Les lotissements : avant d’être des paradis pavillonnaires, ils intéressaient les trains de marchandises.

Les lotissements ? Ce mot a complètement changé de sens et désigne aujourd’hui des paradis (ou des enfers) construits au loin autour des grandes villes et de préférence « nulle part ailleurs ». L’habitat dispersé, donc totalement dépendant de l’automobile particulière, a commencé ses ravages aux États-Unis entre les deux guerres, avec une mode du retour à la nature dans une belle maison à grandes vitres posée au centre d’une vaste pelouse bien verte et dotée d’un garage pouvant recevoir au moins deux énormes voitures bien américaines et affichant une joie de vivre et un « ideal way of life » triomphant. Pour aller au travail ou faire les achats, pour faire vivre un couple ou une famille, il fallait forcément avoir deux voitures au moins, et ce mode de vie – pour ne pas dire “non vie” – a eu pour conséquence perverse d’encourager le développement des grands centres commerciaux en dehors des villes et de vider puis tuer les villes par la mort de leur coeur, d’allonger la journée quotidienne pour les enfants, debout à l’aube et guettant le “school bus” jaune, revenant tard le soir à la maison, et surtout, en ce qui nous concerne ici, de tuer le chemin de fer.

Tuer le chemin de fer ? Personne n’y pense, et surtout pas dans les lotissements où le chemin de fer est totalement inconnu et absent de la moindre pensée et du moindre souci de la vie quotidienne. Imaginons la personne prenant son petit déjeuner avant sa journée de travail, bien au chaud, dans une belle cuisine aménagée. Il passe au garage attenant à la maison par une porte intérieure sans prendre froid, s’installe dans sa voiture qui est à la température du garage, ouvre la porte du garage avec une télécommande, puis ouvre l’éventuel portail donnant sur la chaussée, et part, bien au chaud, bien assis, écoutant la radio (et maintenant son téléphone portable, ce qui est cause d’accidents mortels) et, en France, environ 15 millions de personnes partent ainsi au travail, et 100 millions en Europe.

Tuer le chemin de fer ? Ces braves gens ne connaissent rien du chemin de fer. Si on leur en parle, voilà qui leur semble être une notion absurde, impensable, venu d’une autre galaxie. Quoi donc ? Aller se geler sur un quai de gare après avoir marché dans le froid ? Attendre un train qui pourra être en retard et bondé ? Subir les effets de l’entassement et du voyager debout pendant une demie heure à deux heures, matin et soir ? Non merci : il faudrait être fou. C’est comme cela que les lotissements ont tué le chemin de fer en tuant les villes, et ont crée la plus meurtrière des pollutions détruisant la planète.

Mais ce n’est pas le sujet de cet article.

Il y a eu d’autres “lotissements”, plus heureux : quand les « trains de fret » s’appelaient encore des « trains de marchandises » ces trains-là, classés en « Petite Vitesse » puis “Régime Ordinaire” (RO) ou en « grande vitesse » puis “Régime Accéléré” (RA), étaient à l’image même d’un âge d’or pour le chemin de fer : abondants, surchargés, et acceptés avec enthousiasme par une civilisation qui n’avait pratiquement aucun autre moyen de transport.

L’univers des marchandises représentait, avec des wagons de chargés à bras d’homme (ou de femme, mais oui!), des véhicules à chevaux dans les cours de débord, des petits bistrots ouverts tôt le matin, tout un aspect modeste et touchant du chemin de fer du XIXe siècle, vivant d’un travail rude fourni par une main d’œuvre de manœuvres, de manutentionnaires, de commissionnaires. De 1830 à 1910, ce sont 80 années de prospérité interrompue et de monopole absolu du chemin de fer sur le transport terrestre des marchandises comme des voyageurs. Mais peu avant la Première Guerre mondiale, la route commence un travail de sape, écrémant librement à son profit les transports des marchandises les plus rentables et laissant le reste à un chemin de fer tributaire de ses obligations de service public.

Chargement à la main de wagons couverts fait par des femmes, sur le réseau du PLM, en 1906. Les cuisinières, qui ont fui la cuisine pour aller travailler, chargent de la cuisine, et c’est cohérent mais la « poterie culinaire » voyagera et arrivera à bon port grâce au lotissement.

Les petites lignes terminales fret ? Le lotissement, avec la toute jeune SNCF des dernières années 1940.

