Avant de décrire cette magnifique ligne, préservée par l’une des plus anciennes associations françaises dont l’action courageuse et compétente remonte aux années 1970, et dont les grandes journées de fête attirent des milliers de visiteurs, il nous faut faire un retour historique sur les raisons du choix, par la France, d’un considérable réseau en voie métrique venant s’ajouter aux “grands réseaux” et dont le sens et l’utilité ont été oubliés aujourd’hui.
La construction du réseau des secondaires en France se fait en deux grands mouvements : d’abord celui des lignes en voie normale pour la desserte des préfectures et des sous-préfectures à partir de gares déjà situées sur les grandes lignes, puis, ensuite, celui des chefs-lieux de canton, des petites bourgades, ou des petits ports, ceci par des lignes en cul-de-sac pour ces agglomérations qui n’ont pas eu le bonheur de se trouver sur une grande ligne. Beaucoup de ces petits ports recevront un embranchement en voie métrique, et ce sera le cas, pour la Somme, de Cayeux et de St-Valéry, et aussi du Crotoy qui espèrent que si le petit train emportera le poisson, il apportera des touristes… en dépit de la température de l’eau ! Pour rester dans le voisinage, notons que la station balnéaire de Fort-Mahon devra, de même, se contenter d’une petite ligne mais en voie de 60. Le Tréport-Mers-les-Bains aura beaucoup plus de chance en devenant le terminus d’une ligne à voie normale la reliant à Beauvais et à Paris … pas moins !








Les chemins de fer secondaires se sont développés en France bien après la constitution des six grandes compagnies. Suivant le plan du ministre Freycinet, toutes les sous-préfectures de France devaient être desservies par les grands réseaux, et en 1879 il parvient à faire voter son plan qui comporte la construction de pas moins de 150 lignes nouvelles dans le seul but que toutes les sous-préfectures soient desservies par une ligne à voie normale. Cela va entraîner la construction de 10.000 kilomètres de lignes nouvelles parcourant, pour une simple raison d’équité administrative, des régions peu peuplées et peu actives, et qui ne peuvent éviter que ces lignes demeurent une lourde charge pour la collectivité nationale qui est bien obligée d’apporter son aide et sa garantie aux compagnies concernées. C’est, pourrait-on ajouter, que, pour assurer un service public de qualité partout sur le territoire national, une politique du “quoi qu’il en coûte” dont le “quoi qu’il a coûté” est sorti des mémoires des électeurs.
Or, vers 1875, le grand réseau national est pratiquement en place et atteint 25.000 kilomètres constitués essentiellement de grandes lignes reliant entre elles toutes les villes importantes du territoire, soit par des lignes radiales aboutissant à Paris, soit par les lignes transversales, soit, encore, par des embranchements aboutissant aux deux types de lignes précédentes. Ces villes desservies par le réseau national sont importantes et actives économiquement, et parfois des préfectures, mais pas forcément, et encore moins forcément des sous-préfectures.
Il est intéressant de remarquer que les lignes qui seront fermées pendant les redoutables années 1930 à 1960 sont, justement, pour la plupart, celles qui seront construites après 1875, notamment pendant le plan Freycinet. En quelque sorte les deux décennies de 1930 à 1950 voient le réseau national revenir à son extension de 1875. Fallait-il donc construire toutes ces lignes secondaires, départementales, métriques ?
Les chefs-lieux de canton, maintenant.
Quand, à la fin du XIXe siècle, ce programme Freycinet est presque entièrement réalisé, les autorités départementales estiment que même les chefs-lieux de canton, maintenant, doivent être dotés d’une voie ferrée. Mais, comme il ne pouvait être question d’engager les frais de construction de lignes à voie normale pour les desservir tous, on imagine de construire des lignes à voie étroite, soit sur plateforme indépendante, soit sur les routes elles-mêmes alors libre de toute circulation automobile et offrant une solution très bon marché à partir du moment où ces trains prennent le nom de tramway.
