Le renouvellement du parc des voitures des chemins de fer français, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, est entrepris par une SNCF récemment créée en 1938 et qui a dû, en attendant des jours meilleurs, composer ses trains de voyageurs avec des voitures remontant à l’avant-guerre. C’est à sa nouvelle Direction des Etudes de Voitures (DEV) que la SNCF demande de dessiner les voitures de l’avenir et cette dernière, qui a démarré le projet dès 1938, se remet au travail dès la Libération. Il faut, à travers ces nouvelles voitures, redonner au chemin de fer l’image de modernité et de confort qu’un parc de matériel ancien lui refuse désormais. Cet exploit sera accompli par l’ingénieur Denis Forestier.




Dès la paix revenue, l’ingratitude et l’oubli.
Déjà en fort triste état du fait des hostilités, le chemin de fer français des dernières années 1940 voit se réveiller, dès les premiers jours de la Libération, un dangereux concurrent que le manque de pétrole et de pneumatiques avait pour un temps laissé dans les garages ou sous les meules de foin des granges: l’automobile et avec elle le camion et l’autobus. La joie de la Libération fait vite oublier que, pendant la guerre, le train était le seul moyen de transport et a rendu d’immenses services, assurant la survie de la population et de l’économie nationale. Maintenant : place à la modernité et vive l’ « auto » comme on l’appelle alors ! La fête peut reprendre.
Le train, lui, peut laisser rouiller ses voitures à caisses rivetées et au roulement dur et sonore, ses fourgons archaïques dans lesquels se disloquent valises et vélos, et surtout il peut envoyer au musée ses locomotives à vapeur sales et poussives. Voilà comme on voit les choses, et voilà surtout comment un puissant « lobby » politique, économique et industriel sait utiliser la complicité de la presse et du cinéma pour annoncer la mort du chemin de fer en France, en Europe et aux USA. Le train est prié de mourir discrètement, et de laisser la place nette aux transports « modernes ».
Le chemin de fer lutte pour sa survie.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la SNCF refuse d’être détrônée par l’automobile et les transports routiers, et, avec courage et détermination, elle va non seulement reconstruire son réseau mais mettre en service des trains confortables et performants, sachant qu’il y aura toujours une clientèle, notamment d’hommes d’affaires, pour des trains efficaces et ponctuels. En demandant à l’ingénieur Forestier de lui dessiner un nouveau type de voiture à voyageurs, la DEV montre sa volonté de doter le chemin de fer français d’un atout performant: la voiture de grande longueur, à la ligne nette et aérodynamique, et au confort incomparablement supérieur à celui offert par les automobiles particulières ou les autocars – surtout si l’on pense à la 4 CV. Renault ou à l’autocar Chausson de l’époque !
Commandées dès 1946, ces voitures DEV arrivent sur le réseau à partir de 1948 et sont construites jusqu’en 1959 pour former un parc de 1.605 voitures. Très rondes d’aspect avec leurs jupes de caisse descendant très bas près du sol et leurs carénages se prolongeant par dessus les soufflets, ces voitures tranchent nettement avec tout ce qui s’est fait jusque là, c’est-à-dire des voitures aux faces plates et rivetées, et dont les extrémités laissent à découvert les tampons, les attelages et surtout les soufflets. Ici, avec les DEV, le train prend un aspect aérodynamique et lisse.
Des marches d’accès rétractables et un éclairage « au néon » (terme d’époque), un chauffage par air pulsé, une décoration utilisant à profusion le “Formica” (imitation érable), le “Skaï” et le “Vinyle” du plus pur style années 50, voilà qui fait moderne et qui plaît, en dépit d’une livrée vert sombre pas très gaie mais très facile à entretenir.