Avec la Revue Générale des Chemins de Fer de mars 1942, nous pouvons découvrir que le problème de l’acheminement des wagons de marchandises sur les petites lignes est un vieux, bien vieux problème, né avec le chemin de fer et jamais résolu d’une manière satisfaisante. Et, comme nous l’explique la RGCF de l’époque, plus le réseau grandit, plus il a de lignes, plus le problème est complexe et insoluble ! Relisons avec passion ces très belles pages de la revue, consacrées en pleine époque de guerre, à cette histoire de la gestion des wagons de marchandises sur les petites lignes.

Le réseau de la SNCF, en 1942, est très dense et comprend une grande quantité de petites lignes formant, selon les termes mêmes de la RGCF, un « enchevêtrement » de 43.000 kilomètres de lignes se croisant en 870 points différents, qui constituent autant de bifurcations. Rappelons que ce même réseau a atteint, avant 1914, jusqu’à 59.000 km de lignes.

Pour les auteurs Chappes Jean-Claude, Fontaine Michel et Michel J.P. (dans « Chemins de fer 1975 » N° spécial Science et Vie, p.66 et suivantes), la contemplation du réseau ferré français leur rappelle le problème amusant, paraissant dans les journaux et les livres d’enfants de l’époque, dans lequel on demande d’aller d’un point à un autre d’un dessin composé d’un fouillis inextricable de lignes, sans passer deux fois par le même endroit !

A cette époque bénie où le trafic marchandises est encore très actif, le fait d’acheminer un wagon entre deux gares quelconques reste bien le problème apparemment posé, mais, pour ces auteurs, il l’est d’une manière bien trop compliquée : 

« Il s’agit en effet de choisir, parmi tous les itinéraires géographiques acceptables, celui qui répond à de multiples conditions, dont certaines sont parfois contradictoires. Si l’on considère, en outre, qu’une telle condition ne se réduite pas seulement à l’acheminement d’un wagon entre deux gares, mais de l’acheminement des 40.000 à 50.000 wagons chargés chaque jour dans un ensemble de plus de 6400 gares (nombre divisé par deux aujourd’hui, soit dit en passant), à destination de n’importe laquelle de ces gares et de l’étranger, on conçoit que l’organisation des transports pose des problèmes très complexes ».

L’organisation des premiers temps des chemins de fer.

Lors des débuts des années 1830 à 1850, les compagnies exploitent des lignes et non un réseau aux mailles serrées. Il n’y avait guère le choix, car tout wagon ne pouvait en général emprunter qu’un itinéraire, celui de la ligne exploitée ; et quand il y en avait exceptionnellement plusieurs, on choisit le plus court. Les choses sont simples car l’acheminement s’effectue obligatoirement par cet itinéraire, qui est à la fois l’itinéraire de taxation et l’itinéraire d’acheminement.

Mais au fur et à mesure de la jonction entre les lignes qui se rejoignent dans des gares communes, et au fur et à mesure de la création, par fusion ou rachat, de compagnies plus grandes qui se mettent à construire des lignes nouvelles en réunissant les moyens financiers et techniques considérables nécessaires, l’époque des lignes se termine et l’époque des réseaux lui fait suite. Pendant la deuxième moitié du XIXe siècle, c’est une période intense de construction de lignes nouvelles et de lignes d’embranchement qui relient entre elles les principales lignes.

Une des nombreuses gares de marchandises parisiennes dans les années 1890. Le chemin de fer règne sans partage sur les transports terrestres et fait vivre une armée de débardeurs et de « coltineurs » travaillant avec la force de leurs bras dans les cours de débord.

La bataille des petites lignes : une partie de poker menteur entre le PO et le PLM.

La RGCF décrit ainsi, avec une figure à l’appui, le magnifique coup de billard à trois bandes que le Paris, Lyon et Méditerranée (PLM) joue au Paris-Orléans (PO), faisant un éblouissant “échec et mat” en ramenant sur son réseau le très fructueux trafic entre Béziers et Paris que le PO avait réussi à détourner à son profit. Avant 1908, l’itinéraire le plus court entre Béziers et Paris se fait par Arvant et Neussargues d’abord par le PO puis par le PLM entre Arvant et Paris.

