Les locomotives électriques, avant de prendre leur air sage d’aujourd’hui, ont pu être aussi fantastiques que les locomotives à vapeur. Les Be 6/8 et Ce 6/8 suisses, surnommées «Crocodile», sont parmi les plus puissantes locomotives électriques de leur temps, avec pour mission la traction des trains de marchandises lourds sur la dure rampe du Saint-Gothard, sur un des plus importants axes ferroviaires européens. Notons, notamment pour les lecteurs français, qu’il ne faut pas confondre “la Crocodile”, une locomotive suisse, et “le Crocodile”, un appareil français de signalisation posé entre les rails d’une voie.


Un réseau accidenté au cœur de l’Europe.
La Suisse est placée au cœur de l’Europe, et ce pays de montagne et d’agriculture a su jouer de sa position de carrefour pour créer son dynamisme industriel et commercial actuel par son réseau de chemins de fer. Dès les débuts de l’aventure ferroviaire européenne, la Suisse se dote d’un réseau qui est à la fois un élément central d’un grand réseau européen et, en même temps, un simple réseau national reliant les villes suisses entre elles.
Construire un réseau ferré dans un pays aussi accidenté demandait, dès les débuts, des moyens techniques et financiers considérables. Cette situation ne semblait guère donner des chances au train, mais le désir d’expansion économique suisse a été le plus fort. La première ligne est inaugurée entre Zurich et Baden en 1847. La Suisse confère la décision de la construction et du tracé des lignes aux pouvoirs publics des cantons et de grands projets sont lancés, comme les percées alpines de la fin du XIXème siècle: la ligne du St-Gothard est inaugurée en 1882.
Le réseau est nationalisé dès 1898 sous le nom de Chemins de Fer Fédéraux. Le St-Gothard est nationalisé en 1909, mais il subsiste aujourd’hui plus de 50 lignes privées comme le Berne-Lötschberg-Simplon, totalisant près de 40% du réseau national. La Première Guerre mondiale montre le danger d’une dépendance de l’étranger en matière de charbon, et la Suisse électrifié son réseau d’une manière exemplaire, pratiquement accomplie durant les années 1920. Les célèbres locomotives « Crocodile » type Ce 6/8, ou encore les Ae 3/6 et Ae 6/7 marquent l’apogée de la traction électrique mondiale à l’époque.

Les lignes de montagne « cassent » les vitesses moyennes.
Mais il ne suffit pas d’ouvrir des lignes, même dans les montagnes. Un autre problème se pose rapidement : celui du maintien de la vitesse des trains qui, seul, permet de maintenir le débit et la capacité de transport des lignes. En particulier, pour des raisons cette fois commerciales, le maintien de la vitesse des trains rapides et express sur les parties montagneuses des trajets est à l’ordre du jour. Or pour que les trains de voyageurs aillent vite, il faut que les trains de marchandises en fassent autant pour maintenir les lignes dégagées de toute circulation lente formant un bouchon. Donc, tous les trains doivent aller vite, et le 25 km/h des trains de marchandises, sur les lignes de montagne, ne peut contenter les hommes d’affaires qui ont voyagé à 100 km/h jusque là.
La Suisse, pays de montagnes, est particulièrement confrontée au problème, notamment pour les grands trains internationaux traversant son territoire: les vitesses moyennes élevées, aisément tenues dans les plaines de France ou d’Allemagne, sont subitement « cassées » sur le long parcours des rampes suisses, et particulièrement celles de l’importante ligne du St-Gothard. Pour éviter que cette grande artère ne se transforme en goulot d’étranglement avec une accumulation de trains de marchandises freinant le mouvement général, il faut des locomotives puissantes. L’accroissement du poids des trains de marchandises, d’année en année, ne fait que rendre le problème encore plus insoluble.
Les locomotives à vapeur pour trains de marchandises des années 1920 développent entre 800 et 1.000 ch, ce qui leur permet de remorquer 140 à 150 tonnes sur les rampes difficiles. C’est insuffisant et elles doivent pratiquer la double traction, c’est à dire circuler à deux locomotives en tête du même train quand celui-ci dépasse 140 à 150 tonnes. Et encore, cette solution ne permet guère de remorquer que des charges de 280 à 300 tonnes à 40 km/h sur les rampes à 26 ou 27 pour mille du Saint-Gothard. Et au delà de 300 tonnes, il faut ajouter une troisième machine en pousse, attelée en queue du train. La solution est complexe à mettre en œuvre, car, entre autres sujétions, elle implique de nombreuses manœuvres de mise en tête des locomotives et de nombreux retours à vide en sens inverse. L’idéal serait une locomotive unique sur chaque train, et donc deux à trois fois plus puissante.. C’est pourquoi il faut se tourner vers la traction électrique qui semble pouvoir, au début des années 1920, offrir l’espoir de puissances encore plus grandes avec 2.000, ou même 3.000 ch. C’est ce que confirmera la célèbre « Crocodile » sur les sévères rampes du St-Gothard.


