Les incroyables trains du chemin de fer indien.

Le réseau des Indes reste très attractif pour les amateurs de trains du monde entier. Véritable paradis de la locomotive à vapeur dans un pays déjà très beau, le réseau indien a perdu pratiquement toute sa traction vapeur. Mais, pendant plus d’un siècle, la vapeur indienne fut plus que glorieuse, et elle a contribué à créer le meilleur réseau d’Asie. C’est, avec ceux des USA, de la Russie, de la Chine, l’un des réseaux de chemin de fer les plus longs et les plus actifs au monde, avec plus de 5 milliards de voyageurs chaque année, et 350 millions de tonnes de marchandises par an. Le réseau a été construit à partir de 1853, et en 1947, année de l’indépendance de l’Inde, il est exploité par plus de 40 compagnies qui sont nationalisées en 1951 pour créer un réseau national unique. Ce réseau s’étend sur les 28 états indiens et sur 3 des 7 territoires du pays. Il est raccordé aux réseaux du Bangladesh et du Pakistan qui sont, pour des raisons historiques bien connues (anciennes parties de l’Inde) dans le même écartement.

“Foules indiennes.2015”.Document Biswaszuma Press. Train de voyageurs en Inde : souvent vu dans la presse avec d’autres documents, cette situation de surcharge des trains se produit sur les petites lignes et en écartement de 2 pieds ou 2 pieds 6 pouces, permise par une vitesse très lente. Sur les grandes lignes en voie large, et électrifiées, il n’en est pas question.
Mais les immenses foules indiennes existent bien, rarement sur les toits des trains, mais partout sur les quais des grandes gares de toute l’Inde. Ici, en 1973, une arrivée d’un train de banlieue. Les quais ne sont pas encore dégagés…

Le réseau indien comprend environ 70.000 km de voies depuis la fin des années 30, et dont la moitié seulement est en voie large de 1,676 m (ou 5 pieds 6 pouces), tandis que le reste comprend 28.000 km en voie métrique, et 7000 autres km en écartements divers  comme celui de 610 mm (2 pieds) ou le 762 mm (2 pieds 6 pouces). Notons qu’il est surprenant qu’un réseau construit par des Britanniques ait choisi ces écartements, en particulier cette voie de 1,676 m plus large que la voie normale qu’ils ont, en général, établie partout dans leurs autres colonies de l’époque, et cette vraie voie métrique comme en France ou en Allemagne, et non la voie de 1,067 m que l’on trouve habituellement dans les anciennes possessions anglaises. Certains historiens pensent que le choix de la « vraie » voie métrique s’expliquerait par le désir, que l’on ne peut qualifier d’éclairé, de raccorder le réseau indien aux autres réseaux du Sud-Est asiatique, notamment ceux construits par les Français dans les pays voisins comme l’Indochine.

C’est dans l’infinie plaine du Gange, à forte densité de population, que le réseau indien est le plus dense, notamment autour de Calcutta et aussi dans la banlieue de Bombay. La presque totalité des grands express et beaucoup de trains suburbains et de grands parcours n’ont pas leur origine à Calcutta même, mais pour point de départ et d’arrivée la gare de Howrah, jouant le rôle d’avant-gare de Calcutta, située sur la rive opposée de l’Hooghly, un bras principal du Gange.

A la veille de la Seconde Guerre mondiale, le chemin de fer indien est toujours irréprochablement entretenu. Les locomotives sont astiquées, repeintes, et réellement très soignées. Il est même d’usage que les équipes de conduite, mécanicien, chauffeur et aide-chauffeur, soient habillées de blanc, portant un casque blanc fréquemment passé à la peinture blanche pour en augmenter la propreté et l’étanchéité ! Cette tradition se perdra pendant la guerre et après l’indépendance indienne: d’autres problèmes plus importants sont à résoudre.

Le réseau de l’Inde en 1878. Les lignes servant les grandes orientations économiques du réseau sont déjà en place. Victoria a été couronnée Impératrice des Indes en 1876 et la Compagnie des Indes est à son apogée. En 1947, la Partition de l’Inde donne naissance à un État musulman avec deux territoires distincts, le Pakistan Occidental et le Pakistan Oriental. En 1971, le Pakistan Oriental se sépare du Pakistan Occidental et devient le Bangladesh.

Un réseau, quatre écartements.

Avec au moins quatre écartements différents, le réseau indien a cependant parfaitement évité l’écueil d’une séparation physique entre des réseaux à la manière australienne, et le pays a su garder l’unité de son système. A la manière des pays équipés d’un réseau à grande vitesse et d’un réseau classique complémentaires, en Inde chaque ensemble de lignes joue un rôle en fonction de son écartement. Ainsi les grandes lignes qui constituent les grands axes du trafic sont toutes équipées en voie large de 1,676 m, ce qui permet à de nombreux trains directs inter-réseaux de desservir directement tout le territoire de l’Inde. Anciennes parties du réseau indien, les réseaux voisins du Pakistan et du Bengladesh sont établis dans le même écartement, les jonctions internationales seraient parfaites s’il n’y avait pas des tensions politiques. 

Un certain nombre de compagnies, d’ailleurs, exploitent des lignes dans deux ou trois écartements. L’Eastern Railway, par exemple, est à voie large pour la totalité de ses lignes, mais le South Eastern Railway ne possède pas ligne en écartement métrique mais a des lignes en voie large ou en voie de 762 mm, tandis que quatre régions ont des voies de tous écartements avec prédominance de la voie large pour le Northern Railway et le Central Railway, et de la voie métrique pour le Western Railway et le Southern Rallway. Les North Eastern et Nord-East Frontier Railway sont à voie métrique, exception faite de 84 km de lignes presque entièrement représentés par le bien connu «Darjeeling Himalayan Railway ».

Rappelons ce document significatif paru dans un précédent article paru sur ce site, et consacré aux écartements dans le monde. Ces quatre écartements sont, à la fois, un handicap pour ce que l’on appellerait l’ “interopérabilité” du réseau indien, mais aussi un avantage à la construction du réseau et pour l’adaptation très fine, au moindre coût, des lignes aux topographies et distances locales.

Oser le voyage ferroviaire indien.