Mais le PO ouvre en 1908 la ligne Neussargues à Bort-les-Orgues, et l’itinéraire le plus court passe désormais par là, et reste 100% PO. Le PLM répond en ouvrant la ligne de St-Flour à Arvant, ce qui lui permet de reprendre la mise….  Les braves habitants de ces régions reculées, peu aptes à fournir un trafic à ces lignes construites à grand frais, ont du bénir le ciel qui leur envoyait si généreusement des lignes, des gares, et des trains ! Ils apprécient ces deux lignes quasi parallèles et très proches d’une de l’autre, reliant, d’une part, Neussargues à Arvant, et, d’autre part, St-Flour à Brioude. En 1913, une convention prescrit une répartition équitable entre les deux réseaux pour ce courant de trafic, et en 1938 la SNCF met fin à la partie de poker.

La partie de poker entre le PLM et le PO-Midi. En vert, le PO devenu PO-Midi en 1934, et en rouge le PLM.
-Phase 1 : Le PO-Midi n’a pas d’accès direct depuis Béziers jusqu’à Paris.
-Phase 2 : Le PO-Midi crée son accès direct en reliant Neussargues à Bort.
-Phase 3 : Le PLM construit la ligne Arvant-Saint-Flour juste pour doubler la ligne PO-Midi concurrente déjà établie entre Neussargues et Arvant. Une opération coûteuse et perdant-perdant pour un bénéfice léger et limité dans le temps.

L’heure des comparaisons d’itinéraires a sonné.

Des comparaisons d’itinéraires peuvent désormais être faites et on s’aperçoit que l’itinéraire court de taxation n’était pas toujours le plus économique, et qu’il était souvent plus avantageux de faire un détour pour utiliser une ligne à meilleur profil.

L’accroissement du trafic marchandises se poursuit inexorablement, le chemin de fer étant le seul transporteur terrestre capable d’assurer la qualité et la quantité des transports dont une France, en pleine expansion économique, a besoin. La construction de grandes gares spécialisées dans la formation de trains de marchandises, que l’on appellera gares de triages à partir du début du XXe siècle, vient jalonner les itinéraires de wagons, mais sans tenir compte des itinéraires de taxation.

Il est évident que les anciens réseaux ont pour règle générale la recherche des itinéraires les plus économiques et les plus favorables pour attirer sur leurs rails un maximum de trafic pour accroître leurs recettes, et lorsque des marchandises étaient susceptibles d’emprunter deux itinéraires sensiblement parallèles appartenant à deux compagnies différentes, « l’attribution du trafic posait d’importants problèmes financiers, d’où parfois des compétitions opiniâtres.. » selon l’auteur de l’article.

Mais, ils doivent aussi, dans une logique de concurrence entre réseaux privés, anticiper pour essayer d’attirer sur leurs lignes le trafic qui pourrait leur échapper et passer par des réseaux voisins.  Si l’on regarde une carte de France des anciens réseaux, on voit aisément à quel point un certain nombre de « frontières » sont des lieux de conflit et de concurrence, et que les lignes qui longent ces « frontières » n’ont pas été construites en toute innocence…

Il suffit en effet qu’un réseau construise très astucieusement une ligne nouvelle pour qu’il reporte sur sa propre concession un itinéraire court, et voilà qui ne fait qu’augmenter sa participation aux recettes kilométriques provenant du trafic intéressé.

Ces rivalités entre anciennes compagnies privées ne manquent pas, comme le signale très explicitement l’auteur de l’article de la RGCF de mars 1942, d’être très onéreuses pour les compagnies en cause, et la seule manière d’y mettre fin et d’éviter un gaspillage d’argent et de moyens est de mettre en place des conventions qui répartissent le trafic et en fixant les points d’échange entre réseaux.

De l’influence de la concurrence concertée sur le gaspillage des moyens mis en œuvre.

Du fait de ces conventions, les wagons passent alors par des gares dites de transit qui ne sont pas nécessairement situées sur les itinéraires courts de taxation. Le résultat est que les règles sur la direction à donner aux wagons chargés en petite vitesse sont devenues très compliquées avec trois possibilités pour tenter d’échapper au problème :

  • emprunt de l’itinéraire réellement le plus court
  • emprunt d’itinéraires résultant de l’application de conventions
  • emprunt d’itinéraires s’inspirant exclusivement de considérations de mouvement.

Pour la RGCF : « Il fallait, de tout cet imbroglio, tirer des règles précises qui permettent aux gares de diriger les wagons, de déterminer les escales qu’ils devaient subir et les trains par lesquels ils devaient être acheminés. »  

En effet, chacun des anciens grands réseaux français a sa solution et traite le problème en fonction de ses méthodes et de sa culture professionnelle, et aussi en fonction de sa configuration et des profils et tracés de ses lignes. C’est alors l’origine des techniques dites du « lotissement ».

