Cette ligne Ferrocarril Central Andino (FCCA). dite du “Central Peru” est la plus dure du monde pour les locomotives, la plus spectaculaire pour les voyageurs. C’est celle qui part de Lima, au niveau du Pacifique, pour monter jusqu’à une hauteur de 4783 m, au tunnel de Galera, avant de passer sur les hauts plateaux péruviens. Elle n’est plus la plus haute depuis que la Chine a ouvert la ligne du Tibet en juillet 2006, et passant à 5072 m d’altitude. Mais elle a gardé son aspect terrifiant de ligne la plus spectaculaire du monde, et Hergé, qui a toujours su représenter avec exactitude et précision tous les véhicules utilisés par le célèbre reporter, ne s’y trompe pas et y situe une des plus mémorables aventures de Tintin, dans le « Le Temple du Soleil » paru en 1949 : un voyage mouvementé avec, en prime, une descente vertigineuse dans une voiture du train décrochée et roulant seule à la dérive sur la terrible et interminable pente !…
Le chemin de fer est, certes, présent dans les albums que Hergé a crées autour de son héros Tintin, mais la présence la plus marquante, complète, et brillante est, indiscutablement celle de l’automobile dont Hergé a dessiné les voitures les plus emblématiques de l’époque avec une précision et un soin exemplaires. De même, le monde maritime avec de magnifiques bateaux est traité avec soin puisque le capitaine Haddock est un marin endurci et au langage très imagé. Les chemins de fer apparaissent moins, mais sont présents dans certains albums comme “Le temple du soleil”, ou aussi “L’île noire”.

Le chemin de fer ? C’est pour le « guano » qui rapporte gros.
Après avoir relu l’album de Tintin en entier pour le plaisir, revenons à notre grande ligne de chemin de fer péruvienne. Au milieu du siècle dernier le Gouvernement péruvien s’était brusquement enrichi par la vente des « guanos », engrais naturel constitué par des excréments d’oiseaux et qui couvrait alors, sur des dizaines de mètres d’épaisseur; la surface entière des îles péruviennes proches de la côté du Pacifique. Le Pérou avait alors les moyens et la volonté de construire un réseau ferré destiné à réunir les ports et les villes de la côte aux mines de la Cordillère des Andes et, au‑delà, à la fertile zone de collines du versant atlantique ou Montana.
Trois lignes transandines furent projetées : une au nord, une au centre, une au sud, mais les deux dernières seules furent achevées. C’est bien la ligne centrale qui nous intéresse ici.
Partant de Lima, un seul chemin s’ouvre pour franchir la Cordillère : la vallée du Rimac, torrent qui prend sa source à 5.000 mètres d’altitude, et à 130 kilomètres à vol d’oiseau seulement de la mer et de la côte du Pacifique. Comme tous les torrents du monde, le Rimac est beaucoup plus rapide vers sa source que vers son embouchure : ce qui fait que, à Chosica, à 50 kilomètres de la côte, l’altitude n’est que de 850 mètres tandis que 60 kilomètres plus haut, vers Chinchann, elle est de plus de 4.350 mètres. De plus, si, sur ses 50 kilomètres inférieurs la vallée du Rimac est relativement ouverte, large et en faible pente, sur les 60 kilomètres supérieurs elle n’est généralement qu’une étroite gorge sauvage creusée entre des pentes abruptes partant de hauts sommets. C’est par là qu’il faut passer.
Une certaine idée polonaise pour commencer.
En 1859, un ingénieur polonais, Ernest Malinowski, exilé au Pérou par le partage et la disparition de son pays natal, propose de prolonger la courte ligne de Lima à Callao jusqu’à la vallée de Jauja l’ancienne première capitale du Pérou qui est dans une période favorable grâce à la prospérité économique due aux exportations du guano des îles Chincha et à la stabilité politique momentanées.
Des commissions se mettent au travail, et proposent plusieurs tracés possibles, soit par les gorges du fleuve Rímac, à partir de Lima et en passant par Matucana, San Mateo et Tarma, soit par la vallée de la rivière Chillón, ou encore par celle de la rivière Chancay, ou même par la rivière Lurín. Le choix se fera initialement et rapidement pour l’itinéraire de la Lurin, sous la pression de l’ingénieur Gerrit Backus, réputé pour sa compétence, mais, en fin de compte, pour de nombreuses raisons constatées sur le terrain, ce sera l’itinéraire par la Rimac qui sera réalisé. Ces études préliminaires durent jusqu’en mars 1866 puis sont suspendues du fait de la guerre avec l’Espagne.