D’après les notes d’un voyageur parues en 1906 dans « The Locomotive Magazine », les équipes conduisant les locomotives indiennes du début du siècle ne manquent pas de pittoresque. Composée de trois hommes, l’équipe comprend un conducteur, un chauffeur et un « augwalla » ou aide-chauffeur.  Le conducteur est souvent européen, rarement anglais, mais la formation professionnelle en progrès amène à ce poste des indiens, notamment des Parsis qui, paraît-il, adoptent les méthodes pratiquées dans l’Ouest américain…. De très curieux chapeaux  de forme conique dits « topee » semble être aussi adapté à cette fonction …. qu’un « kilt » écossais, note notre voyageur anglais! Les conducteurs Parsis entretiennent méticuleusement les locomotives, les décorent de couleurs vives ajoutées spontanément. Les chauffeurs  sont souvent de jeunes Parsis ou, surtout, des Eurasiens, voire des Hindous. Le « augwalla » est, à coup sûr, un Hindou: il a en charge tout le travail ingrat, comme le nettoyage général de la locomotive et du tender, le rangement du charbon, l’avancement du charbon dans le tender pendant la marche. Il est très fier quand on l’autorise à actionner le sifflet, ce dont il abuse alors avec joie. Souvent de « tempérament paresseux » (sic), il essaie d’échapper à la vigilance de l’équipe de conduite en allant se coucher à l’avant de la locomotive, sur le tablier, caché aux yeux du conducteur par la masse de la chaudière….

Ajoutons que, même aujourd’hui toujours, la plus grande qualité demandée au voyageur du réseau indien est la patience et la compréhension (qui sont fort loin d’exister en Europe, soit dit en passant) : les pannes, les retards, et même les accidents bénins s’accumulent sur un réseau soumis à une forte demande de transport, mais qui ne peut la satisfaire qu’avec un matériel roulant qui a dépassé, depuis des lustres, les limites d’âge et d’état les plus acceptables en Europe ou aux Etats-Unis.  Il est certain que l’animation des gares est aussi la meilleure manière d’occuper les longues heures d’attente, et le spectacle des gestes des conversations, des attroupements, des gestes, des marchands de toutes sortes ne manquent pas de pittoresque. Il est vrai que les gares indiennes attirent tout le monde, y compris les enfants miséreux et les mendiants, et que cela n’est pas toujours facile à vivre.

Pleines d’odeurs, de bruits, de sensations, les gares indiennes sont encore plus effervescentes quand un train arrive ou repart et les mouvements de foules, y compris pour les gens allant se poster sur les toits, est absolument fascinant pour un Européen soumis à la dictature du principe de précaution….

La vitesse des trains est assez peu élevée et malheureusement les convois sont fréquemment en retard. On admet que plus de la moitié des trains souffrent de retards importants. Durant ces dernières décennies la vitesse limite, qui était traditionnellement de 96 km/h (60 miles) a été portée sur certaines lignes à 112 km/h (70 miles) moyennant d’importants travaux.

Le matériel remorqué est dans un grand état de fatigue. Les voitures subissent toutes, d’ailleurs, une forte simplification au fur et à mesure des passages en atelier pour les anciennes séries ou des mises en service de matériel neuf. On constate de plus en plus l’existence d’un type de caisse unique et dont seuls les aménagements intérieurs varient en fonction du service à assurer : voitures couchettes, lits, ou restaurant, mais aussi voitures des trois classes avec places assises et air-conditionné ou non, services locaux ou de banlieue avec sièges plus petits et plus rapprochés, services des grandes lignes avec un peu plus d’espace, ou encore fourgon sans aucun aménagement. En voie large ou métrique, on retrouve les mêmes types de caisses unifiées – à la largeur et à la hauteur près qui diffère selon l’écartement. Les réseaux en voie étroite de 762 ou 610 mm ont, dans la quasi-totalité des cas, un matériel archaïque remontant souvent à l’entre-deux guerres.

Les voitures des réseaux indiens comprennent quatre classes. Comme le réseau est assez dense en lignes et assez complexe, beaucoup de trains comportent des tranches de voitures directes incorporées dans les trains et détachées en cours de route, ce qui fait que ces voitures ont souvent trois des quatre classes à elles seules : on les appelle les « tricomposites ». Souvent les voitures mixtes à deux classes sont de règle dans les trains.

Mais il ne s’agit pas seulement de cela : ces trains sont très sérieux, utiles, transportent beaucoup de monde et sur des distances considérables, atteignant et dépassant souvent 2000 km.

Ci-dessus, deux vues du bien connu Darjeeling Railway en voie de 61 mm, et au tracé vertigineux avec ses rebroussements imposés par les montagnes de l’Himalaya. Postés à l’avant de la locomotive : deux agents chargés de surveiller une voie toujours encombrée de piétons ou d’animaux, et chargés aussi du sablage.

Les grands trains indiens.

Le «Vestibuled de Luxe Express» est sans doute le plus connu, et il effectue la liaison entre New-Delhi et Calcutta (gare de Howrah),  soit 1441 km, par Hāthras, Kanpur, Allahabad et Gaya, ceci sans dépassée la vitesse commerciale de 60 km/h, et ne dépassant guère 75 km/h entre deux gares consécutives. Les deux autres trains les plus réputés sont le « New Delhi-Madras De Luxe Express» qui, entre les deux villes distantes de 2187 km, dessert Agra, Jhansi, Itarsi, Nagour et Bezwada, d’une part, et, d’autre part, le « Bombay Be-Weekly De Luxe Express » sur le parcours New-Delhi, Mathura, Kotah, Baroda, Bombay, sur 1386 km.

Ces deux trains, mis en service dans le milieu des années 1950, se démarquent de l’ensemble des autres trains indiens car ils sont des trains légers entièrement constitués de matériel à air conditionné. Ils sont une composition réduite, tranchant avec la pratique indienne des trains lourds, et elle est limitée à une voiture-lits de première classe, une voiture-couchettes de troisième classe, deux voitures de troisième classe à sièges inclinables, une voiture-restaurant et deux fourgons. Depuis le début des années 1960, des voitures de troisième classe, sans air conditionné, ni intercirculation, ont été ajoutées à ces trains pour répondre à une demande de la part de voyageurs ne pouvant s’offrir ni la voiture-lits, ni les couchettes ou les sièges inclinables, même en troisième classe.

Toujours sur les longues distances, on pourrait citer le « Toofan Express » qui circule entre Calcutta (Howrah) et Delhi par Patna, Allahabad, Kânpur et Agra. le « Sealdah Express » qui roule entre Delhi et Calcutta sur 1443 km, ceci en passant par Morâdâbâd, Bareilly. Lucknow et Gaya, ou, enfin le bien connu « Nilgiri Express » qui se contente des 516 km séparant Madras de Mettupalayian en passant  par Salem et Cairnbatare. Les chemins de fer indiens ont lancé une gamme de trains, les « Jonata Express»; qui sont des trains express à prix plus accessibles, exclusivement composés de voitures de troisième classe et qui doublent la plupart des trains célèbres déjà cités, sur les mêmes itinéraires, mais à des heures sans doute moins commodes ou agréables.