De 1890 à 1914, les lignes pour chefs-lieux de canton envahissent la France et les cartes du Chaix de la période 1913-1925 montrent l’existence d’un réseau finement maillé, très dense, qui dessert le moindre gros bourg ou village. La totalité du réseau ferré atteint 59.000 km. La Première Guerre mondiale arrête la construction d’un grand nombre de lignes qui sont en projet ou même déjà commencées, et l’essor de l’automobile vient rapidement pérenniser cette situation d’abandon du chemin de fer d’intérêt local en France.
A son apogée, vers 1924, le réseau secondaire atteint plus de 22.000 km., soit plus de la moitié de la longueur totale des grands réseaux, et les projets en cours en 1914 auraient dû porter ce chiffre à près de 30.000 km. Si… (refaisons l’histoire !) la Première Guerre mondiale n’avait pas eu lieu, et si ce réseau de 30.000 km de secondaires avait été construit et maintenu, il est certain qu’aujourd’hui, outre le plaisir pour les amateurs de trains d’en voir en tous sens jusque dans la moindre campagne, il est certain que, en ces temps d’inévitable crise de l’énergie et de tout aussi inévitable destruction de l’environnement, ces chemins de fer seraient bénis de la part de tous, écologistes ou non, et très utilisés.
La chance du plan Freycinet fut d’être conçu à une époque où l’automobile n’existait pas, et, aujourd’hui, on est bien en train de se rendre compte qu’il peut-être aurait mieux valu que l’automobile n’ait jamais existé !


Un réseau qui a duré longtemps.
Au Crotoy, et à Saint-Valery-sur-Somme, ou à Cayeux, on n’en est pas encore là, et le charme des stations balnéaires a été rehaussé grâce au réseau en voie métrique construit en 1887. L’un partant de la gare de Noyelles, située sur la grande ligne Paris à Boulogne, pour desservir d’une part Saint Valery et Cayeux, l’autre par une seconde ligne, Le Crotoy.
Hélas, comme il est de règle dans l’histoire des lignes secondaires, les années 1920 sont celles de l’essor de la route, et le « Réseau des Bains de Mer », comme souvent on le nomme, voit ses trains se vider peu à peu au profit des autocars, des camions et surtout des voitures particulières. Mais aussi les plages de la Manche souffrent-elles de la concurrence de celles, plus ensoleillées et plus chaudes, de la Côte d’Azur que les progrès considérables, en matière de vitesse, mettent désormais à quelques heures de Paris par les trains les plus rapides. Avant 1914, aller sur la Côte d’Azur était un long voyage de près de 20 heures, ce qui assurait aux plages de la Manche une clientèle encore fidèle. Mais les «congépés » des dernières années 1930 et des années 1950 iront, à tarif réduit, vers la Méditerranée.
Enfin, la réduction des activités de la pêche à partir des ports de la Baie de Somme vient aussi réduire le trafic du petit réseau, qui ferme définitivement en 1972. C’est un miracle qu’il ait vécu jusque-là!
Le train touristique : du courage à revendre.
Mais de courageux amateurs veulent sauver le réseau et s’y prennent à temps. Dès l’annonce de la fermeture en 1971, il parvient à transporter 2.500 touristes. Aujourd’hui le nombre de visiteurs transportés est de plus de 60.000 chaque année.
Sous le nom de Chemin de fer de la Baie de Somme (CFBS), l’association sait passer des accords avec le Parc ornithologique du Marquenterre et avec le Syndicat Mixte d’Aménagement de la côte Picarde, mais aussi avec la SNCF, et d’autres organismes importants. Le parc se compose alors de quatre locomotives à vapeur, de locotracteurs, d’autorails, de quinze voitures et de wagons à marchandises, mais ira en s’agrandissant. Beaucoup de ces pièces de collection seront classées ou inscrites comme Monuments Historiques, vu leur valeur historique et technique. Le réseau totalisera 27 km de voies métriques, et la remise en état de ces voies a fait l’objet de tous les efforts de l’association. Elle n’est pas encore intégralement terminée. L’association a besoin de bras, mais aussi, plus simplement, de voyageurs.