La naissance du lotissement.

La complexité du problème de l’acheminement des wagons est devenue telle sur les anciens réseaux qu’il n’est plus question de laisser aux agents des gares la responsabilité et l’initiative, pour acheminer un wagon sur sa destination, de l’incorporer à un train quelconque, aboutissant à une gare quelconque de l’itinéraire. C’est ainsi que les anciennes compagnies sont rapidement amenées à faire un travail comparable à celui qui est fait par l’Administration des Postes qui établit à l’avance des règles pour l’acheminement des lettres. C’est l’enseignement qui est tiré des embouteillages de gares et des retards considérables dans l’exécution des transports qui se produisent, d’une manière répétée sur les réseaux à partir des années 1880. Si certains trains de voyageurs attendent des heures durant pour trouver une voie à quai à leur arrivée dans certaines grandes gares lors de ces embouteillages endémiques souvent provoqués par des incidents mécaniques ou des intempéries, c’est par journées entières que des wagons de marchandises dans les triages ou des trains de marchandises dans des gares de bifurcation peuvent attendre.

La RGCF se fait pédagogue et explique le problème de l’acheminement d’un wagon d’une station quelconque A à une station quelconque B.

En général, l’acheminement se fait en trois phases.

  • 1) Le wagon part de la station expéditrice A par un train de marchandises, le plus souvent omnibus, qui le conduit à une gare de bifurcation ou à une gare de triage E constituant une première escale.
  • 2) Le wagon est acheminé au départ de cette gare E par des trains de marchandises généralement directs, jusqu’à une autre gare de bifurcation ou de triage E voisine du point de destination B, après avoir subi, suivant les cas, une ou plusieurs escales E’ou  E’’, etc.
  • 3) Enfin, la gare E dirige le wagon, en principe par train de marchandises omnibus, jusqu’à la gare destinataire B.

Quand la gare expéditrice A et la gare destinataire C sont toutes deux tributaires de la même gare de bifurcation ou de triage E, la deuxième phase n’existe pas. Mais quand cette deuxième phase existe, les wagons circulent entre les gares d’escale E1- E2 – E3 – En dans des trains directs où ils sont groupés en « lots ».

Un lot d’une gare E1 pour une gare E2 est l’ensemble des wagons qui vont de E1 à E2 groupés en un seul « paquet », et qui ne sont séparés que par la gare E2, d’où l’expression de « lotissement » qui correspond à l’ensemble des prescriptions assurant l’acheminement le plus favorable aux wagons de petite vitesse.

La couverture du fameux annuaire général Pouey présent dans toutes les gares de France pendant un siècle et donnant la liste des 12.511 gares en 1933, par exemple, avec toutes les caractéristiques concernant l’expédition et la réception des marchandises.
Une des 90 cartes départementales du réseau français, dans l’annuaire Pouey de 1933. Guère lisible, certes, mais très complet ! La moindre halte ou « point d’arrêt » est répertoriée.

La lecture en direct des étiquettes sur les wagons.

On pourrait penser, à l’époque, que l’indication du seul nom de la gare destinataire, qui doit évidemment figurer sur les étiquettes d’un wagon, pourrait à la rigueur suffire pour l’orienter si l’on connaissait la situation ferroviaire exacte de cette destination.

Mais il serait bien difficile d’orienter convenablement tous les wagons à la seule lecture de l’étiquette de leurs destinations, quand celles-ci sont éloignées du lieu d’expédition et peu connues. On imagine mal un cheminot de la compagnie du Midi lisant une étiquette « Pontrieux » ou « Landrecies », et sachant que la première est une petite ville de Bretagne dans les Côtes-du-Nord de l’époque, et que la seconde est quelque part dans le Nord, près d’Aulnoye-Aymeries… De plus, comment constituer des lots de wagons qui doivent entrer dans la composition des trains si l’on n’a à sa disposition que le nom des gares destinataires ?

On serait conduit à faire, soit des énumérations interminables de noms de gares, soit des désignations de sections de lignes ou des groupements géographiques de sections de lignes, comme cela s’est fait autrefois, en disant par exemple, selon l’auteur de l’article de la RGCF :

  • gares de la ligne de Nantes à Bordeaux,
  • gares situées sur et au Nord de la ligne Abbeville Amiens-Tergnier-Laon,
  • gares situées dans le périmètre de la Grande Ceinture,
  • gares en deçà de Frouard,… au delà de Frouard,
  • etc…. etc….

