Avoir la trouille ? Mais non : il s’agit seulement de jetons ? Mais quels jetons ? Ces jetons en bois qui ont, lors des très lointains débuts des chemins de fer, tenaient lieu de billets et que l’on donnait aux voyageurs lorsqu’ils payaient le voyage.
Depuis bientôt deux siècles, les billets racontent, à leur manière, l’histoire du chemin de fer. La pratique, par certains passionnés de chemin de fer, de la collection des billets est un thème rarement pratiqué, et c’est très injuste pour ces petits morceaux de carton ou ces feuilles de papier qui disent mille choses. Le billet de chemin de fer est le premier objet ferroviaire (sinon le seul) qui apparaisse dans l’existence du commun des mortels, reçu à l’occasion d’un voyage, objet de tous les soucis dont essentiellement la crainte de le perdre, donné par des parents à un enfant ému d’être traité « comme une grande personne », gardé ensuite comme preuve que l’on a surmonté tous les déboires et obstacles dignes des travaux d’Hercule : le billet est porteur d’une connotation affective considérable. Il est le seul témoin personnel d’une aventure dont on a triomphé et dans les règles de l’art.

Quelques « bouts de carton » passionnants.
Les premiers billets de chemin de fer sont très rares et très difficiles à trouver. C’étaient des fiches de papier sur lesquels on écrivait à la main la date, la destination, le nom du voyageur, le type et le numéro de la voiture, et le numéro de la place retenue, le tout… en trois exemplaires : un pour le voyageur, un pour le garde accompagnant la voiture, et un pour l’administration. Bonjour la paperasse… Emprunté aux diligences, ce système disparaît rapidement devant l’afflux immense des voyageurs et cède le pas au système des jetons en ivoire ou en cuivre, puis à celui des billets pré-imprimés sur un rectangle de carton. Ce dernier système demande non seulement des machines à imprimer et à oblitérer, mais aussi l’organisation de la gestion d’un stock de billets dont chacun est à usage très déterminé.



Les collectionner ? Non seulement ce type de collection demande un investissement financier pratiquement nul en contrepartie de longues recherches dans les foires aux vieux papiers et les vide-greniers, mais il permet, à l’instar des timbres, de mettre en œuvre toute une culture d’ordre géographique et historique quand il faut identifier et classer ces innombrables petits bouts de carton qui sous-entendent mille choses derrière leur discours laconique et chiffré. Les billets les plus appréciés sont ceux qui mentionnent des pays ou des réseaux marqués par l’histoire, émis par des pays ayant disparu ou changé de nom, portant des trajets possibles à une époque et impossibles depuis (la traversée du Rideau de fer ou le franchissement de frontières que les guerres ont modifiées), mentionnant des noms de villes et de gares qui changèrent souvent avec le cours de l’histoire (Lemberg devenue Lvov puis Lviv avec les vicissitudes de l’histoire polonaise et la création de l’Ukraine, par exemple ou Breslau l’allemande devenant Wroclaw la polonaise en Silésie) ou correspondant à des itinéraires parcourus par les trains les plus prestigieux comme l’Orient-Express ou le Transsibérien. Les billets reflétant des événements sont intéressants : départs à la guerre, occupation militaire (la Sarre par exemple ou l’Alsace-Lorraine), émigration, transferts massifs de population, premiers congés payés, premières réductions familiales, « trains de plaisir », billets et abonnements ouvriers… les malheurs et les bonheurs de l’humanité entière sont concentrés dans ces petits rectangles imprimés.
Ce monde des billets est le plus familier pour les voyageurs, mais les collectionneurs s’y intéressent aussi pour de nombreuses raisons, et les machines qui les fabriquent ou les délivrent appartiennent de plein droit à ce thème très riche et varié.