Une électrification exemplaire.
L’électrification de la ligne est étudiée dès 1912, mais elle est commencée en 1916, pour être totalement achevée en 1922. Elle marque la première étape de la grande électrification du réseau suisse. En 1928 ce réseau est électrifié à 55%, le plus fort pourcentage mondial à l’époque : ne produisant pas de charbon, les Suisses ont retenu la leçon des pénuries de charbon pendant la Première Guerre mondiale et de la dangereuse dépendance de l’étranger pour la fourniture de l’énergie nationale.
La caténaire transporte un courant monophasé 15.000 volts, à la fréquence spéciale de 16 2/3 Hz, selon une technique d’époque qui sera utilisée dans les pays du centre et du nord de l’Europe. L’électrification est menée sur les 224 km de la ligne, entre Lucerne et Chiasso. Deux grandes centrales sont construites, l’une à Amsteg près de la sortie nord du tunnel alimentée par la rivière Reuss, et l’autre à Piotta près de la sortie sud, alimentée par le lac Ritom et la chute de Fossbach. Les deux usines sont reliées par une ligne à haute tension de 66.000 volts 16 2/3 Hz. Cette solution simple et peu coûteuse sera employée par l’ensemble des réseaux de chemin de fer en attendant l’existence de grands réseaux électriques à haute tension transportant l’énergie électrique à grande distance.
Les pays du centre de l’Europe, comme l’Allemagne et la Suisse, ont des réseaux de chemin de fer utilisant du courant monophasé, mais à fréquence spéciale 16 2/3 Hz, divisant par 3 les 50 Hz de la fréquence industrielle normale. Les avantages du monophasé sont la légèreté et la simplicité des installations fixes qui représentent, en matière d’électrification, le poste budgétaire de loin le plus important, ce qui permet une diminution très sensible des prix de revient d’une électrification, et son application à des lignes à faible trafic. Mais l’inconvénient du système est que le moteur à courant monophasé utilisant directement ce type de courant convient peu à la traction ferroviaire. En revanche, le moteur à courant continu est idéal, mais ce type de courant se transporte mal à grande distance et demande des installations lourdes et coûteuses. La fréquence de 16 2/3 Hz, en quelque sorte, « rapproche » le courant monophasé du courant continu et tente ainsi de jouer sur les deux tableaux avec une solution de compromis.



La « Crocodile » entre en scène.
Livrées à partir de 1920 par les firmes suisses Oerlikon et SLM, ces impressionnantes machines sont engagées sur la ligne. Elles se montrent capables de développer 1.650 kW (soit environ 2.200 ch) à une vitesse de 65 km/h : nous sommes loin des performances de la locomotive à vapeur. Et certaines machines seront remotorisées en 1943 pour offrir 2.670 kW !
La locomotive se présente sous la forme de deux demi châssis ayant chacun leurs moteurs et leurs roues, et surmontés de très longs capots dégageant bien la vue pour le conducteur. Celui-ci est installé dans une cabine centrale reposant sur une plate-forme reliant les deux demi châssis et permettant l’articulation de l’ensemble. Sur un trajet sinueux, les demi châssis pivotent et s’inscrivent en courbe comme des bogies.