Train rapide des années 1920 sur le “Great Indian Peninsula Railway”. La locomotive et la signalisation sont de conception purement britannique. Les voitures montrent une certaine adaptation au climat indien. Peinture de F. Moore, parue dans “The Locomotive Magazine”.

L’époque glorieuse des « mails ».

IL ne s’agit pas d’e-mails…. Et la téléportation par l’informatique n’est pas encore à l’ordre du jour. En Inde, comme ailleurs, on voyage toujours entier et on prend beaucoup le train. L’ensemble des trains rapides indiens a conservé les noms britanniques, sans doute pour faire plus chic et rappeler la splendeur des temps passés…Le terme de « mail » (pour une malle-poste, donc le courrier) si prisé dans l’Angleterre victorienne pour l’appellation des trains rapides chargés du courrier de Sa Gracieuse Majesté, y compris en France pour la célèbre « Malle des Indes », trouve toujours, aux Indes justement, sa raison d’être. Le train « Amritsar Mail » offre des voitures directes de Calcutta (Howrah) à Lahore (Pakistan West), soit une belle distance de 1908 km par Patna, Lucknow, Bareilly et Amritsar. De son coté, le « Kaika Mail » roule entre Calcutta (Howrah) et Kalka, accomplissant 1778 km par Gaya, Allahabad, Delhi et Ambala. Le «Bombay Mail » circule de Calcutta (toujours la gare de Howrah) à Bombay, faisant un parcours de 2159 km, par Gayo, Allahabad. Jubbulpore, ltarsi et Shusaval. Il existe aussi le « Punjab Mail » entre Bombay et Ferozepore, sur 1924 km, par Itarsi, Jhansi, Agra, Delhi et Bhatinda, ou encore le « Frontier Mail » qui roule de Bombay à Amritsar, sur 1897 km, passant par Baroda, Mathura, Delhi Saharanpur et Ambala. Citons encore le « Calcutta Mail » entre Bombay et Calcutta (Howrah) par Bhusavol, Nagpur, Bilaspur et Kharagpur, soit 1968 km : il s’agit, on le voit, de trains au très long parcours, équivalents à ceux de notre « Orient-Express » qui reliait Paris à Istanbul.

Le “Bombay Poona Mail” dans les années 1920. Très anglais, à tous points de vue, y compris les couleurs du matériel roulant. Peinture de F. Moore, dans “The Locomotive Magazine”.
Le “Imperial Mail” sur le port de Bombay en 1927. The Locomotive Magazine.

Le « Palace on wheels »

Pour faire exception et diversion sur le réseau indien, et pour quelques nostalgiques fortunés, il existe au moins un train spécial qui rappelle que, jadis, l’Inde savait être un paradis pour quelques-uns au milieu d’un océan de misère humaine…Désigné «Palace on Wheels» (palais sur roues) en Inde, le train des Maharadjahs est un véritable hôtel roulant au charme rétro qui circule depuis 1980 au départ de Delhi pour un parcours de 2400 kilomètres sur les voies métriques du Rajasthan, au nord-ouest du pays.

En gare de Delhi, le «Palace on Wheels» forme une longue rame de vingt et une voitures, tractée par une CC Diesel de 1400 ch. de construction indienne. Les quatorze voitures réservées aux voyageurs ont été construites de 1899 à 1930 pour différents maharadjahs dont elles portent encore les emblèmes. Elles disposent de compartiments à deux ou quatre lits, de deux espaces toilettes avec douche, d’un coin cuisine et d’un minibar. L’accès s’effectue par un salon d’extrémité, dont certains sont aménagés en plate-forme panoramique. La voiture-salon est divisée en deux parties: la bibliothèque et le bar, offrant au total une quarantaine de places confortables. Notons qu’il s’agit du seul train indien où sont proposées des boissons alcoolisées!  La voiture-restaurant, ex-propriété du maharadjah d’Udaipur, offre 24 places et dispose d’une cuisine, qui dessert également la voiture-restaurant annexe par un gros tube passe-plats, la rame étant dépourvue de soufflets d’intercirculation.

Comme au temps des paquebots, le personnel du «Palace on Wheels» est particulièrement nombreux et comprend soixante-dix personnes pour le service d’une centaine de voyageurs. Outre les équipes de conduite, il comprend les cuisiniers, les conducteurs de voitures, les techniciens, ainsi qu’une unité armée de cinq gardes. Il est logé dans les voitures de service du train, dotées de couchettes et d’un fourgon générateur. Roulant à une vitesse maximale de 60 km/h, le «Palace on Wheels» laisse tout loisir pour admirer les paysages.

Dans le même style, toujours, le “Imperial Indian Mail”. La locomotive est une des nombreuses et classiques type 230 du réseau de l’Inde.
Voiture-salon d’un train à longue distance sur le réseau indien. Le chic est inégalable.
La somptueuse gare de Bombay, années 1890. Le néo-gothique “so british” sévit dans le Commonwealth aussi et pas seulement à St-Pancras à Londres, par exemple.

Le chameau fait la locomotive.

La ligne de Jodhpur à Jaisalmer, citadelle aux confins du désert du Thar, est longue de 295 kilomètres. Pour l’inauguration, l’histoire raconte que la locomotive à vapeur n’était pas arrivée à temps, et qu’il a fallu recourir à de vénérables chameaux pour le voyage inaugural! Le Maradjah local s’est déclaré enchanté par son voyage : peut-être, par politesse, il n’a pas remorqué que la locomotive blatérait au lieu de siffler

Cette anecdote n’empêche pas le réseau indien d’être très grand à tous les sens du terme, et le réseau à voie large est très dense au nord du pays, dans la vallée du Gange qui est la partie la plus habitée. Et, à la fin des années 30, il possède 5360 locomotives à vapeur, 70 locomotives électriques et 93 automotrices. Les locomotives à vapeur sont, certes des Pacific et des 230 pour les trains de voyageurs ou mixtes, des 141 pour les marchandises, mais un impressionnant parc de petites 030 à tender séparé assure toutes sortes de services, des manœuvres aux marchandises, sur l’ensemble des lignes du réseau.

Des ingénieurs britanniques en service en Inde dans les années 1925. Sérieux, fiers de leur travail, ils contribuent à la grandeur d’un immense empire colonial sur lequel le soleil ne se couche jamais, dit-on.
Curieuse équipe d’ouvriers de la voie, manifestement anglais, mais tout aussi déterminés… Leur regard semble assez “borderline”. Nous sommes sur le Bengal-Nagpur Railway dans les années 1920. La motocyclette-draisine montre une adaptation osée, mais qui semble fonctionner. On notera la largeur de la voie de 1676mm.
Ouvrier, bien Indien, lui, sur la voie dans les années 1980.
Modestes débuts, comme en Europe et particulièrement en France, d’autorails qui ne sont que des autocars adaptés. Ici nous sommes sur le réseau du Nawanagar.
Le réseau indien en 1930.

