La lutte contre le bruit fait, certes, partie des préoccupations actuelles. Il n’en a pas toujours été ainsi, bien au contraire : jadis, les anciennes compagnies de chemin de fer, qui ont précédé la SNCF, ne se souciaient pas d’éviter de remplir les oreilles des riverains des gares et des voies ferrées, même éloignés. Mieux encore : il y a avait de nombreux cas où il fallait faire du bruit, pour des raisons de sécurité. Si les trompes et les sifflets utilisés par les cheminots avec la seule force de leurs poumons ne créent guère de nuisance sonore, quelques appareils mécaniques ou électriques très puissants se chargeront, à partir des années 1850, d’apporter une animation très sonore dans le monde ferroviaire. La cloche électrique Leopolder ou Siemens de la gare dépassait, de loin, la douce sonorité de celles de l’église, notamment la nuit. Et les villageois, à force, connaissaient le code, et étaient ainsi mis au courant immédiatement des mouvements ou même des incidents en même temps que le chef de gare…

Qu’il s’agisse des bruits des trains pour ceux qui sont à proximité ou pour ceux qui sont à bord, les trains ont toujours été bruyants jadis. La locomotive à vapeur, surtout elle, règne sur ce ballet de sons et l’univers sonore qu’elle crée devient rapidement l’image de marque du chemin de fer, sans que, d’ailleurs, cela ne soit une gêne à une époque où l’on était habitué au bruits de fonctionnement de toutes sortes de mécanismes. Outre ces bruits de fonctionnement non désirés devant lequel le chemin de fer est mis devant un état de fait, le chemin de fer est même obligé de faire du bruit à ses débuts, avec ses coups de sifflet provenant des locomotives ou des chefs de gare, ses trompes, ses cloches électriques, ce joyeux concert semble vouloir durer pour des décennies, ceci pour d’évidentes raisons de sécurité. Le son est le meilleur moyen de transmission d’une donnée, le plus rapide, le moins cher, le plus facile à mettre en œuvre. Le « Klaxon » des automobiles actuelles, pourtant performantes, « intelligentes », écologiques, économes, remplies d’électronique, le prouve encore… On « klaxonne » toujours comme au temps des De Dion-Bouton, à la Belle époque.




Les pétards : dès 1856.
Plus officiellement appelé « signal détonant » que “pétard” (terme qui a pris, aujourd’hui, une toute autre saveur), ce moyen de communiquer avec les équipes de conduite des locomotives à vapeur apparaît très tôt dans l’histoire des chemins de fer. Il faut dire que la locomotive, par elle-même, n’est pas avare en bruits et, en pleine action, elle produit un bruit assourdissant, tant par les effets de l’échappement si le régulateur est grand ouvert (cas d’une forte rampe), que par les effets du roulement, puisqu’un châssis rigide à grand empattement crée des crissements en courbe de faible rayon comme cela peut être le cas sur les lignes de montagne. Avertir à distance un mécanicien par un coup de trompe reste donc très aléatoire, et la seule solution est, pour l’agent chargé de donner le signal, de courir le long de la voie ferrée, sur la distance réglementaire d’arrêt au moins, pour aller poser un pétard sur le rail. De même, lors d’un arrêt inopiné en pleine ligne, le chef de train devra courir pour « couvrir » son train en posant des pétards à une distance suffisamment grande pour garantir une distance d’arrêt au mécanicien d’un éventuel suiveur, en fonction de la vitesse prévue sur la ligne.
La commission d’enquête de 1879-1880 en recommande vivement l’emploi, se référant à l’expérience des chemins de fer britanniques et de leur habitude du brouillard : l’ensemble des signaux fixes sont doublés de pétards, disposés automatiquement sur le rail par un appareil couplé avec le signal. Le PO, l’Ouest et le Nord adopteront cette formule. Toutefois l’emploi du crocodile électrique par le réseau du Nord, silencieux pour la nature et les riverains, présenté à l’Exposition universelle de 1889, limitera sur ce réseau l’extension des pétards.