Les billets, symbole du rêve, du bonheur, de l’évasion.
Dès 1830, sur la première ligne ouverte en service commercial qu’est celle de Liverpool à Manchester, il y a des billets, ou, plutôt, des jetons. Ces premiers billets de chemin de fer sont très rares et très difficiles à trouver. Les billets en papier ou en carton sont plus courants. Emprunté aux diligences, ce système disparaît rapidement devant l’afflux immense des voyageurs : ici le nombre de gens transporté est tout autre et se compte rapidement en millions avec les années. A sa place les compagnies adoptent le système des billets pré-imprimés sur un rectangle de carton, ce qui demande non seulement des machines à imprimer et à oblitérer, mais aussi l’organisation de la gestion d’un stock de billets dont chacun est à usage très déterminé.
Les salles situées derrière les guichets deviennent des lieux de stockage de milliers de billets déposés dans des casiers allant du sol jusqu’au plafond. En effet, il faut combiner l’ensemble des trajets possibles entre tous les points du réseau, y compris pour la moindre station intermédiaire. C’est ainsi que, en 1931, la nouvelle Gare de l’Est à Paris peut délivrer quelques 154.000 billets différents concernant les 1.400 gares du réseau, grâce à 32 machines à imprimer automatiques situées derrière les guichets et comprenant 2.000 clichés chacune.
Non seulement ce type de collection demande un investissement financier pratiquement nul en contrepartie de longues recherches dans les foires aux vieux papiers et les vide-greniers, mais il permet, à l’instar des timbres, de mettre en œuvre toute une culture d’ordre géographique et historique quand il faut identifier et classer ces innombrables petits bouts de carton qui sous-entendent mille choses derrière leur discours laconique et chiffré.
Les billets les plus appréciés sont ceux qui mentionnent des pays ou des réseaux marqués par l’histoire, émis par des pays ayant disparu ou changé de nom, portant des trajets possibles à une époque et impossibles depuis. Par exemple, les billets portant les noms des anciens pays africains (Rhodésie, Congo belge, etc) ou de la République démocratique allemande avec la traversée du Rideau de fer sont devenus des pièces de collection, alors qu’ils étaient en usage courant, il n’y a pas si longtemps.
Les billets portant en eux la trace de l’histoire sont recherchés : les départs à la guerre, une occupation militaire (la Sarre par exemple ou l’Alsace-Lorraine), les émigrations, les transferts massifs de population, les premiers congés payés, les premières réductions familiales, les «trains de plaisir », les billets et abonnements ouvriers… Bref, tous les malheurs et les bonheurs de l’humanité entière sont concentrés dans ces petits papiers imprimés.
Du jeton au carton.
Le système est définitivement établi dès les années 1830-1840 et ne variera plus dans son principe jusqu’à l’époque, très récente, du marketing et du sens commercial. Pendant des décennies, les compagnies vont se comporter comme des administrations, appliquant à des voyageurs qui ne sont nullement des clients des textes rigides préconisant le prix des billets établis par la distance, la classe, et, éventuellement, la condition du voyageur qui peut obtenir des réductions – comme les fameux tarifs pour militaires et bonnes d’enfants. Il est à noter qu’aucun billet ne peut, du moins en 1885, toujours d’après les textes d’époque, couvrir une distance inférieure à 6 km, et que, donc, on paie forcément au moins pour 6 km tout voyage en chemin de fer : on a ainsi intérêt, si l’on est quelque peu « rat », à habiter à 7 km de son lieu de travail pour être gagnant et pour narguer ceux qui habitent à moins des 6 km fatidiques…
À l’époque, il n’est pas question d’acheter autrement que par les guichets qui sont réglementairement ouverts une demi-heure avant le départ du train « dans les grandes stations » et un quart d’heure seulement dans les autres. Il est à noter que les guichets ferment un quart d’heure avant le départ du train pour les voyageurs avec bagages, et cinq minutes avant le départ pour les voyageurs sans bagages ! Si le train est en retard, les guichets restent ouverts d’autant.
La fabrication et la vente des billets finissent par devenir une véritable industrie au cœur du chemin de fer et sa gestion est très lourde et coûteuse. Les salles situées derrière les guichets deviennent des lieux de stockage de milliers de billets déposés dans des casiers allant du sol jusqu’au plafond. En effet, il faut combiner l’ensemble des trajets possibles entre tous les points du réseau, y compris pour la moindre station intermédiaire. C’est ainsi que, en 1931, la nouvelle Gare de l’Est à Paris peut délivrer quelque 154.000 billets différents concernant les 1.400 gares du réseau, grâce à 32 machines à imprimer automatiques situées derrière les guichets et comprenant 2.000 clichés chacune.



De la variété et de l’improvisation, chez MM les contrôleurs, s’il vous plaît…
Dans sa haute bienveillance, l’État n’a pas manqué, sous la plume (trempée dans l’encrier) de ses hauts fonctionnaires, d’écrire quelques lignes immortelles. La dépêche ministérielle du 22 octobre 1863 interdit aux contrôleurs l’entrée dans les compartiments réservés aux dames, des fois que les dames en question succomberaient aux charmes bien connus des contrôleurs agrémentés d’un piment de prestige de l’uniforme… Les dames voyageant dans les compartiments pour dames seules ne seront désormais contrôlées que sur le quai, avant le départ du train. Ah ! La belle époque… et dire que l’on se plaint des époux qui, mus par certaines traditions religieuses, refusent aujourd’hui à un médecin homme toute possibilité d’ausculter une épouse malade ! Dans le fond, ce XIXe siècle n’était que dans l’anticipation du XXIe.
Le 30 janvier 1873, le tribunal civil de Nîmes rend un jugement : « L’individu se disant mensongèrement supérieur d’une communauté religieuse a obtenu d’une compagnie de chemin de fer un permis de circulation à prix réduit pour lui et les membres de sa prétendue communauté, et a usé de ce permis en faveur d’un ouvrier travaillant chez, commet le délit d’escroquerie ». C’est le moins que l’on puisse dire, car si un ouvrier profite de l’escroquerie (fait déjà très répréhensible en soi à l’époque) il y a aussi un abus vis-à-vis de l’Église : bref toutes les valeurs bourgeoises sont bafouées dans un seul faux billet ! Mais les fraudeurs de l’époque avaient une imagination fertile, ce qui semble s’être perdu. Les contrôleurs auront à faire preuve d’imagination…
En effet, les instructions spéciales de 1885 du Ministère des Transports précisent ceci : «Le contrôle de route, ayant pour but d’empêcher les voyageurs en général, et principalement ceux des stations intermédiaires, de circuler sans billet ou de circuler avec un billet, mais dans une voiture de classe supérieure à celle à laquelle ils ont droit, ou de dépasser leur destination, les contrôleurs de route et les chefs de train doivent faire le contrôle, tantôt dans une gare, tantôt dans une autre, en le commençant alternativement par la tête ou par la queue du train. Ils n’adoptent pour l’exécution de ce service aucune marche régulière, afin d’éviter, de la part des voyageurs, des combinaisons qui puissent les mettre à l’abri du contrôle… »
La ruse et les effets de surprise, encouragés en haut lieu, sont donc des armes supplémentaires pour le contrôleur. Que disent les textes d’aujourd’hui ? Les contrôleurs, devenus des “Agents du service commercial trains” (ASCT) dynamiques et bienveillants en tant que bons commerciaux, peuvent-ils, par exemple, se cacher ou se déguiser pour piéger les voyageurs ? On notera que ce fait, à notre humble avis, serait assez drôle et mettrait du piment dans les voyages actuels.