Du réseau des Bains de Mer au CFBS en quelques dates-clés :
- 1846-1848 : Le réseau du Nord met en service la ligne Paris – Boulogne-sur-Mer, avec une gare à Noyelles-sur-Mer ouverte en 1847.
- 1854 : La Compagnie du Nord obtient la concession d’une ligne à voie normale de Noyelles à Saint-Valery-sur-Somme à réaliser dans un délai de quatre ans.
- 1858 : une longueur de 5585 m est en service, prolongé par une voie de 1 490 m touchant le port de Saint-Valery-sur-Somme.
- 1885 : une déclaration d’utilité publique du réseau d’intérêt local de la Somme avec 328 km de lignes, dont 68 km pour le groupe dit des « Bains de Mer » avec une exploitation assurée par la société générale des chemins de fer économiques.
- 1887 : ouverture des lignes : le 1er juillet pour la ligne de Noyelles – Le Crotoy, le 6 septembre pour la ligne de Noyelles – Saint-Valery-sur-Somme – Cayeux-sur-Mer.
- 1937 : mise en service d’autorails de Dion-Bouton.
- 1947 : fermeture de la ligne Abbeville – Dompierre.
- 1969 : fermeture de la ligne Noyelles – Le Crotoy. Conséquence immédiate et décisive : l’association du Chemin de Fer de la Baie de Somme (CFBS) est créée.
- 1970 : premier train d’essai de l’association CFBS sur la relation Noyelles – Le Crotoy.
- 1971 : début de l’exploitation régulière de la ligne.
- 1972 : le CFBS reprend l’exploitation de la ligne à quatre files de rails Noyelles-Cayeux, après avoir signé un accord avec la SNCF pour la desserte du port de Saint-Valery-sur-Somme. Le CFBS, désormais fort de ses 400 membres actifs dont la plupart son salariés devient une véritable entreprise ferroviaire.
Une particularité technique rare.
Une des particularités techniques de ce petit réseau fut l’établissement, par convention avec la Compagnie du Nord en date du 28 mai 1887, d’un tronçon de voie à quatre files de rails (écartement normal de 1435 mm et métrique imbriqués) entre Noyelles et Saint Valéry, ceci pour permettre l’acheminement direct des wagons à voie normale jusqu’en gare de Saint Valéry.
Pour cela, on pose de Noyelles à Saint Valéry, sur 7000 mètres et entre les deux rails de la voie large et dans l’axe, une voie métrique, sur laquelle pourra circuler le matériel de la Société des chemins de fer économiques. Les locomotives de cette Société portent un double système d’attelage, l’un à tampon central et l’autre à deux tampons ordinaires, de manière que les trains circulant de Noyelles à Saint Valéry puissent être, à volonté, composés soit exclusivement de véhicules de la petite ligne de Cayeux, partant de Noyelles pour Cayeux et vice versa, soit de véhicules du réseau du Nord passant de la grande ligne sur l’embranchement de Saint Valéry, soit enfin de véhicules des deux écartements, intercalés dans les trains, de l’embranchement de Noyelles à Cayeux.
D’autre part, les marchandises de la localité et du port de Saint Valery, qui sont aujourd’hui échangées à Noyelles, sans transbordement, entre la ligne principale et l’embranchement, pourront continuer à circuler de la même manière sans être grevées d’une opération de transbordement et en étant remorquées par les machines de la petite ligne.
Indépendamment de ces deux conditions importantes, la combinaison adoptée a encore un avantage, qui n’est pas négligeable : elle rend l’exploitation de la section à voie large plus économique pour la Compagnie du Nord et pour la Société des chemins économiques. En effet, comme la petite ligne à voie étroite du Crotoy aboutit à Noyelles , on relie entre eux deux tronçons au lieu de les exploiter isolément. Un des plus intéressants et des plus complets réseaux touristiques de France est, enfin, en service.
