Des locomotives qui bossent : les reines du triage.

La CC 1100 a bien été la reine des bosses. Les bosses ? Celles des triages. La dernière machine électrique à bielles en service à la SNCF, et une parmi les plus anciennes du parc puisque datant de 1938, voilà déjà deux solides raisons pour faire de cette locomotive un objet de curiosité ferroviaire surnommée, parfois, « Crocodiles ». Et pourtant, pendant plus de 60 années, cette série a assuré un travail obscur et ingrat que seule, elle semble capable de faire sans fatigue, ce qui lui a valu d’être presque reconstruite récemment : la pousse des rames de wagons de marchandises sur les « bosses » des grands triages. Par exemple, on pouvait encore les voir dans les années 1990, à Villeneuve-Saint-Georges, allant et venant inlassablement. Ces magnifiques machines sont oubliées aujourd’hui et, à notre connaissance, elles n’ont jamais été reproduites en modèles réduits.

Très belle photographie d’époque de la mise en service des CC-1100, avec une équipe de conduite fière de leur locomotive. Ambiance PO, jusqu’aux rails à coussinets.
Plus que la photographie, le schéma met en évidence la ligne curieuse de ces locomotives qui rappelle, quelque peu par leurs « capots », les fameuses ” Crocodiles” suisses dont il a été question dans un précédent article. Mais, la grande différence est la présence d’une cabine de conduite centrale au lieu de deux pour la locomotive suisse et surtout l’absence de tout faux essieu.

Indispensables pour l’usage interne du chemin de fer puisque l’on ne les trouve pas en tête de trains assurant du transport qui est la raison d’être économique du réseau ferré, les locomotives de manœuvres et de débranchement sur la « bosse » des triages ont d’abord été à vapeur et pendant plus d’un siècle. Elles ont terminé leur carrière sous la forme de très lourdes locomotives-tender du type 050.

Si la traction électrique n’a pas véritablement distingué les machines mixtes des machines de marchandises, elle a, par contre, crée de véritables machines de débranchement avec des types CC (futures CC 1100 SNCF) construites à partir d’un projet PO jusqu’en 1948 et toujours en service à la fin du siècle. Signalons aussi les très anciennes BB de 1900 à 1905 construites par le PO pour la traction des trains entre les gares d’Austerlitz et d’Orsay, reconstruites entre 1930 et 1936, et formant un ensemble de 10 machines réellement construites pour un service de manœuvres lents (sans toutefois affronter les triages) et tractant entre les deux gares parisiennes des trains dans un tunnel interdit à la traction vapeur: une belle illustration des « usages spéciaux » dans lequel on enfermait la traction électrique au début du siècle !

Le moteur diesel a pris une grande part dans le service des manœuvres mais non des triages, soit avec les locotracteurs (puissance inférieure à 229 kW), les locomoteurs (puissance entre 230 et 369 kW) ou les locomotives (puissance au-dessus de 370 kW). Le fait marquant est un important parc de 110 locotracteurs engagé sur les anciens réseaux d’avant 1938 et à partir de 1921. Très hétérogènes, fournis aux réseaux par un grand nombre de constructeurs souvent issus de l’automobile, ils resteront en général sur leur lieu d’origine lors de la création de la SNCF. Les réseaux les mieux dotés étaient l’Est, l’Etat et le PLM.

Une CC-1100 à ses débuts, portant alors les plaques E-1001 à 1013 de la région Sud-Ouest SNCF. Ces locomotives ont été conçues avant la création de la SNCF par les ingénieurs du PO. Document HM-Petiet.
La CC-1108 lors de ses dernières années de carrière, vers 1990, à Villeneuve-Saint-Georges. Votre serviteur a pris ce cliché pendant un moment de détente, après le repas de midi à la cantine SNCF, alors qu’il était formateur des instructeurs du CFA de la Direction du Matériel. Il fallait impérativement rester sur les « passages planchéiés » et même éviter de les emprunter, en se bornant à circuler sur les chemins longeant les voies. Elles étaient très actives.

L’expansion des triages.

À la fin des années 30 un grand nombre de triages importants existent sur le réseau français, à une époque où, certes, la route commence à écrémer en sa faveur les transports rentables, mais laisse encore au rail un rôle dominant. Mais pour assurer le tri des wagons, il faut, que cela soit en traction électrique ou en vapeur, des locomotives très spéciales, capables de rouler indéfiniment à très basse vitesse, celle du pas d’un homme pratiquement. En traction vapeur on utilise des locomotives-tender d’abord très petites puis de plus en plus lourdes avec l’accroissement du poids des rames à déplacer, et en traction électrique, avant l’arrivée des CC 1100 en 1938, on utilise tant bien que mal des BB anciennes dont les résistances de démarrage chauffent exagérément mettant à mal même les peintures extérieures des locomotives, et gaspillent 50 à 65% de l’énergie de traction !

