La durée de vie du matériel roulant ? On revient au demi-siècle, voire plus.

Le grand succès, et nous nous en réjouissons, des voyages en train, surtout en TGV, vient pousser la SNCF à constater qu’elle va bientôt manquer de matériel roulant. Face à une industrie ferroviaire qui, avec la meilleure volonté du monde, ne peut pas produire des TGV avec la rapidité de production des cornichons ou des choux dans les « kolkhozes » de la RDA ou de l’URSS, et qui demande un délai de plusieurs mois ou années après la commande, la SNCF n’aura d’autre choix que de perdre des voyageurs à qui elle ne peut vendre des places, ou de les faire voyager debout dans l’allée centrale des rames automotrices (comme cela se voit au Royaume-Uni), ou bien finalement et plus logiquement, la SNCF n’aura d’autre solution que de prolonger la vie du matériel roulant qu’elle exploite, ceci étant, avec l’humour bien connu de la grande maison, appelé « le plan Botox », quitte à se faire ravaler la façade par quelques féministes déchaînées.

Une locomotive type « Bourbonnais » construite en 1859 chez Koechlin. En route pour 90 années…

Un grand retour vers la tradition ferroviaire : la qualité et la durée avec l’exemple de la « Bourbonnais ».

La locomotive à vapeur du type 030 à tender séparé est d’un emploi généralisé en Europe au milieu du XIXe siècle. C’est, à la perfection, la locomotive typique pour trains de marchandises, et, sur les réseaux français, une série de 030 devient très célèbre et omniprésente: c’est la « Bourbonnais », ainsi dénommée parce qu’elle fut utilisée massivement par la compagnie du Bourbonnais.

La compagnie du Nord, en 1846, commande une série de locomotives à disposition d’essieux type 030 et à tender séparé et cylindres extérieurs. Elles sont le fruit du travail de l’ingénieur Hauel des Établissements Derosne & Cail à Chaillot. Cette dernière particularité, les cylindres extérieurs, est en rupture avec la pratique des cylindres intérieurs d’origine anglaise et répandue en Europe jusque-là. Donnant, certes, des machines plus stables, les cylindres intérieurs sont longés entre les longerons du châssis, sous la locomotive, mais cette disposition en limite le diamètre, les deux cylindres étant côte à côte dans un espace étroit.

Or l’accroissement du poids des trains de marchandises demande de la puissance, et la solution est l’augmentation du diamètre des chaudières pour pouvoir disposer de la vapeur nécessaire, mais aussi l’augmentation du diamètre des cylindres pour pouvoir utiliser cette puissance et la transmettre aux roues motrices. Il faut donc bien placer les cylindres à l’extérieur des longerons du châssis, chose que le gabarit français et continental permet, mais que le gabarit anglais a refusé, jusque-là, aux ingénieurs d’outre Manche.

Si cette machine excelle sur le réseau du Nord en tête des lourds trains de marchandises que ce réseau très dense est obligé d’engager en ligne, d’autres compagnies s’intéressent à cette nouvelle venue, comme le Paris-Lyon, le Rhône-et-Loire, le Lyon-Méditerranée, le Grand-Central, etc…car il s’agit bien d’une excellente machine, simple, fiable, robuste.

Une “Bourbonnais” vue en 1908 sur le réseau du PLM. Elle a déjà presque 50 ans de bons et loyaux services. La retraite, alors ? Pas question. Elle en fera bien 40 années de plus.

Qu’est-ce qu’une « Bourbonnais » ?

Fondamentalement, c’est bien une locomotive anglaise dont la conception est due à George Stephenson qui reste fidèle à la présence de trois essieux sous le châssis rigide unique. L’idée d’accoupler l’unique essieu moteur central des types 111 à un second puis un troisième essieu pour donner le type 120 puis 030 est bien une idée de l’inventeur anglais qui l’utilisait déjà dans un certain nombre de transmissions mécaniques diverses – car Stephenson, comme beaucoup d’ingénieurs de son temps, est un inventeur qui touche à l’ensemble des domaines de la mécanique.

Mais la disposition des cylindres à l’extérieur des longerons est une évolution que George Stephenson n’aurait pu établir sur ses locomotives du fait du gabarit anglais très restreint, d’une part, et, d’autre part, du fait de la crainte des effets dus aux mouvements parasites que les ingénieurs anglais ont bien détectés à certaines vitesses critiques. En effet, les pistons, avec leur mouvement alterné, et les bielles avec leur mouvement dit de « fouettage » créent des mouvements de lacet, de galop, et de roulis dont l’amplitude, si elle est maintenue, peut aller jusqu’au déraillement. On a intérêt, pour les réduire, de rapprocher du centre de gravité de la locomotive tous les organes qui les génèrent, et à disposer les cylindres entre les longerons.