Be 6/8 et Ce 6/8 :les deux sont des “Crocodiles”.
La locomotive suisse de type Be 6/8 III est construite entre 1926 et 1927, formant une série numérotée de 13301 à 13318, donnant 1800kW, et pesant 131 tonnes, pouvant rouler à 75 km/h. Ces belles locomotives terminent, malheureusement, leur carrière entre 1967 et 1977.
La série Ce 6/8 III est une locomotive similaire, mais limitée à 65 km/h. Toutefois, dans les années 1955 et 1956, les CFF modernisent 18 locomotives de la série des Ce 6/8 III par augmentation de la puissance et une vitesse passée à 75 km/h. Les CE seviendront donc, théoriquement, des Be puisque les locomotives suisses sont classées en fonction de leur vitesse:
A = plus de 80 km/h
B= entre 70 et 75 km/h
C=entre 60 et 65 km/h
D=entre 45 et 55 km/h
R= plus de 125 km/h.
La transmission par bielles sur une locomotive électrique.
Les moteurs de la « Crocodile » entraînent les roues par un faux essieu (ou deux faux essieux sur certains modèles) et une transmission par bielles pour chaque demi châssis, ou, pour certaines, par deux faux essieux et transmission par bielles toujours pour chaque demi châssis. Cette technique montre la prépondérance, chez les ingénieurs des années 1920, du choix des solutions provenant directement de la locomotive à vapeur en matière de conception de locomotives électriques. Une nouvelle forme de traction et la présence de moteurs électriques et de leur appareillage rendent prudents les ingénieurs qui préfèrent « assurer » par le maintien du plus grand nombre possible de solutions anciennes et éprouvées pour ce qui est de la conception mécanique, de la transmission, des organes de roulement.
La présence de bielles est surprenante sur une locomotive électrique : une transmission par engrenages semblerait plus simple et plus logique. Les ingénieurs de l’époque le savent, mais les premiers essais avec des engrenages donnent une marche très dure et des ruptures de pièces. Or le chemin de fer exige des solutions sûres à 100% et les ingénieurs craignent que les engrenages ne puissent résister à la transmission de grandes puissances tout en absorbant les contraintes créées par le jeu des roues et des suspensions. Pour leur part, les moteurs électriques de forte puissance sont trop gros, à l’époque, pour être logés près des essieux ou entre eux. Il faut les placer plus haut, sur les châssis, et leur faire entraîner les essieux à distance par des engrenages en grande quantité, ou, mieux alors, des bielles.
Sur les locomotives électriques à bielles de l’époque, notamment en Suisse, en général chaque moteur entraîne d’abord un «faux-essieu» soit directement soit par un jeu d’engrenages démultiplicateur. Solidaire du châssis, ce faux essieu reçoit donc toute la puissance du moteur qu’il transmet à des bielles d’attaque pour entraîner un des essieux moteurs. Cet essieu moteur est réuni à d’autres essieux moteurs par des bielles de liaison, comme sur une locomotive à vapeur. Ce sont ces bielles-là qui auront à assumer non seulement le travail de transmission de la force motrice, mais surtout permettre les débattements et mouvements relatifs entre les roues motrices et le châssis sur les inégalités et les gauches de la voie.


Une locomotive articulée : pourquoi ?
La « Crocodile » est ainsi surnommée quand on la voit ramper sur les courbes de la ligne, allongée, basse, épousant les rayons des courbures à la manière d’un vrai crocodile rampant pour atteindre sa proie. La ligne du St-Gothard est non seulement en rampe, mais elle est sinueuse. En effet, le manque de puissance des locomotives à vapeur de l’époque où elle fut tracée a imposé de ruser avec les déclivités du terrain. Les faibles rampes demandent un tracé très sinueux, avec des courbes et contre-courbes à faible rayon, des tunnels hélicoïdaux, le tout permettant de monter très progressivement et sans fournir d’effort.
Mais une locomotive à châssis rigide d’une seule pièce souffrirait dans les courbes à faible rayon : en effet elle impose à ses roues et à la voie une forte contrainte mécanique latérale exercée par les boudins de guidage des roues. A l’époque de la « Crocodile », la seule solution pour avoir des locomotives puissantes est de les faire plus grosses, plus longues. Pour inscrire une telle locomotive dans les courbes du Saint-Gothard on l’articule en trois parties. Aujourd’hui, les ingénieurs savent faire des locomotives très puissantes, mais petites et légères, courtes, et ne demandant que deux bogies (type BB ou CC).
Les caractéristiques techniques de la « Crocodile ».
Type : 1CC1.
Courant: monophasé 15000 V fréquence 16 2/3 Hz.
Puissance à l’origine: 1650 kW.
Puissance à partir de 1943: 2670 kW.
Vitesse maximale: 65 km/h.
Longueur: 20, 14 m.
Poids: 128 t.
La Crocodile Märklin, la perfection suisse, à l’allemande.
Seuls quelques collectionneurs, bénis des dieux sur le plan financier, peuvent se l’offrir… et quand les très rares occasions se présentent dans les grandes ventes internationales. Avec au moins 10.000 Euros pour le modèle en écartement « O » et au moins 20.000 Euros pour le modèle en écartement « I », on comprend que le Hornby « M » ou le petit Bing en « O » est plus à la portée des travailleurs et des travailleuses. Mais pourquoi Märklin se passionne-t-il pour la reproduction en jouet de cette locomotive suisse des années 1920 ?
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la traction électrique triomphe en Europe sur les lignes de chemin de fer réelles, et elle fait figure d’emblème de la modernité. Märklin se doit de suivre la mode et de mettre un peu moins l’accent sur les locomotives type vapeur pour produire des locomotives de type électrique qui auront, en prime, le charme d’être, pour une fois, en accord technique et esthétique complet puisqu’elles sont donc intégralement électriques contrairement aux locomotives type vapeur qui peuvent être électriques ou mécanique, mais plus guère à la vapeur vive. La firme allemande réussira surtout ses modèles de type suisse.
Märklin, épris de perfection, va chercher son inspiration en Suisse parce que l’électrification y a été menée de main de maître. Dans les années 1930, l’ensemble des grandes lignes du réseau suisse est électrifié, tout comme l’ensemble des lignes de montagne et des lignes des réseaux privés. La traction à vapeur ne survit plus que sur quelques lignes secondaires et de faible importance. Les locomotives électriques suisses, de construction nationale, sont absolument remarquables sur le plan technique et, ce qui ne gâte rien, sont d’une grande beauté. Remarquées dans le monde entier, il était normal qu’elles inspirent les grands fabricants de trains-jouets, dont, en tout premier lieu, Märklin qui espérait bien vendre ses modèles sur le marché suisse prioritairement.