Description des voitures DEV en acier ordinaire (dites DEV-AO)
Relisons l’ouvrage de référence “Encyclopédie des voitures SNCF” d’Alain Rambaud et Jean-Marc Dupuy, les deux plus grands spécialistes de l’histoire des voitures SNCF, paru en 1990 à La Vie Du Rail.
Les premières séries DEV sont dites courtes, avec une longueur hors-tout de 23,344 m, mais les suivantes sont rallongées, avec une longueur hors-tout de 25,094 m, à la suite des études des ingénieurs allemands de la Deutsche Bundesbahn qui avaient réalisé des voitures de 26,400 m.
Entre les premières livraisons de la tranche U46 et les dernières de la tranche U59 on arrive à un total de 1605 voitures construites. Les « diagrammes » (ce terme désigne les dispositions des compartiments) sont, pour les DEV AO courtes, du type A2¹/²B6, C10, B9c9, A3B5, B8, A8 et B10, tandis que, pour les DEV AO longues, ce seront des B10c10, A9 et A4c4B5c5. Il existera une unique C10c10 qui était un prototype à toiture haute préfigurant les voitures UIC couchettes.
Au fil des années, et plus particulièrement le 3 juin 1956 avec la suppression de la 3e classe, les voitures connurent des changements de diagrammes qui se traduisirent par le changement de l’aménagement (couleur et disposition des compartiments) et par une nouvelle immatriculation, ainsi on les A2¹/²B6 deviendront des A8¹/², les A3B5 vont devenir des A8, les B8 vont devenir des A8, les C10 deviendront des B10, et la fameuse C10c10 deviendra une B10c10 avant d’être modifiée en 1957 en B10 tout en conservant son toit surélevé. Les bogies utilisés sont très nombreux avec les types Y16 E, Y16 I, Y16 S, Y16 LMS, Y20 B, Y20 C, Y20 D, Y20 H, Y20 I, Y20 DM, Y24 Z ou Y26 D2.
Les DEV-AO seront réformées en 1998.

Les trains des années 1960.
Les 610 millions de voyageurs de la SNCF de cette époque d’avant le TGV se contentent, pour le service d’hiver 1964-65, d’aller de Paris à Lyon à 128 km/h de moyenne, à Bordeaux à 121km/h, à Brest à 101 km/h, Nice à 105 km/h, Lille à 120 km/h – et quand même Dijon à 133 km/h pour la vitesse la plus élevée. Mais ces vitesses sont appréciables quand on sait, et pour en faire souvent l’expérience, que dépasser le 80 km/h en 4 CV. Renault c’est jouer à la roulette russe, et dépasser 65 km par vent de face en 2 CV. Citroën est un exploit olympique.
Peut-on parler de progrès en matière de vitesse pour les chemins de fer ? En 1937 Lille était déjà atteinte à 110 km/h de moyenne commerciale, ou Dijon à 105 km/h, ou Marseille à 93 km/h. En presque 30 années, les progrès en matière de vitesse moyenne sont de l’ordre de 10% environ pour l’ensemble du réseau – mais, c’est vrai, avec l’épreuve de la guerre entre temps. Le train n’est pas encore positionné, commercialement, dans ce domaine.
Mais on peut constater que le trafic voyageurs a augmenté de 78% depuis 1938 ou de 36,1% depuis 1929, année de la veille de la grande crise qui frappera le chemin de fer aussi. Le parcours moyen des voyageurs passe, entre 1929 et 1965, de 36,9 à 61,4 km. Avec 38,4 milliards de voyageurs-kilomètres, la SNCF, en 1966, est encore en avance sur les transports collectifs routiers qui n’en totalisent que 20 milliards, ou l’aviation intérieure qui n’en totalise que 8. Les voitures DEV trouvent donc une SNCF et un réseau ferré national qui est encore à son âge d’or.
Les années 1990 : l’arrêt de mort des bonnes vieilles DEV en acier ordinaire.
Les voitures DEV sont, certainement, en progrès par rapport à leurs devancières des années 1920 qui ont déjà des sièges rembourrés, mais le revêtement des sièges des DEV est une froide et collante « moleskine » qui, les jours d’été, adhère parfaitement aux cuisses et aux mollets des garçons en culottes courtes…. Au sol de ces compartiments le « linoléum » et autres matériaux synthétiques complète cette harmonie toute en dureté très hygiénique.
Il est certain que ces insuffisances des DEV sera surtout soulignées par l’apparition des sièges garnis en tissu et des moquettes avec les voitures « Corail » apparues massivement en France à partir de 1975. Ce confort n’a été permis que par, d’une part, la crainte qu’avait la SNCF de voir définitivement les voyageurs prendre leur voiture ou l’avion, et, d’autre part, par la mise au point de tissus synthétiques très résistants – un progrès dont les DEV n’avaient pu hériter à leur époque.
Si on trouve les voitures DEV dans l’ensemble des trains rapides des années 1950 et 1960, elles ont complètement disparu, aujourd’hui, des trains de voyageurs de la SNCF, complètement éliminées par les voitures Corail dans les années 1990. Avec un peu de chance et un coup d’œil exercé, on peut encore en voir quelques unes, souvent garées à l’écart et parfois « taguées », sur une voie de service herbeuse et servant parfois de local de rangement ou de dortoir pour les équipes des trains de travaux.
Encadré technique :
Dates : 1948-1959.
Nombre : 1605.
Longueurs : 23,34 à 25,09 m.
Masses : 38 à 45 t.
Capacité : 48 à 80 pl.
Vitesse limite : 140 km/h.