Le réseau indien au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Avec au moins quatre écartements différents, le réseau indien a cependant parfaitement évité l’écueil d’une séparation physique entre des réseaux à la manière australienne, et le pays a su garder l’unité de son système. A la manière des pays équipés d’un réseau à grande vitesse et d’un réseau classique complémentaires, en Inde chaque ensemble de lignes joue un rôle en fonction de son écartement. Ainsi les grandes lignes qui constituent les grands axes du trafic sont toutes équipées en voie large de 1,676 m, ce qui permet à de nombreux trains directs inter-réseaux de desservir directement tout le territoire de l’Inde. Anciennes parties du réseau indien, les réseaux voisins du Pakistan et du Bengladesh sont établis dans le même écartement, les jonctions internationales seraient parfaites s’il n’y avait pas des tensions politiques. 

Le réseau de l’Inde en 1967, d’après un document Chaix qui est très lisible, comme Chaix savait le faire. L’axe nord-est Calcutta-Delhi est le plus important, prolongé dans le Pakistan jusqu’à Peshawar. L’Afghanistan ne sera jamais atteinte par le réseau ni de l’Inde ni du Pakistan. Il en est de même pour le Tibet, le Népal ou le Bhoutan.
Le réseau indien en 2005. Voir les commentaires ci-dessous.

Comme on peut le voir sur la carte de 2005 ci-dessus montrant, avec des couleurs différentes, les lignes en fonction de leur écartement, la voie métrique est importante. Après la voie large, c’est  bien  la voie métrique qui joue le plus grand rôle dans les transports ferroviaires de l’Union indienne. Les réseaux métriques du North-Eastern, du Northern et du Western communiquent entre eux, soit par des gares communes, soit à l’aide de courtes lignes de jonction. De même les réseaux du Central et du Southern peuvent échanger leur matériel dans des conditions analogues. La ligne de Khandwa à Hingali, longue de 301 km réalise, depuis les années 1960, la connexion entre les deux groupes de réseaux cités ci-dessus. Son achèvement a marqué une date dans l’histoire du chemin de fer en Inde, car il rend possible l’expédition directe des wagons depuis le nord de l’Inde et les frontières du Nepal ou depuis le Rhajastan jusqu’au Mysore et même à l’extrême pointe méridionale de l’Inde, toutes régions desservies par la seule voie métrique. Il est vrai, en contrepartie, que ces régions se trouvent à l’écart des grands itinéraires qui intéressent surtout Calcutta, Bombay, Madras et les villes de la plaine du Gange et qui sont tous sur des réseaux à voie large. Il y a donc bien, dans une certaine mesure, deux Indes ferroviaires, mais sous la forme de deux réseaux qui s’interpénètrent étroitement et qui travaillent en complémentarité.


Un certain nombre de compagnies, d’ailleurs, exploitent des lignes dans deux ou trois écartement. L’Eastern Railway, par exemple, est à voie large pour la totalité de ses lignes, mais le South Eastern Railway ne possède pas ligne en écartement métrique mais a des lignes en voie large ou en voie de 762 mm, tandis que quatre régions ont des voies de tous écartements avec prédominance de la voie large pour le Northern Railway et le Central Railway, et de la voie métrique pour le Western Railway et le Southern Railway. Les North Eastern et North-East Frontier Railway sont à voie métrique, exception faite de 84 km de lignes presque entièrement représentés par le Chemin de Fer de montagne dit «Darjeeling Himalayan Railway ».

Notons, pour faciliter la lecture, que les locomotives indiennes sont classées par un système de lettres en fonction de leur écartement et de leur mode de traction, et que, vu la complexité du système indien, ce classement est complexe. Les lettres correspondent, en étant lues de gauche à droite, à l’écartement des voies sur lesquelles la locomotive roule, au mode de traction pour la locomotive, et le type de service assuré. L’écartement est codé « W » pour la voie large, « Y » pour la voie métrique, « Z » pour la voie étroite de 762 mm et « N » pour celle de 610 mm. Le mode de traction est codé « D » pour le diesel, « A » pour le courant électrique en monophasé 25 Kv (installé par les ingénieurs de la SNCF sous la conduite de Fernand Nouvion), « C » pour le courant continu et « CA » pour les locomotives bicourant. Enfin, le type de service est codé « G » pour le fret, « P » pour les voyageurs, « M » pour les locomotives mixtes (fret et voyageurs) et enfin « S » pour les locomotives de manœuvre.

Les locomotives anglaises font aussi la gloire du réseau indien.

En 1903 les Britanniques introduisent aux Indes une standardisation du matériel ferroviaire sous l’égide de la British Engineering Standards Association (BESA) qui préconise des types de locomotives définis: 130, 221, 220, 230,  et 030, ce dernier type étant réservé essentiellement aux marchandises. Ces machines 030 sont à deux cylindres simple expansion, comme la totalité du matériel indien pratiquement, et sont issues directement des locomotives anglaises à tender séparé pour trains de marchandises. Très robustes par leur simplicité même, ces excellentes petites locomotives font une carrière exemplaire qui s’est terminée très récemment.

Le plus grand réseau privé indien, le North-Western, utilise beaucoup de ces très jolies petites locomotives à trois essieux moteurs pour l’ensemble des tâches quotidiennes sur les lignes les moins chargées: elles sont aptes à tout faire, descendant manifestement des fameuses 030 anglaises à cylindres intérieurs qui ont déjà ces qualités d’universalité et d’ubiquité, des manœuvres aux trains de marchandises sur toutes les lignes.

Etabli, comme son nom l’indique, sur la partie nord-ouest de la péninsule indienne et le long du pied de l’Himalaya, le North Western Railway est le plus grand réseau privé indien avec plus de 10 000 km de lignes, dont plus de 9600 km en voie large de 1676 mm, plus de 800 km en voie de 760 mm et enfin une soixantaine de kilomètres en voie de 600 mm. Les voies principales sont sur traverses en acier avec des rails à double champignon pesant 44,6 kg/m (voie large). La signalisation comprend un bloc-système avec enclenchements sur les voies doubles, un télégraphe Morse avec autorisations de départ. De nombreux ouvrages d’art permettent le franchissement d’importants cours d’eau dont l’Indus avec le pont d’Attock à 2 arches de 93,5 m et 3 arches de 78 m, ou le pont de Jhelum avec ses 50 arches de 27 m.