“Je placerai des rails là où les lamas marchent!…”
En 1868, on fait fit appel à Henry Meiggs, un Américain qui avait été entrepreneur dans le New Jersey et au Chili. Il reprend les études et déclare : « Je placerai des rails là où les lamas marchent ».
N’empêche que la construction, lamas ou pas, coûtera quelque 27 millions de livres, et que le contrat signé en 1869 précisait que les travaux devaient être achevés dans un délai de six ans ! Meiggs devait avoir du sang-froid et de l’audace.
“Oroya Railroad” ou “Ligne Centrale”, ou “Ferrocaril Central Andino”, quelle que soit son nom, cette ligne représente sans nul doute l’ouvrage le plus audacieux jamais réalisé dans l’histoire mondiale des chemins de fer. Meiggs a des nerfs solides, et il a déjà construit la ligne dite du “Transandino” ou du “Southern” qui, elle aussi, part à l’assaut de la Cordillère des Andes, mais par un tracé plus sage. Meiggs se met au travail avec ardeur et courage, mais sa mort prématurée compromet les travaux. Le gouvernement péruvien, qui partage l’enthousiasme de Meiggs, parvient à intéresser des investisseurs américains en ce qui concerne les mines et des constructeurs anglais pour réaliser la construction de la ligne qui est terminée vers 1900. C’est par là que les Ingénieurs péruviens, sous la conduite de Meiggs, devaient faire passer, vers 1860, une voie ferrée à l’écartement normal, alors que les moyens de construction étaient encore primitifs.
Aux difficultés créées par les sites tourmentés s’ajoutent bientôt des difficultés humaines : on comptait initialement sur la main-d’œuvre chinoise. Dès que l’altitude de 3.000 mètres fut atteinte, les Chinois se montrèrent presque incapables de supporter le climat. Le mal des montagnes, le Soroche, est encore plus fort encore dans la Cordillère que dans les Alpes. Il faut avoir recours à la main-d’œuvre indienne, jugée a priori moins performante mais habituée à ces travaux de force par des siècles de servitude dans les mines d’argent, et ce fut au prix de bien des peines et des souffrances que la ligne peut continuer à monter à l’assaut de la Cordillère.

Des travaux pharaoniques dans des montagnes dantesques.
La construction de cette extraordinaire ligne est poursuivie avec ténacité. Commencée en 1868, au départ de Lima, à la suite du tronçon Callao-Lima déjà en exploitation depuis 17 ans, elle est ouverte jusqu’à San Bartolomé (km. 76, altitude 1.513 m) en 1871, puis jusqu’à Chicla (km. 141, alt. 3.734 m) en 1878.
En 1879, la guerre chilo-péruvienne arrête les travaux qui sont repris en 1890 et achevés jusqu’à Casapalca (km. 154, ait. 4.155 m) en 1892. Le tunnel de faîte fut inauguré peu après, et la ligne parvenait à La Oroya (km. 222, alt. 3.726 m) en 1893. En 1902, pour desservir une zone minière, on ouvre un embranchement entre Ticlio, une gare située à 4.758 m. d’altitude à l’entrée du tunnel de faîte, et Morococha. L’embranchement franchit le faite de la Cordillère après la station de La Cima (km. 2,5 de Ticlio, ait. 4.818 m.) par le col d’Anticona à 4.835 m d’altitude, ce qui est plus haut que le Mont Blanc. C’est, à l’époque, le point le plus élevé au monde atteint par une voie ferrée à l’écartement normal.
Pour le tracé même de la voie, des problèmes techniques presque insurmontables se posent.
Dans la basse vallée du Rimac, de Lima à Chosica, les difficultés ne sont pas plus grandes que dans une quelconque vallée alpestre, sinon qu’il fallut mettre la ligne à l’abri des crues soudaines du torrent. Au‑delà, la pente moyenne du Rimac est plus forte que la déclivité possible pour une voie ferrée, à cette époque où la traction électrique n’existait pas et où la puissance des machines à vapeur était fort restreinte. La traction vapeur ne pouvait tolérer une rampe supérieure à un maximum de 4,37 pour mille : mais c’était insuffisant pour suivre la pente du torrent.
On aurait pu résoudre le problème, comme pour les grandes percées alpines (Saint-Gothard, etc.) au moyen de tunnels hélicoïdaux. Mais en 1860 les perforatrices étaient à peine inventées, et il est quasi impossible de les faire fonctionner dans l’air raréfié des hautes altitudes. Et il aurait fallu sans doute plus de 20 souterrains hélicoïdaux pour arriver au faîte des Andes, si l’on songe qu’au Saint‑Gothard en a déjà 4 sur le seul versant sud.
La solution trouvée, peu propice à une bonne exploitation, est donc l’usage de zigzags : il y a donc pas moins de 6 zigzags (ou doubles rebroussements) à la montée de la Cordillère, sur le versant Pacifique, un zigzag à la descente sur le versant Atlantique et 3 autres sur la branche de Morococha.
A chaque zigzag, le train doit s’arrêter, et le mécanicien doit inverser le sens de marche pour rebrousser une première fois pour s’élever au-dessus du fond de la vallée, puis, par un deuxième rebroussement, il reprend sa direction primitive : ainsi la machine tire et pousse le train alternativement, et, à chaque aller et retour, le train prend de l’altitude, mais ne progresse guère géographiquement puisque faisant pratiquement du surplace. Pour faciliter l’exploitation, pour éviter l’encombrement de la ligne par des trains passant le plus clair de leur temps à manœuvrer, certains zigzags construits à l’origine sont remplacés ultérieurement par des boucles.