Le sifflet : ne pas abuser, sauf si…
Les locomotives sont dotées de sifflets dès les premières années du chemin de fer, et dès 1830 au Royaume-Uni semble-t-il : après l’époque du cavalier précédant la locomotive pour chasser les personnes et les animaux présents sur la voie, il faut bien que le mécanicien fasse sa propre police et dispose d’un puissant avertisseur. Mais aussi le sifflet permet de communiquer à distance avec la gare ou le poste d’aiguillage, et même de demander l’ouverture de tel ou tel signal, ou de telle ou telle voie.
Le danger représenté par le brouillard est la plus importante justification de l’usage du sifflet. La circulaire du 30 juillet 1855 comporte le texte suivant écrit d’une plume sensible et alerte par un fonctionnaire distingué (manches en lustrine, bésicles, et visière en carton) :
« Conformément aux règlements dont il vient d’être parlé (sic !…), il est utile, notamment, que sur les points où le brouillard serait assez intense pour empêcher les mécaniciens d’apercevoir, à 1 kilomètre au moins devant eux, la voie parfaitement libre et découverte, ces agents fassent jouer le sifflet à vapeur comme signal d’avertissement. En pareille circonstance, l’abus ne saurait présenter d’inconvénient. »
L’abus ? Il faut dire que les anciens mécaniciens se souviennent qu’il y avait, dans la corporation, de véritables artistes qui étaient capables de moduler le son du sifflet au point de jouer quelques notes d’une mélodie dont les paroles, bien connues de tous, pouvaient être politiquement très incorrectes : on devine le choix offert par le répertoire, depuis l’ « Internationale » jusqu’aux refrains populaires concernant le chef de gare…… ce qui, d’ailleurs, était immédiatement sanctionné par le chef de dépôt dès la réception de la plainte de la part des riverains, surtout les notables.


Pas moins de 2346 cloches sur le Nord.
Il ne s’agit pas de cheminots…. mais des cloches électriques font elles aussi partie de ces premiers équipements de sécurité ferroviaire. Elles apparaissent à partir de 1862 sur le réseau du Nord, en France, et ce réseau les généralise sur l’ensemble de ses lignes à double voie à partir de 1865. Dites encore « cloches allemandes » du fait de leur apparition sur le réseau de ce pays sous l’initiative de Siemens, ces cloches sont très puissantes, très sonores. Elles troublent les nuits des paisibles campagnes et sont rapidement l’objet d’une réprobation publique. Mais les compagnies de chemin de fer les conservent, car elles présentent des avantages techniques considérables. Elles permettent d’avertir les gardes des passages à niveau, en premier lieu, mais aussi de transmettre les signaux d’alarme (comme une dérive), et, sur les lignes à double voie, d’interdire les manœuvres dans les gares et engageant les deux voies principales, ceci avant l’arrivée imminente d’un train sur l’une des deux voies. On doit les entendre de tous les points de la gare où peuvent être postés des agents, c’est dire leur puissance.
La circulaire ministérielle du 31 janvier 1877 en préconise l’emploi et celle du 13 mai 1879 donne jusqu’au 1er janvier 1882 pour que leur installation soit systématique sur les lignes à voie unique où circulent plus de 6 trains par jour dans les deux sens et où il n’y a pas de bloc-système. Les réseaux du Nord et de l’Est adoptent directement les cloches Siemens à inducteur, tandis que le PLM, le PO et le Midi adoptent d’autres systèmes, notamment la cloche Léopolder fonctionnant par interruption d’un courant continu permanent. Le réseau du Nord totalise ainsi 1.470 cloches sur les lignes à simple voie, et 876 cloches sur les lignes à voie double, soit un total de 2.346 cloches, sans compter les cloches répétitrices et les trompes, selon la RGCF d’août 1889. On peut donc estimer à plus de 5000 le nombre de cloches installées sur les réseaux en France.
La RGCF elle-même consacre plusieurs articles importants aux cloches électriques, notamment celles du système Postel-Vinay utilisant des piles électriques, et un inducteur remplaçant les engrenages au réglage toujours délicat. Essayé sur l’Ouest en 1884, ce système est adopté sur les lignes de Trouville et de Honfleur en 1885, selon la RGCF de décembre 1886. Toutefois c’est bien la cloche Léopolder qui a dominé les réseaux français.