On pourrait, en réponse, substituer aux nombreux noms des gares d’une même circonscription ou zone géographique, un système de « code postal » avec des arrondissements (cas de Paris) ou des agglomérations de moindre importance dépendant d’un centre distributeur (cas des villages d’un même canton ayant les mêmes trois derniers chiffres suivant ceux du département). C’est d’ailleurs ce qu’ont fait les anciens réseaux qui ont tous eu recours à des simplifications de ce genre, mais en adoptant des règles qui procédaient d’idées directrices différentes, sous la forme de ce que l’on a appelé des  « Indices de lotissement ».

Document SNCF des années 1950. Aujourd’hui, les « pointeurs-releveurs » n’affrontent plus les intempéries sur les triages.

L’utilisation des lotissements.

Deux grands problèmes ne manquent pas de se poser à l’époque. Le premier s’est posé en organisant, le plus rapidement possible dans une gare de triage, le plus grand nombre de wagons pouvant aller ensemble, le plus loin possible, sans nouveau triage. C’est le « plan de transports » pour l’acheminement des wagons de toutes provenances pour toutes les destinations.

Le deuxième a été de donner aux agents d’exécution une expression pratique du plan de transports. Le problème correspondant consiste à traduire ce plan, dont la structure est extrêmement compliquée, sous forme de règles précises et à mettre à la disposition des agents des gares des documents très simples, qui permettent d’acheminer automatiquement les wagons conformément au plan de transports.

Pour la RGCF, les réseaux anciens ont utilisé deux systèmes :

  • Soit ils ont découpé les lignes d’un réseau en zones géographiques de lotissement, invariables, groupées autour d’une gare Importante et désignées chacune par un indice. Les gares d’une même zone sont toujours désignées par l’indice de lotissement de cette zone en tant que gares destinataires et ceci quelle que soit la provenance des wagons. Cet indice ne correspond donc pas nécessairement à la gare de dernière escale, qui peut se trouver dans une autre zone de lotissement que la gare destinataire, il est indépendant des positions respectives de la gare expéditrice et de la gare destinataire.
  • Soit ils ont utilisé le système dit des « Centres de lotissement ». Un centre de lotissement est généralement constitué par une gare de triage d’une certaine importance, à laquelle on affecte un indice de lotissement (en lettres ou en chiffres). Les gares destinataires de wagons sont tantôt rattachées à un Centre de lotissement, tantôt à un autre suivant la situation de la gare expéditrice. L’indice de lotissement à faire figurer sur un wagon est toujours celui qui correspond à la dernière escale, centre de lotissement, et dépend par suite des positions respectives de la gare expéditrice et de la gare destinataire. Ce système était en usage sur le Réseau de l’Est qui employait des indices à lettres, et sur le Réseau de l’Etat, qui employait des indices à chiffres.

Dans le premier système, où l’indice de lotissement ne dépend que de la destination, toutes les gares peuvent figurer sur un seul et même répertoire, inscrites par ordre alphabétique, avec, en regard de chacune d’elles, son indice de lotissement. En outre, ce répertoire une fois établi, peut rester pratiquement immuable. Mais il y a un risque permanent de parcours inutiles et de rebroussements. Lorsque, par exemple, un wagon est destiné à Arnèke, gare de la zone de lotissement 27, créée autour de Dunkerque, on peut craindre que venant du Sud, ce wagon. au lieu de faire escale à Hazebrouck, soit dirigé à tort sur Dunkerque, en dépassant Arnèke, et fasse ainsi un parcours inutile en rebroussement.

Par contre, dans le second système, les nomenclatures de lotissement varient, d’une gare à l’autre. Chaque gare doit être dotée d’une nomenclature particulière, ou commune à un très petit nombre de gares situées sur une même section de ligne, comme, par exemple, les 460 nomenclatures de lotissement du réseau de l’Est. En outre, ces nomenclatures devaient être remaniées à chaque modification apportée au plan de transport ou dans la composition des lots formés par les triages. Cependant, le second système offre l’avantage de désigner nettement le triage de dernière escale sur lequel doit être dirigé un wagon et permet ainsi d’éviter systématiquement les rebroussements.

La SNCF, aussitôt créée, réforme le système.