Une succession d’ouvrages d’art sans équivalent au monde.
Malgré les zigzags qui ont évité lé percement de nouveaux tunnels, la ligne comprend encore 61 souterrains. Le plus long, qui est en, même temps le tunnel le plus élevé du monde, est le tunnel Galera percé à 4.780 mètres d’altitude, presque à la hauteur du Mont-Blanc, sous le faîte des Andes : i1 a 4177 mètres de long. Il a fallu également construire de multiples ponts métalliques, non seulement sur les ravins latéraux, mais sur le Rimac lui-même à plusieurs reprises la voie passe d’une rive à l’autre pour éviter des précipices. Le pont le plus hardi est lancé entre deux tunnels, au-dessus de la gorge de l’Infiernillo, tout près du point où l’antique chemin inca franchissait le torrent sur un pont de pierre ; il est encadré maintenant par les deux ponts de la nouvelle route transandine qui, depuis quelques années, double la voie ferrée.
Le pont le plus long est le viaduc Carrion qui a 220 mètres. La plupart des ponts de la ligne ont du reste été reconstruits depuis l’origine, soit qu’ils aient été emportés par dès crues ou des éboulements, soit, plus généralement, parce que les ponts primitifs ne pouvaient supporter la charge des puissantes locomotives modernes. On montre encore, près du pont Anchi en haut de la gorge de l’Infiernillo (l’enfer !), une locomotive tombée dans le torrent : on n’a jamais pu la sortir de là…

Plus haut que Mermoz ou Saint-Exupéry.
La ligne part, donc, du niveau de la mer et atteint 4.783 m en un parcours dantesque de 158 km, ceci au prix de rampes quasi continues de 40 à 45 pour mille. Pour les voyageurs, des bouteilles d’oxygène, disposées dans les voitures, sont continuellement utilisées en cours de route à cause de l’altitude. C’est sans doute cette dernière caractéristique qui, reprise par les médias, a fait la célébrité de la ligne.
Cette altitude de 4.783 m est telle que, pendant longtemps, elle était plus élevée que l’altitude limite des avions ! A l’époque de Mermoz ou de Saint-Exupéry, la Cordillère des Andes ne pouvait être survolée par les avions qui manquaient de la puissance nécessaire pour assurer leur sustentation dans un air raréfié, et les pilotes devaient contourner les hautes montagnes ou suivre prudemment les vallées. Le train, lui, allait plus haut que les avions et, souvent, dans la nuit, les aviateurs, humiliés, voyaient les lumières des trains les narguer depuis une altitude qui leur était interdite.
Et, par un fait que les professeurs de physique expliquent volontiers, les locomotives à vapeur, elles, aiment bien l’altitude. En effet, d’une manière générale, les moteurs à combustion interne perdent leur puissance au fur et à mesure que l’on gagne de l’altitude. Par contre, l’altitude convient mieux à une locomotive à vapeur dont le rendement croit du fait de l’abaissement de la température d’ébullition de l’eau: plus on monte, mieux elle galope, produisant de plus en plus de vapeur avec le même feu…. Voilà une curieuse revanche d’une vieille loi de la physique qui ne trouve que très rarement l’occasion de s’appliquer !
Les locomotives de la ligne : exceptionnelles.
Pour une telle ligne, il faut des machines exceptionnelles. Elles doivent être aptes à affronter ces rampes continuelles sans perdre de puissance. Les ingénieurs de la ligne ont fait appel à la célèbre firme anglaise Beyer-Peacock de Manchester pour la construction de locomotives d’une haute qualité technique. Mais on refuse à ce constructeur de suivre les normes habituellement pratiquées sur les locomotives européennes : les ingénieurs du Central Peru imposent une conception à l’américaine, la seule en honneur sur l’ensemble du continent nord et sud américain pour sa robustesse et sa simplicité.
La présence de fortes rampes et d’allers et retours sur les rebroussements en zigzag est préjudiciable à la position correcte de l’eau dans les chaudières, d’où des chaudières courtes réduisant les mouvements de l’eau. L’abondance de sources permet un tender de dimensions réduites, mais la chauffe au fuel permet, aussi, un foyer de dimensions réduites, ce qui gagne du poids et du rendement, bien que la production de vapeur soit élevée pour assurer une marche avec un régulateur ouvert à fond des heures durant.
Ce sont des locomotives du type: 140 (un essieu porteur à l’avant, puis quatre essieux moteurs) pesant 113 tonnes tender compris, avec deux cylindres à simple expansion aux dimensions de 508 x 711 mm. Le diamètre des roues motrices est de 1321 mm La pression de la chaudière est de seulement 14 kg/cm2. La tender contient 12 tonnes d’eau et 7 tonnes de fuel. Elles peuvent rouler à une vitesse maximale de 80 km/h, rarement atteinte, on s’en doute, en service courant vu le profil de la ligne.
Les locomotives à vapeur les plus performantes, engagées sur la ligne en 1935, assurent une montée en 6 heures, à une moyenne de 35 km/h environ. Elles ne seront retirées que durant les années 50 pour être remplacées par des locomotives diesel qui ne manquent pas de créer de nombreux problèmes. Mais, plus particulièrement pour cette ligne, les moteurs des locomotives sont soumis à de telles épreuves qu’ils tombent en panne dans les endroits les plus inaccessibles de la ligne, et assurent, tout compte fait, des performances plutôt moindres. Depuis les années 1980, la diésélisation est totale, mais quelques locomotives à vapeur sont préservées.