Les voitures SNCF en acier inoxydable : le matériau révolutionnaire d’une voiture classique.
Construites entre 1950 et 1973, ces 406 voitures DEV-Inox ont pour particularité d’être en acier inoxydable ce qui, outre un aspect très inhabituel, leur donne de très gros atouts sur le plan technique, et permet une maintenance très économique et très réduite. Elles forment immédiatement le parc voyageurs haut de gamme de l’après-guerre, et on les voit sur l’ensemble des trains prestigieux des années 1950 et 1960. Le grand public et les enfants, tous admiratifs, les appellent “les wagons chromés”.
Mais il faut dire que l’acier inoxydable, cher mais économe ensuite en frais d’entretien, a été l’objet d’un vif débat dès 1944 entre la Direction des Etudes d’Autorails et la Direction des Etudes de Traction Electrique de la SNCF, ceci d’après le témoignage de l’ingénieur Marcel Garreau, alors qu’il s’agissait, en l’occurrence, de définir un programme et une politique d’autorails. L’issue du débat est le refus de la DEA d’utiliser l’acier inoxydable, car cette technique revient très cher initialement, même si l’on peut escompter un poids moindre et des frais d’entretien réduits.
La SNCF a, cependant, repris à son compte une expérience très favorable de l’acier inoxydable avec les 20 rames automotrices licence Budd livrées en 1937-1938 pour la banlieue ouest (Montparnasse). Cette licence a été acquise par la société Carel & Fouché qui fournit, dès 1948, des voitures en acier inoxydable au réseau algérien qui est donc très en avance sur son temps, à l’époque.
L’ingénieur Fernand Nouvion, partisan de cette solution, pourra l’appliquer ultérieurement sur les rames automotrices de la banlieue sud-est de 1952 et l’étendre à l’ensemble du nouveau matériel de banlieue SNCF qui suivra. Bien sûr, cela demandera un équipement spécial et un nouveau savoir-faire pour les ateliers chargés de la réparation des caisses, mais, par contre, l’absence de peinture à entretenir et l’impossibilité de rouille diminuent, en contrepartie, les frais d’entretien.
Composé de 18% de chrome et de 8% de nickel, l’acier inoxydable est utilisé, pour la construction des voitures de la SNCF, sous la forme de tôles et d’éléments de caisse très minces -chose rendue possible par l’absence totale de corrosion. Le gain de poids atteint environ 10%, ce qui est donc considérable, et permet des économies en frais de traction. En effet, une voiture de 1re classe à huit compartiments pesant 40 tonnes en acier ordinaire ne pèse que 36 tonnes en acier, soit 4 tonnes d’économisés. Sur un train de 10 voitures, l’économie représente le poids d’une voiture entière pour une capacité équivalente. L’assemblage des voitures demande, certes, des techniques particulières, dont la soudure électrique par points avec utilisation de pinces à souder connu sous le nom de procédé Shotweld.