Dès sa création, la SNCF se penche sur le problème et étudie un système de lotissement unifié sur l’ensemble du réseau national. Ces études, menées en 1938 et 1939, tentent d’abord d’achever les travaux de la Commission des Acheminements créée en 1932 par les anciens réseaux, et travaille sur la recherche, pour les principaux courants de trafic direct, des itinéraires les plus économiques, sans avoir à se préoccuper des règles alors en vigueur.

La SNCF se préoccupe des itinéraires à suivre en trafic interrégional en réduisant le nombre des points de contact entre régions, et en éliminant ceux qui sont peu importants ou accessibles seulement par des lignes à faible circulation, dont l’emprunt est souvent générateur de retards dans l’acheminement.  La SNCF parvient à concentrer les itinéraires sur des gares bien équipées et sur des courants de trafic importants, susceptibles d’améliorer l’acheminement.

Puis la SNCF s’attaque à l’élaboration d’un système de lotissement unifié, avec un indice de lotissement fixe pour chaque gare, et un procédé d’évitement des rebroussements inutiles. Chaque gare ouverte au trafic P.V. est rattachée, en tant que point de destination, à une zone géographique dite «zone de lotissement » désignée par un Indice de lotissement.

Les étiquettes des wagons portent, à l’instar du code postal des départements, des symboles conventionnels complétant le nom de la destination et dont l’ensemble constitue l’indice de lotissement. Les wagons sont orientés, tant au départ de la gare expéditrice que des gares d’escale, uniquement d’après l’indice de lotissement, abstraction faite du nom de la gare destinataire qui ne sert qu’en fin de parcours.

Cette méthode supprime les étiquettes comportant le nom de la gare de contact d’une région avec une autre région, alors que la désignation de ces gares était essentielle avec les anciens procédés d’acheminement en trafic interrégional. Enfin, cette action crée des documents simples permettant aux agents d’exécution de trouver rapidement l’indice de lotissement de n’importe quelle gare destinataire sur le réseau de la SNCF, et de déterminer, au seul vu de l’indice de lotissement d’un wagon, dans quel lot on doit l’incorporer. Ce dernier point permet de savoir par quel train et dans quelles conditions ce lot peut être acheminé. C’est l’aboutissement du système hérité des anciennes compagnies et des temps qui ont précédé la révolution apportée par l’informatique.

Mais, les wagons âgés, comme les « papys », font de la résistance.

L’âge des wagons reste le problème majeur. Les anciens types courants (couvert, tombereaux, plats, etc.) forment 90% du parc au lendemain de la guerre et encore 55% du parc en 1975. Mais au début des années 1970 l’ensemble des wagons est apte à circuler au moins à 80 km/h en Régime Ordinaire. Le kilométrage marchandises parcouru à 120 km/h passe de 150 000, en 1966, à 1 870 000 en 1970 et à 3 750 000 en 1973, c’est-à-dire qu’en 8 années il est multiplié par 25.

Une évolution s’est donc dessinée, et la SNCF a non seulement dû modifier les organes de roulement des wagons à marchandises, comme l’abandon du palier lisse pour les rouleaux dans les boîtes d’essieu, mais aussi repenser le problème en termes d’exploitation et de traction. Le problème du trafic marchandises, devenu « fret », se sera pas résolu pour autant, et la situation évoluera inéluctablement au profit du transport routier, malheureusement. Ceci est une toute autre histoire.


Halle à marchandises mécanisée en 1959. Sur la droite, les fameux camions Sovel électriques SNCF. Doc SNCF.
Une autre vision d’une halle mécanisée à la même époque. Doc. SNCF.
Le très populaire camion Panhard avec semi-remorque de la SNCF, ici reproduit par Dinky-Toys dans les années 1950, et bien connu des enfants parisiens.
Livraison de colis avec un camion électrique Sovel dans le Paris des années 1940. Le camion électrique ? Cela ne date pas d’aujourd’hui…
Quelques outils et aides pour la manutention dans les gares. En bas à droite, le fameux tracteur à trois roues FAR qui pouvait faire un demi-tour sur place dans une petite cour.

Juste pour conclure, et pour ceux qui ne savent pas ce qu’est un “lotissement” au sens actuel du mot parce qu’ils habitent, tout simplement, dans un village, une petite ville, ou une grande ville : dans une similitude répétée à l’infini, à chacun son pavillon, sa poubelle, sa voiture. Tout se ressemble, même les existences et tout le monde ignore ce qu’est une gare.

Le bonheur, vous dis-je …. pourvu qu’il y ait deux bagnoles, au moins, par famille.
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