Le trafic du réseau est essentiellement constitué de céréales, de légumes, de coton, de laine, de cuirs, et d’une manière générale pour l’exportation. Le parc de locomotives est de 1 388 machines (dont 1 294 en voie large). Plus de 2600 voitures et plus de 30 000 wagons forment le parc de matériel remorqué. Les ateliers principaux du réseau sont à Moghalpura, et emploient 5 000 ouvriers.

Exception confirmant la règle : rare locomotive type 130+031 Mallet, de construction américaine, vue en gare de Jhelum, sur le réseau en voie de 1676 mm indien.
Les légendaires locomotives articulées du système Garratt ont été utilisées en Afrique et en Asie, dans nombre d’anciennes colonies britanniques. Ici, une 141+141 Garratt en voie large tire un lourd train de charbon sur le réseau du Bengal-Nagpur dans les années 1930.
La gare de Kalka, avec ses deux écartements, la voie de 2 pieds et 6 pouces sur la gauche du cliché et la voie large de 5 pieds qui domine la situation, sur la droite.
Traction diesel en voie large sur l’île de Ceylan (Sri-Lanka). Inspiration quelque peu américaine pour cette série de locomotives qui ressemblent aux F7 EMD.
Très beau matériel de banlieue circulant sur le réseau indien dès les années 1930.
Années 1970. Deux locomotives électriques en monophasé 25 kV qui ne cherchent pas à cacher leur origine française… Les connaisseurs reconnaîtront les bogies.
Remarquable locomotive dite “Crocodile indienne” type CC à bielles WCG1, pour le courant continu, construite en 1928.
Locomotive diesel A1A-A1A de construction américaine et pour la voie métrique indienne, années 1970.

L’industrie britannique exporte aux Indes.

En 1888 le réseau indien en entier compte déjà 23.142 km de lignes, et l’accroissement est de l’ordre de 7% par an. Plus de 4 milliards de francs de l’époque ont déjà été engagés dans la construction du réseau, et le North-Western, long de seulement 3766 km, a du être racheté par l’état pour plus de 1,7 milliards de francs. Il a coûté 209.182 fr. par kilomètre, somme très élevée, de loin supérieure à la moyenne européenne.  Le réseau rapporte relativement peu d’argent, car les voyageurs sont très peu nombreux dans les classes supérieures (0,4% en première classe, 2,2% en seconde, 4% en troisième) et, en revanche, les indigènes voyagent en quatrième classe où s’entassent 93,3 % des voyageurs, assurant 84% des recettes.

L’industrie anglaise est le fournisseur traditionnel du réseau indien dès sa construction durant la deuxième moitié du XIXe siècle. Mais à partir de 1900 le réseau indien éprouve des difficultés pour se faire livrer ses commandes: l’industrie britannique est submergée de commandes. Il faut alors se tourner vers les autres industriels, et les firmes américaines Baldwin ou Vulcain fournissent rapidement les types 030 ou 130 attendues.

Mais souvent, qu’elles soient britanniques ou américaines, il faut modifier les locomotives et les adapter aux exigences très spécifiques du réseau indien. En particulier les locomotives compound Webb à essieux non accouplés ne brillent guère plus sur le réseau du North-Western indien qu’elles ne le font sur le London & North Western Railway anglais: il faut les modifier profondément, en accoupler les essieux moteurs – bref, les reconstruire ! L’ensemble des réseaux indiens de l’époque utilise, pour ses trains légers ou pour les manœuvres, la locomotive à trois essieux et cylindres intérieurs de conception très britannique, issue tout droit de la locomotive à marchandises de Stephenson du début du XIXe siècle, mais mise au goût indien avec une prolonge de cabine sur le tender et ses « persiennes » coulissantes protégeant l’équipe de conduite du soleil.

Caractéristiques techniques (030 North-Western).

Type: 030

Date de construction : 1910

Moteur: 2 cylindres simple expansion

Cylindres: 520 x 660 mm

Diamètre des roues motrices: 1790 mm

Surface de la grille du foyer: 2,4 m2

Pression de la chaudière: 11 kg/cm2

Masse: 49, 7 t

Masse du tender: 40, 2 t

Contenance du tender en charbon: 7,5 t

Contenance du tender en eau: 25 t

Masse totale: 89, 9 t

Vitesse: 70 km/h

Locomotive type 030 sur le pont de la ligne de Kalka à Simla, en 1906. Document The Locomotive Magazine.

Les locomotives type 140.

Le réseau indien est exemplaire sur beaucoup de points et, en particulier, il sait parfaitement concilier les techniques britanniques et les particularités locales, ce qui donne des locomotives ayant un style très caractéristique et que l’on reconnaît au premier coup d’œil. Peu avant la Première Guerre mondiale le réseau du Bengal Nagpur s’offre ces très belles 140 pour trains de marchandises.

Situé à l’est des Indes, le réseau du Bengal-Nagpur comprend, au lendemain de la Première Guerre mondiale, un total de plus de 4800 km de lignes avec plus de 3 500 km en voie de 1676 mm et plus de 1200 km en voie de 762 mm. Il s’étend depuis Calcutta en direction de l’ouest, gagnant le centre de la péninsule par Chandil et Bilaspur, et se terminant à Nagpur, au cœur de l’Inde. C’est un réseau axé sur le transport des marchandises, et, principalement, du manganèse et du charbon, mais aussi des céréales, du bois, le tout destiné à l’exportation par le port de Calcutta. Il possède un parc près de 900 locomotives, dont environ 700 en voie large. Ses ateliers sont à Khargpur, à 116 km de Calcutta.

Si les réseaux indiens commandent volontiers leurs locomotives à l’industrie anglaise, chaque réseau indien impose son propre cahier des charges, ceci souvent pour des parcs peu importants. Cette pratique se ressent sur les coûts de fabrication et, en 1903, le gouvernement indien choisit des types de locomotives standard pour l’ensemble des réseaux en voie large de 1,676 m. Toutefois les 140 du Bengal Nagpur ne sont pas concernées, car les types de locomotives définis sont les: 130, 221, 220, 230,  et 030.  Le type 140 est adopté par les réseaux ayant un trafic de marchandises lourd.

Voulant pouvoir dimensionner les locomotives selon celles, considérables, du pays, les ingénieurs anglais chargés de la construction du réseau indien choisissent une voie plus large que celle de la métropole, et adoptent celle de 5 pieds 6 pouces, soit 1676 mm. A la fin des années 1930, les lignes construites dans cet écartement imposant atteignent un total de près de 35 000 km. Mais il ne s’agit guère que des grandes lignes, ce qui correspond à la moitié du réseau national, et l’autre moitié, formant les lignes secondaires, a été construit en écartement métrique ou en voie de 600 ou 762 mm, ce qui donne un réseau peu cohérent.