À la libération de lourdes locomotives Diesel d’importation américaine, les A1A-A1A 62000 se tirent très bien de cette tâche grâce à leur très gros moteur à régime lent. Mais en traction électrique, seules les CC 1100 « savent faire » et continuent à faire la démonstration de leurs qualités.

Les locomotives électriques à bielles : leur époque n’est pas terminée.

Des bielles pour faire joli, ou pour jouer à la locomotive à vapeur ? Vraiment pas…Les engrenages et autres roues dentées ne conviennent guère à la transmission des forces motrices d’une locomotive, pensent les ingénieurs, quand il faut, en plus, ménager des débattements pour le jeu des suspensions. Une longue expérience, acquise avec les locomotives à vapeur, fait préférer les bielles, pour leur robustesse et leur grande simplicité mécanique, mais celles-ci, aux grandes vitesses, engendrent des mouvements parasites. Très vite, à partir des années 25, les ingénieurs trouveront des systèmes de transmission par roues dentées mais permettant le débattement des suspensions.

En 1936-37, lorsque le réseau du PO met à l’étude ces locomotives (qui ne seront, d’ailleurs, livrées qu’à la SNCF en 1938), le retour aux bielles est décidé dans la mesure où il s’agit de faire une locomotive très endurante, très simple mécaniquement, et, de toutes façons, circulant à vitesse très limitée. En outre les puissances développées seront très réduites, avec une marche variant de 2 à 12 km/h, ne demandant, en poussant une rame, que des puissances inférieures à 350 kW.  Les bielles, en outre, utilisent mieux l’adhérence en répartissant mieux l’effort moteur.

Des caractéristiques électriques intéressantes.

Les machines de butte doivent marcher à vitesse sensiblement constante, mais en développant des efforts variant progressivement de la pleine charge à la marche à vide au fur et à mesure que les wagons se séparent de la rame poussée en dévalant la butte de l’autre coté. Il a fallu prévoir un système de réglage très fin avec utilisation d’un groupe convertisseur ou « groupe moteur – générateur » en termes d’époque : on a renoncé aux résistances qui, aux basses vitesses, conduiraient à des pertes d’énergie trop importantes.

Pendant les années 1990, les CC 1100 sont en cours de modernisation par les ateliers de Béziers. Une fois réapparues sur le réseau de la SNCF, on les reconnaît à leur nouvelle cabine, plus vitrée et plus grande, et à leur couleur orange et marron très mode à l’époque. Le groupe « moteur – générateur » a été déposé et remplacé par un convertisseur statique électronique de type TGV-A, assorti d’un ondulateur triphasé et d’un ordinateur de bord type BB 26000 « Sybic »…. ni plus, ni moins ! Le réglage des moteurs se fait donc grâce à une technique très « up to date », mais les bielles, elles, tournent toujours et rappellent étrangement aux cheminots avertis le lointain temps de la vapeur….

La CC-1104 dans son « écosystème naturel » : le triage.

Les triages utilisateurs des CC-1100.

Au début de leur carrière, et notamment durant les années de guerre, les CC-1100 sont mises en service aux dépôts de Vierzon, Orléans, Limoges et de Tours-Saint-Pierre-des-Corps. Dans les années 1980, de nouveaux triages sont ajoutés au tableau de chasse de ces belles machines : désormais aux triages de Tours-Saint-Pierre, Toulouse, Villeneuve-Saint-Georges, on peut ajouter ceux de Lyon-Mouche et d’Avignon. Mais dans les années 1990, elles sont progressivement muées et regroupées à Toulouse-St-Jory et à Villeneuve-Saint-Georges. Les radiations définitives commencent en 1998 pour la CC-1109, puis en 2000 pour les CC-1102, 1106, puis ce sera 2003 pour la CC-1101 et la CC-1111 puis 2004-2005 pour toutes les autres.

caracteristiques techniques.

Type : CC

Date de construction : 1938

Puissance: 400 kW.

Moteurs: 4.

Transmission: Roue dentée élastique + bielles.

Courant traction: 1500 v continu.

Vitesse maximale en service: 25 km/h.

Diamètre des roues: 1400 mm.