Les haut-parleurs des triages, jour et nuit.
L’homme d’équipe des gares de triage est souvent amené, dans les premières gares ordinaires, à manœuvrer avec la force de ses bras, en les poussant, les wagons de marchandises dételés d’un train, ceci pour les garer sur une voie de service. Souvent les wagons finissent, sur leur élan, de rouler très lentement sur les voies avant de s’arrêter, et c’est sans doute là qu’est née l’idée du faisceau de triage sur lequel on pousse, avec une machine de manœuvres, les wagons qui finissent seuls leur course pour former un train, ceci sur la voie correspondant à leur destination. Les hommes d’équipe d’alors doivent placer des cales sur les rails, que les wagons poussent en les coinçant avec leurs roues, ceci pour éviter un choc violent contre le dernier wagon déjà en place sur la voie. Ces hommes sont exposés au danger et deviennent, dans l’opinion publique, la figure emblématique du risque professionnel, risquant de se faire écraser, ou, au moins, de se faire couper une jambe ou écraser la main. Une fois la cale placée, ils doivent courir pour aller basculer le levier de l’aiguille juste avant le passage du wagon, ou juste après. Un levier basculé une ou deux secondes trop tard pouvait entraîner un déraillement, puisque les wagons arrivent par la pointe de l’appareil de voie : le levier basculé après le passage du premier essieu, et non après le deuxième, créait une « bi-voie » avec déraillement assuré du wagon !
La cale, ou sabot, devient leur outil de travail. Et quand les grands faisceaux de triage apparaissent, ils courent d’une voie à une autre, passant entre les wagons, pour aller « caler » tel ou tel wagon. S’il arrivait trop tard pour freiner le wagon, le choc était très violent, et le fracas métallique des tampons résonnait sur le triage, se répercutant dans toute la rame tamponnée, et annonçant le fracas du coup de gueule du chef et du blâme ! Sur la neige, le verglas, sous la pluie, le métier devient suicidaire. Une des obligations fréquentes du chef de triage était d’aller prévenir les familles…
« Deux couverts pour la Thérèse ! … »
Le chef de butte hurle un curieux langage codé qu’il fait entendre, à distance, au moyen de son porte-voix, puis, au siècle suivant, dans des hauts parleurs puissants que toute la ville entend la nuit… ça meuble le sommeil du bon bourgeois. Il annonce, pour les caleurs, le nombre et le type de wagons qui vont dévaler de la butte, et le numéro de la voie qui va être empruntée. Les voies ont des numéros officiels, mais ceux-ci peuvent prêter à des équivoques, comme « treize » et « seize » que l’on peut confondre, surtout quand il pleut ou quand il y a du vent, et aussi quand le porte-voix est mauvais, ou que l’homme de butte a un accent d’ailleurs, allez comprendre… Alors les voies prennent des noms : « Thérèse » pour « treize », « France » pour « seize » (jeu de mots pour « française »), et « omelette » pour « neuf », ou « deux bâtons » pour onze, etc…
Ce qui donne : « Deux plats pour la Thérèse » ou « quatre couverts pour l’omelette » ou « trois citernes pour les deux bossus » (numéro 33…). A l’époque où les lieux mal famés ont une lanterne rouge avec le numéro de la maison inscrit dessus, inévitablement la voie portant le même numéro hérite du nom de l’établissement… « Trois plats pour la Rose Rouge » ou « Deux couverts pour Chez Ginette, deux » ! L’invention, le talent, l’humour des cheminots, on le sait, n’ont pas de limites.
Un quartier mal réputé et bruyant, jour et nuit.
La partie de la ville où est implanté le triage est, en général, assez excentrée car un triage demande beaucoup de place et s’étend sur des kilomètres. C’est donc toujours un quartier peu agréable, ce que l’on appellerait une « sone » aujourd’hui. Deux ou trois petits bistrots ouverts tard dans la nuit, et où les caleurs ont une « ardoise », sont la seule animation, et les ruelles sont mal pavées, herbeuses, tandis que les clôtures sont effondrées ou pourries. Des tas de charbon ou de sable, ou des matériaux de construction forment l’arrière-plan, l’industrialisation étant en route. Les gazomètres suivront vers la fin du XIXe siècle. De véritables petites villes naîtront ensuite, comme les Aubrais près d’Orléans, ou Perrigny près de Dijon, ou Villeneuve-Triage près de Paris. Les caleurs se logent sur place, dans ce qu’ils trouvent : une chambre au-dessus du bistrot, ou chez un habitant, souvent une veuve de cheminot pour qui le paiement de ce modeste loyer est un complément pour une retraite dérisoire : leur journée ou leur nuit fatigante ne leur donne guère envie de marcher loin quand ils quittent leur travail.
Leur avenir jusque vers la fin des années 1920 ? Pour certains, sauver sa peau, ne pas être amputés, et essayer avec l’âge venant d’aller chercher du travail ailleurs, moins dangereux. Pour beaucoup, il y a la possibilité de monter en grade et de devenir homme de butte, et, enfin reconnu par la compagnie et commissionné, de devenir chef de triage, un emploi réservé aux hommes ayant de la stature, une forte voix, une grande force physique et toute l’autorité naturelle pour régner sur une équipe de caleurs. Les aiguilles et les freins automatiques, le « talkie-walkie » et la radio, voilà qui a bien changé les choses. Un progrès reste à faire, cependant, attendu depuis un siècle : l’attelage automatique qui évitera aux hommes d’équipe d’aller se glisser entre les wagons, marchant sur des traverses glissantes de pluie ou de neige, ceci dans l’obscurité de la nuit, le dos courbé. .