Les périodes : du marron au vert.
Les premières locomotives de type suisse sortent sur le catalogue Märklin pendant les années 1920. Elles se caractérisent par une couleur marron, inspirée de celle du réseau Berne – Lötschberg – Simplon, avec des filets et des entourages de fenêtres en beige clair. Les toits, les châssis et les accessoires sont en noir. En écartement « 0 », dès 1920, la 1BB1 N° 11302 est produite, réduite au type BB, et sous la référence S/64/3020. Elle est aussi riche en accessoires que le modèle en « I », avec des radiateurs extérieurs, des échelles, des rambardes. Le modèle en « I », sorti de 1921 à 1928, est une belle pièce a la référence S/64/3021 et comporte de nombreux perfectionnements comme des portes de cabine ouvrantes. Une autre locomotive en « I » est produite, sous la forme d’un modèle de base à 4 roues seulement. Enfin une 2C1 est produite dans les deux écartements, réf. HS/65/13021 ou 13020. Le modèle type 2B1 en « I » et en « O », produit à partir de 1927, est remarquable aussi, avec ses capots typiques des locomotives suisses, ses portes ouvrantes, ses bielles. Notons enfin, comme en « I », l’existence d’un modèle de base à quatre roues produit entre 1925 et 1932.
Ensuite, on passe à la période verte. C’est celle des années 1930, avec la production d’un modèle de base à quatre roues (en diverses variantes, avec ou sans capots), et de modèles type 2B1 et 2C1, et, bien sûr, de la fameuse Crocodile qui couronne le tout. C’est en 1932 que la série verte démarre avec le modèle de base en « 0 » à quatre roues référence RS/66/12920, longue de 22 cm. En 1932, la 2B1 sort en « I » et en « 0 », suivie en 1933 de la Crocodile dans les deux écartements, et en 1935 d’une sorte de « Crocodile » du pauvre à quatre roues en « 0 ». La 2C1, enfin, marque l’aboutissement de la série en 1935, représentant assez correctement la Ae 3/6 réelle. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, seuls les modèles de base ou la 2B1 continuent leur carrière jusqu’en 1954.