Une ligne qui rapporte.
C’est le trafic de la province de Junun avec la côte qui alimente le Chemin de fer central du Pérou. Le trafic, à la montée, consiste en produits manufacturés et, à la descente, en minerais ou barres de cuivre, en antimoine, en zinc, en animaux (porcs, moutons), en fruits et légumes. Notons que ce trafic est propice à une bonne exploitation ferroviaire puisqu’il est plus lourd à la descente qu’à la montée ! A la descente, lorsque l’on craint que la voie soit obstruée par des éboulements, le train de voyageurs est précédé par une draisine qui circule par simple gravité, sans son moteur.
Du point de vue touristique, le voyage de Lima à La Oroya et au-delà est sans doute le plus extraordinaire que l’on puisse faire en train, partant du Pacifique, de ses plages, de Lima avec ses églises, ses places ombragées, ses avenues, ses hôtels et ses résidences. Suivant d’abord des plantations irriguées par les eaux du Rimac, la ligne s’élève bientôt dans d’impressionnants sites de gorges, de rochers, d’éboulis. Elle atteint le sommet des Andes, serpentant entre les lagunes glacées, les névés, laissant voir des pics dentelés, traversant des plateaux dénudés pour redescendre vers les vallées verdoyantes de la province de Junun. Les nombreux rebroussements en cours de route, les ponts jetés par dessus des précipices, les tunnels dont on sorte pour franchir immédiatement des ravins sans fond, ne peuvent que réjouir un amateur de sensations ferroviaires fortes.
Et aujourd’hui ?
Contrairement à une rumeur qui circule beaucoup, la ligne est toujours active, bien qu’une route ait été construite et double son itinéraire. Concédée le 20 septembre 1999 pour une durée de 30 ans à l’entreprise Railroad Development Corporation, la ligne du Ferrocaril Central Andino SA (ou FCCA) est privée et elle réunit les efforts d’un certain nombre d’investisseurs péruviens qui comptent bien maintenir la ligne en activité car elle assure, par tous les temps, un trafic sûr et important. Sur les 591 km du réseau du FCCA comprenant l’intégralité des lignes anciennes circulent 26 locomotives diesel et 709 wagons de marchandises, assurant un transport annuel de près de deux millions de tonnes. En outre, si le service régulier pour les voyageurs a disparu devant la motorisation individuelle et la création de lignes d’autobus, toutes les semaines depuis 2002 circulent des trains de voyageurs transportant des touristes du monde entier : le parcours complet, avec 9 zigzags inclus, coûte environ 50 dollars. C’est donné ….



Un lecteur de ce site, Dominique De Champeaux, que nous remercions vivement, recommande la vision des films suivants qui vous mettront directement sur la plate-forme, à l’avant de la locomotive, pour un magnifique parcours, très détaillé, parfaitement filmé, sur les parties les plus spectaculaires de la ligne du Central Peru, et à la montée. On rêve tous de faire ce voyage et dans ces conditions :
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.