Les avertisseurs à trompe ajoutent leur note au concert.
Dans les gares où il y a un grand nombre de cloches, pour éviter des confusions et des erreurs, le réseau du Nord ajoute des trompes conçues par Sartiaux, un des ingénieurs les plus connus du réseau. Monté sur une colonne en fonte, l’appareil possède un mécanisme à commande à distance semblable à celui des cloches, avec un grand cylindre occupant la colonne et dans lequel un piston est poussé par une roue qui s’engrène sur une crémaillère solidaire du piston. Une ailette signale la nécessité de venir remonter l’appareil. La pression considérable créée est envoyée dans une trompe qui coiffe l’appareil, et le son est garanti comme totalement assourdissant pour le malheureux cheminot qui se trouve à proximité… Les grandes gares, comme celles de Paris, pouvaient ainsi être équipées de plusieurs trompes automatiques dotées de sons différents pour permettre leur identification. Quel bonheur cela devait être que de vivre près d’une gare !
Les quelques centaines d’autorails dont la SNCF héritera en 1938 ont, eux aussi, apporté leur contribution au grand concert ferroviaire à partir des années 1920. Equipés d’avertisseurs puissants, souvent doubles et donnant deux tons très caractéristiques du monde des autorails, ils ponctuent leur passage sur les passages à niveau ou à l’approche des gares, notamment sur les petites lignes tranquilles et silencieuses d’une France profonde. Rappelons que ces avertisseurs ne sont pas des “Klaxons”, comme on les appelle, ce terme venant du monde automobile et n’étant qu’une marque de fabrique d’avertisseurs.