Une carrière prestigieuse pour les « Inox ».
Ces voitures sont étudiées par la Division des Etudes de Voitures (DEV) de la SNCF à la suite d’une commande passée en 1950. Pour commencer, elles seront construites de 1952 à 1959, et des tranches supplémentaires seront ajoutées en 1963, 1964, 1969, 1970, et 1973 pour former un parc qui totalise 406 voitures.
Elles ont, en commun avec les voitures DEV en acier ordinaire, d’avoir les mêmes dimensions, des jupes identiques, et aussi les mêmes anneaux de prolongement en extrémité de caisse. Les portes et les baies sont identiques. Outre la couleur, verte pour les voitures en acier ordinaire, non peintes pour les voitures « inox », la grande différence est dans l’aménagement intérieur. Un éclairage fluorescent, très « moderne », une sonorisation permettant d’appeler les voyageurs pour une communication téléphonique ou de faire différentes annonces, un chauffage à air pulsé, voilà, aussi, des données contribuant à la forte image de marque de ces voitures dans l’opinion publique. Une autre différence, par rapport aux DEV qui sont engagées dans tous les types de trains, est la présence d’un plus grand nombre de voitures des classes supérieures : les voiture-bar et les voitures de 1re classe dominent au sein de ces voitures destinées avant tout à des trains prestigieux.
Engagées sur des relations rapides comme Paris-Lille en 1959, ces voitures forment des trains où une clientèle d’hommes d’affaires apprécie la voiture-bar, et surtout les très remarquées voitures-bar-téléphone à une époque où le téléphone portable n’existe pas encore et où la SNCF installe des pylônes et des relais sur toute la longueur de la ligne pour des liaisons par voie hertzienne : on fait la queue avec agacement devant la cabine pour téléphoner ! Mais les voitures à couloir central pour repas servi à la place, et pourvues d’une cuisine, font que la SNCF crée ainsi ses voitures-restaurant.
Les fauteuils sont très confortables. Garnis du fameux tissu rouge dit « coq de roche », ces fauteuils sont à deux positions, une plus droite pour les repas à la place, et une autre plus inclinée pour le repos. Un appuie-tête réglable vient ajouter son efficacité.
La sonorisation des voitures est très soignée et marque un nouveau temps dans la « communication » de la SNCF avec appel des voyageurs que l’on demande au téléphone, ou, surtout, annonce des retards ou des services des repas. Le chauffage se fait par air pulsé, puis, à partir de 1953, c’est l’air conditionné qui vaut aux voyageurs épris d’américanisme leurs premières rhinites et allergies.
Ces voitures forment les trains rapides comme « L’Albatros », « La Mouette » ou « La Frégate » (Paris-Le havre), ou encore « L’Armor », « Le Goéland » en direction de la Bretagne, ou les Paris- Clermont -Ferrand, et surtout le fameux et très célèbre « Mistral ». L’arrivée des voitures Corail contribue à les démoder et à les reléguer, durant les années 1970, vers des trains plus modestes, certaines voitures étant même déclassées en 2e classe. Ces très belles voitures ont disparu, aujourd’hui, des grandes lignes de la SNCF.

caractéristiques techniques.
Type: voiture à bogies.
Dates : 1959-1973
Nombre : 406.
Masse : 34 à 44 t selon les séries.
Capacité : 64 à 84 pl. selon les aménagements.
Longueur : 23,34 à 25,09 m selon les séries.
Vitesse : 160 km/h.
La voiture DEV, mythique jusque dans le monde des premiers trains-jouets en “H0”.
Sans aucun doute c’est bien la marque Jouef qui sait, la première, profiter de la célébrité des voitures DEV en la reproduisant sous une forme très raccourcie et en plastique moulé. Apparaissant sur le catalogue Jouef de 1955, le Sud-Express, déjà sorti en décembre 1954 avec sa BB 9003, montre ses voitures d’inspiration DEV-Inox, des rails électriques droits et courbes, et un transformateur. Ce train marque le début du grand revirement avec l’abandon du jouet naïf pour, disons, ce qui n’est pas encore du modélisme ferroviaire, mais qui est en voie de le devenir. La gamme offerte est pourtant restreinte avec, par exemple, trois wagons marchandises sous la forme de la trilogie minimaliste du plat, du tombereau, et du citerne. Courant 1955, le couvert à portes coulissantes apparaît, avec les chargements assortis pour les wagons plat et tombereau, les appareils de voie et le croisement pour la voie électrique. Les records SNCF à 331 km/h de mars 1955 suscitent à Jouef l’idée de changer la numérotation de la BB 9003 en 9004 comme en témoigne d’ailleurs le catalogue 1955.
Les années 1956 à 1959 sont celles de l’enrichissement de cette gamme de base qui place Jouef, pour le moment, loin en dessous des firmes classiques occupant le marché du « H0 ». Il ne semble d’ailleurs que rien ne dispose vraiment Jouef à changer de créneau commercial, et pourtant la firme a mis le doigt dans l’engrenage : il lui faudra bien assurer sa montée en puissance dans la qualité technique, la qualité esthétique avec une meilleure ressemblance aux trains réels, bref, jouer des coudes pour pénétrer dans le monde occupé par JEP et Hornby et les importateurs de Märklin ou Fleischmann.





Dans le compartiment d’une voiture DEV : les inoubliables photographies des paysages de la douce France qui invitent au voyage.












Merci à Jean Brissot, ingénieur de la SNCF, qui a eu le courage d’aller “faire les poubelles” aux ateliers de Romilly et de préserver ces trésors, et de permettre leur partage sur ce site. Voici, ci dessous, un compartiment de voiture DEV sans voyageurs, permettant de bien localiser les emplacements de ces “images” placées contre les parois, au-dessus des sièges.


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