La locomotive type 140 du Bengal-Nagpur possède un type de cabine de conduite très répandu sur l’ensemble du réseau indien. Cette cabine est en deux parties symétriques, l’une sur le châssis de la locomotive, l’autre sur celui du tender, et ces deux parties forment un ensemble fermé qui peut mieux protéger l’équipe de conduite des effets de la poussière que le sol indien laisse s’envoler au passage des trains ou les jours de vent.

Mais aux Indes il fait très chaud en été, et la cabine fermée, dans ce cas, n’est pas la meilleure des solutions quand on sait que le foyer de la locomotive fait régner une température infernale… Pour éviter que les ardeurs du soleil viennent transformer la cabine en fournaise, les ingénieurs indiens ont doté les cabines de volets coulissants qui peuvent obturer les ouvertures latérales et créer un peu d’ombre. Les conditions de travail restent très éprouvantes sur les locomotives indiennes, et, très rapidement, une fois le réseau construit, il faut faire appel à la main d’œuvre locale: les mécaniciens anglais se déclarent forfaits.

Caractéristiques techniques (140 Bengal Nagpur)

Type: 140

Date de construction : 1910

Ecartement: 1676 mm

Moteur: 2 cylindres simple expansion

Cylindres: 540 x 660 mm

Diamètre des roues motrices: 1500 mm

Surface de la grille du foyer: 3 m2

Pression de la chaudière: 11 kg/cm2

Masse: 66,9 t

Masse du tender: 41 t

Masse totale: 107, 9 t

Vitesse: 80 km/h

Locomotive indienne type 140 vue dans les années 1980.

Les locomotives type  230.          

En service durant près d’un siècle, ces valeureuses petites locomotives ont joué un rôle important mais peu connu dans l’économie de la grande péninsule indienne. Anglaises jusqu’au moindre rivet mais habillées et peintes à la mode indienne, elles demandent un œil connaisseur pour en déceler les origines.

Les britanniques développent, dans leurs colonies, un système très libre d’investissements et d’entreprise laissant une grande place à l’initiative privée. C’est ainsi que les chemins de fer indiens naissent sous l’effet de placements et de capitaux privés selon un système de concessions de lignes dans lequel le « British Governement of India » intervient seulement pour apporter des garanties financières, et, en cas de faillite, la reprise intégrale.

Ce gouvernement établit aussi des normes techniques dans un réseau qui grandit avec trop de différences d’une compagnie à une autre. En effet les réseaux indiens commandent un grand nombre de locomotives à l’industrie anglaise, mais chaque réseau exige son type de locomotive, et souvent à un petit nombre d’exemplaires. Sous l’impulsion du « British Engineering Standards Association » (ou BESA), le gouvernement indien choisit des types de locomotives standard pour l’ensemble des réseaux en voie large de 1,676 m, ce qui réduit le prix d’achat et d’entretien des locomotives dans l’intérêt général.

Le type 230 BESA est une locomotive mixte, plutôt destinée aux trains de voyageurs lourds. Conçue en 1905, elle est encore livrée en 1950 après l’indépendance indienne: c’est dire son succès. C’est une machine simple, lourde, solide, conçue d’après un type anglais que les ateliers du North British Locomotive C° de Glasgow ont livré en 1903 pour la petite compagnie du Glasgow & South Western Railway.

La locomotive indienne est toutefois adaptée à la voie large qui permet d’aménager un foyer élargi sur plus de 240 mm, et certaines d’entre elles reçoivent la surchauffe ou une distribution Walschaërts à la place de la distribution Stephenson anglaise d’origine. De nombreuses firmes anglaises sont mises à contribution pour honorer les commandes de plus de 470 locomotives qui s’étalent entre 1905 et 1950.

Le 230 BESA font un excellent service sur l’ensemble des réseaux indiens, y compris les réseaux qui sont cédés au Pakistan et au Bangladesh. Elles remorquent des trains de voyageurs remplis parfois d’un millier de voyageurs à la mode indienne: compartiments et couloirs bondés, voyageurs accrochés aux tampons, marchepieds, assis sur les toits… En 1980 plus d’une centaine de locomotives sont encore en service, mais la traction électrique ou Diesel les chasse peu à peu des lignes dont le trafic si intense montre à quel point l’Inde a besoin de ses chemins de fer.

Caractéristiques techniques (230 BESA)

Type : 230

Date de construction : 1905

Moteur: simple expansion, deux cylindres.

Cylindres: 521 x 660 mm.

Diamètre des roues motrices: 1880 mm.

Pression de la vapeur: 12,7 kg/cm2.

Surface de la grille du foyer: 3 m2.

Contenance du tender en charbon: 7,5 t.

Contenance du tender en eau: 18 m3.

Poids total: 124 t.

Longueur totale: 18,98 m.

Très élégante locomotive type 230 du Great Indian Peninsular construite en 1905.
Locomotive bien anglaise, malgré les roues pleines du bogie avant, construite dans les années 1910 pour le réseau indien.
Le train du Vice-Roi des Indes quittant la gare de Bombay vers 1910.
Une puissante et massive 230 du Great Indian Peninsular Railway dans les années 1930.

Le type “Pacific” indien.

La “Pacific” est une locomotive populaire dans ce pays, faisant partie de séries standardisées  XA, XB et XC désignant des “Pacific” légères, moyennes et lourdes. Entre les deux guerres, la crise sévit en Europe et pour bien des pays, le Royaume-Uni en premier lieu, la Belle Epoque est finie à jamais. Pourtant il faut maintenir l’activité économique, particulièrement dans les colonies ou les protectorats lointains dont les pays d’Europe tirent leur richesse. Pour l’empire britannique, comme pour le français, il faut désormais faire les choses à l’économie et investir en comptant son argent.

Les chemins de fer indiens sont, pourtant, la fierté des Anglais: tout s’y passe, jusqu’en 1914 du moins, aussi bien que « at home », et on retrouve les mêmes trains fièrement peints dans des couleurs vives passant dans les mêmes gares équipées des mêmes sémaphores multicolores, et les mêmes chefs de gare moustachus et fiers posent, l’un, en Angleterre avec sa casquette, l’autre, aux Indes avec son turban, pour les photographes d’une presse élogieuse. Beaucoup de photos montrent des scènes de gare ou de dépôt,  par exemple, avec l’opération de chargement du charbon au moyen d’une grue à vapeur, ce qui révèle des conditions de fonctionnement encore très simples. Tout est touchant dans la simplicité, comme l’emploi de la peinture argentée sur les tampons, les jantes, l’embiellage, et traduisant certes une réelle affection de la part de l’équipe de conduite et d’entretien pour les locomotives. Le réseau vit ainsi, dans un certain dénuement technique mais avec beaucoup de dévouement professionnel.