Les “Fêtes de la Vapeur” : les hauts faits d’armes du CFBS.
La première « Fête de la vapeur » est organisée par le Chemin de fer de la baie de Somme en 1988, à l’occasion du centenaire du Réseau des Bains de Mer. Un rassemblement de machines à vapeur et de matériel roulant se déroule à Noyelles-sur-Mer, point de correspondance avec le réseau de la SNCF. Depuis, le CFBS la réorganise tous les trois ans, avec de nombreuses machines à vapeur venues de toute l’Europe.
Par exemple, pour l’édition 2013, on a vu beaucoup de matériel en provenance d’autres réseaux dont sept locomotives à vapeur : la 150 P 13 de la Cité du train, la 020T no 12 Peckett and Sons (en) « Marcia » du Kent and East Sussex Railway, la 030T « Bébert » La Meuse du Stoomcentrum Maldegem, la 020T no 11 ex-Entreprise Paul Frot du Train du Bas-Berry, la 030T no 75 ex-TIV du MTVS, la Mallet no 101 ex-POC des Voies ferrées du Velay, ainsi que la 030T no 5 Decauville du CFCD. Les autorails De Dion-Bouton JM4 no 11 du MTVS et X 2403 de l’Association des Chemins de Fer de la Haute-Auvergne étaient également présents, de même que la rame Sprague-Thomson du métro parisien préservée par l’ADEMAS, la draisine Billard de l’ACFCdN et deux voitures de voyageurs de l’AAPA. Cette édition a accueilli près de 21 000 visiteurs dont 7 250 voyageurs.
En 2016, le matériel du CFBS fut entouré d’ « invités » à voie normale comme l’autorail X 73609 en gare de Saint-Valery-Port, la 230 D 9 de la Cité du Train avec la 231 K 8 du MFPN en gare de Noyelles-sur-Mer, ainsi que la BB 75024 Akiem spécialement pelliculée au thème de cette 10e édition de la Fête de la vapeur. La rame de métro Sprague-Thomson de l’ADEMAS assurant des navettes entre Noyelles-sur-Mer et Saint-Valery, en alternance avec la 130 NSB du « Kent and East Sussex Railway » et la 020T Saddle tank « Fred » du Stoomcentrum Maldegem. Un train spécial tiré par la 141 TB 424 rejoignait Noyelles-sur-Mer depuis Sotteville, et le dimanche 17 c’était au tour de l’autorail X 4719 du Chemin de fer touristique du sud des Ardennes de venir à Noyelles-sur-Mer depuis Amagne-Lucquy. La voie métrique eut à défendre sa présence avec la 131T 99 6001 du Chemin de fer du Harz, la 030T J-S 909 du Chemin de fer-musée Blonay-Chamby, l’autorail AR.86 de l’Association pour la Sauvegarde du Vicinal, et la 030T ex-TIV no 75 du MTVS qui a inauguré en octobre 2015 son nouveau train touristique en Gare de Crèvecœur-le-Grand10. Les deux draisines Billard de l’ACFCdN et de l’AAPA étaient également présentes. Même en voie de 60 on avait de quoi être satisfait avec la 030T no 5 Decauville du CFCD roulant sur une voie provisoire posée avenue Paul Doumer à Cayeux-sur-Mer, et l’autorail Crochat AT-1 du Musée des transports de Pithiviers roulait sur une autre voie temporaire posée avenue de la gare au Crotoy. La voie de 40 cm était également représentée avec le « Tramway de Boutdeville » de l’ACFCdN circulant sur une voie installée en gare de Noyelles-sur-Mer. Cet événement reçut la visite de 24.000 personnes dont 7 200 à bord des trains.
Le Chemin de fer de la baie de Somme est jumelé avec le “Kent and East Sussex Railway” (Royaume-Uni) ainsi que l’Association des chemins de fer des Côtes-du-Nord (Côtes-d’Armor).





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