La lutte contre le bruit : Bugatti avait la solution.
Et pourtant le chemin de fer, grâce aux progrès de la signalisation et des télécommunications, apprendra à se rendre plus discret, tandis que la fin de l’ère de la vapeur sera aussi la fin des bruits de fonctionnement, ces fameux coups d’échappement qui pouvaient terroriser les âmes sensibles et les insomniaques. En 1933 le constructeur d’automobiles Bugatti commencera à lutter contre le bruit ferroviaire en opérant ce que l’on n’appelle pas encore un transfert technologique. La RGCF d’Août 1933 nous en dévoile les secrets.
Un voyage silencieux, mais remarqué du Président de la République (pas en pyjamas, celui-là), est à l’origine de la réputation des autorails Bugatti. Si, aujourd’hui, un certain tintamarre médiatique entoure les déplacements des chefs d’état et des grands de ce monde, en 1933 celui du Président Albert Lebrun se fait remarquer par son silence, du moins ferroviaire. Le déplacement officiel est effectué à l’occasion de l’inauguration de la très belle gare maritime de Cherbourg et vaudra le nom de “Présidentiel” à ce type d’autorail. On attribue aussi cette célébrité du type “Présidentiel” de l’autorail Bugatti aux essais faits entre Paris et Chartres, le 30 juillet 1933, à 114 km/h de moyenne.. Le réseau est celui de l’Etat qui couvre l’ouest de la France, et, se voulant une « vitrine technologique » pour démontrer les bienfaits d’une nationalisation générale du réseau français, l’Etat pratique une politique de traction innovante en mettant en service un grand nombre d’autorails.
Le réseau de l’Etat fait appel au grand constructeur d’automobiles de prestige et de sport qu’est Ettore Bugatti, installé en Alsace, pour la fourniture d’autorails rapides et performants destinés à assurer des relations longue distance entre Paris et les grandes villes du réseau, notamment Le Havre. Bugatti a le génie de la publicité et sait frapper l’opinion par des « coups médiatiques » (comme on ne le disait pas encore). Il saisit l’opportunité du déplacement présidentiel en 1933 pour l’assurer avec un autorail à caisse unique qui prendra rapidement, avec l’aide du savoir-faire de Bugatti, le surnom avantageux de « type présidentiel ».
Ce modèle, le plus léger et le plus puissant des divers types d’autorails Bugatti, est produit à seulement neuf exemplaires, et il assure principalement la liaison Paris – Deauville à partir de 1933, accomplissant les 221 km du trajet en deux heures.

L’image de marque du silence chez Bugatti.
Plus, nous le pensons, par souci esthétique, Bugatti veut un autorail qui fascine par son silence, ceci pour donner une image de modernité. Il fera appel aux techniques qu’il connaît bien : celles de l’automobile de luxe.
Il faut dire que le vacarme suranné des locomotives à vapeur « plombe » l’image de marque du chemin de fer, lui donnant une connotation de vétusté, de ferraille, d’inefficacité en face des automobiles longues et silencieuses qui vident les trains de luxe. Les voyageurs de 1re classe commencent à préférer le son velouté et feutré de leur moteur V8 au « tchou-tchou » de la vapeur qui fait encore, pour le moment, les délices des dessinateurs de bandes dessinées et des enfants jouant au train.
Pratiquant une technique modulaire en combinant des caisses simples, doubles, ou triples, avec un nombre de moteurs de 200 cv variable donnant des puissances de 200, 400, ou même 800 cv sur les modèles triples, Bugatti construit environ 80 appareils que l’on verra en service sur les réseaux français jusqu’en 1957. Les relations Paris–Le Havre, Paris–Lyon, Paris–Strasbourg sont les plus remarquées, avec des moyennes dépassant 110 km/h, ce qui est remarquable pour l’époque.

Les techniques du silence chez Bugatti : la caisse.
Ettore Bugatti sait construire des voitures de luxe pour gens exigeants, et il a produit des voitures dites « Royale » pour les grands de ce monde, concurrençant (sans réel succès, hélas) les inexpugnables Rolls-Royce et Hispano-Suiza qui promènent les monarques dans un silence absolu. Le silence, donc, il connaît. Et il sait le combattre à sa source. Pour le chemin de fer, c’est le moteur à vapeur (ici éliminé) et le roulement.
Comme pour une automobile, Bugatti divise ses autorails en « tranches » horizontales, faisant une sorte de mille-feuilles dont le bruit reste prisonnier de chaque niveau où il est émis. Le châssis ne supporte ni les caisses ni le plancher directement : les caisses, divisées en éléments, reposent sur le plancher par des plots de caoutchouc. Le plancher, en chêne de 38 mm d’épaisseur s’il vous plaît (un vrai « plancher » donc), repose lui-même sur le châssis par la même technique, celle de rotules latérales en acier reposant sur des crapaudines garnies de caoutchouc. Le plancher est recouvert, sur sa face supérieure, par de la mousse supportant de la moquette. La face inférieure du plancher est garnie de tôle pour assurer une protection efficace contre les agressions classiques provenant de l’environnement ferroviaire particulièrement rude à ce niveau.
Tous les éléments constituant la caisse de l’appareil sont donc libres de jouer entre eux, et de ne pas transmettre les bruits et les vibrations.