Cette disposition limite la dimension des cylindres, dont les deux diamètres s’ajoutent et occupent tout l’espace disponible entre les longerons. Or, en limitant la dimension des cylindres, on limite la puissance des locomotives, puisque, même si l’on augmente les dimensions des chaudières, il ne sert à rien de fournir de la puissance à des cylindres qui ne peuvent l’utiliser.

Roulant sur d’excellentes lignes construites par le Second empire, bien rectilignes et bien plus « roulantes » que les lignes anglaises construites déjà vingt ans plus tôt, les « Bourbonnais » bénéficient de meilleures conditions de roulement, et se montrent très stables.

La « Bourbonnais » sera construite de 1855 à 1882 par le réseau du PLM et une locomotive est présentée à l’exposition de 1878, soit un quart de siècle après sa conception, sans qu’elle soit dépassée techniquement. 

Le service effectué: jusqu’à 91 années de service.

Les « Bourbonnais » de ces nombreux réseaux font leur carrière en tête de trains de marchandises sur l’axe Paris-Lyon-Marseille et autour de St-Etienne, Roanne, Langeac, Langogne, Clermont-Ferrand, et d’autres lignes du Massif Central.

Puis, une fois constitué, le PLM commande, de nouveau, une importante série de 301 machines en 1864-65 qui prendront les numéros 1513 à 1813. En 1880 les dernières « Bourbonnais » sont livrées aux différents réseaux, et le parc total de plus de 1450 locomotives est désormais l’objet de transformations, certaines devenant des 040, d’autres devenant des locomotives-tenders, ou recevant de nouvelles chaudières, de nouvelles cabines de conduite, un système de freinage plus perfectionné, etc.

On notera que, très robustes et très économiques, ces locomotives ont battu des records de longévité en service, ce qui est le cas de la 3-A-1 (ex-1423), construite en 1855, étant encore en service en 1946 à Villeneuve-Saint-Georges, lui donnant  91 années de bons et loyaux services: aucun autre engin de transport mécanique, ni routier, ni aérien, n’a, à notre connaissance, duré aussi longtemps !

En 1910 il restait encore 845 locomotives et en 1914 il existe toujours 656 unités, ce qui vaut à certaines d’aller « faire la guerre » jusqu’en Grèce où elles finirent leurs jours. Transformées à partir de 1907 en locomotives-tenders de manœuvres pour certaines d’entre elles, ce n’est qu’à partir de 1924 que ces vaillantes petites locomotives commencent à être reléguées dans des services peu nobles comme la « remonte » des rames voyageurs à la gare de Lyon, aux travaux et manœuvres à Lyon sur le site de Vénissieux, à Moulins, à Bellegarde, ou encore à Sète, etc. En 1938 il reste 143 locomotives, mais une centaine ne sont guère en bon état et sont ce que l’on appelle à la SNCF « en attente de décision ». Ce ne sont que les locomotives diesel qui, tout compte fait, les enverront à la retraite.

Caractéristiques techniques.

Type : 030

Date de début de construction : 1855

Cylindres: 450 × 650.

Moteur à simple expansion.

Diamètre des roues motrices: 1300 mm.

Surface de la grille du foyer: 1,36 m².

Pression de la chaudière: 8/10 kg/cm² selon les séries.

Longueur: 8,54 m.

Poids: 32 à 40t selon les séries.

En traction électrique, les BB du Midi durent jusqu’à 60 ans.

Le réseau du Midi est le réseau pionnier de la traction électrique en France, et de la locomotive du type BB. Dès le lendemain de la Première Guerre mondiale, ce réseau adopte le courant continu 1500 v normalisé que la France vient d’adopter comme norme nationale, et abandonnant ses très prometteurs essais en courant monophasé entrepris avant la guerre, ce réseau fait bon cœur contre mauvaise fortune et construit de remarquables BB qui marqueront profondément le chemin de fer français jusqu’à aujourd’hui.

La traction électrique française démarre au début des années 1920. Le plus grand problème technique est le manque de performances, associé à celui du manque de stabilité à grande vitesse. Les 2C2 de vitesse du Midi, mises en service en 1923, sont peu puissantes et la disposition verticale des moteurs, entraînant les essieux moteurs par des pignons coniques, ne manque pas de poser des problèmes mécaniques. Les 2D2 Midi qui suivent sont d’une puissance suffisante (2 900 kW), mais très instables, elles sont limitées à un prudent 100 km/h.