La surprise de 1933.
Märklin frappe très fort pour Noël 1933 avec ce superbe jouet long de 45 cm, pour l’écartement « 0 », et long de 63 cm, pour l’écartement « I ». Les deux modèles sont en acier, et la locomotive, comme dans la réalité, est articulée en trois parties – chose, en l’occurrence, très appréciable pour un jouet qui doit s’inscrire dans des courbes à rayon très serré.
Dans les deux écartements, ce jouet est doté de phares électriques à l’avant et à l’arrière sous la forme de trois feux blancs et d’un rouge. Mais il y a mieux encore : un éclairage électrique dans la cabine de conduite, une prise pour l’éclairage du train, de la marche avant et arrière commandée à distance, des pantographes articulés et relevables, des tampons à ressort, des fenêtres vitrées. La locomotive peut, sur demande, recevoir deux moteurs électriques au lieu d’un seul.
Le catalogue français du magasin Märklin de Paris propose la « Crocodile » en « 0 » à 1150 francs, tandis que le modèle en écartement « I » est proposé à 2.250 francs. Pour situer ce prix, donnons quelques éléments de comparaison.
Aux Galeries Lafayette, on trouvera le train Hornby « M », version électrique, en mallette complète avec décor, accessoires, pour 195 frs. Le plus luxueux train-jouet français, la « Flèche d’or » de JEP, en coffret complet vaut 425 frs. Un poste de radio coûte 595 frs. , modèle courant miniature à 5 lampes, ou 1.900 frs. , pour le modèle grand luxe avec « pick-up ». Les montres vont de 50 frs. (modèle chromé) à 365 frs. (modèle en or, 15 rubis). On aura compris : la « Crocodile » Märklin vaut cher, très cher : plusieurs mois de salaire d’un ouvrier qui, à l’époque, pouvait débuter à 400 ou 500 frs.


Parfaite, la « Crocodile » ? Eh bien…
Certainement comme jouet. La qualité est, dirait-on aujourd’hui, totale. Mais comme modèle réduit reproduisant la Ae 6/8 suisse, il y a un gros handicap. La locomotive réelle est une 1CC1, c’est-à-dire qu’elle comporte un essieu porteur avant, trois essieux moteurs, puis trois autres essieux moteurs, et, enfin, un essieu porteur arrière. Le modèle Märklin est, en fait, une 1BB1, c’est-à-dire qu’il manque un essieu moteur dans chaque train articulé de la locomotive, ou, si l’on veut, il manque deux essieux moteurs en tout.
On comprend le choix de Märklin : la locomotive doit pouvoir s’inscrire dans les courbes à rayon très réduit des voies des trains-jouets de l’époque. Märklin propose des voies en écartement « 0 » formant un cercle de 122 cm de diamètre seulement. En « 0 » pour une nouvelle voie à traverses rapprochées, comme en « I » pour la voie traditionnelle en fer-blanc ou pour la nouvelle voie à traverses rapprochées, ce diamètre est porté à 180 cm. C’est, malgré tout, relativement serré. L’amputation d’un essieu moteur sur chaque train articulé de la locomotive permet non seulement de raccourcir la locomotive, mais aussi de réduire l’empattement rigide de chaque train : les deux effets se conjuguent pour permettre une meilleure inscription en courbe.
Il est évident que, pour les Crocodile Märklin à venir, notamment en modélisme à l’échelle « H0 » mais aussi en « I », cette erreur ne sera pas faite, et que les modèles seront bien d’authentiques 1CC1 fidèles jusqu’au moindre rivet près.
La carrière de ce beau jouet.
Cette locomotive plaît énormément aux enfants de l’époque comme aux collectionneurs d’aujourd’hui qui leur succèdent et les rejoignent dans le même rêve, celui de posséder une « Croco » Märklin. Le modèle est produit de 1933 à 1941 en écartement « 0 », tandis que le modèle en « I » disparaît en 1937 avec l’abandon de toute la gamme de trains en « I » chez Märklin pour cause de mévente. En effet les grandes dimensions de ces magnifiques trains en « I » ne sont plus compatibles avec l’exiguïté (déjà ?) des logements modernes. Donc à la rareté du modèle répond nécessairement, si la demande est forte, la course des prix vers le haut et aujourd’hui il est de tradition de renoncer à acheter une Crocodile Märklin et de quitter dignement la grande salle de ventes parisienne, londonienne ou new-yorkaise d’un air dégoûté …
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Märklin reprend le flambeau pacifique du jouet. Les trains en écartement « 0 » poursuivent leur carrière, mais commencent à vivre à l’ombre des trains miniatures en « 00 » apparus en 1936 et dont le succès est croissant. Une Crocodile encore de facture jouet verra le jour en 1947 en « 00 », mais bien de type 1CC1 cette fois, et Märklin évoluera vers des modèles précis en « HO » dans les décennies suivantes.

Märklin
https://www.marklin.com/products/min-details/article/55681