de tamponnement. Les écrans ont une forme caractéristique du Nord des années 1930, et que l’on retrouve sur les 141-TC par exemple, avec un évasement à leur partie inférieure donnant un sur écartement pour les parties supérieures. (Voir photos 6 et 7 par exemple). Deux locomotives reçurent des distributions à soupapes rotatives Caprotti et une autre, la 3-1280, fut carénée pour les visites des souverains britanniques en 1936 et 1938. Les performances des « Superpacific » du troisième type dépassent de très loin celles des deux types précédents, atteignant jusqu’à 2.400 ch. contre 1.200 à 1.300 ch.

Une “Super” vient faire un tour chez les voisins et passe sous le pont Lafayette pour entrer dans la gare de l’Est. Le tablier est déjà rehaussé en deux parties au-dessus des roues motrices dont les couvre-roues disparaissent. Les réchauffeurs coiffent le corps cylindrique.
Nous ne disons pas que, aujourd’hui, c’est moins beau en gare du Nord… mais il faut avouer que, jadis, c’était magnifique. La 3.1240 étale son “Cinéma Nord” indiquant le numéro du train : ici c’est le 5. Cela doit être du sérieux puisque c’est un petit numéro.
Un train peut en cacher un autre : ici une “Super” tire un train “Rapides Nord” dans les années 1920, et croise un train de banlieue composé de voitures à deux essieux d’un autre siècle.
Même à Amiens c’était beau : nous ne parlons pas seulement de la nouvelle cabine, ni de la signalisation mécanique, mais aussi du train composé de voitures “Trains Rapides Nord” métalliques conçues par l’ingénieur Marc De Caso qui apporteront une sécurité et une résistance aux chocs insurpassables.
Ambiance des années 1920 en gare du Nord : plaques tournantes nombreuses et cabestans au sol. La signalisation mécanique occupe, en beauté, le ciel.
La 3.1271 avec ses grands écrans pare-fumée. Beauté et cohérence totale avec le train composé de voitures métalliques “Trains Express Nord” dont le galbe, remarquable, se marie avec celui de la locomotive.
Panache et ambiance en gare du Nord avec la 3.1286 au départ.
La 3.1278 dans son état final : le gros tender 37m3 Nord (qui deviendra un des tenders standard de la SNCF) vient clore l’évolution de la locomotive.
Caractéristiques techniques.

Type: 231 (série 3-1200).

Date de construction : 1923.

Moteur: 4 cylindres compound.

Pression de la chaudière : 17 kg/cm2.

Cylindres haute pression: 440 x 660.

Cylindres basse pression: 620 x 690.

Surface de la grille du foyer:3,5 m2.

Surface de chauffe : 143 m2.

Surface de surchauffe : 64 m2.

Diamètre intérieur du corps cylindrique : 1.747 mm.

Diamètre des roues motrices: 1900 mm.

Diamètre des roues porteuses avant : 960 mm.

Diamètre des roues porteuses arrière : 1040 mm.

Masse: 99 t.

Longueur: 12,53 m.

Contenance du tender en eau : 35 t.

Contenance du tender en charbon : 9t.

Masse du tender en charge : 78 t.

Longueur du tender : 9, 94 m.

Masse totale : 176 t.

Longueur totale : 22, 47 m.

Vitesse: 120 km/h.

%d blogueurs aiment cette page :
search previous next tag category expand menu location phone mail time cart zoom edit close