Le PO n’est guère mieux loti. Lors de la mise en service de la traction électrique sur la ligne Paris-Vierzon, en 1926, le PO dispose de 200 machines type BB dont les performances permettent à peine 90 km/h en vitesse maximale. Le PO a commandé des locomotives de vitesse de type 2BB2 à l’entreprise hongroise Ganz, mais devra bientôt déchanter devant les problèmes posés par ces machines. Le PO fait une toute aussi mauvaise expérience avec une 2CC2 américaine, et, en fin de compte, adopte avec succès le type 2D2 développé par l’industrie suisse.

Le PLM, pour sa part, essaie diverses formules comme des locomotives 1ABBA1, 1CC1 ou 2CC2, toutes étant puissantes et lourdes, et destinées aux très lourds trains de la vallée de la Maurienne. Limitant la traction électrique aux lignes de montagne, le PLM laisse à la vapeur son règne absolu sur l’ensemble de son réseau.

Les premières BB françaises sur le réseau du Midi.

Concrètement, c’est le réseau du Midi qui développe ce type de locomotive pour son réseau 1500 v continu en 1922. Véritable « bonne à tout faire », locomotive légère, simple, offrant une modeste puissance avec 4 moteurs fonctionnant à pleine tension et de conception rustique, cette locomotive peut remorquer des trains de marchandises de 200 t à 50 km/h entre Pau et Tarbes. Le réseau du Midi fait de la BB la locomotive type des réseaux français et l’ensemble du parc SNCF d’aujourd’hui, y compris les machines de vitesse, a conservé cette disposition d’essieux.

Le bogie moteur à ses débuts.

Simple élément directeur et porteur pour les locomotives électriques type 2D2 et inspiré, à ce titre, des bogies avant de locomotives à vapeur, le bogie ne devient un véritable organe de locomotive électrique qu’avec les BB de conception Midi et PO, c’est-à-dire des machines lentes et vouées à un service mixte ou marchandises ne posant guère des conditions draconiennes de stabilité ou de qualité de suspension. Les puissances et des poids sont modestes: les BB Midi de l’époque disposent de 1 300 kW à 52 km/h et pèsent un peu plus de 80 tonnes seulement, et sont limitées à 90 ou 100 km/h en service. Les locomotives de l’époque se contentent de bogies dont la conception n’est pas loin de s’apparenter au bogie de tramway, avec le moteur non suspendu, ou, plutôt, «suspendu par le nez» et faisant, à ce titre, partie intégrante de l’essieu et comptant partiellement dans les masses non suspendues puisque se débattant avec lui.

Une BB 1 à 80, ou « Biquette », vue à la Cité du Train-Patrimoine SNCF, à Mulhouse. La retraite après 60 ans de travail, donc ? Madame notre Première Ministre en rêverait, mais la locomotive ne fonctionne pas sous la tension de 49,3 volts. Il faut 1500 volts.

Le réseau du Paris-Orléans, qui dessert en fait tout le Sud-Ouest de la France, se convertit à la traction électrique et, pour ses services marchandises, construit ces très jolies BB série 1 à 80 qui, aujourd’hui encore, sont très aimées des amateurs de chemins de fer qui ne les ont pas oubliées. Elles ont marqué leur époque: on les appelait les « Biquettes ».

Le parc est de 200 machines réparties en 3 types principaux, prévus pour rouler à 60 km/h ou 90 km/h/ (ou même 105 km/h pour les machines aptes à un service voyageurs). Si les appareillages sont d’origine américaine, suisse, ou française, les 4 moteurs, à suspension dite « par le nez » (la formule la plus simple d’origine tramway), entraînent les roues par l’intermédiaire d’engrenages et donnent entre 1000 et  1200 kW selon les types. Longues de 12,7 m, pesant 72 t, ces machines mises en service à partir de 1923 feront une longue carrière les menant jusque durant les années 1980, faisant encore des manœuvres dans les gares ou circulant sur la ligne de la Maurienne en couplages soit atteignant une durée de vie et de bons et loyaux services de 60 années !

Une jolie BB 1 à 80 du PO : en route pour 60 années de travail.
Un matériel roulant qui dure un siècle ? La SNCF en rêve.
Les BB 101 à 180 du PO, construites à partir de 1924, feront un service tout aussi long et honorable que les « Biquettes ». En voici une, vue dans sa vie quotidienne dans les années 1920.

Et pour les voitures ?

Parlons des fameuses voitures “Ty” qui, elles aussi et sans Botox, ont vécu et travaillé longtemps. Ce fut la voiture à voyageurs de toute une génération de Français, et de toute une époque qui se disait « belle »…. Certes la bourgeoisie y voyageait sur des coussins rembourrés et dans des compartiments spacieux de la 1ʳᵉ classe et le prolétariat, lui, connaissait, en 3ᵉ classe, les austères joies des bancs en bois de ces voitures aux compartiments alors bien étriqués. La lutte des classes….