Les techniques du silence chez Bugatti : le roulement.
Au niveau du roulement, la conception des bogies, elle aussi, a été faite avec le désir d’éliminer les bruits et les vibrations. Chaque bogie repose sur quatre essieux dotés de roues « élastiques ». Le châssis de bogie est en acier forgé, mais il n’y a pas de plaques de garde : la seule liaison entre les châssis des bogies et les essieux est faite par des ressorts à lames qui assurent à la fois la fonction suspension et la fonction guidage. Cette fonction guidage est permise par une déformation en parallélogramme dans les courbes, avec déplacement latéral des essieux extrêmes jusqu’à une valeur de 8 mm. IL n’y a donc pas de pivot de bogie assurant la rotation du bogie et sa solidarisation avec la caisse, cet élément transmettant les vibrations et les bruits, et la caisse repose sur chaque bogie par l’intermédiaire de deux grands ressorts à lames disposés de façon longitudinale près des longerons. Toutefois un pivot de guidage en rotation existe, formé d’un cylindre vertical rempli d’huile, reposant sur le bogie par une rotule sphérique. Des blocs de caoutchouc sont interposés dans tous les points de contact, notamment les glissières en bronze disposés sur les châssis de bogie, les brides des ressorts. Pour chaque bogie on a deux essieux moteurs et deux essieux porteurs, et occupant des positions variables selon les types d’autorail : pour les types « Présidentiel », les essieux moteurs sont centraux, pour le type triple les deux essieux porteurs des deux bogies de l’élément moteur sont rejetés aux extrémités. Le type 400 ch simple, par exemple, a deux bogies différents des autres avec trois essieux porteurs et un seul essieu moteur disposé vers le centre de l’autorail.
Les roues, elles, ont bien des bandages métalliques en acier, avec un profil classique. Mais ces bandages sont fixés sur les voiles des roues par l’intermédiaire de boulons comprenant des éléments élastiques que sont des bandes et des bagues en caoutchouc.
Si l’on ajoute le fait que la transmission entre le moteur et les essieux moteurs des bogies se fait par un arbre longitudinal de type automobile (et sans boîte de vitesse : un simple coupleur assure l’adaptation de l’effort moteur), on a bien, d’une manière générale en ce qui concerne les organes de roulement, une conception de type automobile, notamment avec les roues des essieux porteurs qui sont montées folles sur les axes.



En conclusion pour Bugatti : pari réussi ?
Pour les voyageurs de ces autorails, surtout à l’époque, les éloges sont unanimes : le silence et le confort de roulement sont exceptionnels, et ne laissent entendre que le magnifique son des moteurs « Royale » Bugatti (peut-être un peu retravaillés par le grand constructeur pour soigner, ici aussi, son image de marque ?). Le succès de ces autorails est tel que ceux qui n’ont pas l’espoir de voyager à leur bord vont les voir passer dans les gares : pour voir dire « J’ai vu la Bugatti ! » est un motif de fierté… Il y avait toutefois un certain risque à rester sur le quai : les moteurs étaient alimentés avec un mélange spécial très inflammable, et pouvaient, par les tuyères d’échappement latérales, lâcher à travers le quai un véritable jet de flammes en cas de raté ! Certains marchands de journaux, ainsi, ont vu les magazines et les journaux disposés devant leur kiosque réduits à l’état de cendres…


Pour les amateurs de cloches électriques (il y en a !) : quelques pages du cours de signalisation de René Galloudec de 1932:





NB: Il fallait apprendre ceci par cœur. Il n’était pas question, quand la cloche sonnait, de prendre un crayon et un papier pour noter les sonneries et aller, ensuite, consulter le règlement !
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