Mais en 1920 le gouvernement indien choisit de s’occuper lui-même de son réseau ferré et de s’affranchir, comme le système britannique le permet, de la tutelle de la métropole: c’est l’ « indianisation » du pays, et le recrutement d’ingénieurs britanniques cesse pratiquement, dans les chemins de fer comme dans d’autres secteurs. Or il faut construire les locomotives dont le réseau indien a grand besoin, au moindre coût, et en prévoyant un fonctionnement avec un charbon le moins cher qui soit. Il faut bien passer commande à l’industrie anglaise qui seule peut fournir les locomotives.

Par exemple, les “Pacific” XC sont attendues ardemment, et ces 284 locomotives sont livrées à partir de 1927 et jusqu’en 1939. Le charbon de mauvaise qualité est là, lui aussi. Les locomotives s’en accommodent mal, leurs chaudières produisent à peine la quantité de vapeur suffisante pour une marche médiocre en dépit de foyers très généreusement dimensionnés en vue de ce charbon de basse qualité. Les foyers s’encrassent. La mauvaise qualité du métal employé à la construction occasionne des fissures dans les longerons de chaudière, des fuites dans les chaudières, et les pièces du mouvement comme les bielles ou les manetons de roues, cassent comme du verre.

Ces locomotives sont dangereuses. Des rapports alarmants s’accumulent dans les bureaux de Londres, mais Bombay et Calcutta sont si loin…. Une catastrophe se produit en 1937, faisant 117 morts. Une « XC » est en cause. La bureaucratie se réveille et dépêche des ingénieurs sur place.

Un renforcement des longerons, une réfection des chaudières, voilà les principales opérations effectuées. Bien dessinées, les « XC » n’ont pas besoin, tout compte fait, d’être reconstruites, mais simplement d’être mises au point, comme ce fut le cas pour de très nombreuses séries de locomotives dans le monde entier. Et alimentées avec un meilleur charbon, elles s’avèrent aussi bonnes que d’autres locomotives.

Lors de la partition de l’Inde, en 1947, avec la création du Pakistan de l’Ouest, de l’Est (devenu Bangladesh) et de Ceylan (devenu Sri Lanka), le réseau indien perd un grand kilométrage de lignes, et il faut réorganiser les lignes en fonction des nouvelles frontières. Mais, contrairement à certaines séries qui « émigrent »,  les XA, XB et XC restent sur leur sol, et assurent encore un bon service jusque durant les années 1980.

Caractéristiques techniques (XC)

Type : 231

Année de construction: 1927 à 1939.

Cylindres: 584 x 711 mm.

Moteur: 2 cylindres simple expansion.

Surface de la grille du foyer: 4,75 m2.

Pression de la chaudière: 13 kg/cm2.

Diamètre des roues motrices: 1890 mm.

Contenance du tender en charbon: 14,3 t.

Contenance du tender en eau: 27,50 m3.

Longueur: 23,2 m.

Masse: 178 t.

Ecartement: 1,67 m

La WP class: larges, et en voie large.

L’Inde est un pays où le chemin de fer compte. Il n’est pas rare de voir plusieurs milliers de personnes entassées dans un train et « sur » un train, les toits, les tampons, le moindre espace libre étant occupé par des voyageurs qui n’ont absolument aucun autre moyen de transport. Un réseau de bonne qualité laissé en 1947 par les Anglais et construit à partir de 1852, et perfectionné depuis par les Indiens eux-mêmes, a permis, de tout temps, d’avoir une desserte que bien des pays d’autres continents envieraient. Si en 1947 environ 30% des fournitures pour le chemin de fer sont importées, en 1977, ce chiffre est seulement de 5% d’après l’auteur Brian Hollingsworth. L’Inde se lance même dans la construction de locomotives diesel-électriques durant les années 1960-1970.

Mais, au lendemain de la guerre, un effort de modernisation du réseau ferré est entrepris et se poursuit sous l’indépendance en 1947. C’est dans ce cadre que se situe l’arrivée des WP, étudiées en 1945-46.

Ces énormes Pacific sont, sans nul doute, les plus fascinantes et les plus attachantes des locomotives indiennes, et, ce qui ne gâte rien, les plus réussies techniquement. Il faut dire que ce pays avait besoin de locomotives robustes et fiables quand les WP sont mises en service en 1947. Au début de 1953 il y avait plus de 310 machines de ce type en service. Cette Pacific, à la ligne très pure, est la plus populaire des locomotives des lndian Railways. On la voit en effet en tête de tous les grands express lourds formés de dix à quatorze voitures.

Circulant sur la voie large indienne de 1,676 m, ces locomotives sont imposantes et pèsent presque deux fois le poids de certaines « Pacific » européennes avec 173 tonnes ! Pour faire aussi énorme, il n’y a que l’industrie américaine, bien sûr, et c’est bien la firme Baldwin de Philadelphie qui étudie ces machines pour un pays qui, bien que colonie anglaise encore en 1945-1946, se tourne vers l’industrie américaine après avoir essuyé quelques déboires avec les machines fournies par la mère patrie….

Les seize premières machines arrivent sur les rails indiens en 1946-1947, suivies de 84 autres construites par la même firme les mois suivants. Puis 220 machines sont construites au Canada par diverses firmes, puis trente autres sont construites en Pologne par la Fabryka Locomotywim Chrzanov, et enfin les trente dernières sont fournies par la firme autrichienne Vienna Lokomotiv Fabrik.

Les WP se révèlent excellentes, et les Indiens décident, dans le cadre de leur politique d’industrialisation et d’indépendance nationales, de construire eux-mêmes de nouvelles WP entre 1963 et 1967 à Chitteranjan. Le parc total de WP est alors de 755 locomotives. Ces machines sont tellement puissantes et grandes qu’il faut quatre hommes pour les conduire: un conducteur, deux chauffeurs, et un préparateur de charbon !

Avec le matériel voyageurs allégé introduit dans les années 1970, elle est capable de remorquer quinze voitures à 112 km/h, bien que là encore, les règlements locaux limitent sa vitesse à 96 km/h. En raison de la capacité de son tender, c’est la seule locomotive des Indian Railways qui puisse abattre des parcours de 160 à 240 km sans arrêt. Des étapes plus longues n’ont pas pu être recherchées car le haut pourcentage de matière incombustible que recèle le charbon indien oblige à nettoyer complètement tes foyers de chaudière toutes les deux à trois heures.