La Ty était une voiture à portières latérales. Nul ne sait d’où est sortie cette expression de voitures à portières latérales. Elle sert, principalement chez les amateurs, à designer ce que l’on appellerait plus justement des voitures à portières multiples, une par compartiment de chaque côté. Cette disposition est héritée tout droit des carrosses qui avaient un compartiment vitré et une portière de chaque côté. Les diligences la reprennent en juxtaposant deux ou trois compartiments et autant de portières. Les voitures de chemin de fer ne font qu’augmenter le nombre de compartiments tout en conservant la disposition type diligence à laquelle est habitué le public.

Elle offre un très gros avantage: la montée et la descente des voyageurs, dans les gares, se fait très rapidement. C’est pourquoi les trains de banlieue britanniques ont, jusqu’à aujourd’hui, conservé cette multitude de portières qui s’ouvrent toutes d’un seul coup, dès l’arrêt, laissant une foule envahir le quai instantanément.

Mais l’inconvénient est que quand le train repart les portières des compartiments inoccupés peuvent rester ouvertes: il faut donc, sur le quai, un grand nombre d’agents pour vérifier la fermeture des portières avant le départ.

La “Ty”, donc.

En France on désigne ces voitures sous le nom de « Ty ». Les lettres « t » et « y » indiquent une voiture à bogies et sans intercirculation, mais avec toilettes. Elle est construite, à partir de 1907 dans les ateliers de Romilly de la compagnie de l’Est, à 485 exemplaires, et pour les trois classes. Après la guerre le Ministère des Transports, dans le cadre de la reconstruction nationale, commande 450 nouvelles voitures pour les réseaux de l’Est, de l’Etat, du Paris-Orléans, voitures livrées entre 1922 et 1924, et portant le parc à un total de 935 voitures.

De son coté la compagnie du Nord conçoit, en 1907 comme le réseau de l’Est, une voiture Ty comparable, mais comportant soit des compartiments de 1ère et 2ème classe, soit uniquement de 2ème classe. Le Nord considère que les voyageurs de 3ème classe peuvent continuer à rouler dans des voitures à 2 essieux indépendants: le confort et la douceur de roulement des bogies n’est pas encore pour eux…. Ce parc Nord s’élève à 380 exemplaires. Le PLM dispose d’un parc de 170 voitures construit plus tardivement et jusqu’en 1929 et de caractéristiques comparables aux précédentes. Ajoutons que le réseau Alsace-Lorraine apporte, en 1919, un parc de voitures de caractéristiques proches et de style allemand, et que l’armistice apportera, de son coté, environ 220 voitures allemandes à portières multiples et sur bogies elles aussi assez comparables.

Ces Ty forment un important parc de plus de 2000 voitures pour les réseaux français entre les deux guerres et sont incorporées dans toutes sortes de trains. Toutefois leur caisse en bois leur vaut, assez rapidement, d’être « déclassées » vers des services express ou omnibus, car les voitures à caisse entièrement métallique, plus sûres et plus confortables, se répandent sur l’ensemble des réseaux à partir de 1925. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, les Ty  ont pratiquement disparu -sauf  700 d’entre elles dont les châssis serviront de base pour la construction de voitures de type banlieue ou omnibus à caisse métallique entre 1956 et 1962.

Dotées de compartiments, mais d’un couloir latéral permettant de se rendre aux toilettes, ces voitures marquent, en 1907, un très net progrès par rapport aux voitures de 3ᵉ classe circulant à l’époque et de conception purement XIXᵉ siècle, sans toilettes, sans couloir. Leur roulement sur bogies est incomparablement plus doux et plus stable que celui des voitures à deux ou trois essieux qui les précèdent. Les surfaces vitrées, généreuses, donnent des compartiments clairs et agréables d’où l’on peut savourer les joies de la découverte des paysages. Beaucoup de ces voitures rouleront jusque durant les années 1950, soit 50 années de services, et certaines seront reconstruites, auront une caisse nouvelle due à l’ingénieur Bruhat, et dureront une trentaine d’années de plus, soit 80 ans en tout.

CARACTÉRISTIQUES techniqueS.

Type: voiture à bogies sans intercirculation

Date de construction : à partir de 1907.

Disposition: 7 compartiments de 1ʳᵉ cl à 10 compartiments de 3ᵉ cl.

Capacité: 38 à 80 places.

Longueur: 17 à 19 m.

Masse: 27 à 32 t.

En haut une voiture PLM à portières latérales datant de 1910, et, en bas, une voiture Ty Est datant de la même période et ayant fait carrière à la SNCF jusque durant les années 1950.
%d blogueurs aiment cette page :
search previous next tag category expand menu location phone mail time cart zoom edit close