Quand la RGCF s’intéresse aux billets : le règne des machines à billets.
Vers la fin du XIXe siècle, le règne des porte plumes, des billets en papier écrits par un agent, ou des billets en carton fin préfabriqués et imprimés, se termine devant la complexité croissante des tarifs et des formes de billets. La fabrication intégrale des billets va se décentraliser en direction des gares. En 1904, la RGCF publie une importante étude sur la fabrication des billets, et devient une revue de mécanique, publiant des pages entières de plans d’une machine dans laquelle abondent roues dentées, cliquets, rochets anti-retour, ressorts, molettes, ergots, leviers, biellettes, le tout à profusion…

Le problème est que les billets doivent pouvoir être immédiatement imprimés à la demande dans n’importe quelle gare, mais il faut aussi que la compagnie puisse recevoir, et d’une manière vérifiable, les sommes correspondant aux billets vendus ou aux billets restants. La compagnie du Nord essaie, dans la gare d’Enghien, une machine aussi compliquée que révolutionnaire, qui fait suite à d’autres prototypes essayés depuis 1897 dans d’autres gares, mais avec un succès mitigé. La machine d’Enghien serait-elle la meilleure ? Bonne fille, la Revue Générale des Chemins de Fer consacre pas moins de vingt pages à la question…
Il serait très simple de croire qu’il y a seulement autant de sortes de billets qu’il y a de destinations. Sachant que, pour chaque destination, on peut avoir un billet dans chacune des trois classes, un billet aller simple ou aller et retour, un billet place entière ou demi place, ou quart de place, et… des billets pour chiens, cela fait pas moins de 13 possibilités par destination. La seule solution n’est pas de stocker des billets préimprimés, mais de les imprimer au fur et à mesure des ventes.
Ce n’est pas tout. Il faut que les numéros des billets correspondent à ces codes statistiques, ce qui veut dire que si la machine fabrique un billet pour Paris se terminant par le numéro 000248, il faut que, même après un ensemble de billets fabriqués pour d’autres gares, le billet suivant pour Paris se termine par 00249. Une chaîne Galle porte autant de « blocs » mobiles qu’il en faut et comportant, en relief, les caractères correspondant aux destinations, à la nature du billet, la date de validité, le prix.
C’est ainsi que, à Enghien, il faut trois machines, une par classe (puisque chaque classe a des billets de couleurs différentes) effectuant 10 opérations mécaniques successives, en passant par l’avancée du rectangle de carton, son encrage, l’avancement d’une unité du composteur mobile, le découpage du billet à la cisaille, etc. L’agent chargé de la vente doit fournir la force musculaire nécessaire (la cantine fournit-elle bien les calories nécessaires lors de chaque repas ?) et tourner une véritable barre à roue de navire en se cramponnant ferme aux poignées. Les ressorts, les taquets, les roues dentées, la cisaille, l’encreur, tout cela se met en mouvement avec un cliquetis indiquant qu’il vaut mieux ne pas laisser un autre agent y mettre son doigt.
Commencé à la fin du XIXe siècle, le règne des machines à billets et de la mécanique ne prendra pas fin avant les années 1950, quand les techniques de gestion des billets et d’impression évoluent vers plus d’automatismes, vers l’utilisation de moteurs électriques, et vers des machines plus silencieuses.


En conclusion, nous reprendrons celle de notre article sur les contrôleurs déjà paru sur ce site :
“La féminisation du métier, sa redéfinition comme agent commercial à partir des années 1990 marquent bien un changement profond dans le chemin de fer. Le contrôleur n’est plus un simple percepteur de surtaxes ou d’impayés, il a une fonction importante que la nouvelle image de marque du chemin de fer impose désormais : celle d’un service offert à des clients qui ont choisi le train. La concurrence des autres moyens de transport a bouleversé les données, et les voyageurs, à bord du train, veulent être aidés, guidés, conseillés.
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