Masse: 90, 4 t.

Longueur totale: 17, 19 m.

La C-61000 : aussi des bielles et du triage.

Future C-61000, la locomotive 030-DA est la première construction française d’après-guerre en matière de locomotives diesel.  Petite, ramassée, puissante, elle est de lignes très agréables et surtout elle offre le charme des ses bielles tournant à vive allure quand elle se promène activement dans les gares de triage, poussant inlassablement des rames de wagons, avec, parfois, l’aide de son curieux truck moteur. Hélas, aujourd’hui, on ne voit plus ces charmantes petites locomotives se démener, roulant à vive allure sur des faisceaux entiers des sorties de gare et des triages.

Locomotive ou locotracteur ? Dans la classification traditionnelle de la SNCF du parc de traction diesel, on appelle « locomotives » les engins d’une puissance supérieure ou égale à 370 kW, « locomoteurs » ceux dont la puissance se situe entre 230 et 369 kW, et enfin « locotracteurs » ceux dont la puissance est inférieure à égale à 229 kW.

Disposant de 500 ch, en mesures d’époque, ou de 368 kW en mesures actuelles, les C-61000 seraient donc plutôt des locomoteurs. Mais certaines sources leur attribuent 510 ch, soit 389 kW, ce qui les installe de justesse dans le club des locomotives. Certains ouvrages spécialisés classent bien les C 61000 parmi les locomotives tandis que d’autres, appliquant plus strictement la règle des 370 kW, en font des locomoteurs si l’on considère la puissance de 500 ch au lieu de 510 ch.

La C-61030 et son « Truck moteur ».

La C-61000 marque la conversion de la SNCF à la traction diesel.

A la création de la SNCF, en 1938, la grande traction par moteurs diesel est encore dans sa période initiale, celle des prototypes. Le PLM avait, par concours en 1930, suscité quatre prototypes de locomotives à moteur diesel et à disposition d’essieux AIA-A1A, B1B, BB et 1D1 et ayant des puissances UIC de 650 à 850 ch. selon les termes d’époque (470 à 625 kW environ) ce qui les destine au service des manœuvres. Le plan quinquennal de 1939 prévoit un crédit important pour l’achat de locomotives de 3.000 ch. (2.200 kW) devant supplanter la vapeur sur 1es grandes relations en tête de trains rapides et lourds. Mais la guerre entraînera la mort de la traction diesel en France pour plus d’une quinzaine d’années, ces 1ocomotives de 3.000 ch. restant à l’état de projet ou d’inachèvement chez les constructeurs.

Au début des années 1950 les choses n’ont guère évolué en matière : la traction diesel, c’est pour les manœuvres dans l’esprit des dirigeants de la SNCF. L’arrivée, en 1946, des 100 locomotives type A1A-A1A fabriquées chez Baldwin aux USA ne change rien à cette situation de défaveur de la traction diesel en France. Complètement différentes techniquement de ce qui s’est fait et se fera en France, affectées aux services des manœuvres ou des trains de marchandises des Ceintures, très lourdes (110 tonnes) et peu puissantes (660 à 760 ch seulement selon les machines), mais très robustes et fiables avec leur gros moteur lent ne tournant qu’à 750 tours/minute, elles effectuent un excellent service de type purement vapeur, intégrées en fait dans le parc des grosses locomotives-tender de manœuvres type 050.T ou 151.T de l’époque.

Cette doctrine « diesel = manœuvres » se concrétise par la construction et la livraison, pour 1950, de petites locomotives à trois essieux moteurs et transmission électrique, les C 61000. Mais la traction diesel ne sort pas de ce « ghetto » des manœuvres durant cette importante époque du début des années 1950 où tant de décisions fondamentales se prennent.

Le monde des ingénieurs de la SNCF est fermé à la grande traction diesel alors que leurs collègues américains ou anglais n’hésitent pas à se lancer dans une (coûteuse, certes) transformation radicale de leur parc moteur avec une élimination systématique de la traction vapeur. Peut-être l’absence d’une incitation de la part des constructeurs français ou européens de locomotives diesel, et, sûrement, le poids du très important parc de locomotives à vapeur encore très récentes, voilà ce qui joue en défaveur de la grande traction diesel au début des années 1950 encore.

La carrière de ces locomotives.