La WP est une des dernières locomotives à vapeur construites dans le monde. Il est intéressant de noter que, en 1967, l’Inde fabrique encore des locomotives à vapeur alors que, dans beaucoup de pays du monde, on les ferraille. Le choix délibéré est très opportun, car une locomotive à vapeur est technologiquement simple, demande une main d’œuvre rapidement et faiblement qualifiée tant à la conduite qu’à la maintenance, et se contente à peu près de n’importe quoi de combustible pour fonctionner. D’autres pays du tiers monde, trop vite convertis à la traction électrique ou Diesel, auront à affronter des problèmes de manque de qualification et de moyens techniques. L’Inde a bien mieux choisi en sachant doser le progrès en fonction des moyens. Il est à noter que les dernières WP ont circulé en 1995.

Caractéristiques techniques (WP)

Type: 231.

Dates de construction : 1947-1970

Moteur: 2 cylindres simple expansion.

Cylindres: 514 x 711 mm.

Diamètre des roues motrices: 1705 mm.

Surface de la grille du foyer: 4,3 m2.

Pression de la chaudière: 14,8 kg/cm2.

Contenance du tender en eau: 27 t.

Contenance du tender en charbon: 15 t.

Masse: 173 t.

Longueur: 23m.

Le pays dont les foules immenses prennent le train.
Pacific indienne, ô combien dans sa “décoration”, type HP dans les années 1980.

La Pacific YP : le chant du cygne en 1067 mm.

Des Pacific en voie métrique, voilà qui peut surprendre quand on sait que cet écartement n’a jamais vu, en Europe pour le moins, que des « tortillards » ruraux courant à 15 km/h le long des chemins vicinaux. Mais aux Indes la voie métrique est vécue tout autrement, au niveau d’un réseau national.

Le renouveau des réseaux indiens est à l’ordre du jour au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Contrairement au cas des pays européens qui abandonnent leurs réseaux en voie métrique, le pays indien entreprend un vaste programme de renouvellement de l’ensemble des deux réseaux. Il commande, notamment, une série très importante de plus de 870 locomotives à voie métrique et de type Pacific construite entre 1949 et 1970 par les firmes américaine Baldwin, allemande Krauss-Maffei, et anglaise North British Locomotive C°, outre des tranches complémentaires construite par des firmes indiennes qui s’étaient équipées entre temps.

En fait cette locomotive apparait comme une Pacific américaine, mais construite avec des dimensions réduites du tiers par rapport au modèle à voie normale. Bien sûr des équipements spécifiquement indiens comme le frein à vide britannique, des attelages automatiques de type approprié, et un abri de conduite abondamment garni de volets pare-soleil traduisent une adaptation sensée du modèle américain aux conditions locales.

Très réussies esthétiquement, ces locomotives sont très répandues sur le réseau métrique indien et on les voit en service jusqu’à une époque très récente: il n’est pas exclu que, avec un peu de chance, on puisse en voir encore en tête de trains de voyageurs.

Caractéristiques techniques (YP)

Type: 231

Date de construction : 1949

Moteur: 2 cylindres simple expansion

Cylindres: 387 x 610 mm

Diamètre des roues motrices: 1372 mm

Pression de la chaudière: 15 kg/cm2

Surface de la grille du foyer: 2,6 m2

Contenance du tender en eau: 13,6 t

Contenance du tender en charbon: 10 t

Masse totale tender compris: 100 t

Longueur totale tender compris: 19, 08 m

Vitesse: 90 km/h

(Encadré)

Les locomotives-tender unifiées indiennes des années 1960.

Les locomotives indiennes des classes WIJ, WM, WT, WW et YM appartiennent à la catégorie des locomotives tenders, la YM étant la seule de l’ensemble destinée à la voie métrique, toutes les autres pour voie large de 1.676 m.

Les locomotives WU sont dérivées de la du type 021 XT de 1936 et sont mises en circulation en 1940, utilisées pour la traction des trains navettes de deux à quatre voitures, à arrêts fréquents et à marche accélérée. Elles se sont révélées à l’usage plus économiques que les autorails en raison de leur plus grande souplesse d’adaptation pour la remorque des trains des heures creuses comme des heures de pointe, particulièrement sur les lignes où la fréquence des convois leur assurait un degré d’utilisation maximum. Elles sont du type 121, et elles pèsent 64 tonnes en ordre de marche, pour une longueur de 13 mètres environ.

La série WM est du type 132T. Sorties en 1936-1937 sous la forme des 131T de la série WV, elles sont transformées après la guerre par l’adjonction d’un essieu porteur arrière afin d’augmenter la capacité du tender. Désignées plus spécialement pour la remorque des trains de banlieue de moyen tonnage formés de quatre à sept voitures, elles sont également utilisées aussi bien pour la desserte des lignes secondaires que comme locomotives de manœuvres dans les triages, mais seulement dans ce dernier cas, lorsqu’une plus grande capacité en eau et combustible est requise. Elles pèsent 97 tonnes en ordre de marche, avec une longueur totale 16.25 m.

Les WT forment une série remarquable par ses performances d’accélération et sa haute adhérence. C’est une 142T à usages multiples comme la traction des trains de banlieue comprenant jusqu’à dix voitures, de trains mixtes sur certaines sections de grandes lignes, de trains légers de marchandises sur lignes secondaires et elles assurent aussi les manœuvres, dans les triages, de trains pouvant atteindre jusqu’à 1600 tonnes. Leur poids total en ordre de marche est de 120 tonnes, et leur longueur totale est de 18, 57 mètres. Une machine de cette série a pu remarquer, à 24 km/h, un train de 700 t en rampe de dix pour mille.  Elle tracte la même charge à 54km/h en rampe de trois pour mille. Elle passe, aux yeux des ingénieurs de l’époque, pour être parmi les plus réussies des Indian Railways.

Les WW sont des locomotives destinées aux liaisons très courtes et à vitesse peu élevée, sur des parcours fréquents avec et arrêts rapprochés. Elle est extrêmement puissante et économique, puisque pour un poids total en ordre de marche de 68,5 tonnes, elle exerce un effort de traction légèrement supérieur à celui de la WM, soit 8,8 tonnes. Elle est du type 031T et sa longueur totale de 12,92 mètres.

Il est à noter qu’il existe une série YM qui est, en quelque sorte, une WM pour la voie métrique. Sortie en 1952, elle remorque tous les trains de banlieue ou omnibus composés de deux à six voitures. Elle est également du type 132T et son poids total en ordre de marche est de 53 tonnes, avec une longueur totale :12,35 mètres.

Locomotive-tender type 132 du réseau en voie large de l’île de Ceylan devenue aujourd’hui Sri-Lanka. La disposition d’essieux type 132 est typiquement anglaise, surtout pour une locomotive-tender.
Une autre locomotive-tender type 132 du réseau du South Indian.

Et pour conclure : un peu d’Inde d’aujourd’hui.

Trois photographies prises par Jean-Pierre Arduin que nous remercions. Nous sommes en 2007 dans la gare de Delhi.
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