La série de 48 engins est livrée entre 1950 et 1953, issues des ateliers de Marine Homécourt pour la partie mécanique, de la Compagnie Electromécanique pour la partie électrique, et de la Compagnie de Constructions Mécaniques Sulzer pour le moteur. Elles se trouvent, à l’origine, réparties sur les réseaux de l’est (15 exemplaires, dépôt de Noisy-le-Sec), du nord (17 exemplaires, dépôts de la Plaine, de Fives et de Dunkerque) et de l’ouest (16 exemplaires, dépôts du Havre et de la Rochelle). Développant 500 ou 510 ch. pour un poids à vide de 51 t (et de 53 t en ordre de marche), ces locomotives sont donc puissantes mais relativement petites. Elles n’ont que trois essieux, tous moteurs, et accouplés par bielles – solution simple et robuste héritée de la locomotive à vapeur et qui est choisie à une époque où les conditions de travail difficile et un entretien encore précaire imposent des solutions éprouvées. Leur moteur entraîne les essieux par transmission électrique alimentant deux moteurs placés chacun sur un des essieux extrêmes.

Elles ont été étudiées pour fonctionner à 60 km/h au maximum, et sous des conditions très diverses, notamment dans les gares importantes ou les grands triages, où elles peuvent pousser très lentement et en souplesse de lourdes rames de wagons à marchandises.

Petites ? Mais quand même trop lourdes pour certaines lignes.

Leur poids relativement élevé pour un empattement très court de 4,60 m leur interdit toutefois l’accès à certaines lignes faiblement armées, et ce facteur joint à celui d’une vitesse maximale de 60 km/h seulement, limite en fait le rayon d’action de ces intéressantes locomotives aux triages, à certains embranchements industriels, à de courts parcours sur des tronçons de lignes en tête de rames de wagons à marchandises à acheminer vers des embranchements particuliers ou à regrouper dans une gare voisine. Elles occupent, en fin de compte, assez imparfaitement le « créneau », dirait-on aujourd’hui, laissé vacant entre la traction vapeur et la traction électrique au début des années 1950.

La locomotive à vapeur s’avère d’un maniement lourd et peu rentable pour ces innombrables tâches de manoeuvres, de poussées de rames sur les buttes de triage, d’acheminement irrégulier de wagons à la demande sur les embranchements industriels, de desserte de petites lignes très concurrencées par l’automobile et le camion. La locomotive électrique accomplirait très bien cette tâche, mais le faible trafic en cause rend impensable le coût élevé d’une électrification – sauf bien sûr dans le cas des grands triages faisant de toutes manières parties de grandes lignes électrifiées. Il reste donc à construire la locomotive diesel peu coûteuse et sûre, apte à tous les services sur les petites lignes et à toutes les manoeuvres en gare et sur les embranchements.

La C-61003 photographiée par un groupe d’amateurs sagement tenus à distance, sur le site de la gare frigorifique de Paris-Ivry. À noter la relative rare traction d’un train de voyageurs avec un fourgon-chaudière ou “Cocotte Minute”. Document Jean-Pierre Langlet.

Le truck moteur augmente-t-il la puissance ?

On pourrait le croire, à tort d’ailleurs : en effet, le truck moteur qui peut être accouplé à la locomotive n’augmente nullement la puissance de traction, puisque ce truck n’a pas de moteur diesel, donc pas de génératrice de courant : on obtient, dans la formule locomotive + truck, une locomotive de 510 ch toujours mais ayant six essieux moteurs au lieu de trois. Le truck augmente donc le nombre d’essieux moteurs pour une même puissance, et, donc augmente l’adhérence, ce qui permet d’augmenter l’effort de traction dans les conditions difficiles où un risque de patinage est possible (démarrage d’une rame lourde, « pousse » lente des rames sur les buttes de triage, etc).

Notons que, d’après le manuel de conduite et d’entretien de la C-61000, la locomotive peut fonctionner en couplage avec une autre C 61000, donnant 1.000 ch et six essieux moteurs, mais aussi en couplage avec une autre C-61000 plus un truck, donnant 1.000 ch et neuf essieux moteurs – cette dernière solution ayant, semble-t-il, été rarement utilisée.

Caractéristiques techniques

Type: C

Date de construction : 1950 à 1953

Moteur principal: diesel 6 cylindres Sulzer

Puissance: 510 ch à 890 tr/mn

Moteurs de traction électriques : 2

Masse: 53 t

Longueur: 9,5 m

Vitesse: 60 km/h

Schéma de la tête du faisceau de voies d’un triage.
Freins de voie type Saxby sur un triage des années 1950.
Le triage de Trappes. Cliché collection Alain Stome.
%d
search previous next tag category expand menu location phone mail time cart zoom edit close